3. 154. Un rākṣasa, Jaṭāsura, voulant les armes des Pāṇḍava, se déguise en brahmane et les épie. Il profite de l’absence de Bhīma, reprend sa forme et enlève Yudhiṣṭhira, les jumeaux et Draupadī. Sahadeva s’échappe. Yudhiṣṭhira augmente son poids, ce qui ralentit le rākṣasa. Sahadeva les rejoint et défie Jaṭāsura. Bhīma arrive et le défie à son tour. Combat entre Bhīma et Jaṭāsura. Bhīma tue Jaṭāsura.

Livre III, chapitre 154

1. Vaiśampāyana dit :

« Pendant que les Pāṇḍava séjournaient là en toute sécurité,

après le départ des Rākṣasas et aussi du fils de Bhīmasena,

2. ils se trouvèrent un jour sans Bhīmasena,

et un Rākṣasa enleva le roi du Dharma, les jumeaux et la Noiraude.

3. « Je suis un brahmane expérimenté en mantras, connaisseur en armes, dans toutes les armes »

disait-il, et il servait les descendants de Pāṇḍu perpétuellement.

4. Lorgnant sur les carquois et les arcs des fils de Pṛthā,

il attendait l'occasion ; son nom était Jaṭāsura.

5. Comme Bhīmasena, le dompteur de ses ennemis, était parti à la chasse,

prenant une autre forme, difforme, terrifiante, énorme,

6. il prit toutes les armes, saisit Draupadī,

prit les trois Pāṇḍava, et ce méchant partit.

7. Mais le Pāṇḍava Sahadeva s’échappa avec peine

et il appela le puissant Bhīmasena au secours dans la direction où il était allé.

8. Yudhiṣṭhira, le roi du Dharma, tandis qu’il l’emportait, lui dit :

« Ton Dharma dépérit, crétin, et tu ne le vois pas.

9. Tous ceux qui appartiennent à l’humanité et aussi ceux qui sont issus d’une matrice d’animal,

les Gandharvas, les Yakṣas et les Rākṣasas, les oiseaux ainsi que le bétail,

doivent leur vie aux hommes, et toi aussi tu la leur dois !

10. Car grâce à la prospérité de ce monde votre monde prospère.

si ce monde est en peine, les Divinités sont en peine,

et elles grandissent lorsqu’elles sont honorées conformément aux règles avec des oblations aux Dieux et aux Ancêtres.

11. Nous sommes les protecteurs du royaume et ses défenseurs, ô Rākṣasa ;

si le royaume n’est pas protégé, d’où peut venir le bien-être, d’où peut venir le bonheur ?

12. Un Rākṣasa ne doit jamais traiter un roi avec mépris s’il est innocent,

et nous n’avons pas commis le moindre péché, ô mangeur d’hommes.

13. Il ne faut jamais être hostile envers ses amis et les personnes de confiance,

et envers ceux dont on aurait mangé la nourriture, et chez qui on aurait trouvé refuge.

14. Tu avais un refuge chez nous, tu étais honoré, tu passais de bonnes nuits,

et après avoir mangé notre nourriture, abruti, comment se fait-il que tu veuilles nous enlever ?

15. Tu es faux dans ta conduite, faux dans ta maturité, faux dans ton esprit.

Tu mérites une fausse mort, et tu ne seras pas pour de faux aujourd’hui !

16. Si tu es mal disposé contre nous, dépourvu de tous les Dharmas,

rends-nous nos armes et prends Draupadī dans un combat.

17. Mais si, sans discernement, tu commets cet acte,

tu récolteras uniquement l’absence de Dharma et le déshonneur dans le monde.

18. Aujourd'hui, tu as posé ta main sur cette femme humaine, ô Rākṣasa :

tu as mélangé du poison et tu l'as absorbé dans un vase ! »

19. Yudhiṣṭhira devint alors pesant sur lui,

et l’âme subjuguée par ce fardeau, il n’était plus aussi rapide.

20. Yudhiṣṭhira dit à Draupadī et Nakula :

« N'ayez pas peur des Rākṣasas avec leur stupidité : je l’empêche d’avancer.

21. Le fils du Vent au grand bras ne sera pas bien loin…

Quand il reviendra dans un moment, le Rākṣasa ne sera plus. »

22. Or, Sahadeva, après avoir vu le Rākṣasa l’esprit égaré,

dit, ô roi, cette parole au fils de Kuntī, Yudhiṣṭhira :

23. « Ô roi, qu’y a-t-il donc de mieux pour un noble guerrier

que de se tourner vers le combat et de perdre la vie ou de vaincre ses ennemis ?

24. En nous battant contre lui, et lui contre nous, ô Tourmenteur de tes ennemis,

nous le détruirions, ô puissant, car c’est là le lieu et le moment, ô roi.

25. Le temps est venu pour le Dharma de la noblesse guerrière, ô héros dans le domaine de la vérité,

Que nous vainquions ou que nous tombions, soyons dignes de la voie des hommes de bien.

26. Si ce Rākṣasa vit encore aujourd’hui lorsque le soleil disparaîtra à l’horizon,

puissé-je ne plus jamais dire que je suis un noble guerrier, ô Bhārata !

27. Holà ! Holà Rākṣasa ! Arrête ! Je suis Sahadeva, fils de Pāṇḍu,

après m’avoir tué, emporte-les, ou bien après avoir été tué, couche-toi mort ici aujourd’hui ! »

28. Tandis qu’il disait cela, par hasard Bhīmasena

au grand bras apparut, comme Vāsava avec son foudre.

