2. 66. Duḥśāsana se plaint à Duryodhana de ce que leur père leur a fait perdre tout ce qu’ils avaient gagné. Ils vont trouver Dhṛtarāṣṭra : Les Pāṇḍava libérés vont lever une armée et les attaquer : leur attitude est claire, ils ne pardonneront jamais les offenses faites à Draupadī. Que l’on fasse rouler les dés encore une fois. L’enjeu : un exil de douze ans dans la forêt, une année incognito, et s’ils sont découverts, encore douze ans d’exil. Ainsi les Kaurava auront le temps d’asseoir leur puissance, de rassembler une armée invincible et pourront les vaincre. Dhṛtarāṣṭra accepte, malgré les objurgations de ses conseillers. Gāndhārī elle-même intervient. Mais Dhṛtarāṣṭra reste ferme.

Livre II, chapitre 66

1. Janamejaya dit :

« Quand ils ont appris que les Pāṇḍava avaient reçu la permission de partir

avec leurs joyaux et leurs multitudes de richesses, comment fut alors l’état d’esprit des fils de Dhṛtarāṣṭra ? ».

2. Vaiśampāyana dit :

« Quand il sut qu’ils avaient reçu du sage Dhṛtarāṣṭra la permission de partir,

ô roi, Duḥśāsana alla aussitôt vers ses frères.

3. Quand il se fut rapproché de Duryodhana et de ses conseillers, ô taureau des Bhārata,

opprimé par le malheur, ô le meilleur des Bhārata, il dit cette parole :

4. « Cet ancien détruit ce que nous avions amassé avec peine,

en faisant passer nos richesses à l’ennemi ! Songez-y, ô grands auriges ! ».

5. Et Duryodhana, Karṇa et aussi Śakuni, le fils de Subala,

s’entendirent tous ensemble contre les Pāṇḍava, dans leur orgueil.

6. Ils allèrent vers le sage roi Dhṛtarāṣṭra, le fils de Vicitravīrya,

en toute hâte, et lui dirent doucement cette parole :

7. Duryodhana lui dit :

« N’as-tu pas entendu parler, ô roi, de ce qu’a dit Bṛhaspati,

le savant chapelain des Dieux, quand il a exposé à Śakra ce qu’est un bon comportement ?

8. “ Les ennemis doivent être éliminés par tous les moyens, ô tourment de tes ennemis,

avant qu’ils te fassent du mal, dans un combat, ou encore par la force. ”.

9. En rendant hommage à tous les rois avec les richesses des Pāṇḍava,

si nous les lançons dans un combat, que nous manquera-t-il donc ?

10. Des serpents en colère aux crochets venimeux, prêts à mordre,

qu’on a mis sur le cou et le dos, qui peut s’en débarrasser ?

11. Les Pāṇḍava ont pris les armes, ils sont montés sur leurs chars, et ils sont en hargne, père !

Ils vont nous anéantir, car ils sont en colère comme des serpents venimeux !

12. Car Arjuna s’est équipé, il va avec ses fameux carquois ouverts,

il n’arrête pas de prendre son arc Gāṇḍīva, et il l’examine en soupirant.

13. Ventre-de-loup a vite soulevé sa lourde massue,

et il est sorti sur son char, après l’avoir fait atteler : c’est ce que nous avons entendu dire.

14. Nakula a pris son épée et son bouclier de cuir orné de huit lunes,

et Sahadeva et le roi, par leurs mines, se sont exprimés.

15. Ils sont tous montés sur leurs chars équipés de nombreuses armes,

et, fouettant les troupes de leurs chars, ils sont sortis pour organiser leurs armées.

16. Ainsi ils ne nous pardonneront jamais car nous les avons offensés,

les tourments de Draupadī, qui parmi eux peut les pardonner ?

17. Jouons à nouveau, si tu veux bien, avec les Pāṇḍava pour un séjour dans la forêt :

nous pourrons ainsi les mettre en notre pouvoir, ô taureau des Bhārata.

18. Soit eux, soit nous, après avoir été vaincus aux dés, pendant douze ans

nous irions dans une grande forêt, vêtus de peaux d’antilopes.

19. Et il faudrait ne pas être reconnus en vivant toute une treizième année au milieu des gens,

et si l’on est reconnu, passer à nouveau douze autres années dans la forêt.

20. Nous ou eux vivrions ainsi : lançons le jeu de dés,

jetons à nouveau les dés, et que les Pāṇḍava fassent cette partie de dés.

21. C’est là, ô roi, ce qui est le mieux pour nous, ô taureau des Bhārata,

car Śakuni ici présent connaît les dés à la perfection avec toutes les formules.

22. Nous serons solidement enracinés dans le royaume, après avoir embrassé nos amis,

et accueilli avec respect une vaste et solide armée, invincible.

23. Et si à la troisième année ils accomplissent ce vœu,

nous, nous les vaincrons, ô roi ! Donne ton approbation, ô tourmenteur de tes ennemis ! ».

24. Dhṛtarāṣṭra lui dit :

« Faites-les vite revenir, même s’ils ont déjà fait la moitié du chemin.

Que les Pāṇḍava reviennent et fassent à nouveau une partie de dés ! ».

25. Vaiśampāyana dit :

« Alors Droṇa, Somadatta, le grand aurige Bāhlīka,

Vidura, le fils de Droṇa, l’héroïque fils de Vyāsa,

26. Bhūriśravā, le fils de Śāṃtanu, et le grand aurige Vikarṇa,

tous dirent : « Pas de jeu de dés ! Qu’il y ait la paix ! ».

27. Tous les alliés qui considéraient la chose ne désiraient pas cela,

mais Dhṛtarāṣṭra, par amour pour son fils, lança un défi aux Pāṇḍava.

28. Gāndhārī, que son amour pour son fils tourmentait de chagrin,

parla alors, ô Mahārāja, à Dhṛtarāṣṭra, le seigneur des peuples, concentré sur le Dharma :

29. « Quand Duryodhana est né, le très sage chambellan a dit :

« Cet être qui souille sa famille, eh bien il faut le conduire dans l’autre monde. ».

