(21) Le conseil : 12-17

 

2. 12. Yudhiṣṭhira décide d’offrir ce sacrifice. Il rassemble son conseil et l’interroge : par ce sacrifice, le roi indique qu’il aspire à la souveraineté universelle ; l’ensemble des rois doit donc en être d’accord, lui répond-on. Mais le conseil unanime pense qu’il a toutes les qualités requises. Yudhiṣṭhira décide de consulter Kṛṣṇa. Un envoyé ramène Kṛṣṇa à Indrapraṣṭa. Yudhiṣṭhira lui explique qu’il veut offrir le sacrifice de la consécration royale et lui demande son avis. (= 40 ślokas)

 

Livre II, chapitre 12

1. Vaiśampāyana dit :

« Quand il eut entendu ces paroles du sage, Yudhiṣṭhira soupira,

réfléchissant comment obtenir la consécration royale. Il ne trouvait pas de secours, ô Bhārata.

2. Car ayant entendu parler de la majesté des sages de sang royal au grand cœur,

et voyant que les sacrificateurs avaient gagné le monde grâce à leurs actions pieuses,

3. en particulier Hariścandra, le brillant sage de sang royal,

qui avait été sacrificateur, il désira offrir le sacrifice de consécration royale.

4. Yudhiṣṭhira honora tous ceux qui siégeaient dans sa grand-salle,

et, honoré en retour par tous, il concentra son esprit sur le sacrifice.

5. Le roi des rois, le taureau des Kuru vouait son esprit

à offrir le sacrifice de consécration royale, y réfléchissant encore et encore.

6. Et à nouveau le roi à l’héroïsme et à la puissance extraordinaires, protecteur du Dharma,

concentrait son esprit : qu’est-ce qui pourrait être bénéfique à l’ensemble des mondes ?

7. Favorisant toutes les créatures, le meilleur de tous les connaisseurs du Dharma,

Yudhiṣṭhira, fit ce qui était bénéfique pour tous, sans distinctions.

8. Dans ces circonstances, les gens étaient rassurés par lui comme par un père,

on ne lui connaissait pas d’ennemi, d’où son surnom de Celui-dont-l’ennemi-n’est-pas-né.

9. Le meilleur des orateurs réunit ses conseillers et ses frères

et les interrogea alors encore et encore sur le sacrifice de consécration royale.

10. Comme ils étaient interrogés, ses conseillers assemblés dirent alors cette parole

sage à Yudhiṣṭhira à la grande intelligence qui désirait sacrifier :

11. « Un roi consacré par ce sacrifice qui le fait accéder au statut de Varuṇa,

souhaite, même s’il est déjà roi, le plein statut de roi universel.

 12. Comme tu es digne de ce statut de roi universel, ô Seigneur fils de Kuru,

tes  amis pensent que c’est le moment pour la consécration royale.

13. Le moment pour ce sacrifice est libre, il est lié à l’agrément de la noblesse guerrière ;

six bûchers y sont entassés par des prêtres très attachés à leurs vœux, au son de l’hymne de louange.

14. Celui qui, après avoir reçu les offrandes versées avec une cuillère, a obtenu tous les sacrifices

et, à la fin du rituel, la consécration, celui-là est appelé à cause de cela le Tout-victorieux.

15. Tu en es capable, ô puissant, nous sommes tous soumis à ta volonté.

Sans plus discuter, ô Mahārāja, concentre ton esprit sur la consécration royale ! ».

16. C’est ainsi que tous ses amis parlèrent, individuellement et ensemble.

Le Pāṇḍava écouta leur parole conforme au Dharma, ô Seigneur des peuples,

audacieuse, amicale et excellente, et ce tueur de ses ennemis l’accepta volontiers.

17. Ayant écouté la parole de ses amis et sachant aussi qu’il en était capable,

encore et encore il concentra son esprit sur la consécration royale, ô Bhārata.

18. A nouveau ce sage prit conseil auprès de ses frères, des prêtres au grand cœur,

et auprès de ses conseillers, en particulier Dhaumya et l’Îlien.

19. Yudhiṣṭhira dit :

« Comment pourrais-je réaliser ce désir que j’ai de la consécration royale,

moi qui mérite d’être un roi universel, qui suis sage, qui parle avec foi ? ».

20. Vaiśampāyana dit :

« Quand ce roi aux yeux de lotus bleu parlait ainsi,

on disait chaque fois à Yudhiṣṭhira au cœur loyal :

« Tu es digne, ô connaisseur du Dharma, du grand sacrifice de consécration royale ! ».

21. Quand les prêtres ainsi que les sages parlaient ainsi au roi,

ses conseillers et ses frères saluaient respectueusement cette parole.

22. Et à nouveau, le fils de Pṛthā, le roi à la grande intelligence,

réservé sur lui-même, réfléchissait derechef dans son souci de faire le bien pour les mondes.

23. Celui qui considère la méthode pour être efficace, le lieu et le temps, les dépenses et les gains,

et qui agit en réfléchissant avec précision et intelligence, celui-là est sage et ne succombe pas.

24. « Car entreprendre un sacrifice n’a pas seulement pour conséquence un échec personnel »

observait-il pour exécuter soigneusement ce qu’il devait faire.

25. Pour décider ce qu’il devait faire il alla voir Kṛṣṇa le Tourmenteur-des-hommes,

Hari, estimant que par sa pensée il l’emportait sur le monde entier.

