(5) Histoire d’Āstika : 13-53

 

 

I, 13. Le père d’Āstika est un grand ascète, du nom de Jaratkāru, qui a fait vœu de chasteté. Un jour il voit ses ancêtres suspendus au dessus d’un abîme, la tête en bas, accrochés à une touffe d’herbe dont un rat ronge la racine. Il les interroge. C’est parce que Jaratkāru, leur unique descendant, ne veut pas avoir d’enfant, et qu’ils sont donc privés de descendance. Ils l’exhortent à prendre femme. Jaratkāru accepte de mauvaise grâce : il faudra que cette épouse porte le même nom que lui, et lui soit donnée gratuitement. Il part donc à la recherche d’une épouse et n’en trouve pas, jusqu’au jour où il rencontre le serpent Vāsuki qui lui offre sa sœur Jaratkāru ! Tout cela était prévu de longue date, depuis que les serpents avaient été maudits par leur mère et condamnés à être brûlés au cours du sacrifice de Janamejaya. Le fils de Jaratkāru, Āstika, devait sauver les serpents.  (= 45 ślokas)  

 

 

Livre I, chapitre 13.

 

1. Śaunaka dit :

« Pourquoi le roi Janamejaya, ce tigre parmi les rois,

est-il allé avec le grand sacrifice des serpents jusqu’à la mort des serpents ? Dis-le moi.

2. Et pourquoi Āstika, le meilleur des deux-fois-nés, l’élite de ceux qui murmurent des prières,

a-t-il libéré les serpents de ce feu impétueux et dévorant ?

3. De qui le roi qui offrit le grand sacrifice des serpents était-il le fils ?

Et de qui cet éminentissime deux-fois-né était-il le fils ? Dis-moi. »

4. Le conteur dit :

« Le grand récit d’Āstika dans lequel cela est dit, ô deux-fois-né,

écoute-le en entier, dans son intégralité, ô le meilleur de mes interlocuteurs. »

5. Śaunaka dit :

« Je désire entendre dans son intégralité cette jolie histoire

de l’antique Āstika, ce célèbre brahmane. »

6. Le conteur dit :

« Les vieux sages racontent cet antique récit épique,

raconté par le Noir Îlien[1] aux ermites de la forêt de Naimiṣa.

7. Jadis mon père, le conteur Lomaharṣaṇa,

disciple érudit de Vyāsa, fut pressé par les brahmanes de le dire.

8. Ainsi, après l’avoir moi-même écouté, je dirai mot pour mot

ce récit d’Āstika, pour toi, Śaunaka, qui me le demande.

9. Le père d’Āstika était un seigneur comparable à Prajāpati,

pieusement chaste, pratiquant le jeûne, trouvant toujours plaisir à une rude ascèse.

10. Il s’appelait Jaratkāru, ne répandait jamais son sperme, c’était un grand sage ;  

parmi les moines errants il était le premier par sa connaissance du Dharma et la fermeté de ses pratiques religieuses.

11. Un jour, tandis qu’il errait, il vit ses ancêtres

suspendus au-dessus d’un grand trou, les pieds en l’air, la tête en bas.

12. Les voyant ainsi, Jaratkāru dit à ses ancêtres :

« Qui sont ces gens qui pendent au-dessus de ce trou et la tête en bas,

13. accrochés à une touffe de vétiver que grignote tout autour

un rat, caché dans ce trou où il a son gîte ? »

14. Les ancêtres dirent :

« Nous sommes ceux qu’on appelle les moines errants, des sages très attachés à leurs vœux :

comme notre descendance prend fin, ô brahmane, nous descendons dans la terre.

15. Nous n’avons qu’un seul descendant, connu sous le nom de Jaratkāru,

un infortuné parmi les gens de peu de fortune ; il s’est consacré à l’ascèse.

16. Ce crétin ne veut pas avoir d’épouses pour engendrer des fils ;

à cause de cela nous sommes suspendus au-dessus de ce trou, puisque notre descendance prend fin.

17. Nous sommes sans protection avec un protecteur pareil, pareils à des malfaiteurs.

Qui es-tu, Excellence, toi qui, comme un parent, compatis avec nous ?

18. Nous désirons connaître, ô brahmane, qui est celui qui se tient là au-dessus de nous,

et aussi pourquoi tu daignes avoir de la peine pour nous et nous prendre en pitié. »

19. Jaratkāru dit :

« Vous êtes mes aînés, mes ancêtres et mes aïeux !

Dites, que dois-je faire maintenant ? Je suis moi-même Jaratkāru… »

20. Les ancêtres lui dirent :

« Efforce-toi avec zèle, fils, de perpétuer notre famille,

dans ton intérêt, et dans notre intérêt : c’est exactement ce que dit le Dharma, ô Seigneur.

21. Ni par les fruits du Dharma, fils, ni par des accumulations d’ascèses,

on n’atteint ici-bas l’état de ceux qui vivent en ayant un fils.

22. Songe donc à prendre femme avec soin et à avoir une descendance,

toi qui est notre fils, selon nos instructions : c’est pour nous l’intérêt suprême. »

23. Jaratkāru dit :

« J’ai toujours eu l’intention de ne certes pas prendre de femmes ;

toutefois pour vous, Messieurs, en considération de votre intérêt, je me prendrai une femme.

24. Et je le ferai selon les règles, à cette condition :

si je la prends, je ferai ainsi et pas autrement !

25. Celle qui sera du même nom que moi et aussi que ses parents accepteront de me donner

à titre d’aumône, cette fille-là je l’épouserai selon les règles.

26. Qui me donnera une épouse, surtout à un vagabond comme moi ?

Mais je l’accepterai comme aumône si quelqu’un me l’offre.

27. Du moment où j’aurai réussi à me marier, je ferai de mon mieux, ô mes aïeux,

selon cette règle, constamment : je ne ferai pas autrement.

28. Et là naîtra un être pour votre salut, Messieurs :

après avoir atteint l’éternité, mes ancêtres pourront se réjouir. »

29. Le conteur dit :

« Alors donc, pour se mettre en ménage, ce brahmane très attaché à ses vœux

parcourut la Terre à la recherche d’une épouse, et il ne trouva pas d’épouses.

30. Un jour que ce brahmane marchait dans une forêt, il se rappela les mots de ses ancêtres.

A la recherche d’une fille qu’on lui donnerait en aumône, il dit en gémissant trois mots tout doucement.

31. Vāsuki l’accepta et lui offrit alors sa sœur.

Il ne l’accepta pas, pensant : « Elle n’a pas le même nom que moi ».

32. « Je prendrai une femme si elle a mon nom et si elle m’est offerte »,

telle était l’idée fixe de Jaratkāru au grand cœur.

33. Le très sage Jaratkāru aux grandes ascèses lui dit :

« Quel est le nom de ta sœur ? Dis la vérité, ô serpent. »

34. Vāsuki lui dit :

« Jaratkāru, ô Jaratkāru, c’est ma sœur cadette,

préservée autrefois pour toi : accepte-la, ô le meilleur des deux-fois-nés. »

35. Le conteur dit :

« Les serpents avaient été maudits jadis par leur mère, ô le meilleur des connaisseurs des textes sacrés :

Au sacrifice de Janamejaya, Celui-que-dirige-le-vent vous brûlera

36. C’est pour apaiser cette malédiction que le meilleur des serpents avait donné

sa sœur à ce sage vertueux et ascétique.

37. Et il l’accepta selon le rituel que l’on voit dans les traités de rituels.

Et un fils au grand cœur naquit en elle, du nom d’Āstika,

38. ascétique, au grand cœur, connaissant à fond le Veda et ses disciplines annexes,

d’humeur égale pour le monde entier, ôtant la peur de ses père et mère.

39. Puis, longtemps après, le roi descendant de Pāṇḍu

offrit un grand sacrifice traditionnellement appelé « le Grand Sacrifice des Serpents ».

40. Or quand eut lieu ce sacrifice qui devait détruire les serpents,

l’illustrissime Āstika les délivra de cette malédiction.

41. Ainsi les serpents, aussi bien ses oncles maternels que ses autres parents,

ses ancêtres, furent sauvés par lui grâce à l’ascèse de leur lignée.

Et il fut libéré de sa dette, ô brahmane, grâce à de multiples vœux et aux récitations des textes sacrés.

42. Et il réjouit les dieux avec des sacrifices aux honoraires divers,

les vieux sages avec sa pieuse continence, et ses aïeux avec sa descendance.

43. Ayant ôté à ses ancêtres ce lourd fardeau, très attaché à ses vœux,

Jaratkāru alla au ciel en compagnie de ses aïeux.

44. Et après avoir obtenu un fils et un mérite insurpassable, l’anachorète

Jaratkāru, après temps bien long, arriva au ciel.

45. Voilà l’histoire d’Āstika, exactement comme on me l’a racontée.

Explique-moi, ô tigre de Bhṛgu, que dois-je raconter de plus ? »

 

 

 

 

 

I, 14. Aux débuts des temps, deux filles de Dakṣa, Kadrū et Vinatā, épousent Kaśyapa. Elles choisissent, Kadrū d’avoir mille fils, Vinatā d’en avoir deux. Kaśyapa en accorde un et demi à Vinatā. Kadrū pond mille œufs, Vinatā deux. Les œufs sont placés dans des jarres humides. Au bout de cinq cents ans, naissent mille serpents des œufs de Kadrū. Vinatā, impatiente, brise un de ses œufs et découvre un enfant, Aruṇa, qui n’a que la moitié supérieure du corps. Aruṇa devient cocher du soleil. Garuḍa naît après cinq cents ans encore. (= 23 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 14.          

 

1. Śaunaka dit :

« Fils du conteur, raconte à nouveau en détails cette histoire

d’Āstika, le sage saint homme : notre désir d’écouter ta parole est extrême.

2. Tu dis avec douceur, mon cher, le vers aux sons délicats.

Nous nous réjouissons fort, fils, tu dis cela comme ton père.

3. Ton père était toujours satisfait de notre écoute ;

toi, fais-nous ce récit de la même façon que ton père. »

4. Le conteur dit :

« Je te dis ce récit d’Āstika qui donne longue vie

comme je l’ai entendu de mon père quand il le racontait.

5. Jadis au temps des dieux, ô brahmane, Prajāpati avait deux filles, charmantes,

deux sœurs pleines de beauté, merveilleuses, parfaites.

6. Toutes deux, Kadrū et Vinatā, étaient les épouses de Kaśyapa.

Leur maître Kaśyapa, comparable à Prajāpati, satisfait, offrit une faveur à ces deux

femmes légitimes, car il était plein d’une joie extrême.

7. Quand elles apprirent que Kaśyapa leur donnait l’autorisation extraordinaire de faire un vœu,

dans leur joie ces deux belles femmes entrèrent dans une allégresse sans égale.

8. Kadrū choisit d’avoir mille fils qui seraient des serpents ayant tous le même éclat ;

Vinatā choisit d’avoir deux fils supérieurs aux fils de Kadrū par leur force,

leur énergie et aussi leur éclat, deux fils supérieurs par leur vaillance.

9. Son mari lui accorda son vœu, le fils qu’elle désirait et une moitié.

« Qu’il en soit ainsi » dit alors Vinatā à Kaśyapa.

10. Vinatā fut satisfaite de recevoir deux fils supérieurs par leur valeur,

de même que Kudra de recevoir un millier de fils ayant tous le même éclat.

11. « Les fœtus doivent être soigneusement préservés » dit le grand ascète

aux deux épouses, heureuses pour leurs vœux, et Kaśyapa partit dans la forêt.

12. Après un long temps, Kadrū enfanta dix centaines d’œufs,

ô Seigneur des brahmanes, et Vinatā deux œufs.

13. Leurs servantes, joyeuses, placèrent les œufs

dans des pots tièdes, et cela pendant cinq cents ans.

14. Alors, au bout de cinq cents ans les fils de Kadrū sortirent,

mais dans les deux œufs de Vinatā on ne voyait pas de jumeaux.

15. Alors, en mal d’enfant, honteuse et malheureuse, la divine

Vinatā cassa alors un des œufs : on vit son fils

16. muni de la moitié supérieure de son corps, le reste étant invisible.

Ce fils, plein de rage, la maudit, dit la tradition.

17. « Puisque, à cause de ton impatience, mère, j’ai été créé

maintenant avec un corps incomplet, à cause de cela tu seras l’esclave,

18. pendant cinq cents ans, de celle avec laquelle tu rivalises,

et ce fils te délivrera, mère, de ta servitude.

19. à condition, mère, que, en lui cassant son œuf comme à moi,

tu ne le rendes pas sans corps, ou estropié ou misérable aussi.

20. Tu devras attendre le temps de sa naissance avec fermeté,

si tu désires avoir un fils qui se distingue par sa force, plus de cinq cents ans. »

21. Après avoir maudit Vinatā de cette manière, son fils partit dans les airs.

On le voit toujours, ô brahmane, en tant qu’Aruṇa[2], au moment de l’aube.

22. En son temps naquit aussi Garuḍa[3], le destructeur de serpents.

Dès sa naissance il abandonna Vinatā et alla dans l’éther,

23. prenant pour nourrir son corps la nourriture qui lui est assignée

par le Dispensateur[4], ô tigre de Bhṛgu, quand, affamé, il désire manger.

 

 

 

 

 

I, 15. Les deux sœurs aperçoivent le cheval Uccaiḥśravas, né du barattage de l’océan. Plus loin encore dans le temps, les dieux, accablés par la vieillesse et la faim étaient allés trouver Brahmā sur le mont Meru. Description du mont Meru. Viṣṇu leur conseille de baratter l’océan pour obtenir la liqueur d’immortalité (amṛta).  (= 13 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 15.

 

1. Le conteur dit :

« Or c’est en ce temps-là que les deux sœurs, ô ascète,

virent Uccaiḥśravas[5] approcher dans les environs.

2. Tous les clans des dieux l’honoraient en frémissant de joie ;

il était né du barattage de l’ambroisie, inégalable joyau parmi les chevaux.

3. Il avait la force d’un grand torrent, il était le meilleur des chevaux qui soient nés, il était magnifique,

splendide, exempt de vieillesse, divin, marqué de tous les signes de bon augure. »

4. Śaunaka dit :

« Comment cette ambroisie a-t-elle été barattée par les dieux et en quel endroit ? Raconte-le moi.

Où est né ce roi des chevaux si puissant et si majestueux ? »

5. Le conteur dit :

« La montagne flamboyante de Meru, à la multitude d’éclats, est inégalable ;

elle défie la splendeur du Soleil avec ses sommets qui brillent comme l’or.

6. Elle est le merveilleux ornement d’or auquel les dieux et les Gandharvas rendent hommage,

incommensurable, impénétrable aux hommes de peu de mérite,

7. parcourue de bêtes effroyables, illuminée d’herbes divines,

cachant de son sommet le firmament qui touche à la grande montagne,

8. inaccessible aux autres même par la pensée, avec ses rivières et ses arbres,

et bruissant de multitudes de ravissants oiseaux de toutes sortes.

9. Après avoir escaladé son versant étincelant, tout couvert de joyaux,

d’une hauteur presque infinie, tous les dieux à la grande force,

10. les dieux du ciel, assis là, se réunirent et commencèrent à délibérer

pour avoir l’ambroisie, car ils étaient d’une ascèse et d’une abstinence parfaite.

11. Parmi ceux-ci le dieu Nārāyaṇa dit ceci à Brahmā,

tandis que les dieux réfléchissaient ainsi et délibéraient ensemble :

12. « Les dieux et les multitudes des Asuras doivent agiter la baratte de l’océan.

Alors l’ambroisie naîtra quand le grand océan aura été baratté.