30. Car, à peine né, il hurlait comme un chacal, ô Bhārata.

Faites attention, ô Kuru, il est certainement la fin de cette lignée !

31. Ne te fie pas à la pensée d’enfants ignorants, seigneur,

ne deviens pas la cause de la perte épouvantable de ta lignée !

32. Qui donc briserait les attaches d’une digue et soufflerait sur les braises pour l’attiser le feu ?

Qui donc irait irriter les fils de Pṛthā, ô Bhārata, eux qui sont à nouveau arrêtés dans la paix ?

33. Tu te rappelles cela, mais moi je vais te le rappeler à nouveau, ô Ājamīḍha :

l’instruction n’instruit pas un abruti, que ce soit dans le bon sens ou l’autre.

34. Un esprit infantile ne saurait en aucune manière, ô roi, devenir un vieux sage.

Tes fils doivent t’avoir pour chef, pour qu’ils ne t’abandonnent pas quand ils se seront déchirés.

35.      Par la sérénité, le Dharma et la sagesse d’autrui,

que cette sagesse née en toi n’aille pas à contre-courant.

Une prospérité est périssable si elle est établie sur la méchanceté ;

si elle est pleine de délicatesse, elle passe à tes fils et à tes petits-fils. ».

36. Alors le Mahārāja dit à Gāndhārī qui voyait le Dharma :

« Eh bien, que ce soit la fin de la lignée : je ne peux pas l’empêcher…

37. Qu’il en soit comme ils le désirent : que les Pāṇḍava reviennent !

Que les miens fassent une nouvelle partie de dés avec les Pāṇḍava ! ».

 

2. 67. Yudhiṣṭhira, pour ne pas désobéir au roi, revient. Śakuni précise l’enjeu : pour celui qui perd, douze ans d’exil dans la forêt, un an incognito et s’ils sont découverts, douze ans d’exil encore. Il joue et gagne.

Livre II, chapitre 67

1. Vaiśampāyana dit :

« Yudhiṣṭhira, le fils de Pṛthā, avait déjà fait la moitié du chemin, et un messager,

sur l’ordre du sage Dhṛtarāṣṭra, lui dit :

2. « La grand-salle a été jonchée de tapis, ô roi, les dés ont été jetés.

Allons, ô Pāṇḍava, viens jouer aux dés » te dit ton père, ô Bhārata. »

3. Yudhiṣṭhira dit :

« Selon les instructions de Dhātā, les créatures obtiennent le bien et le mal.

Il n’y a aucun moyen de s’abstenir de l’un ou de l’autre, s’il faut à nouveau jouer.

4. Ce défi au jeu de dés qui a été lancé selon les instructions d’un ancien,

même si je sais qu’il fera notre perte, je n’ose pas y désobéir. ».

5. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir ainsi parlé, le Pāṇḍava revint sur ses pas avec ses frères.

Et bien que connaissant la magie de Śakuni, le fils de Pṛthā retourna au jeu de dés.

6. Ces grands auriges entrèrent à nouveau dans la grand-salle,

et les taureaux des Bhārata affligèrent le cœur de leurs amis.

7. Ils s’assirent comme ils le voulaient, pour s’adonner à nouveau au jeu de dés,

pour la perte du monde entier, écrasés par le destin.

8. Śakuni dit :

« L’Ancien a renoncé à vos richesses, et on lui en rend hommage.

Mais il y a un nouvel enjeu, une grande richesse, unique : écoute-moi ô taureau des Bhārata !

9. Si nous sommes battus par vous au jeu de dés, pour douze ans

nous entrerions dans la grande forêt, vêtus de peaux d’antilope barasingha,

10. Et il faudrait ne pas être reconnus en vivant toute une treizième année au milieu des gens,

et si l’on est reconnu, passer à nouveau douze autres années dans la forêt.

11. Ou si vous êtes vaincus par nous, vous devrez pendant douze ans rester

dans la forêt en compagnie de la Noiraude, vêtus de peaux d’antilope noire.

12. A la fin de la treizième année, à nouveau, comme d’habitude,

chacun, l’un et l’autre, devra recevoir son royaume.

13. Après cette résolution que tu fais avec nous, ô Yudhiṣṭhira,

lance les dés, vas-y, joue une nouvelle partie de dés, ô Bhārata ! ».

14. Ceux qui étaient assis dans la grand-salle dirent :

« Ah ! Hélas ! Ses parents ne lui font pas comprendre ce grand danger !

Ce qui doit être compris l’est par la compréhension, et les taureaux des Bhārata ne comprennent pas ce qui les concerne ! ».

15. Vaiśampāyana dit :

« Le roi entendit les paroles très nombreuses de ses gens,

mais sa timidité et son attachement au Dharma firent que le fils de Pṛthā retourna au jeu de dés.

16. Même s’il comprenait, étant très sage, il retourna à nouveau au jeu de dés,

en pensant : « Pourvu que ce ne soit pas là encore la perte des Kuru ! ».

17. Yudhiṣṭhira dit :

« Comment un roi tel que moi, qui protège son propre Dharma,

s’en retournerait quand il est convoqué ? Je joue avec toi, ô Śakuni ! ».

18. Śakuni lui dit :

« Les chevaux et les vaches qui donnent beaucoup de lait, les chèvres et les moutons en nombre infini,

les éléphants, les trésors et l’or, les esclaves hommes et femmes tous ensemble,

19. C’est là pour nous le seul coup de dés pour un séjour dans la forêt, ô Pāṇḍava !

Que les vaincus soient nous ou vous, il s’agira de vivre dans la forêt et d’y rester !

20. Après cette résolution, jouons aux dés, ô taureau des Bhārata !

Avec un seul lancer, c’est le séjour dans la forêt, ô Bhārata ! ».

21. Vaiśampāyana dit :

« Le fils de Pṛthā accepta, et le fils de Subala saisit les dés,

et Śakuni dit à Yudhiṣṭhira : « Gagné ! ».