26. Le Pāṇḍava songea au héros au bras puissant, incommensurable,

qui, bien que non-né, était né parmi les hommes par son propre désir, et à ses exploits pareils à ceux des Dieux.

27. « Il n’y a rien de lui qui soit inconnu, rien qui ne soit né de ses actions,

rien qu’il ne puisse endurer » songeait-il à propos de Kṛṣṇa.

28. Après avoir pris une décision définitive, Yudhiṣṭhira, le fils de Pṛthā,

envoya vite, comme à un gourou, un messager au gourou des créatures.

29. Sur son char rapide le messager arriva vite chez les Yādavās,

et à Dvāravatī il s’approcha de Kṛṣṇa qui avait sa demeure à Dvārakā.

30. L’Impérissable, qui désirait voir le fils de Pṛthā qui désirait le voir,

partit alors vers Indraprastha en compagnie d’Indrasena.

31. Traversant à la hâte divers endroits sur son char rapide,

le Tourmenteur-des-hommes alla chez le fils de Pṛthā qui était allé à Indraprastha.

32. A la maison, il fut accueilli fraternellement par son frère, le roi du Dharma,

et par Bhīma ; et il aperçut avec joie la sœur de son père.

33. Et heureux, il se réjouit alors d’être en compagnie de son ami heureux,

Arjuna, et les jumeaux vinrent l’entourer comme un gourou.

34. Quand l’Impérissable se fut reposé dans un endroit agréable un moment et qu’il fut prêt,

le roi du Dharma alla le rencontrer et lui fit connaître son intention.

35. Yudhiṣṭhira dit :

« Je désire la consécration royale, mais le seul désir

ne suffit pas à l’obtenir : cela, ô Kṛṣṇa, tu le sais totalement.

36. Celui chez qui tout se combine, qui est honoré en tous lieux,

et qui est un souverain universel, ce roi-là obtient la consécration royale.

37. Mes amis, quand nous nous sommes rencontrés, m’ont dit que je devais célébrer cette consécration royale.

Ta parole, ô Kṛṣṇa, me déterminerait tout à fait en cela.

38. Car certains, par affection, ne pointent pas une erreur ;

et de même d’autres pour faire du profit disent aussi des choses agréables ;

39. Et certains aussi désirent quelque chose d’agréable qui soit satisfaisant pour eux-mêmes.

Ainsi se manifestent presque toujours ainsi les paroles des gens dans leur intention.

40. Mais toi tu es au-dessus de ces motivations, tu es très au-dessus du désir et de la colère.

Daigne dire, comme il convient, ce qui peut être le mieux pour nous en ce monde. ».

 

 

2. 13. Kṛṣṇa encourage Yudhiṣṭhira à le faire : mais le roi Jarāsaṃdha aspire également à la royauté universelle et il a de puissants alliés. Kṛṣṇa rappelle qu’il y a cent un rois en tout descendant des lignées d’Ila et d’Ikṣvāku. Il décrit l’état des alliances entre les différents rois et les guerres récentes, la montée en puissance de Jarāsaṃdha. Jarāsaṃdha a emprisonné tous les rois qu’il a vaincus, et compte les sacrifier à Śiva. Il faut tuer Jarāsaṃdha et libérer les rois. (= 68 ślokas)

 

Livre II, chapitre 13

1. Le vénéré Kṛṣṇa dit :

« Grâce à toutes tes qualités, ô Mahārāja, tu es digne de la consécration royale.

Mais, quoique tu saches tout, je vais te dire une chose, ô Bhārata.

2. C’est par Rāma, le fils de Jamadagni [1], que nous fut léguée la noblesse guerrière,

ce frère cadet en ce monde que l’on appelle la noblesse guerrière.

3. Les nobles guerriers, ô seigneur de la Terre, ont établi leur famille

par l’autorité de leurs paroles, cela tu le sais, ô taureau des Bhārata.

4. Les rois, de même que la multitude des autres nobles guerriers sur Terre qui leur sont attachés,

disent qu’ils tirent leur origine de la lignée descendant d’Ilā et d'Ikṣvāku.

5. Or les rois qui sont de la lignée d’Ilā ainsi que les princes issus d'Ikṣvāku

font cent une familles, sache-le, ô taureau des Bhārata.

6. Celles de Yayāti et de Bhoja se sont grandement développées, avec de très nombreuses qualités,

et ce développement, ô Mahārāja, s’est réparti sur les quatre points cardinaux.

7. De même l’ensemble de la noblesse guerrière honore leur dignité royale.

Après avoir gouverné la Terre du milieu, il vint à l’idée de semer la zizanie

8. à Caturyu, un roi sans égal, à qui était la cent unième famille ;

et Jarāsaṃdha a obtenu la souveraineté qui lui appartenait par sa naissance.

9. Un roi très sage s’est, comme on dit, totalement attaché à lui,

ô roi, le majestueux Śiśupāla, qui est devenu son général d'armée.

10. Il a été rejoint, ô Mahārāja, comme par un disciple

par Vakra, le roi des Karūṣa, qui combat par le moyen de la magie, très puissant.

11. Et deux autres rois très puissants, au grand cœur, se sont attachés

au très puissant Jarāsaṃdha, Haṃsa et Ḍibhaka,

12. ainsi que Dantavakra le Karūṣa, Kalabha et Meghavāhana.

Portant sur sa tête le joyaux divin connu sous le nom de « joyau de la création »,

13. celui qui châtia les deux rois grecs Mura et Naraka,

le roi à la force sans limite qui règne sur l’Ouest comme Varuṇa,

14. Bhagadatta, ô Mahārāja, un vieil ami de ton père,

s’incline devant lui, en paroles et en actes, ô Bhārata.