13. Vous avez déjà toutes les herbes et aussi tous les joyaux ;

barattez l’océan, ô dieux, et obtenez ainsi l’ambroisie. »

 

Le barattage de l’océan

 

 

 

I, 16. Aidés par le serpent Śeṣa, les dieux prennent le mont Mandara comme partie mobile de la baratte. Ils le soulèvent, le retournent, en font reposer la pointe sur le dos du roi des tortues au fond de l’océan, prennent Vāsuki comme corde, et, avec les démons, commencent à baratter l’océan. Transformation des eaux. De l’océan sortent alors Soma, Śrī, le cheval Uccaiḥśravas, le joyau Kaustubha, puis enfin Dhanvantari portant la liqueur d’immortalité dans une fiole blanche. Les démons se précipitent pour s’en emparer. (= 40 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 16.

 

1. Le conteur dit :

« Orné de pics montagneux en forme de pinacles nuageux,

le Mandara, la meilleure des montagnes, est tout couvert d’un réseau de lianes ;

2. il retentit d’oiseaux de toutes sortes, il est bondé de toutes sortes de bêtes munies de crocs ;

les Kiṃnaras[6], et les Apsaras, et les dieux aussi y séjournent.

3. Il s’élève sur onze milliers de lieues,

il s’étend encore sous la terre sur autant de milliers de lieues.

4. Ainsi toutes les multitudes des dieux ne seraient certes pas capables de l’arracher.

Ils s’approchèrent de l’endroit où Viṣṇu et Brahmā étaient assis et leur dirent ceci :

5. « Que vos Seigneuries prennent ici une résolution suprême qui mène au bonheur,

et que, dans notre intérêt, un effort soit fait pour déraciner le Mandara. »

6. « Qu’il en soit ainsi » dit Viṣṇu, accompagné par Brahmā, ô descendant de Bhṛgu.

Ainsi Ananta[7] se dressa, excité par Brahmā,

et le vaillant [serpent] reçut aussi les ordres de Nārāyaṇa[8] pour cette opération.

7. Alors ce roi des montagnes, Ananta à la grande force

l’arracha de force, ô brahmane, avec ses forêts et ses animaux des bois.

8. Alors, en sa compagnie, les dieux s’approchèrent de l’Océan

et lui dirent : “Pour avoir l’ambroisie, nous allons baratter ton eau”.

9. Le seigneur des eaux dit alors : “Qu’il y ait donc pour moi aussi une part :

j’endurerai un choc énorme quand le Mandara tournoiera.”

10. Et les dieux et les Asuras dirent à Akūpāra, le roi des tortues :

« Daigne, Seigneur, servir de base à cette montagne. »

11. Après avoir dit « D’accord », la tortue offrit son dos.

Et Indra pressa le sommet de cette montagne avec son instrument.

12. Ainsi utilisant le Mandara comme bâton de la baratte et Vāsuki comme corde,

les dieux commencèrent à baratter l’Océan, le trésor des eaux.

Ensuite désirant l’ambroisie, ô brahmane, tous ensemble les Asuras et les Dānavas,

13. les grands Asuras agrippèrent un bout du roi des serpents,

et tous les dieux ensemble se tinrent à l’endroit où était la queue.

14. Ananta, le dieu bienheureux, était à l’endroit où était Nārāyaṇa,

il soulevait la tête du serpent et la rejetait encore et encore vers le bas.

15. Le serpent Vāsuki était mû puissamment par les dieux,

et sa bouche crachait encore et encore des nuages de fumées et des souffles mêlés de flammes.

16. Les multitudes de fumées se transformèrent en des multitudes de nuages traversés d’éclairs

qui tombèrent en pluie sur les troupes des dieux tourmentés par l’épuisement et la chaleur.

17. Et ainsi du haut du sommet de la montagne tombèrent des pluies de fleurs

qui se répandaient partout en guirlandes sur les troupes des dieux et des Asuras.

18. Il y eut alors un grand tumulte, pareil au grondement d’un grand nuage pluvieux,

quand les dieux et les Asuras barattaient l’Océan avec le Mandara.

19. Alors toutes sortes de créatures vivant dans les eaux furent broyées par la grande montagne

et disparurent, anéanties par centaines, dans les eaux salées.

20. Et la montagne amena divers animaux aquatiques

qui demeuraient dans le Pātāla[9] à l’anéantissement.

21. Et tandis que la montagne était en rotation, frottant l'un contre l'autre

de grands arbres pleins d’oiseaux tombaient du sommet.

22. Et, né de leur frottement, le feu éclata en flammes soudaines

et enveloppa le mont Mandara de ses éclairs, comme une nue céruléenne.

23. Il consuma et les éléphants et les lions qui s’en échappaient,

et les diverses créatures furent toutes privées de vie.

24. Ce feu destructeur, le meilleur des immortels,

Indra, l’apaisa en dispersant en tous sens de la pluie qu’il tira d’un nuage.

25. Alors se répandirent dans les eaux de l’Océan toutes sortes

de sèves et de sucs issus en quantité des grands arbres et des herbes.

26. Et avec le lait de ces sucs qui contenaient la force de l’ambroisie

et avec l’or qui s’était épanché, les dieux accédèrent à l’immortalité.

27. Alors l’eau de l’Océan devint laiteuse,

et ce lait produisit alors du beurre fondu, mêlé aux meilleurs sucs.

28. Alors les dieux dirent à Brahmā, le propice, resté assis :

« Nous sommes complètement exténués, ô Brahmā, et l’ambroisie n’apparaît pas

29. sans le dieu Nārāyaṇa ; il en est de même pour les Daityas ainsi que pour les meilleurs des serpents ;

et de plus ce barattage de l’Océan a été entrepris depuis déjà longtemps aussi... »

30. Alors Brahmā dit cette parole au dieu Nārāyaṇa :

« Donne-leur de la force, Seigneur Viṣṇu, c’est là ce qui importe. »

31. Viṣṇu dit : 

« Je vais donner la force à tous ceux qui ont entrepris cette tâche :

que tous secouent la baratte et qu’ils fassent tourner le Mandara ! »

32. Le conteur dit :

« Après avoir entendu les mots de Nārāyaṇa, revigorés

ils agitèrent tous ensemble à nouveau le lait de l’Océan avec énergie.

33. Alors semblable à l’Océan avec ses cent mille rayons

parut la lumière claire, le brillant Soma[10] aux rayons froids.

34. Śrī sortit immédiatement après du beurre fondu, vêtue de blanc,

la déesse Liqueur parut, ainsi que le cheval blanc.

35. Et Kaustubha, le joyau divin, parut, né de l’ambroisie,

éclatant de rayons, splendide, le pectoral de Nārāyaṇa.

36. Śrī, et Liqueur, et Soma, et le cheval rapide comme la pensée

allèrent où étaient les dieux, en suivant la route d'Āditya[11].

37. Alors le beau dieu Dhanvantari se dressa,

portant un pot blanc où il y avait l’ambroisie.

38. A la vue de cette grande merveille, il s’éleva parmi les Dānavas

une grande clameur pour avoir l’ambroisie : « C’est à moi ! » disaient-ils.

39. Alors le Seigneur Nārāyaṇa entra dans l’illusion sous la forme de Mohinī[12],

créant la forme d’une femme merveilleuse, et il rejoignit les Dānavas.

40. Alors, l’esprit égaré, ils donnèrent l’ambroisie

à cette femme, les Dānavas comme les Daityas, fixant tous leurs pensées sur cet objet.

 

 

 

 

 

I, 17. Les démons se jettent sur les dieux qui boivent vite la liqueur d’immortalité. Le démon Rāhu essaye d’en profiter, mais il est dénoncé par le soleil et la lune. Viṣṇu lui tranche la tête. Combat des dieux et des démons. Viṣṇu crée son disque. Suite du combat, à coup de montagnes entières. Les démons sont vaincus et se réfugient dans la mer et sous la terre. Les dieux cachent la liqueur d’immortalité.  (= 30 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 17.

 

1. Le conteur dit :

« Alors, ayant saisi leurs meilleures armures et des armes de toutes sortes,

les Daityas et les Dānavas coururent tous ensemble vers les dieux.

2. Alors le vaillant dieu Viṣṇu emporta l’ambroisie,

et le Seigneur, accompagné de Nara, la déroba aux princes Dānavas.

3. Ainsi toutes les troupes des dieux burent alors l’ambroisie,

la recevant de Viṣṇu dans une précipitation tumultueuse.

4. Puis, dans le temps où les dieux buvaient l’ambroisie convoitée,

un Dānava du nom de Rāhu, ayant pris l’apparence d’un dieu, commença alors à en boire.

5. Alors, au moment où l’ambroisie atteignait la gorge du Dānava,

la Lune et le Soleil le dirent aux dieux pour leur rendre service.

6. Alors le Bienheureux trancha sa tête couronnée

violemment avec son arme-disque, tandis qu’il buvait l’ambroisie.

7. La grande tête du Dānava, semblable à une pointe de pierre,

tranchée par le disque, tomba en remuant sur le sol.

8. Ainsi, à cause de la tête de Rāhu, est née une hostilité tenace

et perpétuelle avec la Lune et le Soleil : il les engloutit tous deux jusqu’à aujourd’hui encore.

9. Le bienheureux Hari se débarrassa aussi de son incomparable beauté féminine,

et il fit trembler les Dānavas avec toutes sortes d’armes terrifiantes.

10. Il s’ensuivit ainsi un combat à proximité de l’Océan

entre les dieux et les Asuras, énorme et plus épouvantable que tout.

11. D’immenses javelots acérés tombaient par milliers,

et des javelines à la pointe très perçante, et des armes de toutes sortes.

12. Ainsi les Asuras, transpercés par le disque, vomissant des flots de sang,

blessés par les épées, les lances, les massues, tombaient sur le sol.

13. Pendant ce combat implacable, tranchées aussi par les tridents, les têtes

tombaient, telle une pluie ininterrompue de pépites d’or en fusion.

14. Et avec leurs membres couverts de sang, les grands Asuras, abattus,

gisaient comme des sommets montagneux aux minerais de vermillon.

15. Un grand cri s’éleva çà et là, répété mille fois

par ceux qui s’entretuaient de leurs armes, tandis que le Soleil devenait rouge.

16. A coups de massues pleines de bouts de fer et à coups de poings quand ils étaient à proximité,

ils se massacraient mutuellement dans cette mêlée, et ce vacarme semblait toucher le ciel.

17. « Tranche-les ! Brise-les ! Précipitez-vous sur eux ! Abats-les ! Attaque ! »

C’étaient là des cris vraiment épouvantables qu’on entendait de toutes parts.

19. Là, voyant l’arc divin de Nara, le Bienheureux

Viṣṇu songea à son disque destructeur de Dānavas.

20. Ainsi, à peine y avait-il pensé que dans le ciel parut le disque à l’immense éclat qui consume les ennemis,

semblable au Soleil brillant, le cercle acéré, le redoutable, l’invincible, le suprême Sudarśana !

21. Quand il fut arrivé avec l’éclat d’un feu brûlant, semant la terreur, l’Impérissable au bras comme des trompes d’éléphant

le déchaîna, le faisant zigzaguer avec une impétueuse fureur et un grand éclat, pourfendeur des cités des ennemis.

22. Rayonnant tel le feu de la Mort, il s’abattait alors impétueusement encore et encore,

lacérant par milliers les descendants de Diti et de Danu, lancé dans le combat par la main de Puruṣavara[13].

23. Par endroits il brûlait en léchant comme le feu ; violemment il mettait les troupes des Asuras en pièces,

il était tantôt dardé dans le ciel, une autre fois dans le sol ; et il buvait ensuite le sang comme un vampire dans le combat.

24. Alors les Asuras, le cœur confiant, harcelèrent toujours et toujours la troupe des dieux à coups de montagnes ;

les puissants guerriers, avec la nitescence du nuage pluvieux qui se dissipe, se réfugièrent au ciel par milliers.

25. Puis, semant la terreur, couvertes d’arbres, telles des nuages pluvieux de toutes sortes, tombèrent du ciel

de grandes montagnes dont les sommets et les plateaux s’abîmaient dans le vacarme de leurs entrechocs rapides.

26. Puis la Terre, avec ses forêts, fut ébranlée, frappée de toutes parts par la chute des grandes montagnes

qui grondaient fortement en s’entrechoquant brusquement sur le champ de bataille complètement bouleversé.

27. Puis Nara couvrit la voie céleste de grandes flèches ornées de très belles pointes d’or,

fendant les pics des montagnes de ses traits, tandis que les troupes des Asuras luttaient ainsi effroyablement.

28. Alors, tourmentés par les dieux, les grands Asuras entrèrent dans la Terre et dans l’Océan aux eaux salées,

quand ils entendirent venir dans le ciel Sudarśana furieux, avec l’éclat d’un feu flamboyant.

29. Alors, après avoir obtenu la victoire, les dieux reconduisirent le Mandara à sa place avec beaucoup d’honneurs,

et aussi, retentissant tous ensemble dans le ciel divin, les nuages repartirent alors comme ils étaient venus.

30. Alors les dieux mirent l’ambroisie en lieu sûr, et entrèrent dans une allégresse extrême et exubérante,

et le meurtrier de Bala, accompagné des autres immortels, donna le trésor de l’ambroisie à Celui-qui-porte-un-diadème[14] pour qu’il le garde.

 

 

 

 

 

I, 18. Kadrū et Vinatā parient sur la couleur de la queue du cheval Uccaiḥśravas, l’esclavage comme enjeu. Kadrū demande à ses mille fils de se faire crins noirs et de s’attacher à la queue du cheval. Ils refusent et elle les maudit : vous serez brûlés au cours du sacrifice offert par Janamejaya.  (= 11 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 18.

 

1. Le conteur dit :

« Voilà, j’ai raconté en entier comment fut barattée l’ambroisie

où apparut ce cheval illustre à la démarche incomparable.

2. Ayant entendu parlé de lui Kadrū parla ainsi à Vinatā :

« Quelle est donc la couleur de d’Uccaiḥśravas, ma chère ? Identifie-la à l’instant. »

3. Vinatā lui dit :

« Ce roi des chevaux est blanc ; sinon qu’en penses-tu toi, ma jolie ?

Dis sa couleur toi aussi, et nous parions dessus. »

4. Kadrū répondit :

« Moi je pense que ce cheval a la queue noire, ô toi qui a un sourire éblouissant.

Allez ! Que l’enjeu du pari avec moi soit de devenir esclave, belle femme. »

5. Le conteur dit :

« Après avoir ainsi fixé cette règle d’être l’esclave l’une de l’autre,

elles rentrèrent chez elles en se disant : « Nous verrons toutes les deux demain. »

6. Alors Kadrū voulut rendre ses mille fils malhonnêtes.

Elle leur ordonna alors de devenir des crins ayant l’éclat du khôl.

7. « Insérez-vous vite dans le cheval pour que je ne sois pas une esclave ».

Ils ne suivirent pas cette parole. Elle maudit les serpents :

8. « Le feu vous consumera lors du grand sacrifice des serpents qui aura lieu au temps

de Janamejaya, le sage de sang royal, le sage descendant de Pāṇḍu. »

9. Or même l’Aïeul en personne entendit cette malédiction

terrifiante qu’avait proférée la par trop fatale Kadrū.

10. Avec toutes les troupes des dieux il approuva cette parole :

il considéra le grand nombre des serpents et désira le bien des humains.

11. Ceux-là étaient très venimeux, mordants, d’une grande force ;

pour la virulence de leur venin et dans l’intérêt des humains,

il offrit la science des antidotes au descendant de Kaśyapa au grand cœur.

 

 

 

 

 

I, 19. Kadrū et Vinatā arrivent au bord de l’océan. Description de l’océan.  (= 17 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 19.

 

1. Le conteur dit :

« Ainsi quand la nuit brilla, que le soleil se fut levé et que ce fut le matin,

ô ascète, Kadrū et Vinatā, les deux sœurs,

2. en colère, toutes excitées d’avoir parié ainsi sur leur servitude,

allèrent voir le cheval Uccaiḥśravasa dans les environs.