 

2. 68. Les Pāṇḍava revêtent des vêtements de daim. Duḥśāsana se moque d’eux : les Pāṇḍava sont comme des graines de sésame stériles. Bhīma le menace et l’autre répond : “vache, vache”. Bhīma réitère son serment de lui ouvrir la poitrine et de boire son sang. Duryodhana se moque de lui. Bhīma jure de le tuer de sa massue et de poser son pied sur sa tête. Arjuna annonce qu’il tuera Karṇa et Sahadeva qu’il tuera Śakuni. Nakula jure qu’il fera grand carnage des Kaurava. Ils vont faire leurs aDieux à Dhṛtarāṣṭra.

Livre II, chapitre 68

1. Vaiśampāyana dit :

« Vaincus, les fils de Pṛthā tournèrent leurs pensées vers le séjour dans la forêt,

et ils prirent leurs vêtements en peau d’antilope l’un après l’autre.

2. En voyant ces dompteurs de leurs ennemis privés de leur royaume et vêtus de peaux d’antilope,

prêts à partir séjourner dans la forêt, Duḥśāsana dit :

3. « La roue a tourné pour le fils de Dhṛtarāṣṭra, ce roi au grand cœur !

Les fils de Pāṇḍu ont succombé, ils sont arrivés à un total échec !

4. Aujourd’hui les Dieux sont venus ensemble par des chemins égaux, étrangers à la Terre,

parce qu’ainsi nous sommes les meilleurs en vertu, les meilleurs et plus nombreux que nos ennemis !

5. Les fils de Pṛthā sont tombés en enfer, pour longtemps, sans fin,

privés de leur bonheur, de leur royaume, ils sont ruinés pour des années et des années !

6. Vous qui, rendus fous par votre puissance, avez abandonné les fils de Dhṛtarāṣṭra,

vous êtes vaincus, privés de vos biens, et vous allez aller dans la forêt, ô Pāṇḍava !

7.         Qu’ils se défassent de leurs armements bariolés,

et de leurs vêtements divins et brillants,

qu’ils revêtent tous les peaux d’antilope barasingha,

puisqu’ils ont accepté l’enjeu du fils de Subala !

8.         « Il n’y a pas dans les mondes d’hommes tels que nous »

disaient toujours ces gens qui avaient purifié leur esprit !

Mais les Pāṇḍava que voilà sauront aujourd’hui ce qu’ils sont :

dans les revers de fortune, ils sont comme des graines de sésame stériles !

9. Car votre arrivée dans votre habitation risquerait bien

de ne pas être semblable, ô fils de Kuru, à celle des sages :

regardez comme ils portent les peaux d’antilope

de ceux qui n’ont pas été initiés, les très puissants Pāṇḍava !

10.      Le très sage Somaka, Chef-de-l’armée-sainte,

en accordant sa fille, la fille du Pāñcāla, aux Pāṇḍava,

a fait là une bien mauvaise action : les fils de Pṛthā

sont des eunuques, ils ne sont plus des époux pour la fille du Chef-de-l’armée-sainte !

11.      En voyant ceux qui avaient de fins manteaux demander

des peaux d’antilope, dépourvus de biens, en situation précaire dans la forêt,

quel plaisir prendras-tu, fille du Chef-de-l’armée-sainte ?

Choisis un autre époux, celui que tu veux là.

12.      Car tous les Kuru sont là réunis,

endurants, maîtres de leurs passions, possédant de très grandes richesses.

Choisis-en un parmi eux en qualité d’époux :

puisse ce revers de fortune ne pas t’affliger.

13.      Comme des graines de sésame stériles, comme des antilopes à qui il ne reste que la peau,

tels sont tous les Pāṇḍava, comme des épis de maïs stérile.

14.      Pourquoi restes-tu avec les Pāṇḍava puisqu’ils sont tombés ?

C’est une fatigue inutile de rester avec des graines de sésame stériles ! ».

C’est ainsi que le cruel fils de Dhṛtarāṣṭra

faisait entendre ces paroles désagréables aux fils de Pṛthā.

15.      En entendant cela, Bhīmasena, très impatient,

le menaçant à grands cris, et se retenant malgré sa colère,

s’approcha de lui avec force et lui dit ceci,

comme un lion de l'Himālaya à un chacal :

16. Bhīmasena dit :

« Scélérat, tu dis des choses qui plaisent aux hommes mauvais, sans atteindre ton but !

Car c’est grâce à la science du Gāndhāra que tu fanfaronnes au milieu des rois !

17. De même que tu nous piques à vif violemment avec les flèches de tes paroles,

de même moi je te le rappellerai quand je mettrai tes chairs à vif dans la bataille !

18. Et ceux qui te suivent, obéissant sous l’emprise de leurs désirs et de leur cupidité,

pour te protéger, je les mènerai à la demeure de Yama avec tous leurs descendants ! ».

19. Vaiśampāyana dit :

« Alors qu’il parlait ainsi, banni, vêtu de peaux d’antilope,

dominé par le malheur, l’autre dansait autour de lui.

Au milieu des Kuru, attaché à la voie du Dharma,

il était appelé « Bœuf ! Bœuf ! » par l’autre qui avait perdu toute pudeur.

20. Bhīmasena lui dit : 

« La vilénie, dure et cruelle, est possible avec toi, ô Duḥśāsana,

car qui peut fanfaronner après avoir pris un bien par tromperie ?

21. Oui vraiment Ventre-de-loup, le fils de Pṛthā, ne saurait aller dans les mondes des vertueux

si, après t’avoir ouvert la poitrine, il ne buvait pas ton sang dans une bataille !

22. Après avoir tué les fils de Dhṛtarāṣṭra dans une bataille devant les yeux écarquillés de tous leurs archers,

je trouverai bien vite la paix : c’est la vérité que je te dis ! ».

23. Vaiśampāyana dit :

« Par jeu, le roi Duryodhana imita joyeusement 

la démarche de lion de Bhīmasena

avec sa propre démarche, cet imbécile,

tandis que les Pāṇḍava sortaient de la grand-salle.