15. Mais, lié par l’affection, il t’est dévoué dans son esprit à la manière d’un père.

Le roi qui est le maître des confins méridionaux des terres de l’Ouest,

16. ton héroïque oncle maternel, Seigneur, Purujit, qui fait croître la lignée de Kunti,

lui seul, ce destructeur de ses ennemis, par affection reste humble devant toi.

17. Il est allé vers Jarāsaṃdha celui que jadis je n’ai pas tué,

ce roi cruel de Cedi qui est reconnu comme le meilleur des hommes,

18. qui affirme qu’il est en ce monde le meilleur des hommes,

et qui dans son égarement toujours me dérobe ma bannière,

19. un roi plein de puissance chez les Vaṅgas, les Puṇḍras et les gens de l'Himālaya,

qui est renommé dans les mondes sous le nom de Pauṇḍraka Vāsudeva.

20. Et Caturyu, ô Mahārāja, un Bhoja, ami puissant d’Indra,

qui par la puissance de ses connaissances vainquit les Pāṇḍyas, les Krathas et les Kaiśikas,

21. et dont le frère est le brave Āhṛti, pareil au fils de Jamadagni dans le combat, 

ce roi Bhīṣmaka, tueur de ses ennemis, est dévoué au prince du Magadha.

22. Alors que nous, ses parents vertueux, nous nous conduisons gentiment et nous inclinons toujours devant lui,

il n’est pas dévoué envers nous qui sommes dévoués, persistant dans les actions mauvaises.

23. Sans reconnaître, ô roi, sa propre famille, ni sa force,

en voyant le flamboiement de sa gloire, il se met du côté de Jarāsaṃdha.

24. Les Bhojas du Nord ainsi que les dix-huit familles, ô Seigneur,

par peur de Jarāsaṃdha se sont réfugiés à l’Ouest.

25. Et de même les Śūrasenas, les Bhadrakāras, les Bodhas, les Śālvas, les Paṭaccaras,

et les Sustharas, les Sukuṭṭas, les Kuṇindas avec les gens de Kuntī ;

26. et les rois des Śālveyas en compagnie de leurs proches et de leurs suites,

et les Pañcālas du Sud et les Kośalas de l’Est chez les gens de Kuntī.

27. De même aussi abandonnant la région du Nord, tourmentés par la peur,

les Matsyas et les vénérables renonçants se sont réfugiés au Sud.

28. Et de même encore tous les Pañcālas, tourmentés par la peur de Jarāsaṃdha,

abandonnant leur royaume, se sont enfuis dans toutes les directions.

29. Et quelque temps après, Kaṃsa a écrasé ses parents,

et ce pervers s’est approché pour en faire ses épouses des deux filles du fils de Bṛhadratha [2],

30. nommées Asti et Prāpti, les toutes jeunes sœurs de Sahadeva.

Et avec ses forces, ce pervers a soumis ses parents.

31. Il a acquis la suprématie, mais il a été grandement mis à l’écart.

Mais quand les anciens du royaume de Bhoja ont été maltraités par ce scélérat,

32. comme ils désiraient porter assistance à leurs parents, ils ont fait une convention avec nous.

Après avoir donné Sutanu, la fille d’Āhuka , à Akrūra,

33. accompagné de Saṃkarṣaṇa, j’ai fait ce que je devais faire pour mes parents :

Rāma et moi avons tué Kaṃsa et Sunāman.

34. Mais quand la peur a grandi, quand Jarāsaṃdha s’est dressé,

les dix-huit familles les plus récentes ont tenu conseil, ô roi.

35. « En tuant sans nous arrêter avec de grandes armes qui tuent au centuple,

nous ne détruirions pas sa force en trois siècles !...

36. Car, semblables aux immortels, les meilleurs par leur force d’entre les forts,

il a les deux meilleurs guerriers, nommés Haṃsa et Ḍibhaka.

37. Ces deux héros ensemble et l’héroïque Jarāsaṃdha,

c’est le trio parfait pour les trois mondes, à mon avis. ».

38. Car il n’y avait pas que nous, il y avait les autres rois tous tant qu’ils sont :

c’était aussi leur pensée, ô le meilleur des penseurs. 

39. Or il y avait un grand roi nommé Haṃsa,

et celui-ci avait rencontré dans une bataille les autres dix-huit familles les plus récentes.

40. Et quelqu’un a dit aussi « Haṃsa a été tué », ô Bhārata.

Et quand il a entendu cela, ô roi, Ḍibhaka s’est jeté dans les eaux de la Yamunā.

41. « Sans Haṃsa dans ce monde, je ne supporte pas de vivre » :

fixé sur cette pensée Ḍibhaka est allé vers la mort.

42. Mais quand Haṃsa a entendu parler de Ḍibhaka dans les mêmes termes,

lui aussi est allé se jeter dans la Yamunā.

43. Le roi Jarāsaṃdha, quand il a appris que tous deux avaient trouvé la mort dans les eaux,

est parti dans sa cité au pays de Śūrasena, ô taureau des Bhārata.

44. Et nous, ô tueur de tes ennemis, quand le roi est parti,

tout réjouis, nous sommes tous retournés vivre à Mathurā.

45. Mais quand la femme de Kaṃsa aux yeux bleus comme le lotus,

est allée vers son père Jarāsaṃdha, le roi de Magadha,

46. affligée du sort de son mari, ô roi des rois, elle l’a pressé

encore et encore : « Tue le meutrier de mon mari ! », ô dompteur de tes ennemis.