29. Il vit ses deux frères, la glorieuse Draupadī,

et Sahadeva sur le sol, défiant le Rākṣasa,

30. et sur le chemin le Rākṣasa égaré, l’esprit atteint par le Temps de la Mort,

divaguant çà et là, arrêté par le destin.

31. En voyant ses frères et Draupadī enlevés, le puissant

Bhīma manifesta sa colère et dit ceci au Rākṣasa :

32. « Je t’avais déjà découvert quand tu t’efforçais d’examiner nos armes,

mais je ne me souciais pas de toi, alors je ne t’ai pas tué.

Caché sous ton déguisement de brahmane, tu ne dis jamais rien de désagréable.

33. Tu te comportais agréablement, tu ne faisais rien de désagréable,

tu étais notre hôte sous l’aspect d’un brahmane, pourquoi aurais-je tué un innocent ?

Même sachant que tu es un Rākṣasa, celui qui t’aurait tué serait allé en Enfer.

34. Au temps où tu n’étais pas mûr, il n’y avait pas à te tuer ;

mais maintenant tu es mûr, puisque tel est ton projet,

il t’a été donné dans l’enlèvement de la Noiraude, par une opération prodigieuse du Temps de la Mort.

35. Tu as avalé l'hameçon qui pendait au fil du Temps de la mort,

comme un poisson dans l'eau dont la gueule a été transpercée. Comment vas-tu m'échapper maintenant ?

36. Ce lieu vers lequel tu es parti, et que tu avais déjà gagné dans ton esprit,

tu ne le gagneras pas, tu gagneras la route de Baka et Hiḍimba ! »

37. A ces mots de Bhīma, le Rākṣasa, pressé par le Temps de la Mort,

effrayé, les déposa tous à terre et s'approcha pour livrer bataille.

38. Il répondit à Bhīma, avec la lèvre inférieure tremblant de colère :

« Je ne fais pas fausse route, scélérat, c’est pour toi que je vais lentement !

39. J'ai entendu parler de chacun des Rākṣasas que tu as tués au combat,

et aujourd'hui je vais leur offrir l'eau funéraire avec ton sang ! »

40. A ces mots, Bhīma lécha les commissures de ses lèvres

et, semblant sourire, avec fureur, pareil au Temps et à la Mort incarnés,

il se précipita sur le Rākṣasa, plein du désir de le saisir dans ses bras.

41. Le Rākṣasa se précipita aussi sur Bhīma qui se tenait prêt à se battre,

tout excité, comme Bala sur le Porteur-du-foudre.

42. Alors, comme un grand combat commençait entre eux, très violent,

les deux fils de Mādrī, en colère, coururent à la rescousse.

43. Mais le fils de Kuntī, Ventre-de-Loup, les retint tous les deux en riant :

« Je suis à la hauteur de ce Rākṣasa, regardez, dit-il.

44. Par moi-même, par mes frères, par le Dharma que j'ai bien observé,

par mes offrandes, je le jure, ô roi, je détruirai ce Rākṣasa ! »

45. A ces mots, rivalisant réciproquement, les deux héros,

le Rākṣasa et Ventre-de-Loup, s’agrippèrent tous deux par les bras.

 

46. Il y eut un échange de coups entre Bhīma et le Rākṣasa en colère,

qui ne pouvaient pas se supporter, comme dans un combat entre un Dieu et un Dānava.

47. Ils brisèrent et brisèrent des arbres, et ils s’en frappèrent l’un l’autre,

et ces deux puissants faisaient un bruit pareil à deux nuages à la fin de la saison chaude.

48. Et ces meilleurs parmi les forts cassèrent de grands arbres sur leurs cuisses,

furieux l’un contre l’autre, chacun désirant la victoire sur l’autre.

49. Ce fut un combat d’arbres qui détruisit les arbres,

comme autrefois dans la bataille entre les frères Vālī et Sugrīva, ces lions parmi les singes.

50. Tous deux se frappèrent et se frappèrent l’un l’autre avec des arbres pendant un moment,

et ils se cognèrent tous deux à grand bruit toujours et toujours.

51. Lorsque dans cet endroit tous les arbres eurent été abattus

et réduits en tas par centaines, dans leur désir de se tuer l’un l’autre,

52. alors ils prirent des rochers pendant un moment, ô Bhārata,

et ces deux puissants se battirent comme de puissantes montagnes avec de grands nuages.

53. Avec ces rochers terribles, d’apparence terrible, compacts, l’un l’autre,

pleins de colère, ils se frappaient, comme avec des torrents de foudres.

54. Et après s’être frappés encore davantage l’un l’autre, pleins d’orgueil,

ils s’empoignèrent avec leurs bras et s’entraînèrent comme des éléphants.

55. Ils se frappèrent l’un l’autre à coups de poing vraiment effrayants,

et ces deux êtres au très grand cœur faisaient un crépitement.

56. Alors, serrant son poing, comme un serpent à cinq têtes,

Bhīma frappa violemment le cou du Rākṣasa.

57. Le Rākṣasa était épuisé, frappé par le bras de Bhīmasena,

et, le voyant complètement exténué, Bhīmasena s’approcha de lui.

58. Bhīma au grand bras, pareil à un immortel, dans ses bras le

souleva et l’écrasa violemment sur le sol.

59. Le Pāṇḍava lui pulvérisa tous les membres

et le frappant de son coude, il lui arracha la tête du corps.

60. Les lèvres pincées, les yeux révulsés, comme un fruit tombé d’une branche,

la tête de Jaṭāsura, arrachée par la force de Bhīmasena,

tomba, éclaboussée de sang, les dents serrées.

61. Après l'avoir tué, le maître archer s'approcha de Yudhiṣṭhira

et il fut glorifié par les éminents deux-fois-nés, comme Vāsava par les Maruts.