24.      « Ce n’est pas comme cela que l’on fait » lui dit

Ventre-de-loup en tournant vers lui la moitié de son corps.

« Car bien vite, quand tu auras été tué avec tous tes descendants,

je te le rappelerai et tu auras la réponse, crétin ! ».

25.      Après avoir considéré ce mépris envers lui,

et, puissant et fier, après avoir réprimé sa fureur,

obéissant au roi dans l’assemblée des Kaurava,

Bhīma dit ces mots en sortant :

26.      « Moi je vais tuer Duryodhana, et Dhanaṃjaya va tuer Karṇa

et Sahadeva tuera Śakuni, le tricheur au jeu de dés.

27. Et ces mots puissants je vais les dire encore au milieu de la grand-salle :

les Dieux les accompliront quand il y aura un combat entre nous.

28. Je tuerai ce « Bon-Guerrier » qui est mauvais, avec ma massue, dans un combat,

et moi je poserai mon pied sur sa tête par terre !

29. Et ce héros en paroles, ce grossier, ce mauvais

Duḥśāsana, je boirai son sang comme un lion ! ».

30. Arjuna dit :

« La résolution des justes, ô Bhīma, n’est en aucune façon connue par des mots :

d’ici quatorze ans, ils verront ce qu’il en sera !

31. Duryodhana, Karṇa, Śakuni le mauvais,

et Duḥśāsana en quatrième, la terre boira leur sang.

32. Sur l’ordre de Bhīmasena je tuerai Karṇa dans un duel,

ce bavard envieux, ce louangeur des scélérats.

33. Arjuna en fait la promesse pour faire plaisir à Bhīma :

Karṇa et ceux qui lui obéissent, je les tuerai dans un combat avec mes flèches empennées.

34. Et les autres rois qui me combattront dans l’égarement de leur esprit,

tous, avec mes flèches acérées, je les conduirai à la demeure de Yama !

35. Car que l’Himālaya change de place, que le Soleil ne brille plus,

que la Lune perde sa fraîcheur, si je ne tenais pas mon serment !

36. Si dans quatorze ans Duryodhana ne nous donne pas le royaume

en nous accueillant avec respect, mon serment se réalisera ! ».

37. Vaiśampāyana dit :

« Quand le fils de Pṛthā eut ainsi parlé, l’illustre fils de Mādravatī,

le majestueux Sahadeva, étreignit son grand bras.

38. Dans son désir de tuer le fils de Subala, il lui dit ces mots,

avec des yeux rouges de colère, sifflant comme un serpent :

39. « Ce que tu pensais être des dés, crétin, ruine de la gloire des Gandhāra,

ne sont pas des dés, mais des flèches acérées, choisies par toi pour la guerre !

40. Comme l’a dit Bhīma en te désignant toi et tes parents,

j’accomplirai cette tâche : accomplis ce que tu dois faire entièrement !

41. Je te tuerai directement au combat, après t’avoir attaqué toi et tes parents,

pour le cas où, dans le combat, tu t’en tiendrais au Dharma de la noblesse guerrière, ô fils de Subala ! ».

42. Après avoir entendu les paroles de Sahadeva, Nakula aussi, ô Seigneur des peuples,

le plus beau des hommes, dit cette parole :

43. « Les fils de Dhṛtarāṣṭra, dans ce jeu de dés, ont fait entendre à cette fille du Chef-de-l’armée-sainte

des paroles brutales, pour rester dans les bonnes grâces de Duryodana.

44. Ces fils de Dhṛtarāṣṭra, ces mauvais qui recherchent la mort, pressés par le Temps,

je leur ferai voir à la plupart le séjour de Vaivasvata [1] !

45. Sur l’ordre du roi du Dharma, prenant Draupadī comme guide,

je rendrai cette Terre vide de fils de Dhṛtarāṣṭra, ça ne prendra pas beaucoup de temps ! ».

46. C’est ainsi que ces tigres parmi les hommes, tendant tous le bras,

firent de nombreux serments, et ils s’approchèrent de Dhṛtarāṣṭra.

 

2. 69. Yudhiṣṭhira souhaite bonne chance aux Kaurava. Personne n’ose lui répondre, sauf Vidura qui le réconforte, le bénit et lui souhaite bonne chance.

Livre II, chapitre 69

1. Yudhiṣṭhira dit :

« Je salue les Bhārata ainsi que le vieux grand-père,

le roi, et Somadatta, et le Mahārāja Bāhlīka,

2. Droṇa, Kṛpa et les autres princes, et aussi Aśvatthāmā,

Vidura, Dhṛtarāṣṭra, et tous les fils de Dhṛtarāṣṭra,

3. Yuyutsu, et Saṃjaya ainsi que tous les autres qui sont assis dans la grand-salle,

je vous salue tous et je pars, je vous reverrai quand je reviendrai. ».

4. Vaiśampāyana dit :

« Et ces hommes de bien, par honte, ne dirent rien alors à Yudhiṣṭhira,

même si dans leurs esprits ils songeaient au bien de ce sage.

5. Vidura dit :

« La noble Pṛthā, fille de roi, ne mérites pas d’aller dans la forêt :

elle est délicate et âgée, et elle a toujours été habituée au confort.

6. Cette vertueuse et noble dame habitera ici, dans ma maison.

Sachez-le, ô fils de Pṛthā, et puissiez-vous être toujours en bonne santé !

7. Yudhiṣṭhira, apprends cela de moi, ô taureau des Bhārata :

personne, après avoir été vaincu en dehors du Dharma, ne s’afflige de sa défaite.

8. Toi tu connais les Dharmas, Dhanaṃjaya est un connaisseur en combats,

Bhīmasena en massacre de ses ennemis, Nakula comprend le Profit,

9. Sahadeva est un modérateur, et Dhaumya est le meilleur de ceux qui connaissent le Brahman,

et Draupadī est experte dans le Dharma et le Profit et observe le Dharma.

10. Vous êtes tous chers l’un à l’autre, et vous vous parlez affectueusement.

Vous ne pouvez pas être séparés par des ennemis, vous êtes contents : qui ne vous envierait pas ici-bas ?