3. Elles regardèrent alors ainsi l’Océan, le trésor des eaux,

rempli de gros poissons avaleurs de baleine, plein de makaras[15],

4. et tout couvert de myriades de créatures de toutes formes,

perpétuellement inaccessible avec ses bêtes furieuses, grouillant de tortues et de crocodiles,

5. le gisement de toutes les perles, et la demeure de Varuṇa,

la demeure agréable aux serpents, le seigneur suprême des rivières,

6. le séjour du feu infernal, le cachot des Asuras,

la terreur des créatures, le trésor houleux des flots,

7. le splendide, divin et suprême gisement de l’ambroisie des immortels,

l’onde incommensurable, inconcevable, prodigieuse et très sainte,

8. épouvantable avec les cris furieux des bêtes aquatiques, avec ses bruits effroyables,

plein de gouffres profonds, la terreur de tous les êtres,

9. s’agitant sur les rivages bercé par le vent, se dressant aux agitations de la houle,

dansant partout comme si les vagues agitaient leurs mains,

10. dangereux à approcher avec ses vagues déchaînées, selon que la lune croît ou décroît,

le géniteur de [la conque] Pāñcajanya, l’inégalable mine de joyaux.

11. Quand le bienheureux Govinda[16] à l'énergie sans limite y trouva la Terre,

après avoir pris la forme d’un sanglier, son eau devint trouble et agitée

12. et le sage brahmane Atri pratiqua des ascèses pendant cent ans,

et l’on ne voyait pas le fond du septième enfer souterrain qui restait immuable.

13. Au temps où un âge du monde commence, il est la couche de Viṣṇu à l’éclat immense,

dont le nombril porte un lotus, quand il s’adonne au sommeil où l’esprit se concentre sur l’Être Suprême.

14. Ce propice dispensateur de libations d’eau pour Agni qui flamboie à la Bouche de la Jument[17],

ce large rivage sans fond, cet incommensurable seigneur des rivières,

15. ce grand océan houleux et comme courtisé sans cesse

par les nombreuses grandes rivières rivalisant entre elles par milliers, les deux sœurs le regardaient.

16. Elles le regardaient, impénétrable, infecté de léviathans et de féroces makaras, rugissant des cris et des hurlements furieux des bêtes aquatiques,

ce vaste espace découvert, ce trésor insondable, cette étendue infinie des eaux.

17. C’est ainsi qu’elles regardaient cet océan grouillant de gros poissons et de makaras, cet espace découvert impénétrable et déployé,

illuminé par les flammes du feu infernal ; alors rapidement elles s’envolèrent au-dessus de lui.

 

 

 

 

 

I, 20. Elles voient Uccaiḥśravas, la queue noire de serpents. Vinatā devint esclave de Kadrū. Pendant ce temps, Garuḍa brise sa coquille et naît. Son éclat est insoutenable. Les dieux font son éloge et le prient d’atténuer son éclat qui brûle le monde. Garuḍa accepte et rejoint sa mère avec Aruṇa. Le soleil s’était mis en tête de brûler les mondes. Les dieux demandent un remède à Brahmā. Aruṇa est placé sur le char du soleil, devant lui, pour absorber son éclat.  (= 15 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 20.

 

1. Le conteur dit :

« Après avoir franchi l’Océan, Kadrū, accompagnée de Vinatā,

descendit aussitôt rapidement à proximité du cheval.

2. Et ayant vu les nombreux crins noirs qui pendaient de la queue,

Kadrū infligea la servitude à Vinatā, le visage abattu.

3. Vinatā, ainsi vaincue dans ce pari,

fut tourmentée par la douleur de subir la condition d’esclave.

4. Pendant ce temps-là aussi Garuḍa, le temps venu,

naquit sans sa mère, avec un grand éclat, après avoir brisé son œuf.

5. Brillant comme une masse de feu, flamboyant et semant la terreur,

l’oiseau grandit immédiatement, avec un grand corps qui touchait au ciel.

6. Quand ils le virent, tous les êtres cherchèrent refuge auprès de ce trésor de lumière,

et se prosternant devant l’oiseau multicolore assis devant eux, ils lui dirent :

7. « Agni, ne grandis plus : tu ne veux pas nous brûler sans doute ?

Cette énorme masse flamboyante issue de toi glisse vers nous. »

8. Agni dit :

« Il n’en est pas ainsi que vous le supposez, ô destructeurs de Asuras.

C’est le puissant Garuḍa, qui m’égale par son éclat. »

9. Le conteur dit :

« Alors à ces mots, allant vers Garuḍa et lui disant des mots de louange,

les dieux et les troupes des sages s’approchèrent alors tout près de lui :

10. « Tu es un Sage, tu es un Grand, tu es le Dieu Seigneur des oiseaux,

tu es le Maître à la clarté brillante, tu es pour nous le refuge inégalable.

11. Saint débordant de force et d’un vaillant courage, tu es aussi prospère qu’irrésistible,

toute ta chaleur est célèbre, ô toi mémorable en tous points, et celle qui sera et toute celle qui fut.

12. Sublime, tu illumines tout cet univers de tes rayons, comme le Soleil,

repoussant constamment avec force la lumière du Soleil ; tu supprimes tout ce qui est immuable ou muable.

13. Comme le Soleil, pris de rage, brûlerait les créatures, de même tu brûles avec l’éclat du feu sacrificiel,

semant la terreur, tel la fin du monde, tu te dresses comme le feu, causant la ruine, accomplissant la fin du cycle d’un âge.

14. Nous adorons le Seigneur des oiseaux, notre refuge, à la grande force, exempt d’obscurité, qui hante les nuages pluvieux.

Nous nous vouons à Garuḍa, l’oiseau à la grande force, il est l’avant et l’après, le dispensateur au courage invincible. »

15. L’Oiseau au beau plumage, ainsi glorifié par les dieux et les troupes des sages,

réprima alors son haleine de flamme.

 

 

 

 

 

I, 21. Kadrū ordonne à Vinatā de la porter à Ramaṇīyaka. Garuḍa se charge des serpents qu’il porte sur son dos. Il s’approche du soleil pour les brûler. Kadrū invoque Indra. Louanges à Indra.  (= 17 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 21.

 

1. Le conteur dit :

« Ensuite, se déplaçant à son gré, l’oiseau à la grande puissance, à la grande force

alla auprès de sa mère sur l’autre rive de l’Océan

2. où Vinatā, vaincue dans ce pari,

était très tourmentée par la douleur d’être tombée dans la condition d’esclave.

3. Puis un jour, alors que son fils était là, Vinatā, courbée humblement

fut alors convoquée par Kadrū qui lui dit cette parole :

4. « Ma chère Vinatā, mène-moi à la demeure des serpents, le si charmant Ramaṇīyaka,

à l’écart là-bas, dans le ventre de l’Océan. »

5. Alors la mère de l’Oiseau au beau plumage mena la mère des serpents

aux serpents, et Garuḍa aussi, comme sa mère le lui avait ordonné.

6. L’oiseau fils de Vinatā alla près du Soleil,

et les serpents envahis par les rayons du Soleil devinrent engourdis.

Kadrū, voyant ses fils dans un tel état, célébra alors Śakra[18].

7. « Hommage à toi Seigneur-Dieu des dieux ! Hommage à toi destructeur de Bala !

Tueur de Namuci, hommage à toi ! Epoux de Śacī aux mille yeux !

8. Avec ta pluie deviens une inondation pour les serpents échauffés par le Soleil,

car tu es notre secours suprême, ô le plus grand des immortels !

9. Car tu es un Maître pour répandre une pluie abondante, ô Destructeur de remparts,

tu es le nuage pluvieux, tu es le vent, tu es le feu des éclairs dans le ciel.

10. Tu es celui qui répand les masses de nuages, tu es celui qu’on appelle aussi le nuage massif,

tu es la foudre incomparable, épouvantable, tu es la nuée d'orage tumultueuse.

11. Tu es le créateur des mondes et le destructeur invincible,

tu es la lumière pour toutes les créatures, tu es le Radieux à la lumière bienfaisante.

12. Tu es le Grand Être prodigieux ; tu es le roi, tu es le meilleur des dieux,

tu es Viṣṇu, tu es Celui aux mille yeux, tu es Dieu, tu es le refuge suprême.

13. Tu es toute l’ambroisie, ô Dieu, tu es le Soma honoré au plus haut point,

tu es le moment et le jour lunaire, tu es la seconde aussi bien que le quart de seconde.

14. Tu es le temps clair aussi bien que le sombre, le seizième de lunaison et aussi la fraction de minute,

l’année, la saison, les mois, et les nuits et les jours.

15. Tu es la sublime Terre nourricière avec ses montagnes et ses forêts, avec son Soleil brillant aussi,

l’Océan avec ses léviathans et ses baleines aussi, avec ses grandes vagues, ses grands makaras, la demeure des gros poissons.

16. Tu es constamment honoré en tant que « la Grande Gloire », les grands sages érudits réjouissent ton esprit,

et, après avoir été célébré, tu bois le soma lors du sacrifice de même que les oblations pour ton salut faites avec l’invocation « Que vienne ».

17. Ici-bas les prêtres te font toujours des sacrifices pour la protection des fruits, et tu es invoqué dans les annexes du Veda comme l’inondation à la force incomparable ;

à ton instigation les seigneurs des deux-fois-nés, spécialistes de la célébration des sacrifices, étudient les annexes dans tous les Veda. »

 

 

 

 

 

I, 22. Indra fait pleuvoir.  (= 5 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 22.

 

1. Le conteur dit :

« Après avoir été ainsi célébré par Kadrū, le bienheureux qui monte des chevaux bais

couvrit tout le ciel de multitudes de nuages céruléens.

2. Les nuages brillants d’éclairs lâchèrent une eau abondante,

comme si, perpétuellement, ils grondaient violemment l’un contre l’autre dans le ciel.

3. C’était comme si l’espace avait été compacté par ces nuages prodigieux,

une eau incomparable tombait perpétuelllement en faisant des bruits énormes.

4. C’était comme si l’espace s’était mis à danser avec ces innombrables vagues de pluie,

et le ciel se remplissait du bruit des nuages qui tonnaient.

5. Tandis que Vāsava[19] répandait ainsi la pluie, la joie des serpents était à son comble

et la Terre était partout remplie d’eau.

 

 

 

 

 

I, 23. Description de l’île de Ramaṇīyaka. Vinatā explique à Garuḍa qu’elle est esclave de Kadrū. Garuḍa demande ce qu’il doit faire pour la libérer, et les serpents demandent la liqueur d’immortalité.  (= 12 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 23.

 

1. Le conteur dit :

« Transportés par l’oiseau au beau plumage, ils arrivèrent bien vite à l’endroit

entouré par l’eau de l’Océan et rempli d’une multitude d’oiseaux,

2. couvert de fleurs et de fruits de toutes sortes, de rangées d’arbres,

couvert de jolies maisons et aussi d’une abondance de lotus,

3. et orné de lacs merveilleux aux eaux tranquilles,

ventilé par des souffles divinement parfumés et purs.

4. L’espace était aussi légèrement parfumé d’arbres de santal

et faisait briller des pluies de fleurs que les vents faisaient tomber en les agitant,

5. comme des averses d’eaux de fleurs répandues pour les serpents qui étaient là.

Il était réjouissant pour l’esprit, pur, cher aux Gandharvas et aux Apsaras,

bruissant d’oiseaux de toutes sortes, charmant, un ravissement pour les fils de Kadrū.

6. Quand ils eurent atteint cette forêt, les serpents se mirent à s’ébattre joyeusement,

et ils dirent au meilleur des oiseaux, à la grande puissance et au beau plumage :

7. « Transporte-nous vers une autre île, bien charmante, aux eaux abondantes,

car en volant tu vois beaucoup de lieux charmants, ô oiseau. »

8. L’oiseau, après avoir réfléchi, parla ainsi à sa mère Vinatā :

« Pour quelle raison, ma mère, dois-je exécuter la parole des serpents ? »

9. Vinatā lui dit :

« Je suis devenue l’esclave de mon infâme sœur, ô le meilleur des oiseaux,

en suivant un pari truqué que les serpents ont fait par fraude. »

10. Le conteur dit :

« Quand sa mère lui en eut dit le motif, le volatile,

affligé par ce malheur, dit cette parole aux serpents :

11. « Que faut-il apporter ou savoir, ou quel exploit faire ici

pour être délivré de votre servitude ? Dites-moi la vérité, serpents. »

12. Entendant cela, les serpents lui dirent : « Apporte-nous l’ambroisie de force.

Ce sera alors la délivrance de ta servitude, ô oiseau. »

 

 

 

 

 

I, 24. Garuḍa demande ce qu’il peut manger. Sa mère lui indique les Niṣādas et lui enjoint de ne pas tuer de brahmane. Il les reconnaîtra au feu qui brûlerait son gosier. Il dévore les Niṣādas.  (= 14 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 24.

 

1. Le conteur dit :

« Entendant ces mots des serpents, il dit alors à sa mère :

« Je vais apporter l’ambroisie, je veux savoir ce qui est comestible. »

2. Vinatā lui dit :

« A l’écart, dans le ventre de l’Océan, il y a l’excellente demeure des Niṣādas.

Manges-en plusieurs milliers et rapporte l’ambroisie.

3. Mais ne t’avise en aucune façon d’avoir l’idée de tuer un brahmane ;

parmi toutes les créatures, il ne faut pas faire de mal à un brahmane : il est pareil au feu.

4. Un prêtre furieux est un feu, un soleil, un poison, une épée,

parmi les créatures le prêtre est celui qui mange en premier, il est de la caste la meilleure, il est un père, il est un maître. »

5. Garuḍa lui dit :

« Comment moi reconnaîtrais-je un brahmane, par quels signes de bon augure ?

Je te demande cela, mère, non sans raison, daigne me le dire. »

6. Vinatā lui dit :

« Celui qui arriverait dans ta gorge comme si tu avais avalé un hameçon

et te brûlerait comme une braise, mon fils, il faudrait comprendre qu’il est un taureau parmi les brahmanes. »

7. Le conteur dit :

« Et Vinatā, par amour pour son fils, lui dit cette parole,

quoiqu’on connaisse sa valeur incomparable, en guise de bénédiction :

8. « Que Māruta[20] protège tes ailes, et Candra[21] ton dos, mon garçon,

que Vahni[22] protège ta tête, et Bhāskara[23] tout ton corps.

9. Et moi toujours, mon fils, je serai occupée de ton bonheur et de ton bien-être ;

suis un chemin chanceux, mon enfant, pour le succès de ton entreprise. »

10. Après avoir entendu la parole de sa mère, il déploya ses ailes et s’envola dans le ciel.

Le puissant oiseau arriva alors affamé chez les Niṣādas comme le grand Temps de la Mort.

11. Il anéantit alors les Niṣādas, soulevant un grand nuage de poussière qui montait jusqu’au ciel,

et il assécha le flot dans le ventre de l’Océan, ébranlant les montagnes à proximité.

12. Alors le roi des oiseaux ouvrit grand son bec et il bloqua le chemin des Niṣādas ;

alors les Niṣādas se précipitèrent dehors, là où était la bouche du mangeur de serpents.

13. Alors ils s’avancèrent vers le bec démesurément ouvert, comme des oiseaux tourbillonnant dans le ciel,

égarés par milliers dans un nuage de poussière soulevé par le vent dans une forêt aux arbres qu’agite un grand vent.

14. Alors l’oiseau à la grande force qui, toujours en mouvement, consume ses ennemis, referma sa gueule ;

affamé le seigneur des oiseaux tua ces gens qui mangent diverses sortes de poissons.

 

 

 

 

 

I, 25. Il a avalé par mégarde un brahmane et le laisse ressortir. Il repart et rencontre son père Kaśyapa en route. Il a toujours faim et demande une autre nourriture. Kaśyapa raconte l’Histoire de Vibhāvasu et Supratīka. Ce sont deux frères qui se querellent pour une question d’héritage. Ils se maudissent mutuellement, deviennent éléphant et tortue et continuent à se battre. Il n’a qu’à les manger !. Garuḍa se saisit de l’éléphant et de la tortue et s’envole. Il se pose sur la maîtresse branche de l’arbre Rohina, longue de cent lieues. La branche casse.  (= 33 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 25.