47. Et nous, ô Mahārāja, nous souvenant de la résolution

que nous avions prise auparavant, nous nous sommes retirés, abattus, ô roi.

48. Un par un nous nous sommes enfuis, ô roi, après avoir serré notre grande fortune,

et nous nous sommes envolés par peur de lui, avec nos biens, nos parents et nos compagnons.

49. Après avoir ainsi tous réfléchi, nous nous sommes réfugiés à l’Ouest,

à Kuśasthalī, une charmante cité embellie par le mont Raivata.

50. Nous nous sommes à nouveau établis là, ô roi,

et l’agencement de cette forteresse est tel qu’elle est difficile à approcher, même par les Dieux.

51. Même des femmes pourraient y combattre, à plus forte raison les taureaux des Vṛṣṇi,

et c’est là, ô tueur de tes ennemis, que nous nous sommes établis, en sécurité de tous côtés.

52. Et quand ils regardent cette magnifique montagne aux lieux d’ablutions remplis de jasmin,

les Mādhava, ô tigre parmi les hommes, ressentent une joie immense.

53. Et nous, qui sommes victimes depuis le début des offenses de Jarāsaṃdha,

tout puissants que nous sommes avec notre alliance, nous nous appuyons sur toi Seigneur.

54. Notre résidence est longue de trois lieues, avec trois divisions d’armée à chaque lieue.

Au bout de chaque lieue, il y a cent portes avec des portiques qui se succèdent en les enjambant,

et où se tiennent les nobles guerriers des dix-huit familles les plus récentes, ivres de combat.

55. Dans notre famille il y a dix-huit mille combattants,

Āhuka a cent fils, et chacun a trois cents hommes.

56. Cārudeṣṇa avec son frère, Cakradeva, Sātyaki,

moi-même, le descendant de Rohiṇī et Sāmba pareil au descendant de Śūra dans le bataille [3],

57. ce sont là les sept héros, ô roi, et pour les autres, écoute :

Kṛtavarmā, Anādhṛṣṭi, Samīka, Samitiṃjaya,

58. Kaṅka, Śaṅku et Nidānta, ce sont là les sept grands auriges,

et les deux fils d’Andhakabhoja et le vieux roi font dix.

59. Destructeurs des mondes, héroïques, vigoureux, très puissants,

se souvenant de la terre du milieu, ils sont délivrés de leurs peines au milieu des Vṛṣṇi.

60. Toi qui possèdes constamment les qualités du roi universel, ô le meilleur des Bhārata,

daigne faire de toi-même, ô Bhārata, le roi universel de la noblesse guerrière.

61. Mais, tant que le puissant Jarāsaṃdha est vivant, il ne t’est pas possible

d’obtenir la consécration royale. C’est là, ô roi, mon avis.

62. Car tous les rois qu’il a vaincus, il les a enchaînés à Girivraja,

comme dans une caverne du Roi des monts [4] le fait un lion pour les grands éléphants.

63. De plus le roi Jarāsaṃdha désire offrir en sacrifice les seigneurs de la Terre nourricière,

car c’est après s’être concilié le Dieu suprême [5] qu’il a vaincu les rois.

64. Car à chaque fois qu’il vainquait les rois qui étaient venus à la bataille,

il les emmenait enchaînés dans sa cité et faisait un enclos d’humains.

65. Et nous alors, ô Mahārāja, par peur de Jarāsaṃdha,

nous sommes partis ensemble de Mathurā et nous sommes allés dans la forteresse de Dvāravatī.

66. Si tu désires, ô Mahārāja, obtenir ce sacrifice ici-bas,

efforce-toi de les délivrer et de tuer Jarāsaṃdha.

67. Car cette entreprise est possible, et il n’y a pas d’autres moyens, ô fils de Kuru,

pour accomplir cette consécration royale complètement, ô le meilleur des sages.

68. Tel est mon avis, ô roi, ou bien as-tu un autre avis, ô irréprochable ?

Cela étant, dis-moi quand tu auras réfléchi par toi-même sur les conditions. ».

 

 

2. 14. Yudhiṣṭhira hésite. Bhīma et Kṛṣṇa l’encouragent : sur les cent un rois, quatre-vingt-six sont retenus prisonniers par Jarāsaṃdha, il en reste quatorze et il commencera le sacrifice quand il les aura tous pris. (= 20 ślokas)

 

Livre II, chapitre 14

1. Yudhiṣṭhira dit :

« Ce que tu as dit, ô homme intelligent, personne d’autre ne peut le dire,

car on ne connaît aucun autre sur Terre qui puisse délivrer des doutes comme toi.

2. Car dans chaque maison les rois favorisent chacun les leurs,

et ils n’obtiennent pas la royauté universelle, car le titre de roi universel participe de tous.

3. Comment celui qui connaît la dignité d’un autre peut-il faire l’éloge de soi-même ?

Or c’est celui qui est apprécié en comparaison avec un autre qui est honoré.

4. Vaste et spacieuse est la Terre, de nombreux joyaux s’y entassent :

c’est en allant au loin que l’on connaît ce qu’il y a de mieux, ô rejeton de la famille des Vṛṣṇi.

5. La paix est, je pense, une excellente chose, mais la paix ne résulterait pas de leur délivrance.

Mais dans cette entreprise, la suprématie n’est pas accessible , à mon avis.