11. Et cette harmonie est pour toi, ô Bhārata, le bien absolu :

aucun ennemi ne l’emporte sur elle, même s’il est semblable à Śakra, ô impérissable.

12. Jadis, dans l'Himālaya, tu as reçu l’enseignement de Sāvarṇi du mont Meru,

et du Noir Îlien dans la cité de Vāraṇavata,

13. de Rāma sur la montagne de Bhṛgu, de Śambhu au bord de la rivière Dṛṣadvatī ;

tu as aussi écouté l’enseignement du grand sage Asita près du mont Añjana.

14. Et Dhaumya, ton chapelain, a toujours été le contemplateur de Nārada

pour que tu n’emportes pas, au moment de passer dans l’autre monde, cette pensée honorée par les sages.

15. Avec cette pensée, ô Pāṇḍava, tu vaincs Purūravas, le descendant d’Ilā,

par ta force tu vaincs les autres rois, et les sages par ta dévotion au Dharma,

16. avec ton esprit fixé sur la victoire qui relève d’Indra, sur le contrôle de la colère qui relève de Yama,

et aussi sur la libéralité qui relève de Kubera, et aussi sur la maîtrise de soi qui relève de Varuṇa.

17. Le don de soi c’est la bienveillance, et de même la subsistance vient des eaux,

la patience de la Terre, et l’éclat tout entier vient de l’orbe du Soleil.

18. Sache que ta force vient du vent, et que tu es issu de ce qui fut.

Bonne santé à vous, et bonne chance, je vous verrai quand vous reviendrez.

19. Dans les problèmes de Profit dans les lois en cas de détresse, ou encore dans toutes les affaires,

puisses-tu réussir comme il convient à chaque fois, ô Yudhiṣṭhira,.

20. Je te dis maintenant au-revoir, ô fils de Kuntī, bonne chance, puisses-tu réussir.

Nous te verrons quand tu reviendras, satisfait et heureux ! ».

21. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots, après lui avoir dit « Qu’il en soit ainsi », le Pāṇḍava qui tirait sa puissance de la vérité,

Yudhiṣṭhira, salua Bhīṣma et Droṇa et il se mit en route.

 

2. 70. Draupadī prend congé de Kuntī. Kuntī lui souhaite bonne chance. Kuntī voit ses fils prêts au départ et se lamente. Les Pāṇḍava la consolent et partent pour la forêt. Dhṛtarāṣṭra fait venir Vidura.

Livre II, chapitre 70

1. Vaiśampāyana dit :

« Au moment où il partait, la Noiraude alla vers la glorieuse Pṛthā

et lui dit au-revoir ainsi qu’aux autres jeunes femmes qui étaient là, extrêmement accablée par le malheur.

2. Après les avoir prises dans ses bras et leur avoir rendu hommage, chacune selon son mérite, elle s’apprêta à partir,

et un brouhaha très grand s’éleva alors dans le gynécée des Pāṇḍava.

3. Et Kuntī, extrêmement tourmentée, vit Draupadī qui partait

et d’une voix égarée par la peine elle lui dit ces mots avec difficulté :

4. « Ma petite chérie, tu ne dois pas avoir de la peine pour cette grande infortune.

Tu connais le Dharma des femmes, tu en as la conduite vertueuse.

5. Je n’ai pas à te donner des instructions concernant tes maris, ô femme au sourire éblouissant :

tu as orné deux familles par la combinaison des vertus d’une femme de bien.

6. Ces Kuru là ont bien de la chance de ne pas avoir été consumés par toi, ô irréprochable.

Suis une route sûre, fortifiée par mes pensées.

7. Car, belle femme, le découragement ne naît pas chez les femmes de bien.

Et, gardée par le Dharma des anciens, tu rebondiras vite vers le bonheur !

8. Et il faudra toujours veiller sur mon fils Sahadeva quand il vivra dans la forêt,

afin que, dans ce malheur qu’il rencontre, son grand esprit ne défaille pas. ».

9. « Qu’il en soit ainsi » dit la reine, les yeux troublés par les larmes qui coulaient à flot de ses yeux.

Avec un seul vêtement taché de sang, les cheveux défaits, elle sortit.

10. Tandis qu’elle partait en se lamentant, Pṛthā misérablement la suivit,

et elle vit tous ses fils dépourvus de leurs habits et de leurs bijoux,

11. leurs corps couverts de peaux d'antilope ruru, la tête un peu baissée de honte,

entourés par leurs ennemis au comble de la joie, et leurs amis qui compatissaient.

12. Alors, s’approchant de ses fils qui étaient tous dans un tel état, pleine de tendresse pour ses enfants,

elle les prit dans ses bras et elle leur dit douloureusement différentes choses, en poussant de grands gémissements :

13. « Comment, vous qui êtes ornés par la constance de vos mœurs et votre bonne conduite dans le Bien et le Dharma,

qui êtes exempts de bassesse, dont l’affection est solide, qui avez toujours été sans égal dans les oblations aux Dieux,

14. l’infortune s’approche-t-elle de vous ? Qu’est-ce que ce revirement du Destin ?

Qui a commis là une faute, née de la jalousie, pour que je vous voie ainsi avec votre sagesse ?

15. Serait-ce là par manque de chance de ma part, moi qui vous ai enfantés,

vous qui êtes repus de peine et de malheur, bien que vous ayez les plus grandes vertus ?

16. Comment vivrez-vous dans les forêts impénétrables, dépourvus de vos richesses,

maigres, bien que l’éclat de votre héroïsme, de votre courage, de votre force, de votre énergie ne soit pas maigre ?

17. Si j’avais su que ce serait certainement pour vous un séjour dans la forêt,

après la mort de Pāṇḍu je ne serais pas venue de la Montagne-aux-cent-cimes dans la Cité des Éléphants !

18. Il était heureux, je pense, votre père, il était plein d’ascèse ainsi que de sagesse,

lui qui, quand il n’avait pas de soucis pour ses fils, privilégiait sa volonté d’aller au paradis.