 

1. Le conteur dit :

« Un brahmane arriva avec sa femme dans sa gorge,

le brûlant comme un charbon ardent ; le voyageur céleste lui dit :

2. « Ô le meilleur des deux-fois-nés, sors vite de ma gueule ouverte.

Je ne dois pas du tout faire de mal à un brahmane, même s’il se plait toujours aux actions mauvaises. »

3. A Garuḍa qui lui parlait ainsi le brahmane déclara :

« Mon épouse que voici est une Niṣāda : qu’elle sorte avec moi. »

4. Garuḍa lui dit :

« Prends ta femme Niṣāda et va-t’en.

Vite ! Considère que ta vie n’est pas digérée par ma flamme. »

5. Le conteur dit :

« Alors le prêtre partit ainsi en compagnie de la Niṣāda,

et après avoir célébré Garuḍa, il alla dans la contrée de son choix.

6. Quand ce prêtre fut parti avec sa femme, le roi des oiseaux

déploya ses ailes et s’envola dans l’espace, rapide comme la pensée.

7. Il aperçut alors son père et à sa demande lui dit :

« J’ai été chargé par les serpents d’aller leur chercher le soma et je suis prêt à agir.

J’irai le chercher dès aujourd’hui pour délivrer ma mère de sa servitude.

8. Ma mère m’a expliqué : « Mange les Niṣādas ! »

Même après en avoir mangé des milliers, je n’ai pas été rassasié…

9. Indique-moi donc autre chose à manger, ô bienheureux,

pour que je sois capable, après l’avoir mangé, d’aller chercher l’ambroisie, seigneur. »

10. Kaśyapa lui dit :

« Il y avait un grand sage du nom de Vibhāvasu, excessivement colérique,

et il avait un frère cadet, Supratīka, qui était un grand ascète.

11. Ce grand sage ne voulait pas que ses biens soient communs avec son frère,

et donc Supratīka parlait de partage à longueur de temps.

12. Son frère Vibhāvasu dit alors à Supratīka :

« Beaucoup, par égarement, veulent constamment faire un partage.

Ensuite quand ils ont fait le partage, ils n’ont pas d’égard l’un pour l’autre, égarés par leur possession.

13. Ensuite ces insensés deviennent des étrangers par égoïsme, à cause de leurs biens ;

voyant cela, des ennemis sous couvert d’amitié les divisent.

14. Et les autres, les voyant séparés dans ces circonstances, les font alors tomber,

et il s’ensuit tout aussitôt pour ceux qui se sont séparés une ruine sans pareille.

15. C’est aussi pour cette raison que les érudits n’approuvent pas le partage des biens

chez ceux qui, attachés à l’enseignement de leur maître, se méfient les uns des autres.

16. Puisque, incapable de te réprimer, tu désires que tes biens soient séparés,

pour cette raison, Supratīka, tu deviendras un éléphant. »

17. Etant ainsi maudit, Supratīka dit alors à Vibhāvasu:

« Et toi tu deviendras une tortue qui vit dans les eaux »

18. Par cette malédiction mutuelle, Supratīka et Vibhāvasu

devinrent un éléphant et une tortue, l’esprit égaré à cause de leurs biens.

19. Etant entrés dans l’engeance des animaux par l’association de leur défaut, la colère,

ils se plaisent à leur haine réciproque, ils s’enorgueillissent de leur grandeur et de leur force.

20. Dans ce lac ces deux grosses bêtes poursuivent leur ancienne querelle ;

l’un des deux, le splendide et grand éléphant, survient.

21. A ce bruit grandissant, la tortue, couchée au milieu de l’eau,

se dresse et son grand corps secoue violemment le lac tout entier.

22. A cette vue, enroulant sa trompe, cet éléphant plonge dans l’eau

avec toute la vigueur de ses défenses, de l’extrémité de sa trompe, de sa queue, de ses pieds impétueux.

23. Et ce lac est tout agité et jonché de gros poissons.

Sur ce, la tortue sort la tête de l’eau et part au combat avec toute sa vigueur.

24. L’éléphant est haut de six lieues et deux fois plus long,

la tortue a une hauteur de trois lieues et un diamètre de dix lieues.

25. Ces deux-là sont ivres de combat, désirant la victoire de l’un sur l’autre :

profite vite de cette occasion et atteins ton propre but. »

26. Le conteur dit :

« Ayant entendu la parole de son père, le voyageur céleste prit violemment son essor

et saisit l’éléphant dans une de ses serres, et la tortue dans l’autre.

27. Le volatile s’envola alors haut dans l’espace,

atteignit le gué sacré d’Alamba et arriva sur les arbres divins.

28. Effrayés, frappés par le vent de ses ailes, ils tremblèrent

les divins arbres d’or : « Il ne nous briserait pas ? » se disaient-ils.

29. Les voyant agiter leurs bras aux bourgeons pleins de désir de fruits,

l’oiseau alla vers d’autres arbres aux bras d’une beauté incomparable,

30. des arbres de béryl aux fruits d’or et d’argent,

entourés des eaux de l’Océan, de grands arbres étincelants.

31. Là un banian s’adressa au meilleur des oiseaux,

un arbre très vieux et très grand, tandis qu’il s’abattait sur lui rapide comme la pensée :

32. « J’ai là une grande branche qui est longue de cent lieues :

monte sur cette branche et mange ces deux-là, l’éléphant et la tortue. »

33. Alors, faisant trembler l’arbre habité par des milliers d’oiseaux, l’oiseau grand comme une montagne,

le meilleur des volatiles se posa avec une vitesse impétueuse et brisa la branche toute couverte d’un feuillage épais.

 

 

 

 

 

I, 26. La branche est habitée par des Vālakhilyas, la tête en bas. Pour ne pas leur faire de mal, Garuḍa saisit la branche et s’envole avec elle. Il ne sait où se poser. Il arrive au mont Gandhamādana où son père Kaśyapa se livre à l’ascèse. Kaśyapa persuade les Vālakhilyas de quitter la branche. Garuḍa se débarrasse de la branche sur une montagne déserte, dévore l’éléphant et la tortue et s’envole à nouveau. Des présages funestes assaillent les dieux. Indra en demande la raison à Bṛhaspati. Celui-ci lui explique que, par sa faute, Garuḍa s’apprête à voler la liqueur d’immortalité. Les dieux renforcent les défenses autour de la liqueur d’immortalité.  (= 47 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 26.

 

1. Le conteur dit :

« A peine touchée par les pieds du puissant Garuḍa,

la branche de l’arbre se brisa et il resta accroché à cette branche brisée.

2. Il sourit en considérant cette grande branche brisée,

mais il y vit des Vālakhilyas[24] pendus la tête en bas.

3. Aussi, de crainte de les tuer, le roi des oiseaux en s’envolant

saisit la branche dans son bec par considération pour eux.

L’oiseau volait doucement alentour rasant les montagnes.

4. Il survola ainsi de nombreuses contrées avec l’éléphant et la tortue.

Et dans sa compassion pour les Vālakhilyas, il ne trouva pas d’endroit.

5. Il alla vers la meilleure des montagnes, l’inaltérable Gandhamādana.

Et là il vit son père Kaśyapa occupé à son ascèse.

6. Et son père vit aussi l’oiseau à la beauté divine,

plein d’éclat, de bravoure et de force, rapide comme l’esprit et le Vent,

7. semblable au pic d’une montagne, haut comme le Brahmadaṇḍa[25],

inconcevable, incompréhensible, semant la terreur chez toutes les créatures,

8. le soutien de la puissance de l’illusion, haut comme le Feu allumé sous forme corporelle,

qui ne peut être attaqué ni vaincu par les dieux, les Dānavas et les Rākṣasas,

9. qui fend les pics des montagnes, qui assèche les eaux des rivières,

qui agite les mondes, terrifiante apparition semblable à la Destinée.

10. Le voyant ainsi arriver, le bienheureux Kaśyapa,

connaissant son intention, lui dit cette parole :

11. « Mon fils, ne commets pas d’acte irréfléchi, ne va pas encourir une peine immédiate,

de peur que les Vālakhilyas buveurs de lumière ne te brûlent dans leur courroux. »

12. Kaśyapa à cause de son fils cherchait à apaiser les

Vālakhilyas, parfaits dans leur ascèse, en leur expliquant la raison de cela.

13. « L’entreprise de Garuḍa est dans l’intérêt des créatures, ô ascètes.

Il veut faire un grand exploit : aussi daignez le laisser faire. »

14. Quand le bienheureux leur eut dit cela, les anachorètes s’approchèrent

et laissèrent la branche pour l’Himalaya, la sainte montagne, à la recherche d’ascèse.

15. Puis quand ils furent partis, le fils de Vinatā,

son bec distendu par la branche, demanda à son père Kaśyapa :

16. « Bienheureux, où puis-je me débarrasser de cette branche d’arbre ?

Que le bienheureux m’indique une contrée sans brahmanes. »

17. Alors Kaśyapa lui parla d’une montagne déserte,

aux ravins obstrués par la neige, inaccessible aux autres même par la pensée.

18. Pénétrant par la pensée dans le ventre de cette grande montagne, l’oiseau

Tārkṣya s’y envola rapidement avec la branche, l’éléphant et la tortue.

19. Une grande et fine courroie tirée de cent peaux n’entourerait pas cette

grande branche d’arbre que l’oiseau tenait en se déplaçant.

20. Ensuite, après avoir parcouru une distance de cent mille lieues

en peu de temps, Garuḍa le meilleur des oiseaux

21. arriva à l’instant même à la montagne dont son père lui avait parlé,

et l’oiseau y lâcha la grande branche avec fracas.

22. Frappé par le vent des ailes, ce roi des montagnes trembla

et il laissa échapper une pluie de fleurs tandis que ses arbres s’écroulaient.

23. Et les pics de ce mont se brisèrent en tous sens,

les gemmes et l’or firent briller merveilleusement la grande montagne.

24. Et beaucoup d’arbres aussi furent frappés par cette branche :

avec leurs fleurs d’or ils brillaient comme des nuages parcourus d’éclairs.

25. Avec leur grand rayonnement doré se mêlant aux minerais de la montagne,

les arbres resplendissaient alors, colorés par les rayons du soleil.

26. Alors, se posant sur le pic de cette montagne, le meilleur des oiseaux,

Garuḍa, mangea les deux, l’éléphant et la tortue.

27. Puis il s’envola de l’extrémité du sommet de la montagne, rapide comme la pensée ;

de mauvais présages commencèrent alors pour les dieux et leur firent connaître la peur.

28. Le foudre cher à Indra s’enflamma, avec son cortège de tourments,

et il s’abattit enveloppé de fumée et de flammes, un météore tombé du haut du ciel.

29. Ainsi les Vasavas, les Rudrās et les Radieux tous ensemble,

les Sādhyās et les Marutas, ainsi que les autres troupes des divinités

s’attaquèrent les uns les autres, chacun avec son arme propre.

30. Cela ne s’était jamais produit auparavant, même pendant l’affrontement entre les dieux et les Asuras,

les vents soufflaient accompagnés de bourrasques, des météores tombaient de toutes parts.

31. Et le ciel sans nuages grondait à grand bruit,

et celui qui est le dieu des dieux faisait alors pleuvoir du sang.

32. Les guirlandes des dieux se fanaient, et leurs splendeurs s’éteignaient,

de sinistres et funestes nuages répandaient des averses de sang,

les poussières qui se soulevaient venaient salir leurs diadèmes.

33. Alors le dieu aux cents sacrifices[26], tout effrayé et tremblant comme les autres dieux,

voyant ces épouvantables présages parla ainsi à Bṛhaspati :

34. « Pourquoi, ô Bienheureux, apparaissent ces grands présages épouvantables ?

Je ne vois aucun ennemi qui oserait se mesurer à nous dans un combat. »

35. Bṛhaspati lui dit :

« C’est par ta faute, Chef des dieux, et par ta négligence, ô dieu aux cent sacrifices :

les Vālakhilyas, par leur ascèse, ont suscité une créature surnaturelle.

36. C’est un oiseau, fils du sage Kaśyapa et de Vinatā :

puissant, changeant de forme à volonté, il est venu voler le soma.

37. Cet oiseau, le premier parmi les puissants, est à même de voler le soma ;

je le crois capable de tout : il pourrait l’impossible. »

38. Le conteur dit :

« Après avoir entendu cette parole, Śakra dit aux gardiens de l’ambroisie :

« Un oiseau très puissant et d’une grande force a entrepris de voler le soma ici.

39. Je vous en avertis pour qu’il ne le prenne pas de force,

car Bṛhaspati m’a dit que sa force est incomparable. »

40. Entendant cette parole, les dieux, stupéfaits, se mirent avec soin

debout autour de l’ambroisie, de même qu’Indra, le dieu au foudre et aux cent sacrifices.

41. Sereins, ils portaient de très précieuses cuirasses

d’or, jaspées et incrustées de béryl,

42. et un grand nombre d’armes diverses à l’aspect effrayant,

munies de pointes aiguës et tranchantes qu’ils brandissaient par milliers,

43. jetant partout des étincelles et des flammes dans des nuages de fumées,

des disques de feu, et aussi des massues ferrées, des tridents, des haches,

44. et emmenant toutes sortes de javelots aigus et de cimeterres immaculés,

adaptés à la forme de leurs corps, et des massues à l’aspect redoutable.

45. Parés de ces ornements divins, de ces armes brillantes,

les brillantes troupes des dieux se tenaient là, exemptes de souillures.

46. Avec l’éclat incomparable de leur force et de leur bravoure, l’esprit fixé sur la protection de l’ambroisie,

les dieux pourfendeurs des cités des Asuras resplendissaient avec leurs corps au feu flamboyant.

47. Ainsi le champ de bataille où se tenaient les dieux, grouillant de centaines de milliers de massues,

brillait comme s’il tombait de l’intérieur du ciel, illuminé par les rayons du Soleil.

 

 

Histoire des Vālakhilyas.

 

 

I, 27. Les dieux offrent leurs services à Kaśyapa qui sacrifiait pour avoir un fils et il leur demande de lui apporter du bois. Indra apporte un énorme fagot. En route, il rencontre les Vālakhilyas qui portent un fétu et manquent se noyer dans une flaque d’eau laissée dans l’empreinte d’une vache. Il les enjambe avec mépris. Les Vālakhilyas entreprennent alors un grand sacrifice pour demander un autre Indra. Kaśyapa intercède pour le compte d’Indra. Ainsi naîtra Garuḍa, mais il deviendra l’ami d’Indra. (= 35 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 27.

 

1. Śaunaka dit :

« Quelle fut la faute du grand Indra, et quelle fut sa négligence, ô fils du conteur ?

Comment Garuḍa est-il né de l’ascèse des Vālakhilyas ?

2. Et comment donc le roi des oiseaux est-il le fils de Kaśyapa, un deux-fois-né ?

Et comment est-il devenu parmi toutes les créatures inattaquable et intouchable ?

3. Et comment cet oiseau se déplace-t-il à volonté et a-t-il de la force à volonté ?

Je désire entendre cela, si cela a été enseigné dans un récit d’antan. »

4. Le conteur dit :

« Ce que tu me demandes fait l’objet d’un récit d’antan ;

écoute-moi t’exposer tout cela brièvement, ô deux-fois-né. »

5. Quand Kaśyapa, un des démiurges, dans son désir d’avoir un fils fit un sacrifice,

les sages, les dieux et les Gandharvas, comme on sait, lui apportèrent leur aide.

6. Śakra fut alors chargé par Kaśyapa de s’occuper du bois pour le feu sacrificiel,

de même que les anachorètes, les Vālakhilyas et les autres troupes des dieux.

7. Śakra souleva une masse de bois digne de sa puissance, ayant la splendeur d’une montagne,

et le Seigneur s’activait comme s’il n’avait aucune difficulté particulière.

8. Il vit alors des sages aussi minuscules que l’articulation interne du pouce

qui à eux tous transportaient sur le chemin une seule tige de palāśa.

9. Ces ascètes, adonnés au jeûne, comme dissous dans leurs propres corps,

peinaient par manque de force dans une empreinte de vache remplie d’eau.