6. C’est ce que savent les hommes nés dans une lignée :

l’un d’eux un jour pourrait être le meilleur, ô Tourmenteur-des-hommes. ».

7. Bhīma dit :

« Un roi qui n’entreprend rien s’affaisse comme une fourmilière,

et faible est celui qui gouverne un homme fort à l’aide d’expédients.

8. Mais, s’il est infatigable, un faible pourrait sans doute vaincre un ennemi puissant :

une politique correcte régit les avantages qui concernent sa conduite.

9. En Kṛṣṇa est la politique, en moi est la force, la victoire est en Dhanaṃjaya, le fils de Pṛthā :

nous gagnerons la royauté du Magadha, comme les trois feux [6]. ».

10. Kṛṣṇa dit :

« Un imbécile emporte, ne pensant qu’à son profit, et il ne considère pas les conséquences :

c’est pourquoi on ne supporte pas un ennemi qui est un imbécile ne pensant qu’à son profit.

11. Yauvanāśva en supprimant les taxes, Bhagīratha par sa protection,

Kārtavīrya par le soin de son ascèse, le seigneur Bharata par sa force,

Marutta par ses richesses, ce sont là les cinq rois universels, d’après ce que nous avons entendu.

12. Jarāsaṃdha, le fils de Bṛhadratha, a reçu la marque de la punition

par des moyens qui soient la marque du Dharma, du profit et de la politique, sache-le, ô taureau des Bhārata.

13. Et les familles, les cent un rois, ne lui sont pas dévoués,

de sorte que c’est par la force que celui-ci exerce aujourd’hui sa souveraineté.

14. Car les rois qui possèdent des joyaux honorent Jarāsaṃdha,

mais cela ne réjouit pas non plus celui qui s’en tient par sottise à une conduite mauvaise.

15. Il enlève de force un roi consacré, un homme éminent,

et nous n’avons vu aucun homme lui refuser une part.

16. Jarāsaṃdha les a tous soumis à sa volonté, une centaine :

comment un roi plus faible, ô fils de Pṛthā, l’approchera-t-il ?

17. Les rois qui sont aspergés et lavés dans la maison de Paśupati [7]

comme du bétail, quelle joie subsiste pour eux, ô taureau des Bhārata ?

18. Quand un noble guerrier est tué par l’épée, il est  honoré.

Ne repousserions-nous pas à nous tous le prince du Magadha ?

19. Quatre-vingt-six rois ont été capturés par Jarāsaṃdha,

il en reste, ô roi, quatorze ; et il va commencer ses cruautés.

20. Il obtiendrait alors une gloire flamboyante celui qui lui ferait obstacle !

Et celui qui vaincrait Jarāsaṃdha serait certainement un roi universel ! ».

 

 

2. 15. Yudhiṣṭhira hésite toujours. Arjuna l’encourage. (= 16 ślokas)

 

Livre II, chapitre 15

1. Yudhiṣṭhira dit :

« Désirant le statut de roi universel, ne pensant qu’à mon propre profit,

comment vous enverrais-je contre ce roi redoutable de force, par pure cruauté ?

2. Bhīma et Arjuna sont tous deux mes yeux, et je pense que le Tourmenteur-des-hommes est mon esprit :

si j’abandonne mon esprit et mes yeux, à quoi ressemblerait ma vie ?

3. Quand vous rencontrerez les forces de Jarāsaṃdha, difficiles à surmonter, d’une vaillance effrayante,

eh bien l’épuisement vous vaincra. A quoi bon se démener ici ?

4. Le désavantage arrive en même temps que mon avantage.

Ce que je médite par devers moi, écoutez-le d’abord.

5. Je choisis de renoncer à cette entreprise, ô vertueux Tourmenteur-des-hommes,

mon esprit la repousse maintenant : la consécration royale est difficile à accomplir. ».

6. Vaiśampāyana dit :

« Le fils de Pṛthā, qui avait obtenu le meilleur des arcs, les deux grands carquois inépuisables,

le char, la bannière et aussi la grand-salle, dit à Yudhiṣṭhira :

7. « Mon arc, mon javelot, mes flèches, ma vaillance, mes alliés, ma terre, ma gloire, ma force,

cela est en ma possession, ô roi : on les désire, mais ils sont difficiles à obtenir.

8. Les érudits les plus experts louent et approuvent un homme de noble naissance.

Rien ne vaut la force, mais la vaillance me plait.

9. Dans une famille qui a fait preuve de vaillance, que fera un homme dépourvu de vaillance ?

Un noble guerrier, ô roi, est celui dont toujours la vie est tournée vers la victoire.

10. Car même dépourvu de toutes les vertus, un homme vaillant vaincrait ses ennemis ;

même s’il est muni de toutes les vertus, que fera un homme dépourvu de vaillance ?

11. Car toutes les vertus trouvent leur substance dans l’héroïsme.

Car l’origine de la victoire est la perfection, et l’exploit dépend du divin.

12. Car, si personne n’est victime de son erreur quand il dispose de forces,

c’est à cause de cela qu’un ennemi avec des troupes périt devant ses ennemis.

13. La lâcheté est un égarement aussi bien chez celui qui ne dispose pas de forces que chez celui qui dispose de forces.

Ces deux causes destructrices doivent être abandonnés par un roi pour avoir la victoire.

14. Si nous détruisons Jarāsaṃdha et délivrons les rois

afin de célébrer le sacrifice, qu’y aurait-il alors de mieux ?