19. Maintenant je pense qu’elle était heureuse, Mādrī, elle dont la pensée transcendait les sens,

et qui a pu faire son dernier voyage, elle qui connaissait le Dharma et était tout à fait noble.

20. J’étais liée par la jouissance, par le respect et par la condition :

maudit soit cet amour de la vie qui fut pour moi un héritage de tourments ! ».

21. Après avoir réconforté et Kuntī qui se lamentait et s’être inclinés devant elle avec respect,

les Pāṇḍava, sans joie, se mirent en marche pour la forêt.

22. Et Vidura et les autres réconfortaient Kuntī qui s’affligeait en lui expliquant,

et ils entrèrent lentement dans la maison du chambellan, encore plus affligés eux-mêmes.

23. Et le roi Dhṛtarāṣṭra, l’esprit troublé par la douleur,

fit dire au chambellan de venir au plus vite.

24. Vidura alla donc à la demeure de Dhṛtarāṣṭra,

et le roi Dhṛtarāṣṭra, bouleversé, l’interrogea.

 

2. 71. Vidura décrit le départ des Pāṇḍava, Yudhiṣṭhira se couvre les yeux pour ne pas avoir de mauvais regards, Bhīma écarte les bras pour montrer sa force, Arjuna répand du sable pour compter les ennemis qu’il tuera de ses flèches, Sahadeva a couvert sa face pour qu’on ne le reconnaisse pas, Nakula s’est couvert de poussière pour ne pas voler les cœurs des femmes en route, Draupadī, son unique vêtement taché de sang, a annoncé le sort qui frappera les femmes des Kaurava dans treize années et le chapelain Dhaumya dit les chants des morts pour les Kaurava. Le peuple se désespère, des présages funestes se manifestent. Nārada apparaît devant Dhṛtarāṣṭra et annonce que par la faute de Duryodhana, les Kaurava périront dans treize ans. Duryodhana, Karṇa et Śakuni offrent le royaume à Droṇa. Droṇa leur répond qu’il leur sera fidèle, mais que dans treize ans, il sera tué par Dhṛṣṭadyumna. Il les exhorte à faire la paix avec les Pāṇḍava. Dhṛtarāṣṭra, en entendant cela, demande à Vidura de ramener les Pāṇḍava, ou de les laisser aller dans leur royaume.

Livre II, chapitre 71

1. Dhṛtarāṣṭra dit :

« Comment part le fils de Kuntī, le roi du Dharma, Yudhiṣṭhira ?

Et Bhīmasena, et l’Ambidextre, et les deux fils de Mādrī ?

2. Et aussi comment part Dhaumya, ô chambellan, et la pauvre Draupadī ?

Je veux entendre en détails tout ce qu’ils font. ».

3. Vidura dit :

« Le fils de Kuntī, Yudhiṣṭhira, a couvert son visage avec son vêtement,

et Bhīma, le Pāṇḍava, part en déployant ses bras.

4. Répandant des grains de sable, l’Ambidextre suit le roi,

le fils de Mādrī, Sahadeva, marche après avoir badigeonné son visage.

5. Nakula, l’esprit égaré, a enduit tout le corps de cendres,

lui l’homme le plus beau du monde, et il suit le roi.

6. La Noiraude, ayant couvert de ses cheveux son visage aux grands yeux,

belle, suit le roi en pleurant.

7. Dhaumya, chantant de terribles Hymnes de Yama, ô Seigneur des peuples,

suit les chemins, tenant dans sa main des touffes de pâturin. ».

8. Dhṛtarāṣṭra dit :

« Les Pāṇḍava marchent, en adoptant là diverses apparences.

Dis-moi, ô Vidura, pourquoi avancent-ils ainsi ? ».

9. Vidura dit :

« Même si, à cause de ta bassesse, leur royaume et leurs richesses leur ont été pris par tes fils,

la pensée du sage roi du Dharma ne se détourne pas du Dharma.

10. Ce roi, qui a toujours été compatissant envers les fils de Dhṛtarāṣṭra, ô Bhārata,

bien que brûlant de colère d’avoir été trompé, ne la montre pas par son regard.

11. « Je ne saurais réduire les gens en cendres, en les regardant d’un mauvais œil » :

c’est pourquoi le roi Pāṇḍava marche en cachant son visage.

12. Pourquoi Bhīma marche ainsi, je vais te le dire, écoute.

« Personne n’est semblable à moi par la force de ses bras » dit-il, ô taureau des Bhārata.

13. C’est justement pour cela que Bhīma part en déployant ses bras,

car il montre ses bras par orgueil de la puissance de ses bras,

dans son désir d’accomplir un exploit contre ses ennemis correspondant à ce que sont ses bras.

14. Pour symboliser le vol de ses flèches, le fils de Kuntī, Arjuna,

l’Ambidextre, répand des grains de sable, en suivant le roi.

15. Tout comme les grains de sable ne peuvent pas être arrêtés, ô Bhārata,

de même, sans qu’on puisse les arrêter, il lâchera la pluie de ses flèches sur ses ennemis.

16. « Pour que personne ne reconnaisse mon visage aujourd’hui » dit aujourd’hui, ô Bhārata,

Sahadeva ; c’est pourquoi il marche après avoir badigeonné son visage.

17. « Pour ne pas emporter l’esprit des femmes  en chemin », ô Seigneur,

Nakula va ainsi, ayant couvert tout son corps de cendres.

18. Vêtue d’un seul vêtement, en pleurs, les cheveux sur la figure, ayant ses règles,

avec son vêtement taché et mouillé de sang, Draupadī dit cette parole :

19. « Ceux à cause de qui j’ai été ainsi, dans treize ans,

leurs femmes auront leur mari mort, leurs fils seront morts, leurs parents et  ceux qui leur sont chers seront morts !

20. Leurs corps souillés du sang de leurs parents, les cheveux défaits, ayant leurs règles,

les femmes, après avoir versé les libations d’eau aux morts, rentreront dans la Cité des Éléphants. ».