10. Le Destructeur de remparts , plein d’orgueil, enivré par sa puissance,

les railla tous, et sans s’attarder davantage sauta par-dessus avec mépris.

11. Envahis par la colère, pris d’une énorme fureur,

ils entreprirent alors un grand sacrifice, terrifiant pour Śakra.

12. Ces ascètes versèrent une libation selon la règle sur Jātavedā[27],

que les prêtres accompagnèrent de diverses incantations : écoute quel était leur désir.

13. « Ayant de la force à volonté, se déplaçant à volonté, suscitant la peur chez le roi des dieux,

qu’il y ait un autre Indra pour tous les dieux » disaient-ils, fermes dans leur vœu.

14. « Valant cent fois Indra en héroïsme aussi bien qu’en puissance, rapide comme la pensée,

que naisse maintenant une horreur, fruit de notre ascèse. »

15. Apprenant cela, le roi des dieux, le dieu aux cent sacrifices fut extrêmement tourmenté ;

il chercha alors refuge auprès de Kaśyapa, très attaché à ses vœux.

16. Après avoir appris cela du roi des dieux, Kaśyapa Prajāpati

alla trouver les Vālakhilyas et les interrogea sur l’efficacité de leur sacrifice.

17. « Qu’il en soit ainsi » lui répondirent alors les Véridiques.

Kaśyapa Prajāpati leur dit cette parole apaisante :

18. « Cet Indra a été créé sur l’ordre de Brahmā dans les trois mondes,

et vous déployez votre zèle, ô ascètes, pour un Indra.

19. Veuillez, Excellences, ne pas manquer à la parole de Brahmā,

et mon intention n’est pas de vouloir vous faire manquer à votre parole, Seigneurs.

20. Que cet Indra soit, parmi les oiseaux, le plus puissant et le plus courageux,

et qu’on accorde la grâce que demande le roi des dieux. »

21. Quand Kaśyapa leur eut ainsi parlé, les ascétiques Vālakhilyas

rendirent hommage à Prajāpati, le meilleur des anachorètes, et lui répondirent :

22. « Cette entreprise pour nous tous concerne Indra, Prajāpati,

cette entreprise concerne aussi la descendance, Seigneur, que tu désires.

23. Tu dois te charger de ce sacrifice et de son fruit ;

fais ici aussi comme tu l’estimeras le mieux. »

24. A cette époque-là justement, une jolie déesse, fille de Dakṣa,

du nom de Vinatā, noble et célèbre, désira avoir un fils.

25. Ayant fait ses ascèses, ayant procédé à la cérémonie pour avoir un fils, en se baignant et en se purifiant,

elle s’approcha de son mari et Kaśyapa lui dit :

26. « Cette entreprise t’apportera les fruits que tu désires, déesse :

tu enfanteras deux fils, deux héros, deux seigneurs dans les trois mondes.

27. Grâce à l’ascèse des Vālakhilyas et produits aussi par ma volonté,

naîtront deux fils qui auront une grande destinée et seront honorés de par le monde. »

28. Et le bienheureux fils de Marīci lui dit encore ceci :

« Cet embryon très prospère doit être porté avec soin.

29. Seul parmi tous les oiseaux il mettra en œuvre la puissance d’Indra,

il sera un héros estimé de par le monde, un oiseau ayant de la force à volonté. »

30. Et Prajāpati, l’esprit réjoui, dit alors au dieu aux cent sacrifices :

« Tu auras deux compagnons, ce seront deux oiseaux, deux frères.

31. Il n’y aura de leur part aucun mal pour toi, ô Destructeur de remparts,

que cesse tes soucis, ô Śakra, tu seras encore Indra.

32. Puissent ceux qui parlent selon le Brahman ne plus jamais être pour toi des gens qu’on peut injurier

ou mépriser par orgueil : leur parole est du venin, leur colère est violente. »

33. A ces mots Indra alla sans crainte dans son ciel.

Et Vinatā se réjouit alors d’avoir atteint son but.

34. Elle mit ainsi au monde deux fils, Aruṇa et Garuḍa.

Or de ces deux Aruṇa était infirme : il est celui qui précède le Soleil.

35. Quant à Garuḍa, il fut consacré parmi les oiseaux par la puissance d’Indra.

Ecoute sa très grande geste, ô rejeton de Bhṛgu.

 

 

 

 

 

I, 28. Garuḍa fond sur les dieux et les aveugle de poussière. Vāyu disperse la poussière. Combat entre Garuḍa et les dieux. Garuḍa disperse les dieux. Un mur de feu empêche sa progression. Garuḍa se fait mille bouches et écope les rivières pour éteindre ce feu. Il se fait minuscule.  (= 25 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 28.

 

1. Le conteur dit :

« Désormais, ô le meilleur des deux-fois-nés, après s’être débarrassé de son agitation,

Garutmat, le roi des oiseaux, arriva rapidement auprès des Éveillés.

2. Et le voyant si fort, alentour ils tremblèrent

et ils s’attaquèrent aussi les uns les autres avec toutes leurs armes.

3. Et il y avait là, l’âme démesurée, rayonnant tel l’éclair et le feu,

Bhauvana[28], le gardien du soma à l’immense puissance.

4. Celui-ci fut frappé par le seigneur des oiseaux avec ses ailes, son bec et ses griffes ;

en un instant, après avoir mené une bataille inouïe, il fut terrassé dans le combat.

5. Et l’oiseau, avec le souffle de ses ailes, souleva un très grand nuage de poussière

qui obscurcit les mondes et se répandit sur les dieux.

6. Recouverts par cette poussière, les dieux s’évanouirent

et les gardiens de l’ambroisie, enveloppés par la poussière, ne la virent plus.

7. Ainsi Garuḍa bouleversa la demeure du troisième ciel,

et il lacéra les dieux à coups d’ailes et de bec.

8. Alors le dieu aux mille yeux fit vite appel à Vāyu :

« Chasse cette pluie de poussière : c’est ta tâche, ô Maître des Vents . »

9. Et le puissant Vāyu dissipa rapidement cette poussière.

Alors, quand la clarté fut revenue, les dieux tourmentèrent l’oiseau.

10. Et le puissant volatile poussa un grand hurlement, comme celui d’un grand nuage pluvieux.

Frappé par les troupes des dieux, terrifiant toutes les créatures,

le très puissant roi des oiseaux, tueur de héros ennemis, s’envola.

11. Quand il se fut envolé et eut gagné l’atmosphère, se tenant au-dessus des dieux,

tous les Éveillés, revêtus de leurs armures, répandirent sur lui toutes sortes d’armes,

12. des lances à trois pointes, des massues ferrées, des piques et des gourdins, en compagnie de Vāsava[29],

et aussi des armes aux pointes brillantes, et des disques semblables au soleil.

13. Et frappé par les armes de toutes sortes qu’on lui lançait de tous côtés,

le roi des oiseaux mena une bataille très tumultueuse sans trembler.

14. Et le majestueux fils de Vinatā, comme le tonnerre dans le ciel,

projeta les dieux dans toutes les directions avec ses ailes et sa poitrine.

15. Projetés et blessés par Garuḍa, les dieux s’enfuirent

et ceux qui avaient été frappés par ses griffes et son bec répandaient beaucoup de sang.

16. Attaqués par le seigneur des oiseaux, les Sādhyās avec les Gandharvas s’enfuirent vers l’est,

les Vasavas dans la direction du sud, suivis par les Rudrās,

17. les Radieux dans la direction de l’ouest, les Nāsatya dans la direction du nord,

observant encore et encore le très puissant oiseau qu’ils combattaient.

18. Avec le héros Aśvakranda, avec Reṇuka qui porte des ailes,

avec le brave Krathana et avec Tapana, l’oiseau

19. engagea le combat, ainsi qu’avec Ulūka et Śvasana, et avec Nimeṣa qui porte des ailes,

et avec Praruja et avec Praliha.

20. Le fils de Vinatā les mit en pièces à coups d’ailes, de griffes et de bec pointu,

comme le très puissant Archer[30] en colère au jour de la fin du monde.

21. Ces dieux, pleins de puissance et d’énergie, étaient frappés diversement

et ils brillaient comme d’épais nuages de pluie déversant des flots de sang.

22. Après les avoir tous mis entre la vie et la mort, le meilleur des oiseaux

passa parmi eux à la recherche de l’ambroisie, et il vit le feu partout,

23. aux grandes flammes, couvrant entièrement le ciel de son flamboiement,

brûlant et comme dardant ses rayons, épouvantablement agité par le vent.

24. Alors le fougueux Garuḍa au grand cœur se fit quatre-vingt-dix fois quatre-vingt-dix bouches,

il but ensuite des rivières avec ces bouches et il se hâta de vite revenir.

25. Le héros ailé qui consume ses ennemis répandit sur ce feu flamboyant l’eau des rivières ;

puis, désirant entrer, il se fit un autre corps, plus petit, après avoir éteint le feu. »

 

 

 

 

 

I, 29. Il franchit ainsi un engin meurtrier, aveugle les deux serpents qui protégeaient la liqueur et la dérobe. En route, il rencontre Viṣṇu qui lui accorde un vœu. Il choisit de se tenir au dessus de Viṣṇu, et d’être immortel. A son tour, il accorde un vœu à Viṣṇu, qui choisit de l’avoir pour monture et d’en faire l’emblème de son étendard : “Ainsi tu te tiendras au-dessus de moi !”. Indra rattrape Garuḍa et le frappe de son foudre. Mais Garuḍa lui montre qu’il ne peut détruire une seule de ses plumes. Indra lui demande jusqu’où va sa force.  (= 23 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 29.

 

1. Le conteur dit :

« S’étant transformé en or, brillant comme un rayon de soleil éclatant,

l’oiseau entra de force comme un torrent d’eau dans la houle.

2. A côté de l’ambroisie, il vit un disque garni tout autour de rasoirs,

acéré, en fer, et tournant sans arrêt,

3. avec l’éclat du feu ou du soleil, épouvantable, une arme tranchante à destination des voleurs de soma,

cette machine à l’aspect vraiment épouvantable avait été forgée par les dieux.

4. Dès qu’il y aperçut un passage, l’oiseau vola autour

et il passa dans l’espace entre deux rayons, en contractant son corps en une seconde.

5. Et là, en dessous de la roue, avec l’éclat d’un feu flamboyant,

avec deux langues comme des éclairs, absolument épouvantables, avec leurs deux gueules flamboyantes, avec leurs yeux flamboyants,

6. avec leurs yeux venimeux, avec leur grande puissance, avec une rage perpétuelle et leur fougue,

il vit, qui gardaient l’ambroisie, deux énormes serpents,

7. leurs regards toujours excités, sans jamais cligner leurs yeux une seconde.

Celui que l’un d’eux regarderait serait vite réduit en cendres.

8. L’oiseau au beau plumage couvrit vite leurs yeux avec de la poussière

et, après les avoir aveuglés, il les pourchassa en tous sens.

9. L’oiseau fils de Vinatā marcha sur leurs deux corps

et les coupant rapidement en deux, il courut alors vers le soma.

10. Alors le puissant fils de Vinatā arracha l’ambroisie

et s’envola à toute vitesse, après avoir violemment détruit la machine.

11. Sans même la boire, le puissant oiseau saisit vite l’ambroisie

et le volatile atteignit sans se fatiguer la lumière du soleil voilé.

12. Le fils de Vinatā rencontra alors Viṣṇu dans le ciel ;

Nārāyaṇa fut satisfait de cet acte désintéressé.

13. Il dit à l’oiseau : « Je suis le dieu impérissable qui exauce les désirs ».

Le voyageur céleste demanda cette faveur : « Que je me tienne au-dessus de toi. »

14. De plus il adressa encore cette parole à Nārāyaṇa :

« Que je sois aussi exempt de vieillesse et de mort, sans l’aide de l’ambroisie. »

15. Après avoir reçu ces deux vœux Garuḍa dit à Viṣṇu :

« Je donne aussi un vœu au Seigneur : que le Bienheureux choisisse aussi. »

16. Kṛṣṇa choisit le très puissant Garutmān comme monture.

Et le Bienheureux fit de lui sa bannière : « Tu te tiendras au-dessus de moi. »

17. Prenant son envol, Indra frappa de son foudre le corps de l’oiseau,

ce volatile ennemis des dieux qui avait pris l’ambroisie de force.

18. Pendant ce combat, Garuḍa, le meilleur des êtres ailés, s’adressa à Indra

d’une voix douce, en éclatant de rire tandis qu’il était frappé par le foudre.

19. « Je rendrai hommage au sage avec l’os duquel a été fait le foudre[31],

et je rendrai hommage au foudre, ainsi qu’à toi, dieu au cent sacrifices.

20. Je laisse là une seule plume dont tu ne percevras pas la fin,

l’attaque de ton foudre ne me fait jamais de mal. »

21. Là toutes les créatures, étonnées, lui dirent alors :

« En considération de cette belle plume, qu’il soit appelé Suparṇa[32] »

22. Voyant aussi cette merveille le dieu aux mille yeux, le Destructeur de remparts,

pensa : « Cet oiseau est une grande créature » et il lui dit :

23. « Je veux connaître la force inégalable que tu possèdes au plus haut point

et je veux avec toi une amitié éternelle, ô le meilleur des oiseaux ! »

 

 

 

 

 

I, 30. Garuḍa pourrait soulever la terre entière avec la tige d’une seule plume. Indra lui offre son amitié en échange de la liqueur d’immortalité. Garuḍa refuse de la lui donner, mais il pourra la dérober là où il la laissera. Indra lui offre un vœu. Il choisit d’avoir les serpents pour nourriture. Il arrive auprès des serpents et leur annonce qu’il a apporté la liqueur. Il la dépose sur l’herbe. Les serpents libèrent Vinatā et vont faire leurs ablutions à la rivière. Indra reprend la liqueur. Les serpents en revenant ne la trouvent plus et lèchent l’herbe où elle était déposée. Voilà pourquoi leur langue est fourchue.  (= 22 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 30.

 

1. Garuḍa dit :

« Qu’il y ait pour moi une amitié avec toi, ô dieu, comme tu le désires, ô Destructeur de remparts,

mais sache que ma force est grande et ne peut pas même être endurée.

2. Les justes n’approuvent pas ce désir de louer avec excès sa propre force

et aussi de faire l’éloge de ses propres vertus, ô dieu aux cents sacrifices.

3. Mon ami (puisque j’ai fait de toi un « ami ») à ta demande je te parlerai :

en aucun cas il ne faut parler sans raison pour faire son propre éloge.

4. Cette large terre avec ses montagnes et leurs forêts, avec l’Océan et ses forêts,

y compris toi qui t’y appuies, Śakra,

5. ou encore les mondes amassés tous ensemble avec les animaux qui s’y accrochent,

je les porterais sans me fatiguer  avec le rachis d’une seule mes plumes : connais cette grande force qui est la mienne ! »

6. Le conteur dit :

« Après avoir entendu cette parole, le dieu qui porte le diadème, le meilleur parmi les glorieux,

le chef des dieux , le bienfaiteur de toutes les créatures, le Seigneur, ô Śaunaka, dit au héros :

7. « Accepte maintenant mon amitié éternelle et suprême.

Tu n’as que faire du soma : que le soma me soit confié,

car ceux à qui le Seigneur le donnerait nous opprimeraient. »

8. Garuḍa lui dit :

« C’est à avec quelque raison que j’ai emporté le soma.

Je ne donnerai le soma à personne d’autre pour qu’il s’en empare.

9. Mais là où moi-même je l’abandonnerais, ô dieu aux mille yeux,

tu pourrais alors vite le prendre et le dérober, ô souverain des trois mondes. »

10. Śakra lui dit :

« Je suis ravi de la parole que tu viens de dire, ô oiseau.

Reçois de moi la faveur que tu désires, ô le meilleur des oiseaux ! »

11. Le conteur dit :

« A ces mots il lui répondit ceci, se souvenant des fils de Kadrū[33]

et songeant aussi à la tricherie qu’ils avaient faite pour asservir sa mère :

12. « Je suis le maître de tout, mais je te ferai une requête.