15. Mais rester modéré en ne s’engageant pas serait la certitude d’une absence de vertu.

Comment fais-tu plus de cas, ô roi, de l’absence de qualités que d’une qualité certaine ?

16. Que la robe safran, facile à obtenir, désire donc la paix des anachorètes ;

mais nous, désirant pour toi la consécration royale, nous combattrons les ennemis ! ».

 

 

2. 16. Kṛṣṇa conseille de ne pas déclarer une guerre ouverte, mais de s’introduire chez Jarāsaṃdha et de le tuer. Histoire de Jarāsaṃdha. Bṛhadratha, le puissant roi de Magadha, avait fait un pacte avec ses femmes, qu’il ne les offenserait jamais. Mais il n’a pas d’enfants. Un jour, il accueille l’ermite Candakauśika qui lui offre un vœu. Il demande un fils. Une mangue tombe dans le giron de l’ermite, et celui-ci la donne au roi : “Ton vœu est exaucé”. Se rappelant le pacte qu’il a fait avec ses épouses, il partage la mangue en deux et la leur donne. Elles deviennent toutes deux enceintes, mais donnent naissance chacune à une moitié d’enfant. Affolées, elles les abandonnent. Une rākṣasī, Jarā, les emporte pour les manger. Pour les transporter plus facilement, elle les lie ensemble, et les deux moitiés se réunissent en un enfant parfaitement constitué. La rākṣasī abandonne l’enfant, qui est récupéré par les reines. Jarā prend une forme humaine et rend l’enfant au roi. (= 51 ślokas)

 

Livre II, chapitre 16

1. Vāsudeva dit :

« Arjuna a fait voir là cette pensée qui est propre

à celui qui est né dans la lignée des Bhārata et qui est fils de Kuntī.

2. Nous ne connaissons pas le moment de notre mort, que ce soit ou de nuit ou de jour,

mais nous n’avons jamais non plus entendu dire que quelqu’un ait été immortel en ne combattant pas.

3. C’est quand le devoir réjouit le cœur des hommes

par une politique trouvée dans les préceptes que l’on marche contre les ennemis.

4. Dans un affrontement, c’est la marche d’une politique bonne et prospère qui est la meilleure ;

il y a doute quand les combattants sont égaux, mais il ne saurait y avoir égalité entre deux combattants.

5. Si nous nous en tenons à notre politique et allons contre la masse de nos ennemis,

comment n’atteindrions-nous pas notre fin, comme le courant d’une rivière avec un arbre,

en excellant là où l’ennemi a des failles, et en nous fixant sur la protection de nos propres failles ?

6. On ne saurait marcher contre un ennemi plus puissant avec ses troupes rangées en ordre de bataille avec l’arrière-garde :

c’est là la conduite des gens sensés, et c’est là aussi ce qui me semble bon.

7. Car nous serions sans reproche si nous entrions dans le camp ennemi à la dérobée,

si nous attaquions la personne de notre ennemi et si nous atteignions ce que nous désirons.

8. Car lui seul porte la prospérité éternelle, ô taureau parmi les hommes,

comme l’âme des créatures : quand ce sera sa perte, ce sera la perte de ses forces.

9. Et si, après l’avoir tué, nous étions attaqués dans une bataille par le reste,

nous gagnerions le paradis après nous être totalement voués à la protection de notre parent ! ».

10. Yudhiṣṭhira dit :

« Kṛṣṇa, qui est ce Jarāsaṃdha ? Quels sont ses actes de bravoure ? Quels sont ses exploits,

lui qui en te touchant, toi qui es pareil au feu, ne serait pas brûlé comme un papillon de nuit ? ».

11. Kṛṣṇa dit :

« Ecoute, ô roi, quels sont les actes de bravoure, quels sont les exploits de Jarāsaṃdha,

et comment nous l’avons laissé, bien qu’il nous ait offensés de nombreuses fois.

12. Il y avait un roi, du nom de Bṛhadratha, le roi suprême de Magadha,

avec trois armées complètes, plein d’orgueil au combat.

13. Il était beau, plein de force, illustre, d’une bravoure incomparable,

son corps était émacié par les observances religieuses, il était comme un autre Dieu aux cent sacrifices.

14. Par son éclat il était semblable au Soleil, par sa patience il était pareil à la Terre,

par sa colère il était pareil à Yama le Tueur, par sa prospérité il était comparable au Descendant de Viśravā [8].

15. Ses vertus liées à sa noble origine, ô le meilleur des Bhārata,

remplissaient toute cette Terre, comme les rayons du Soleil.

16. Ce puissant héros épousa, ô taureau des Bhārata,

les deux filles jumelles du roi des Kāśis, qu’on célébrait pour leur beauté et leur fortune.

17. Ce taureau parmi les hommes fit une convention avec l’une et l’autre :

« Je ne désavantagerai pas mes deux épouses » dit-il devant elles.

18. Ce roi, ô roi des hommes, resplendissait avec ses deux épouses

chéries qui se ressemblaient comme un éléphant avec ses deux femelles.

19. Et aussi, au milieu d’elles, le Seigneur de la Terre brillait

comme l’Océan incarné au milieu de la Gaṅgā et de la Yamunā.

20. Tandis qu’il était plongé dans les voluptés, sa jeunesse passa,

et aucun fils ne lui était né qui continuerait sa lignée.