21. Le sage Dhaumya, leur chapelain, ayant fait des touffes de pâturin dédié à Nirṛti [2],

chantant les Hymnes de Yama, marche devant, ô Bhārata.

22. « Quand les Bhārata auront été tués dans la mêlée, les gourous des Kuru

chanteront ainsi ces Hymnes » dit Dhaumya, et il avançait.

23. « Ha ! Ha ! Nos protecteurs partent ! Regardez une pareille chose ! »

criaient de toutes parts les gens de la cité, complètement accablés par le malheur.

24. Par ces attitudes et par ces signes les sages fils de Kuntī,

exprimant la résolution qui était venue dans leur esprit, partirent dans la forêt.

25. Quand ces hommes éminents sortirent de la Cité des Éléphants,

dans le ciel sans nuage il y eut des éclairs et le terre trembla.

26. Rāhu [3] avala le Soleil alors que ce n’était pas le jour, ô Seigneur des peuples,

un météore aussi fusa de la droite vers la gauche de la cité.

27. On entendit le cri de bêtes carnassières, de vautours, de chacals et de corbeaux

du côté des temples et des sanctuaires des Dieux et du côté des remparts et des tours de guet.

28. Tels furent les grands présages de malheurs quand le Pāṇḍava partit dans la forêt,

pour la destruction des Bhārata, ô roi, parce que tu as été de mauvais conseil. ».

29. Vaiśampāyana dit :

« Et Nārada au milieu de la grand-salle se dressa devant les Kuru

et, entourés par les grands sages, il dit cette parole funeste :

30. « D’ici treize ans les Kaurava qui sont là causeront leur perte,

à cause de l’offense de Duryodhana et de la force de Bhīma et Arjuna ! ».

31. Après avoir ainsi parlé, le meilleur des sages divins s’élança vers le ciel et disparut aussitôt,

portant la très grande fortune du Brahman.

32. Puis Duryodhana, Karṇa et Śakuni le fils de Subala

considérèrent que Droṇa était leur lieu de refuge et ils lui offrirent le royaume.

33. Alors Droṇa s’adressa à l’impatient Duryodhana,

à Duḥśāsana, à Karṇa et à tous les Bhārata :

34. « Les deux-fois-nés ont dit que les Pāṇḍava ne peuvent pas être tués, ce sont des fils de Dieux ;

mais pour ceux qui sont venus chercher refuge auprès de moi, j’agirai selon mon pouvoir.

35. Les fils de Dhṛtarāṣṭra et le roi sont venus à moi de tout leur cœur, avec amour :

je ne supporte pas de vous abandonner complètement, le reste est enraciné dans le destin.

36. Conformément au Dharma, les fils de Pāṇḍu vont dans la forêt après avoir été vaincus,

et pendant douze ans les Kaurava resteront dans la forêt.

37. Pratiquant l’ascèse brahmanique, restant sous l’empire de la colère et de la rancœur,

les Pāṇḍava ramèneront leur hostilité pour mon malheur.

38. Par moi Drupada a été privé de son royaume lors d’une lutte amicale,

et il fit un sacrifice, dans sa colère, pour avoir un fils en vue de me tuer, ô Bhārata [4].

39. Grâce à l’ascèse de Yāja et Upayāja, il obtint un fils du feu,

Dhṛṣṭadyumna, et aussi Draupadī à la taille fine, apparus au milieu de l’autel.

40. Il avait l’aspect d’un feu, il était donné par les Dieux, c’était un archer, avec une cuirasse et des flèches,

et comme je suis soumis au Dharma des mortels, je suis pénétré par la peur.

41. Car le fils de Pṛṣata [5], taureau parmi les hommes, a pris leur parti :

j’ai déjà violemment été dépossédé de mon souffle, c’est pourquoi je combattrai tes ennemis.

42. Car il est connu pour vouloir me tuer, et dans le monde il est très bien connu.

Et désormais à cause de toi, ce temps est venu.

43. Faites au plus vite pour le mieux : ce qui a été fait n’est pas assez.

Ce bonheur n’est qu’un instant, comme l’ombre du palmier en hiver.

44. Offrez de grands sacrifices, jouissez des plaisirs, et donnez !

D’ici treize ans, il vous arrivera un grand massacre !

45. Duryodhana, tu as entendu cela, et tu l’as reçu à ton gré.

Alors, recours avec les Pāṇḍava à une négociation à l’amiable, si tu es doué de pensée ! ».

46. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir entendu les paroles de Droṇa, le fils de Dhṛtarāṣṭra lui dit ceci :

« Ce gourou, qui est en même temps chambellan, dit de faire revenir les Pāṇḍava !

47. Et s’ils ne retournent pas, que les Pāṇḍava partent avec les honneurs,

avec leurs armes, leurs chars, leurs fantassins, leurs richesses et leurs garçons. ».

 

2. 72. Saṃjaya montre à Dhṛtarāṣṭra que sa conduite a entraîné un grand péril. Dhṛtarāṣṭra se lamente : il ressasse toutes les offenses qui ont été faites à Draupadī. Il lui a offert un vœu, mais Vidura lui fait voir que c’était trop tard, que l’offense était faite. Il lui a demandé de faire la paix avec les Pāṇḍava, mais il ne l’a pas écouté par faiblesse envers son fils.

Livre II, chapitre 72

1. Vaiśampāyana dit :

« Quand les Pāṇḍava furent partis dans la forêt, vaincus au jeu de dés,

l’inquiétude envahit alors Dhṛtarāṣṭra, ô Mahārāja.

2. Dhṛtarāṣṭra, le seigneur des peuples, était assis, pensif,

soupirant sur mille choses, et Saṃjaya lui parla :

3. « Tu as obtenu la Terre nourricière pleine de ses richesses, ô roi de la Terre nourricière,

tu as banni les Pāṇḍava du royaume, ô roi : pourquoi te lamentes-tu ? ».

4. Dhṛtarāṣṭra dit :

« Pourquoi n’y aurait-il rien à déplorer pour ceux qui auront une querelle

avec les Pāṇḍava, de grands auriges, passionnés par la guerre et qui ont des amis ? ».