Que les serpents à la grande force deviennent ma nourriture, ô Śakra ! »

13. Le Tueur de Dānavas lui dit « D’accord » et le suivit,

lui disant : « J’emporterai le soma quand tu l’auras déposé. »

14. Alors l’oiseau au beau plumage alla vite auprès de sa mère,

puis au comble de la joie il dit ceci à tous les serpents :

15. « Je mettrai de côté pour vous, sur ces touffes de pâturin, l’ambroisie que je vous ai apportée :

après avoir fait vos ablutions rituelles, mangez-la, ô serpents.

16. Et qu’à partir d’aujourd’hui ma mère ne soit plus esclave,

conformément à la parole que vous m’avez dite, Seigneurs, si je vous l’apportais. »

17. Alors les serpents allèrent faire leurs ablutions après lui avoir répondu « Qu’il en soit ainsi »,

et Śakra, après s’être saisi de l’ambroisie, retourna vers le troisième ciel.

18. Ensuite les serpents revinrent alors à cet endroit à la recherche du soma,

tout contents, après avoir fait leurs ablutions, murmuré leurs prières et accompli leurs rites.

19. Les serpents, voyant qu’il avait été volé et qu’à leur tour on leur avait fait illusion,

léchèrent alors, comme si c’était le soma, les touffes de pâturin.

20. Pour avoir fait cela, les langues des serpents sont depuis fourchues

et, ayant été en contact avec l’ambroisie, les tiges de pâturin sont purificatrices.

21. Alors l’oiseau au beau plumage, au comble de la joie, emporta sa mère dans la forêt ;

se nourrissant de serpents, honoré au plus haut point par les oiseaux, avec une gloire intacte, il était la joie de Vinatā.

22. Tout homme qui aurait entendu ce récit, ou l’aurait récité dans l’assemblée de l’élite des hommes deux-fois-nés,

irait assurément au troisième ciel en tant que bienheureux, pour avoir fait l’éloge du seigneur des oiseaux au grand cœur. »

 

 

 

 

 

I, 31. Les noms des serpents (= 18 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 31.

 

1. Śaunaka dit :

« Tu as dit, fils du conteur, la raison pour laquelle

les serpents furent maudits par leur mère, et Vinatā par son fils,

2. et le vœu offert par leur mari à Kadrū et Vinatā aussi ;

tu as dit aussi les noms des deux oiseaux nés de Vinatā.

3. Mais tu ne mentionnes pas les noms des serpents, ô fils du conteur :

nous désirons entendre leurs noms, en tout cas les principaux. »

4. Le conteur dit :

« Abondants sont les noms des serpents, ô ascète.

Je ne les mentionnerai pas tous, mais écoute les principaux.

5. Śeṣa naquit d’abord, Vāsuki juste après,

et Airāvata et Takṣaka, Karkoṭaka et Dhanaṃjaya,

6. et Kāliya et Maṇināga, et aussi le serpent Āpūraṇa,

et aussi les serpents Piñjaraka, Elāpatra et Vāmana,

7. de même que les deux serpents Nīla et Ānīla, ainsi que Kalmāṣa et Śabala,

et Āryaka et Ādika, et aussi le serpent Śalapotaka,

8. Sumanomukha, Dadhimukha ainsi que Vimalapiṇḍaka,

Āpta et Koṭanaka, et aussi Śaṅkha et Vālaśikha,

9. Niṣṭhyūnaka, Hemaguha, Nahuṣa, et Piṅgala,

Bāhyakarṇa, Hastipada, ainsi que Mudgarapiṇḍaka,

10. Kambala et Aśvatara aussi, de même que le serpent Kālīyaka,

Vṛtta et Saṃvartaka, et les deux serpents connus sous le nom de Padma,

11. et aussi le serpent Śaṅkhanaka, ainsi que l’inégalé Sphaṇḍaka,

et le grand serpent Kṣemaka, et aussi le serpent Piṇḍāraka,

12. Karavīra, Puṣpadaṃṣṭra, Eḷaka, Bilvapāṇḍuka,

Mūṣakāda, Śaṅkhaśirās, Pūrṇadaṃṣṭra, Haridraka,

13. Aparājita, et le serpent Jyotika ainsi que Śrīvaha,

Kauravya et Dhṛtarāṣṭra, Puṣkara ainsi que Śalyaka,

14. Virajas, Subāhu, et le vaillant Śālipiṇḍa,

Hastibhadra, Piṭharaka, Mukhara, Koṇavāsana,

15. Kuñjara, et aussi Kurara, ainsi que le serpent Prabhākara,

Kumuda et Kumudākṣa, Tittiri ainsi que Halika,

et les deux Karkara et Akarkara, Kuṇḍodara et Mahodara.

16. Voilà, j’ai mentionné les principaux serpents, ô le meilleur des deux-fois-nés ;

vu l’abondance des noms, les autres ne sont pas mentionnés.

17. Leur descendance et la suite de leur descendance

sont innombrables à mon avis, je ne les dis pas, ô le meilleur des deux-fois-nés.

18. En ce monde il y a une foule de milliers, de millions et de centaines de millions

de serpents, ils sont même impossibles à compter, ô ascète.

 

 

 

 

 

 

I, 32. A l’annonce de la malédiction de sa mère, le serpent Śeṣa se livre à une terrible ascèse. Il se plaint de ses frères. Brahmā lui accorde un vœu et il choisit d’être ferme dans le devoir, la renonciation et l’ascèse. Brahmā lui demande de porter la terre.  (= 25 ślokas)  

 

 

Livre I, chapitre 32.

 

1. Śaunaka dit :

« Les serpents, fils, naissent vigoureux, invincibles.

Et maintenant que leur malédiction est connue, qu’ont-ils donc fait ensuite ? »

2. Le conteur dit :

« Parmi ceux-ci, le bienheureux Śeṣa à la grande gloire, ayant quitté Kadrū,

se voua à une intense ascèse, se nourrissant de vent, ferme dans ses vœux.

3. Il atteignit le mont Gandhamādana et se plut dans l’ascèse à Badarī,

à Gokarṇa, dans la Forêt de Lotus, et sur les pentes de l'Himālaya.

4. Et dans chacun de ces lieux saints, bains sacrés et sanctuaires,

il se livrait à une dévotion absolue, concentré, toujours maître de ses sens.

5. L’Aïeul le vit se livrer à cette ascèse terrible,

avec la chair, la peau et les muscles complètement desséchés, portant le chignon et le vêtement d’écorce.

6. Tandis que, ferme dans ses vœux, il se livrait à l’ascèse, l’Aïeul lui dit :

« Que fais-tu là Śeṣa ? Fais donc le bonheur des créatures.

7. Car avec l’excès de ton ascèse tu tourmentes les créatures, ô irréprochable.

Dis-moi, Śeṣa, quel désir s’attarde dans ton cœur. »

8. Śeṣa lui dit :

« Mes propres frères sont tous faibles d’esprit.

Je ne supporte pas de vivre avec eux : que le Seigneur m’accorde cela.

9. Ils s’irritent perpétuellement les uns contre les autres comme des ennemis.

Aussi désormais je me voue à l’ascèse pour ne pas les voir.

10. Ils ne pardonnent toujours pas à Vinatā ni à son fils,

et l’incomparable fils de Vinatā est notre frère, ô Aïeul.

11. Et ils le haïssent violemment, et lui aussi, avec son immense force,

à cause du vœu que lui a offert son père, Kaśyapa au grand cœur.

12. Moi, en entreprenant, cette ascèse je me libèrerai de ce corps.

Que, dans la vie après la mort, je n’aie pas de contact avec eux de quelque façon ! »

13. Brahmā lui dit :

« Je connais, ô Śeṣa, le comportement de tous tes frères,

et aussi, à cause de la faute de leur mère, le grand danger que représentent tes frères.

14. Mais une parade y a été faite autrefois, ô serpent.

Ne te mets pas en peine pour tous tes frères.

15. Choisis un vœu auprès de moi, Śeṣa, que tu désires.

Je suis prêt à te donner ce vœu maintenant car je suis au plus haut point satisfait de toi.

16. Heureusement ton esprit est du côté du Dharma, ô le meilleur des serpents ;

qu’ainsi ton esprit soit toujours davantage établi dans le Dharma. »

17. Śeṣa lui dit :

« C’est le vœu même que je désire maintenant, ô Bisaïeul !

Que dans le Dharma mon esprit se réjouisse, dans la quiétude et l’ascèse, ô Seigneur ! »

18. Brahmā lui dit :

« Je suis content, Śeṣa, de cette maîtrise et de cette quiétude

Que cette parole s’accomplisse pour toi sur mon ordre au bénéfice des créatures.

19. Cette Terre couverte de montagnes et de forêts, avec son océan et avec ses mines et ses cités,

est vraiment instable : toi, Śeṣa, saisis-la comme il convient et tiens-toi immobile afin qu’elle soit stable. »

20. Śeṣa lui dit :

« Comme l’a dit le Dieu Dispensateur, Seigneur des créatures, Seigneur de la Terre, Seigneur des êtres, Seigneur du monde,

ainsi je soutiendrai la Terre pour qu’elle soit inébranlable : mets-la moi sur la tête, ô Seigneur des créatures. »

21. Brahmā lui dit :

« Va sous la Terre, ô le meilleur des serpents : spontanément celle-ci t’ouvrira un passage ;

car en soutenant pour moi cette Terre, tu me feras, Śeṣa, un grand plaisir. »

22. Le conteur dit :

« Une fois l’accord conclu, le Seigneur de l’Entre-Ciel-et-Terre , le plus âgé des aînés parmi les serpents, pénétra dans l’orifice et se tint là.

Il soutint cette Déesse Terre avec sa tête, embrassant de toutes parts la circonférence de l’Océan.

23. Brahmā dit :

« Śeṣa, tu es le meilleur des serpents, un dieu du Dharma : à toi tout seul tu supportes cette Terre,

en l’embrassant toute entière de tes anneaux sans fin, tout comme moi ou comme le Meurtrier de Bala.[34] »

24. Le conteur dit : 

« Ainsi le majestueux serpent Ananta habite sous la Terre,

portant à lui tout seul, tout-puissant, la Terre nourricière sur l’ordre de Brahmā.

25. Et le Bienheureux, le meilleur parmi les immortels, l’Aïeul,

offrit alors Suparṇa, le fils de Vinatā, comme compagnon à Ananta. »

 

 

 

 

I, 33. Les serpents, sous la direction de Vāsuki, tiennent conseil pour chercher à écarter la malédiction de leur mère. Ils imaginent toutes sortes d’expédients, allant jusqu’à l’assassinat de Janamejaya. Vāsuki n’est pas d’accord. (= 31 ślokas)   

 

Livre I, chapitre 33.

 

1. Le conteur dit :

« Après avoir entendu de la part de sa mère cette malédiction, le meilleur des serpents,

Vāsuki, réfléchit comment cette malédiction pourrait ne pas se réaliser.

2. Aussi il tint conseil auprès de ses frères tous ensemble,

Airāvata et les autres, qui ne songeaient qu’au Dharma.

3. Vāsuki dit :

« Comment cette malédiction a été lancée, cela vous le savez, vous êtes irréprochables.

Efforçons-nous de nous délivrer de cette malédiction en tenant conseil.

4. Pour toutes les malédictions on connaît un antidote,

mais on ne saurait connaître un moyen de se délivrer des malédictions d’une mère, ô serpents.

5. Ainsi c’est en présence d’un serment indestructible et incommensurable

que cette malédiction a été faite d’après ce que j’ai entendu, et un tremblement prend naissance dans mon cœur.

6. Vraisemblablement notre perte à tous a été prononcée,

car le dieu impérissable ne l’a pas empêchée de prononcer une malédiction.

7. C’est pourquoi nous délibérons ici sur la santé des serpents,

afin que vous fassiez tous en sorte de ne pas laisser passer cette occasion.

8. Peut-être qu’en réfléchissant nous verrons un moyen de nous libérer,

comme jadis les dieux quand le feu était perdu et caché au fond d’une caverne,

9. afin que n’existe pas ou même afin que succombe ce sacrifice

de Janamejaya qui causera la ruine des serpents. »

10. Le conteur dit :

« Après avoir dit « D’accord », tous les fils de Kadrū se rassemblèrent

et ils se mirent alors d’accord, étant habiles à réfléchir et délibérer.

11. Certains serpents dirent alors : « En devenant, nous, des taureaux parmi les deux-fois-nés,

nous demandons à Janamejaya que le sacrifice n’ait pas lieu. »

12. Mais d’autres serpents qui se croyaient savants dirent alors :

« Nous serons tous ses conseillers très estimés.

13. Celui-ci nous demandera notre avis dans toutes les affaires :

alors nous expliquerons notre pensée afin que l’on se détourne de ce sacrifice. »

14. Ce roi, très  intelligent, sachant que nous sommes très estimés,

nous interrogera de toute évidence pour le sacrifice, et nous nous dirons « Non »,

15. en montrant que dans l’au-delà et ici-bas il y a beaucoup de maux épouvantables,

avec leurs causes et leurs raisons, afin que ce sacrifice n’ait pas lieu.

16. Ou bien s’il y a un maître dans ce sacrifice,

connaisseur des règles du sacrifice des serpents et se réjouissant du bien des affaires royales,

17. celui-là un serpent le fera retourner aux dix éléments en le faisant mourir.

Une fois ce sacrificateur tué, le sacrifice n’aura pas lieu.

18. Et les autres connaisseurs du sacrifice de serpents qui y officieront,

tous ceux-là nous les mordrons : ce sera parfait. »

19. D’autres serpents au cœur loyal prirent part à la délibération :

« C’est de votre part une folie : le meurtre d’un brahmane n’est pas beau.

20. Dans un désastre la suprême paix du cœur est parfaitement enraciné dans le Dharma ;

assurément celui qui est complètement dépourvu de Dharma détruirait le monde entier. »

21. Et d’autres serpents dirent : « Le feu allumé

nous l’arroserons de pluies, après nous être transformés en nuages de pluie pleins d’éclairs. »

22. « En y allant de nuit, dirent d’autres excellents serpents,

qu’ils volent vite la cuiller et le pot des négligents : cela fera obstacle.

23. Ou que dans ce sacrifice les serpents par centaines, par centaines de milliers

mordent tous les gens : cela fera peur.

24. Ou encore que les serpents souillent la nourriture préparée

avec leur urine et leurs déjections qui gâteront toute la nourriture. »

25. Mais d’autres dirent alors ; « Devenons-en les prêtres :

nous ferons obstacle au sacrifice ‘’Qu’on nous donne notre honoraire ! ’’ ;

celui-ci viendra se soumettre à nous, et il sera fait comme nous le désirons. »

26. Mais d’autres dirent alors : « Quand le roi jouera avec l’eau,

nous l’amenons dans sa maison et l’enchaînons : ainsi ce sacrifice n’aurait pas lieu. »

27. Mais d’autres serpents aux actions très vertueuses dirent alors :

« Mordons-le : on pourrait le saisir, et ainsi ce sera réglé.

La racine de nos malheurs sera tranchée par sa mort.

28. C’est là la décision finale, acceptée par tous,

et selon ce que tu en penses, ô roi, que cela soit fixé rapidement. »

29. A ces mots ils tournèrent les yeux vers Vāsuki le seigneur des serpents,

puis Vāsuki, après avoir réfléchi, dit aux serpents :

30. « Votre décision finale n’est pas pensée en vue de l’action, ô serpents ;

la décision de tous les serpents ne me plait pas.

31. Que faudra-t-il décider maintenant qui soit satisfaisant pour vous, seigneurs ?

De ce fait je suis extrêmement tourmenté, la vertu et le vice me concernent tous deux »

 

 

 

 

 

I, 34. Elāpatra rapporte qu’il a entendu Brahmā annoncer la venue d’Āstika qui sauverait les meilleurs des serpents. Vāsuki doit donner sa sœur Jaratkāru à l’ascète Jaratkāru. Là est leur salut.  (= 18 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 34.