21. Malgré des amulettes, de nombreuses oblations, des rites propitiatoires pour ceux qui désirent un fils,

cet excellent roi ne parvenait pas à avoir un fils qui fit prospérer sa lignée…

22. Or il entendit dire que le fils de Kakṣīvat Gautama au grand cœur,

le noble Caṇḍakauśika, épuisé par son ascèse,

23. était venu par hasard se reposer au pied d’un arbre.

Accompagné de ses deux femmes, le roi le réjouit avec toutes sortes de joyaux.

24. Le meilleur des sages, ferme dans ses vœux, à la parole véridique, lui dit :

« Je suis ravi, ô roi : toi qui es vertueux, choisis un vœu ! ».

25. Alors, en compagnie de ses épouses, Bṛhadratha s’inclina devant lui et lui parla

d’une voix pleine de désespoir de ne pas voir un fils, en balbutiant au milieu de ses pleurs.

26. Bṛhadratha dit :

« Ô bienheureux, pour quelqu’un qui abandonne son royaume pour partir dans la forêt de l’ascèse,

à quoi bon un vœu pour cet infortuné ? A quoi bon un royaume pour celui qui n’a pas de postérité ? ».

27. Kṛṣṇa dit :

« Après avoir entendu cela, l’anachorète entra en méditation, ses sens perturbés.

Et il était assis à l’ombre d’un manguier.

28. Tandis qu’il était assis, tomba dans son giron

une mangue, sans qu’il y ait de vent, sans qu’elle ait été mordue par un perroquet.

29. Le meilleur des anachorètes la saisit, et dans son cœur prononça sur elle un mantra,

puis il donna au roi ce fruit sans égal qui lui ferait avoir un fils.

30. Et le grand anachorète à la grande sagesse dit au roi :

« Va, ô roi, tu as réussi ! Retourne-t-en, ô roi des hommes ! ».

31. Conformément à la convention qu’il avait faite, cet excellent roi

donna à ses deux épouses ce fruit unique, ô taureau des Bhārata.

32. Après avoir partagé la mangue en deux, les deux belles la mangèrent.

Et nécessairement, comme la parole de l’anachorète concernant leur profit était vraie,

33. elles eurent un embryon après avoir mangé le fruit.

Et quand il vit cela, le roi entra dans une joie extrême.

34. Et quand le temps fut venu normalement, ô grand sage,

toutes deux enfantèrent alors, ô roi, la moitié d’un corps,

35. avec un seul œil, un seul bras, une seule jambe, avec la moitié d’un ventre, d’un visage et une fesse.

En voyant ces deux moitiés de corps, toutes deux tremblèrent violemment.

36. Tremblantes, les deux pauvres sœurs réfléchirent alors ensemble,

et, très malheureuses, elles abandonnèrent les deux moitiés de créatures qui étaient encore vivantes.

37. Leurs sages-femmes enveloppèrent bien les bébés pour les exposer,

sortirent par la porte du gynécée, les abandonnèrent et revinrent en hâte.

38. Ils avaient été abandonnés dans un carrefour, et une Rākṣasī du nom de Jarā

les prit, ô tigre parmi les hommes, car elle se nourrissait de chair et de sang.

39. Mais la Rākṣasī, désirant les rendre plus transportables,

assembla alors les deux moitiés, poussée par la force du destin.

40. Mais dès que les deux moitiés furent réunies, ô taureau parmi les hommes,

elles devinrent un seul corps, et cela donna un jeune garçon.

41. Et la Rākṣasī, ô roi, les yeux écarquillés de stupeur,

ne pouvait plus emmener le garçon qui était aussi dur que le diamant.

42. L’enfant arrondit la paume cuivrée de sa main en un poing, le plaça dans sa bouche,

et se mit à crier avec beaucoup de colère, comme un nuage porteur de pluie.

43. Troublés par ce cri, les gens dans le gynécée sortirent

précipitamment avec le roi, ô tigre parmi les hommes, tourmenteur de tes ennemis.

44. Et les deux femmes, épuisées, leurs seins pleins de lait,

désespérées, se précipitèrent pour aller récupérer leur fils.

45. Voyant qu’elle étaient toutes deux dans cet état, que le roi était désireux d’avoir une descendance,

et que le garçon était très puissant, la Rākṣasī réfléchit :

46. « Habitant sur le territoire du roi en manque de fils, je ne dois pas

prendre son jeune fils, comme un trait de nuage sur le Soleil. ».

47. Prenant forme humaine, elle parla au seigneur des hommes :

« Bṛhadratha, voici ton fils, reçois-le comme un don de ma part.

48. Il est né de tes deux épouses par l’autorité de cet éminent deux-fois-né,

il a été abandonné par les sages-femmes, et il a été protégé par moi. ».

49. Alors, ô le meilleur des Bhārata, les deux belles filles du roi de Kāśi

se jetèrent sur l’enfant et l’aspergèrent de leur lait.

50. Alors le roi, plein de joie, en voyant tout cela

interrogea la Rākṣasī qui ne ressemblait pas à une Rākṣasī, brillante comme de l’or neuf :

51. « Qui es-tu, toi qui brille comme le calice rose du lotus, toi qui m’a donné un fils ?

Pour l’amour de moi, parle, ô belle femme, tu me parais une déesse. ».

 

 

2. 17. Jarā explique au roi ce qui s’est passé et disparaît. L’enfant est nommé Jarāsaṃdha. L’ermite Candakauśika revient et prédit un grand avenir à Jarāsaṃdha : il soumettra les rois et verra Śiva de ses propres yeux. Et de fait, Jarāsaṃdha devenu roi, avec l’aide de Haṃsa et Dibhika, deux invincibles guerriers, conquiert les royaumes. (= 27 ślokas)

 

Livre II, chapitre 17

1. La Rākṣasī dit :

« J’ai pour nom Jarā, salut à toi, je suis une Rākṣasī qui change de forme selon mon désir.