5. Saṃjaya lui dit :

« C’est là ta réussite, ô roi : il y aura une grande querelle,

ce sera la destruction de tout le monde, y compris des descendants.

6. Malgré l’opposition de Bhīṣma, de Droṇa et de Vidura,

l’épouse chérie des Pāṇḍava, la vertueuse Draupadī,

7. a été amenée sur l’ordre de ton fils Duryodhana,

ce lourdaud sans vergogne, par le fils du cocher envoyé en messager. ».

8. Dhṛtarāṣṭra dit :

« L’homme auquel les Dieux infligent la destruction,

ils lui enlèvent la pensée : celui-ci regarde ce qui est derrière lui.

9. Quand sa pensée est devenue trouble, que la destruction est arrivée,

l’absence de sagesse a l’apparence de la sagesse et ne se glisse pas hors de son cœur.

10. Ce qui est désavantageux prend l’aspect de ce qui est avantageux, et ce qui est avantageux prend l’aspect de ce qui est désavantageux,

et quand la destruction est proche, ils se dressent devant l’homme, et cela lui plait.

11. Le Temps ne brandit pas une massue pour couper la tête de quelqu’un :

la force du Temps consiste en cette vision inversée de ce qui est avantageux.

12. Cette horreur tumultueuse qui fait frissonner a été trouvée

par ceux qui ont entraîné au milieu de la grand-salle la pauvre fille du Pāñcāla,

13. qui n’est pas née d’une matrice, qui est belle, qui est issue d’une dynastie, qui est lumineuse,

qui connaît tout le Dharma, qui est glorieuse… qui donc l’aurait humiliée,

14. et l’aurait amenée au milieu de la grand-salle, sinon ce tricheur au jeu de dés,

elle cette femme aux belles hanches, soumise au Dharma des femmes, et avec plein de sang

15. sur son unique vêtement, elle, la fille du Pāñcāla qui regardait les Pāṇḍava

dépouillés de leurs biens, leur esprit déchu, dépouillés de leur épouse, dépouillés de leur prospérité,

16. privés de tous leurs plaisirs, réduits à subir la condition d’esclaves,

comme encerclés par le lacet du Dharma, incapables de courage.

17. Duryodhana et Karṇa ont dit des paroles amères,

dans l’assemblée des Kuru, à la malheureuse Noiraude, qui était pleine de colère et d’impatience.

18. Ses yeux malheureux auraient brûlé la Terre :

resterait-il quelque chose à mes fils, ô Saṃjaya ?

19. Toutes les femmes des Bhārata qui étaient réunies avec Gāndhārī

poussaient des cris d’horreur en voyant la Noiraude amenée dans la grand-salle.

20. Absolument aucune oblation ne fut offerte à Agni ce soir-là :

les brahmanes étaient en colère de voir Draupadī ainsi traînée.

21. Il y eut un horrible grondement et ce fut un grand tremblement de terre,

d’horribles météores tombèrent du ciel, et Rāhu avala le Soleil,

alors que ce n’était pas le jour, et chez les gens naquit une terreur vraiment horrible.

22. De même le Dévoreur d’offrandes apparut dans les hangars à chars,

et des colonnes se brisèrent, pour le malheur des Bhārata.

23. Lors de l’oblation à Agni de Duryodhana, des chacals poussaient des cris horribles,

et des ânes leur répondaient de toutes parts.

24. Alors Bhīṣma partit en compagnie de Droṇa, ô Saṃjaya,

de même que Kṛpa, Somadatta et le grand aurige Bāhlīka.

25. Puis, pressé par Vidura, j’ai dit alors :

« J’offrirai un vœu à la Noiraude, quel que soit son désir ».

26. Alors la fille du Pāñcāla choisit les Pāṇḍava à l’énergie sans limite,

et je les ai laissés partir avec aussi leurs chars et leurs arcs.

27. Là, le très sage Vidura qui connaît tout le Dharma a dit :

« C’est là pour vous la fin, ô Bhārata, d’avoir fait venir la Noiraude dans la grand-salle.

28. Cette fille du roi du Pāñcāla est l’inégalable Śrī,

la fille du Pāñcāla a été créée par le Destin pour s’unir sexuellement aux Pāṇḍava.

29. Les fils de Pṛthā ne pardonneront pas ses tourments, ils sont vraiment furieux,

ni le maître archer des Vṛṣṇi, ni le Pāñcāla à la très grande force.

30. Ils sont protégés par Vāsudeva qui n’a en vue que la Vérité,

et le Rechigneur viendra, protégé par les gens du Pāñcāla.

31. Au milieu d’eux, le maître archer, le très puissant Bhīmasena,

viendra en brandissant sa massue, comme la Mort son gourdin.

32. Quand ils entendront le claquement de l’arc Gāṇḍīva du sage fils de Pṛthā

et la massue impétueuse de Bhīma, les rois ne pourront pas résister.

33. En cela, un conflit avec les fils de Pṛthā n’a jamais eu ma préférence,

car j’ai toujours pensé que les Pāṇḍava sont plus forts que les Kuru.

34. En effet c’est ainsi que le puissant et glorieux roi Jarāsaṃdha

fut tué dans un combat par Bhīma, frappé par son bras.

35. Tu dois faire la paix avec les Pāṇḍava, ô taureau des Bhārata,

tu dois faire ce qui convient aux deux partis, sans hésitation ! ».

36. C’est ainsi, ô Saṃjaya, que le chambellan me donna un conseil plein de Dharma et de Profit,

mais je ne l’ai pas suivi, dans mon désir de favoriser mon fils.

 

 

 



[1] Vaivasvata : patronyme de Satyavrata fils de Vivasvān, Manu-Yama de l'ère actuelle, le dieu de la mort.

[2] Nirṛti « Calamité », force universelle de destruction, épouse d'Adharma, associée à Mṛtyu, mère des Rākṣasās.

[3] Rāhu, dragon daitya qui dévore le Soleil ou la Lune durant les éclipses.

[4] Voir Mah. I,155.

[5] Drupada.