 

1. Le conteur dit :

« Après avoir écouté les paroles de tous ceux-ci « Faisons ceci » « Faisons cela »,

et après avoir écouté les mots de Vāsuki, Elāpatra dit ceci :

2. « Ce sacrifice est inévitable, de même qu’un roi tel que

Janamejaya, descendant de Pāṇḍu, vu que pour nous il est un grand effroi.

3. L’homme qui, ici-bas, serait atteint par la fatalité, ô roi,

dépend ainsi de la fatalité, il n’y a pas d’autre issue.

4. Cette fatalité qui est la nôtre est effrayante, ô excellents serpents :

nous dépendons donc en ce cas de la fatalité, alors écoutez ma parole.

5. Moi, quand la malédiction a été lancée, j’ai alors entendu la parole

(par peur je suis monté dans le giron de ma mère, ô excellents serpents),

6. (la parole) des dieux « Les meilleurs des serpents sont virulents, virulents ! », ô Seigneur,

tandis qu’ils se rapprochaient de l’Aïeul, opprimés par le malheur, ô Majesté. »

7. Les dieux dirent :

« Quelle femme saisirait donc ses fils chéris et les maudirait ainsi, ô Aïeul,

à part la virulente Kadrū, dieu des dieux, et en ta présence ?

8. Et tu as lui aussi dit ce mot « D’accord », ô Aïeul :

nous voulons comprendre la raison pour laquelle elle n’a pas été empêchée.

9. Brahmā dit :

« Nombreux sont les serpents, ils sont virulents, d’une puissance effroyable, gorgés de venin ;

je désirais le bien des créatures, alors je ne m’y suis pas opposé.

10. Ceux qui mordent continuellement, et qui sont vils, malfaisants, pleins de venin,

ce sera leur perte, mais pas ceux qui respectent le Dharma.

11. Le moyen par lequel ces serpents seront délivrés de ce grand effroi

quand ce moment-là sera venu, écoutez-le.

12. Dans la famille de Yāyāvara naîtra un grand sage érudit,

nommé Jaratkāru, plein d’éclat et maître de ses sens.

13. De ce Jaratkāru naîtra un fils, grand ascète,

du nom d’Āstika : il empêchera alors ce sacrifice.

Ainsi seront délivrés les serpents qui seront vertueux. »

14. Les dieux dirent : 

« Cet excellent anachorète, le divin Jaratkāru, ce grand ascète

vaillant, avec quelle fille engendrera-t-il un fils au grand cœur ? »

15. Brahmā dit :

« Avec une fille homonyme dont il sera l’homonyme, ce meilleur des deux-fois-nés

engendrera, étant vaillant, un enfant vaillant, ô dieux. »

16. Elāpatra dit :

« ‘’Qu’il en soit ainsi’’, dirent alors les dieux à l’Aïeul,

et après avoir ainsi parlé les dieux s’en allèrent de même que le divin Aïeul.

17. Ainsi, Vāsuki, je vois là ta sœur,

nommée Jaratkāru : donne-la lui

18. en guise d’aumône quand il la réclamera, pour apaiser l’effroi des serpents,

à ce sage vertueux : c’est là la délivrance dont j’ai entendu parler. »

 

 

 

 

 

I, 35. Vāsuki participe au barattage de l’océan. Brahmā, pour le récompenser, lui confirme la venue d’Āstika. Qu’il donne sa sœur Jaratkāru à l’ascète Jaratkāru.  (= 13 ślokas)  

 

Livre I, chapitre 35.

 

1. Le conteur dit :

« Après avoir entendu les paroles d’Elāpatra, ô le meilleur des deux-fois-nés, les serpents

se réjouirent tous et lui rendirent hommage : « C’est très bien ! ».

2. A partir de ce moment-là Vāsuki protégea la jeune fille,

Jaratkāru, sa sœur, et il en retira une joie extrême.

3. Ensuite peu de temps passa ainsi,

et tous les dieux et les Asuras barattèrent la demeure de Varuṇa.

4. Alors le serpent Vāsuki, le meilleur parmi les puissants, servit de corde de baratte,

et après avoir ainsi accompli cette tâche, ils s’approchèrent de l’Aïeul

5. en compagnie du divin Vāsuki et ils dirent ensuite à l’Aïeul :

« Bienheureux, Vāsuki est effrayé par la malédiction, il est extrêmement tourmenté.

6. Daigne lui arracher cette écharde mentale,

née de la malédiction de sa mère, ô dieu : il désire le bien de ses parents.

7. Ce roi des serpents a toujours été bienveillant pour nous et favorable.

Fais-lui cette grâce, ô Seigneur des dieux, apaise la fièvre de son esprit. »

8. Brahmā dit :

« C’est par moi-même, ô Immortels, par mon esprit, qu’a été produite cette parole

qui lui a été dite jadis par le serpent Elāpatra.

9. Que ce seigneur des serpents accomplisse ainsi cette parole le moment venu :

ceux qui sont mauvais disparaîtront, mais pas ceux qui sont vertueux.

10. Ce Jaratkāru est né, un deux-fois-né qui se plait à une terrible ascèse :

qu’il lui offre sa sœur Jaratkāru quand ce sera le moment.

11. Assurément, la parole qui a été dite alors par le serpent Elāpatra

est dans l’intérêt des serpents, ô dieux : il en sera ainsi et pas autrement. »

12. Le conteur dit :

« Le seigneur des serpents, après avoir ainsi entendu cette parole de l’Aïeul,

disposa de nombreux serpents tout entiers occupés de Jaratkāru :

13. « Quand le seigneur Jaratkāru désirera choisir une femme,

venez vite, il faut me le dire : ce sera pour nous le bonheur. »

 

 

 

 

 

I, 36. Parikṣit, roi des Kaurava, blesse une gazelle à la chasse et en perd la trace. En la cherchant, il rencontre dans la forêt un ermite et lui demande s’il a vu la gazelle. Mais l’ermite a fait vœu de silence et ne répond rien. Furieux, Parikṣit lui pose sur l’épaule un serpent mort. Śriṅgin, le fils de l’ermite, est moqué par un camarade, Kriśa : “Ton père porte un cadavre sur l’épaule”.  

 

Livre I, chapitre 36.

 

1. Śaunaka dit :

« Ce Jaratkāru dont tu as parlé, ô fils du conteur,

je désire entendre ceci à propos de ce sage au grand cœur :

2. pour quelle raison ce nom de Jaratkāru est-il devenu célèbre sur la Terre ?

Daigne me dire exactement l’étymologie de Jaratkāru. »

3. Le conteur dit :

« Jara on dit que c’est la destruction, la dureté est appelée kāru ;

son corps était dureté, ce sage petit à petit le

4. détruisait par une sévère ascèse, disait-on : c’est pourquoi il est appelé

Jaratkāru, ô brahmane, et de même la sœur de Vāsuki. »

5. A ces mots Śaunaka au cœur loyal éclata alors de rire,

il salua Ugraśravasa: “Ça me convient” dit-il »

6. Le conteur dit :

« Alors pendant longtemps cet anachorète très attaché à ses vœux,

ce sage, prit plaisir à l’ascèse et ne désira pas une épouse.

7. Retenant sa semence, il s’adonnait à l’ascèse, se récitant les textes sacrés, sans crainte ni fatigue, vertueux,

au grand cœur, il parcourait toute la Terre, et même en rêve il ne désirait pas une femme.

8. Puis quand une autre période de temps eut été achevée,

Pārikṣit, un roi très célèbre, perpétua la lignée de Kuru.

9. Comme le puissant Pāṇḍu, il était le meilleur archer de la Terre,

et il était chasseur comme jadis son arrière-grand-père.

10. Ce roi de la Terre allait perçant de ses flèches antilopes, sangliers, hyènes,

buffles aussi, et d’autres animaux de toutes sortes.

11. Celui-ci un jour perça une gazelle d’une flèche tordue par un nœud

et emportant son arc dans son dos, il courut dans la forêt épaisse,

12. comme le bienheureux Rudra, après avoir percé de sa flèche une gazelle de sacrifice dans le ciel,

la poursuivait, l’arc à la main, la recherchant çà et là.

13. Mais la gazelle, percée par cette flèche, n’était pas partie vivante dans la forêt ;

sous sa forme antérieure elle était sans doute allée au ciel

parce que, frappée par le roi Pārikṣit, la gazelle avait disparu.

14. Et emporté au loin par cette gazelle, ce maître de la Terre,

exténué, tourmenté par la soif, rencontra un anachorète dans la forêt,

15. assis dans des pâturages de vaches, et, comme elle coulait de la bouche des veaux,

il profitait de l’écume qui débordait et buvait le lait.

16. Courant en hâte vers ce sage très attaché à ses vœux, le roi

interrogea l’anachorète en brandissant son arc, affamé et épuisé :

17. « Holà brahmane, je suis le roi Pārikṣit, fils d’Abhimanyu.

Une gazelle que j’avais touchée d’une flèche a disparu : est-ce que tu l’as vue ? »

18. L’anachorète ne lui répondit rien, s’en tenant à son vœu de silence.

En colère, le roi suspendit autour de ses épaules un serpent mort

19. en le disposant avec l’extrémité de son arc, et il le regarda ;

mais il ne lui dit rien ou d’agréable ni de désagréable.

20. Le roi laissa tomber sa colère et eut peur de ce qui se passait là.

Après un regard, il retourna à la ville, mais le sage lui resta dans cet état.

21. Il avait un jeune fils, fougueux et violent, un grand ascète

du nom de Śṛṅgī, très colérique, difficile à calmer, très attaché à ses vœux.

22. Le dieu suprême, le seigneur qui se réjouit du bien de toutes les créatures,

Brahmā, il l’adorait humblement à chaque occasion ;

et quand Brahmā lui avait donné congé, il rentrait à la maison.

23. Un ami plaisantin, apparemment en se moquant, lui dit alors,

bien que le fils du sage fût extrêmement irritable, irascible et comme plein de venin

(il faisait cela pour plaisanter, c’était le fils d’un sage, Kṛśa, ô le meilleur des deux-fois-nés) :

24. « Tu es brillant et tu es aussi endurant à l’ascèse, et ton père

porte un cadavre sur son épaule : ne sois pas orgueilleux, ô Śṛṅgī.

25. Ne dis absolument aucune parole quand parlent des fils d’ascètes

tels que nous, accomplis, érudits, endurants à l’ascèse.

26. Où sera ton orgueil d’être un homme, où seront les paroles que tu tiens

nées de l’orgueil, quand tu auras vu ton père porter ainsi un cadavre ? »

 

 

 

 

 

I, 37. Kriśa raconte à Śriṅgin ce qu’a fait Parikṣit. Śriṅgin maudit Parikṣit : il sera tué dans une semaine par Takṣaka. Śriṅgin rapporte à son père la malédiction qu’il a prononcée. Son père ne l’approuve pas : Parikṣit est un bon roi.  

 

Livre I, chapitre 37.

 

1. Le conteur dit :

« A ces mots, le brillant Śṛṅgī, plein de fureur

d’apprendre que son maître portait un cadavre, bouillit de colère.

2. Regardant Kṛśa, il prononça une parole aimable

et lui demanda : « Comment se fait-il que mon papa maintenant soit un porteur de cadavre ? »

3. Kṛśa lui dit :

« Le roi Pārikṣit qui poursuivait une gazelle, mon ami,

a maintenant accroché un serpent mort à l’épaule de ton père. »

4. Śṛṅgī lui dit:

« Qu’a fait mon père de désagréable à ce roi mauvais ?

Toi Kṛśa, dis-le moi exactement ; considère la force de mon ascèse ! »

5. Kṛśa lui dit :

« Ce roi parti à la chasse est Pārikṣit, fils d’Abhimanyu.

Il poursuivait tout seul une gazelle qu’il avait percée d’une flèche empennée.

6. Et le roi ne vit pas la gazelle en parcourant cette grande forêt ;

il vit ainsi ton père et il l’interrogea, sans qu’il lui réponde.

7. Il se tenait immobile comme un tronc d’arbre ; l’autre, accablé par la faim, la soif et l’épuisement,

interrogeait ton père encore et encore sur la gazelle qu’il avait perdue.

8. Et comme lui, voué par vœu au silence, ne lui répondait pas du tout,

le roi avec l’extrémité de son arc lui attacha un serpent sur les épaules.

9. Cet excellent père qu’est le tien, fidèle à ses vœux, Śṛṅgī, est assis exactement ainsi,

et ce prince est retourné à sa ville, qui tire son nom des serpents. »

10. Le conteur dit :

« Après avoir entendu cela, le fils du sage se dressa comme s’il soutenait le ciel,

les yeux tout rouges de colère, comme s’il s’enflammait sous l’effet de la fureur.

11. Plein de colère, il maudit alors le prince,

touchant l’eau avec éclat, ayant agi avec la force d’un torrent furieux.

12. Śṛṅgī dit: 

« Celui qui sur mon père, vieux et souffrant comme il est,

a répandu sur les épaules un serpent mort, ce scélérat qui est roi,

13. ce méchant, au comble de la colère, Takṣaka le meilleur des serpents,

aux crochets vénimeux, à la cuisante impétuosité, excité par la force de ma parole,

14. le mènera dans sept nuits dans la demeure de Yama,

ce mépriseur de deux-fois-nés, le déshonneur des Kuru.

15. Le conteur dit :

« Après avoir maudit le prince en ces termes, dans sa colère, Śṛṅgī alla voir son père

assis dans son pâturage et portant un cadavre de serpent.

16. Śṛṅgī, en voyant son père avec sur l’épaule

un cadavre de serpent, fut encore plus en colère.

17. Et sa souffrance lui fit verser des larmes, et il dit ceci à son père :

« Quand j’ai entendu parler de l’outrage qui t’a été fait, père, par ce scélérat,

18. le roi Pārikṣit, dans ma colère j’ai maudit ce prince,

comme le mérite ce déshonneur de la famille de Kuru, une redoutable malédiction.

19. Au septième jour, ce misérable, Takṣaka le meilleur des serpents

le mènera dans la très épouvantable demeure de Vaivasvata. »

20. Le père, ô brahmane, parla ainsi à son fils en colère :

« Ce que tu as fait là ne me plait pas, mon fils, ce n’est pas là le devoir des ascètes.

21. Nous habitons dans le domaine de ce souverain :

en bonne règle nous sommes protégés par lui, je n’approuve pas qu’on lui fasse du mal.

22. De toute manière à qui agit en roi, toujours des gens tels que nous

doivent pardonner, mon fils, car le Dharma blessé blesse, il n’y a pas de doute.

23. Si le roi ne nous protégeait pas, ce serait pour nous une oppression extrême,

nous ne pourrions pas pratiquer le Dharma, mon fils, selon notre plaisir.

24. Nous, en étant protégés, mon garçon, par des rois qui ont vu les préceptes,

nous pratiquons intensément le Dharma, et ils en ont leur part conformément au Dharma.

25. Pārikṣit en particulier, comme son arrière-grand-père,

nous protège, tout comme les sujets doivent être protégés par leur roi.

26. Là, aujourd’hui, cet ascète, affamé et épuisé,

a fait cela en ignorant ce vœu, sans aucun doute.

27. Ainsi tu as commis ce forfait par sottise, en te précipitant :

le roi de toute manière ne mérite pas notre malédiction, mon fils. »

 

 

 

 

 

I, 38. Mais ce qui est dit est dit ! Śriṅgin ne peut retirer sa malédiction. Son père l’envoie dans la forêt réfléchir aux conséquences de la colère, et fait prévenir Parikṣit par son disciple Gauramukha de la malédiction prononcée. Parikṣit se reprend et assure sa défense. Kaśyapa, au courant de la malédiction, se met en route pour guérir le roi quand il le faudra. Takṣaka le voit et lui demande ce qu’il va faire. Il lui annonce qu’il mordra le roi aujourd’hui même. Kaśyapa répond qu’il a le pouvoir de guérir.  

 

Livre I, chapitre 38.

 

1. Śṛṅgī dit:

« Que ce soit un acte irréfléchi, père, ou que j’aie commis un forfait,

ou que cela te soit agréable ou désagréable, ma parole n’a pas été dite en vain.