J’habitais dans ton domaine, ô roi des rois, honorée, tranquillement.

2. Et moi, j’ai toujours réfléchi comment te montrer ma reconnaissance, ô roi.

Et là je vois les deux moitiés de ton fils, ô vertueux.

3. Réunies par moi grâce au Destin, cela a donné un garçon.

C’est grâce à ta chance, ô Mahārāja, je n’ai été ici que son agent. ».

4. Kṛṣṇa dit :

« Après avoir dit cela, ô roi, elle disparut sur le champ.

Et le roi prit l’enfant et il rentra dans son palais.

5. Le roi fit alors les rites qui devaient être faits pour le garçon,

et en l’honneur de la Rākṣasī il institua un grand festival à Maghada.

6. Son père, pareil au Seigneur-des-créatures, lui donna un nom :

puisqu’il avait été assemblé par Jarā il devint Jarāsaṃdha.

7. Le fils du roi de Magadha grandit avec un grand éclat,

doué d’autorité et de force, comme le feu sur lequel on verse l’oblation.

8. Et après un certain temps le grand ascète, le bienheureux

Caṇḍakauśika revint à Magadha.

9. Ravi de son retour, Bṛhadratha sortit

avec ses conseillers, ses serviteurs, ses femmes, en compagnie de son fils.

10. Le roi l’honora avec l’eau pour se laver les pieds, l’eau d’hommage et l’eau pour se purifier la bouche,

ô Bhārata, et il lui offrit son fils en même temps que son royaume.

11. Le sage bienheureux accepta cet hommage de la part du roi,

et il parla au prince du Magadha d’un cœur joyeux :

12. « Tout cela m’est déjà connu, ô roi, grâce à mon œil visionnaire.

Mais écoute, ô roi des rois, de quelle sorte sera ton fils.

13. Les rois ne rivaliseront pas avec la vaillance de ce vaillant prince ;

même les armes lancées par des Dieux, ô roi,

ne lui feront de mal, comme le courant d’une rivière contre une montagne.

14. Il flamboiera sur la tête de tous ceux dont la tête a reçu l’onction,

les éclipsant tous, comme le Soleil pour les étoiles.

15. En marchant contre lui, les rois possédant beaucoup de troupes et de montures

courront à leur perte, comme les papillons de nuit dans le feu.

16. Il acquerra une fortune faite de celles de tous les rois,

comme, à la saison des pluies, le Seigneur des torrents et des rivières le fait des rivières aux eaux tumultueuses.

17. Ce seigneur très puissant soutiendra comme il convient les quatre classes de la société,

comme la Terre florissante porte toutes les semences, bonnes ou mauvaises.

18. Tous les rois dépendront de son autorité,

comme les créatures pourvues d’un corps dépendent du souffle qui est l’âme de toutes les créatures.

19. Et ce prince de Magadha, très fort dans tous les mondes, ira voir en personne

Rudra, le Grand Dieu qui mit fin à Tripura, le Destructeur [9]. ».

20. Après avoir ainsi parlé, l’anachorète, songeant aux choses qu’il devait faire lui-même,

donna congé au roi Bṛhadratha, ô tueur de tes ennemis.

21. Après être rentré dans la cité, entouré de ses proches et de ses parents,

le roi de Magadha donna alors l’onction royale à Jarāsaṃdha.

Bṛhadratha, le seigneur des hommes, atteignit une extrême sérénité.

22. Et quand Jarāsaṃdha eut reçu l’onction, le roi Bṛhadratha,

suivi par ses deux épouses, devint un de ceux qui se plaisent dans la forêt de l’ascèse.

23. Tandis que son père était dans la forêt de l’ascèse avec ses deux mères,

Jarāsaṃdha, grâce à son héroïsme, plaça les rois sous son autorité.

24. Après un long temps après être allé dans la forêt de l’ascèse, le roi

Bṛhadratha monta au ciel avec ses épouses, après avoir accompli ses ascèses.

25. Avec lui il y avait Haṃsa et Ḍibhaka, tous deux invulnérables aux armes,

par leur conseil ils étaient les meilleurs des sages, experts dans le combat et les armes.

26. J’ai déjà parlé de ces deux grands guerriers auparavant.

C’est le trio parfait pour les trois mondes, à mon avis.

27. C’est donc ce héros qui a été évité par les puissants Kukuras et Andhakas,

et par les Vṛṣṇis, ô Mahārāja, pour des raisons politiques. ».

 

 

 



[1] Paraśurāma, « Rāma à la hache », fils cadet de Jamadagni. Avec la hache magique que lui donna Śiva, il détruisit vingt et une générations de nobles guerriers, dont il fit trois lacs de sang au Samantapañcaka.

[2] Jarāsaṃdha.

[3] Le descendant de Rohiṇī est Balarāma ; le descendant de Śūra est Baladeva.

[4] L’Himālaya.

[5] Śiva.

[6] Les trois feux du sacrifice védique.

[7] Śiva.

[8] Kubera.

[9] Śiva acquit la moitié de la puissance de tous les dieux, et devint Mahādeva « Grand Dieu », Rudra « Tourmenteur » ; il utilisa l'arc magique Śaivacāpa et fit de Viṣṇu la flèche qui détruisit Tripura, la ville céleste des démons.