2. Et il n’en sera pas autrement, père, je te le dis :

je ne parle pas en vain pour des choses sans importance, à plus forte raison quand je maudis. »

3. Śamīka lui dit :

« Je connais ta terrible puissance, mon fils, de même que ta véracité.

Tu n’as pas dit de mensonge auparavant, et cette parole ne sera pas stérile.

4. Mais un père doit toujours parler à son fils, même adulte,

afin qu’il soit plein de qualités et qu’il obtienne un grand renom,

5. d’autant que le jeune garçon que tu es est dévoué à l’ascèse, seigneur,

et que la colère s’accroît énormément chez les puissants au grand cœur.

6. Moi je vois ce que je dois te dire, ô le meilleur de ceux qui connaissent le Dharma,

considérant le fait que tu es mon fils, et aussi ta jeunesse et ton impétuosité.

7. Et toi, apaise-toi et va chercher des fruits des bois,

va et abandonne cette colère, et ainsi tu n’enfreindras pas le Dharma.

8. Car la colère détruit le Dharma péniblement amassé par les ascètes ;

alors ceux qui sont privés du Dharma ne reconnaissent plus la voie qu’ils ont choisie.

9. La quiétude crée la perfection des ascètes qui connaissent l’indulgence,

ce monde appartient aux indulgents et aux indulgents appartient aussi l’au-delà.

10. C’est pourquoi puisses-tu vivre toujours en pratiquant l’indulgence, en dominant tes sens ;

par l’indulgence tu obtiendras les mondes de Brahmā immédiatement.

11. Et recourant à ma quiétude,  ce qu’il est possible de faire maintenant,

je le ferai maintenant, mon fils : j’écrirai au prince.

12. « Tu as été maudit par mon fils dont la réflexion est immature à cause de sa jeunesse :

ayant vu l’outrage que tu m’as fait, ô roi, il ne l’a pas supporté. »

13. Le conteur dit :

« Ainsi ce grand ascète vertueux, pris de compassion,

commanda à son disciple d’aller auprès du prince Pārikṣit,

14. lui indiquant comment l’interroger convenablement et comment lui demander de ses nouvelles ;

ce disciple, du nom de Gauramukha, était vertueux et dévoué.

15. Celui-ci alla donc en hâte chez le roi, l’accrue des Kuru,

il entra dans le palais du roi, après avoir été annoncé par les huissiers.

16. Et le deux-fois-né Gauramukha fut alors reçu avec honneur par le roi ;

après s’être reposé, il dit au roi sans en rien omettre toute

l’épouvantable parole de Śamīka, telle qu’elle lui avait été dite, en présence de ses conseillers.

17. « Dans ton domaine, ô roi des rois, se trouve un certain Śamīka,

un sage au cœur tout à fait loyal, maître de ses passions, serein, un grand ascète.

18. Et, ô tigre parmi les hommes, tu as suspendu un serpent privé de vie

avec l’extrémité de ton arc sur ses épaules, ô le meilleur des Bhārata ;

il t’a pardonné cette action, son fils n’a pas pardonné.

19. Tu as maintenant été maudit par lui, ô roi des rois, à l’insu de son père :

« Takṣaka, dans une semaine, sera ta mort.

20. Assure donc ta protection » disait-il alors encore et encore,

et personne d’autre ne peut modifier cela.

21. Il ne peut pas du tout réprimer son fils plein de colère.

Il m’a donc envoyé à toi, ô roi, car il désirait ton bien. »

22. Après avoir entendu cette parole terrible, le roi, fils de Kuru,

se tourmenta d’avoir fait ce mal, lui un roi, à un grand ascète.

24. et considérant combien l’âme de Śamīka était pleine de compassion,

il se tourmentait encore davantage d’avoir commis cette faute envers l’anachorète.

25. Le roi se repentait moins d’avoir ainsi appris sa mort,

étant semblable aux immortels, qu’il ne s’affligeait d’avoir fait ici-bas cette action.

26. Ensuite le roi renvoya alors Gauramukha :

« Que le bienheureux m’accorde encore ainsi sa faveur ! »

27. Puis, dès que Gauramukha fut reparti, le roi

tint conseil avec ses conseillers, l’esprit bouleversé.

28. Et, s’étant déterminé ainsi avec l’ensemble de ses conseillers, connaissant la nature des incantations,

il fit construire un palais sur un seul pilier, bien gardé.

29. Et il y installa une garde, des médecins, et des plantes médicinales,

et il plaça de tous côtés des brahmanes experts en incantations.

30. Se tenant là, il accomplissait ainsi toutes les affaires royales

en compagnie de ses conseillers, connaissant le Dharma, bien défendu de toutes parts.

31. Puis, quand le septième jour fut venu, ô le meilleur des deux-fois-nés,

le savant Kāśyapa se présenta pour soigner le roi.

32. Car il avait appris ceci : ce jour-là le meilleur des rois

serait conduit dans la maison de Yama par Takṣaka, le premier parmi les serpents.

33. « Quand il aura été mordu par le seigneur des serpents, je le rendrai exempt de fièvre ;

ce sera là pour moi un profit et un devoir » se disait-il.

34. Takṣaka, le seigneur des serpents, voyant Kāśyapa en chemin,

marchant concentré sur cette pensée, se transforma en un deux-fois-né très vieux.

35. Le seigneur des serpents dit à Kāśyapa, ce taureau parmi les anachorètes :

« Où cours-tu, seigneur, et pour quelle affaire ? »

36. Kāśyapa lui dit :

« Le prince issu de la lignée de Kuru, Pārikṣit, dompteur de ses ennemis,

Takṣaka, le premier parmi les serpents va le consumer aujourd’hui de sa flamme.

37. Quand il aura été mordu par le seigneur des serpents à l’éclat semblable à celui du feu,

ce roi à l’énergie sans limite, origine des Pāṇḍava,

j’irai aussitôt en hâte, mon cher, le rendre exempt de fièvre. »

38. Takṣaka lui dit :

« Je suis Takṣaka, ô brahmane, je mordrai ce souverain.

Rebrousse chemin : tu n’es pas capable de le guérir si je le mords. »

39. Kāśyapa lui dit :

« Moi, ô serpent, j’enlèverai sa fièvre à ce roi, quand tu l’auras mordu.

Voilà : ma sagesse s’appuie sur la puissance de ma science. »

                       

 

 

 

I, 39. Takṣaka le met au défi. Il mord un arbre qui est réduit en cendres par son venin. Kaśyapa le fait revivre. Takṣaka soudoie alors Kaśyapa qui se laisse acheter et fait demi-tour. Takṣaka, apprenant que le roi est bien défendu, fait appel à la magie. Il fait offrir au roi, par des serpents déguisés en ermites, des fruits, des feuilles et de l’eau. Parikṣit accepte ces offrandes, mais dans le fruit qu’il mange, se trouve un petit ver rouge aux yeux noirs. C’est Takṣaka, qui enserre le roi dans ses anneaux.  

 

Livre I, chapitre 39.

 

1. Takṣaka lui dit :

« Puisque tu es capable ici de guérir quoi que ce soit qui ait été mordu par moi,

rends donc la vie à cet arbre mordu par moi, ô Kāśyapa.

2. La puissance supérieure de tes incantations, montre-la, vas-y !

Je vais mordre ce banian sous tes yeux, ô le meilleur des deux-fois-nés. »

3. Kāśyapa lui dit :

« Seigneur des serpents, toi, mords l’arbre que tu désires :

moi, une fois que tu l’auras mordu, je le ferai vivre, ô serpent. »

4. Le conteur dit : 

« Quand Kāśyapa au grand cœur lui eut ainsi parlé, le seigneur des serpents,

le meilleur des serpents alla vers un arbre, un banian, et le mordit.

5. Une fois mordu par celui-ci, l’arbre tout aussitôt, ô resplendissant,

touché par le venin des crochets venimeux, s’enflamma entièrement.

6. Après avoir brûlé cet arbre, le serpent dit à nouveau à Kāśyapa :

« Vas-y, ô le meilleur des deux-fois-nés, fais vivre ce maître de la forêt ! »

7. Alors, l’arbre réduit en cendres par l’éclat du seigneur des serpents,

Kāśyapa en rassembla toute la cendre, et il dit cette parole :

8. « La puissance de ma science, ô seigneur des serpents, contemple-la dans ce maître de la forêt :

je le fais revivre sous tes yeux, ô serpent. »

9. Alors le bienheureux, le sage Kāśyapa, le meilleur des deux-fois-nés,

fit revivre par sa science l’arbre réduit en un tas de cendres.

10. Il en fit alors une jeune pousse muni de deux feuilles,

puis un arbre feuillu, avec de nouvelles branches aussi.

11. En voyant l’arbre qui avait été rendu à la vie par Kāśyapa au grand cœur,

Takṣaka lui dit : « Brahmane, c’est là de ta part une grande merveille,

12. ô seigneur des brahmanes, si tu détruis mon venin ou celui de ceux de mes semblables.

Quel profit recherches-tu en allant là-bas, ô ascète ?

13. Les fruits que tu désires ainsi obtenir de ce prince éminent,

moi je te les offrirai, même s’ils sont difficiles à trouver.

14. Le roi est soumis à la malédiction d’un brahmane et sa vigueur est diminuée :

malgré les efforts de ton esprit, ô brahmane, ta science serait mise en doute.

15. Par conséquent ta gloire, célèbre dans les trois mondes, serait consumée

comme un soleil radieux qui, privé de ses rayons, dès lors disparaîtrait. »

16. Kāśyapa lui dit :

« Je vais là-bas pour m’enrichir : si tu veux bien me donner des richesses, ô serpent,

je m’en retournerai alors chez moi, ô le meilleur des serpents. »

17. Takṣaka lui dit :

« Autant de richesses tu désireras avoir du roi, autant et davantage

je t’en donnerai moi aujourd’hui : rentre chez toi, ô le meilleur des deux-fois-nés. »

18. Le conteur dit :

« En entendant la voix de Takṣaka, le meilleur des deux-fois-nés,

l’illustrissime, l’intelligent Kāśyapa songea au roi.

19. Ayant une connaissance surnaturelle, le puissant Kāśyapa savait alors que ce roi

descendant de Pāṇḍu avait une vie diminuée et il rebroussa chemin.

Et le meilleur des anachorètes reçut de Takṣaka autant d’argent qu’il désirait.

20. Quand, après cet accord, Kāśyapa au grand cœur s’en fut retourné,

Takṣaka alla vite à la ville de Nāgasāhvaya.

21. En chemin Takṣaka entendit que le roi

était soigneusement protégé par des incantations de guérison propres à détruire le venin.

22. Il pensa alors : « Par la pratique de la magie ce roi

sera trompé par moi : quel moyen y aurait-il ? »

23. Alors, déguisés en ascètes, le serpent Takṣaka envoya des serpents

porteurs de fruits, de feuilles et d’eau auprès du roi.

24. Takṣaka dit :

« Allez, vous, calmement auprès du roi pour un rite

afin de donner au roi des fruits, des feuilles et de l’eau, s’il vous plait. »

25. Le conteur dit :

« Les serpents firent ainsi ce que leur avait expliqué Takṣaka,

ils amenèrent ainsi au roi des touffes de pâturin, de l’eau et des fruits.

26. Et ce vaillant roi des rois accepta tout cela,

et quand ils eurent achevé leurs rites, « Partez » leur dit-il.

27. Après le départ des serpents déguisés en ascètes,

le roi dit à ses conseillers ainsi qu’à ses amis :

28. « Que vos Seigneuries mangent ensemble ces doux

fruits apportés par les ascètes en ma compagnie. »

29. Alors le roi, avec ses compagnons, souhaita prendre les fruits ;

dans le fruit qu’avait pris le roi il y avait un ver tout petit,

minuscule, les yeux noirs, de couleur grenat, ô Śaunaka.

30. Le saisissant ce roi excellent dit ceci à ses compagnons :

« Savitā [35] va se coucher, je n’ai plus de crainte maintenant du poison.

31. Que l’anachorète soit véridique, que ce vermisseau me morde :

s’il s’appelle Takṣaka, [le mensonge] serait ainsi évité. »

32. Pressés par le temps, les ministres l’imitèrent ;

à ces mots, le roi des rois plaça sur son cou

le vermisseau et éclata d’un rire bref ; il était destiné à mourir, privé de raison.

33. Et il riait encore quand il fut enserré par les anneaux du serpent Takṣaka :

il était sorti du fruit qui avait été donné au roi.

 

 

 

 

 

I, 40. Les ministres s’enfuient, le palais s’effondre. Janamejaya, le fils de Parikṣit est fait roi et on lui trouve une épouse.  

 

Livre I, chapitre 40.

 

1. Le conteur dit :

« Quand les ministres le virent ainsi, enserré par les anneaux,

tous, le visage blême, se lamentèrent, extrêmement abattus.

2. Et quand donc ils entendirent ses cris, les ministres s’enfuirent,

et ils virent aussi le serpent prodigieux qui partait dans l’azur,

3. comme faisant dans le ciel une raie ayant l’éclat du lotus,

Takṣaka le meilleur des serpents ; ils étaient complètement accablés de chagrin.

4. Et alors, le palais fut enveloppé de feu, incendié par le venin du serpent ;

dans leur effroi ils l’abandonnèrent, ils partirent en tous sens ; et il s’écroula comme frappé par la foudre.

5. Puis quand le roi eut été tué par la flamme de Takṣaka, tous les rites pour l’autre monde furent alors accomplis

par le chapelain du roi, un deux-fois-né vertueux, de même aussi que par les ministres du roi.

6. Ils firent roi son fils, un jeune garçon, après que tous les citoyens en foule se furent réunis,

un roi que la foule appelaient destructeur d’ennemis, héros des Kuru, Janamejaya.

7. Encore enfant, il avait des pensées nobles et fut un roi excellent ; en compagnie de ses conseillers et de ses chapelains

l’aîné des taureaux des Kuru gouverna son royaume, tout comme son héroïque bisaïeul.

8. Alors les ministres de ce souverain considérèrent ce roi qui consume ses ennemis,

ils allèrent trouver Suvarṇavarmāṇa, roi de Kāśi, et ils lui demandèrent en mariage Vapuṣṭamā.

9. Alors le roi, après l’avoir examiné, accorda Vapuṣṭamā au héros des Kuru conformément au Dharma,

et après l’avoir obtenue, il fut plein de joie, et il ne pensa à aucune autre femme.

10. Ce roi vaillant passait son temps au milieu des étangs en fleurs et des forêts, l’esprit apaisé,

ce prince excellent passait son temps tout comme jadis Purūravas, une fois qu’il eut obtenu Urvaśī.

11. De même Vapuṣṭamā, ayant donc obtenu un excellent mari, un roi respecté,

charmante le charmait dans l’amour, aux temps du déduit, car elle était la plus belle du gynécée.

 

 

 

 

 

I, 41. Ugraśravas développe l’Histoire de Jaratkāru (cf. I,13). Cet ascète trouve ses ancêtres, les Yâyâvara suspendus la tête en bas au dessus d’un abîme, accrochés à une touffe d’herbe dont un rat ronge la racine. C’est l’extinction de leur descendance qui les a mis dans cette situation. Ils ont un seul descendant, Jaratkāru, qui a fait vœu de célibat. La touffe d’herbe, c’est le tronc de leur famille, les racines, leur descendance, dévorée par le temps, le rat, le temps tout-puissant. Ils vont choir dans l’enfer, à cause de Jaratkāru.  

 

Livre I, chapitre 41.

 

1. Le conteur dit : 

« Or, en ce temps-là Jaratkāru, le grand ascète,

l’anachorète, parcourait la terre entière, logeant le soir où il se trouvait.

2. Cet ascète éclatant se livrait à des observances religieuses inaccessibles aux âmes immatures,

il allait errant, prenant des bains dans de saints lieux d’ablution.

3. Se nourrissant de vent, s’abstenant de nourriture, l’anachorète de jour en jour se desséchait ;

il vit ses ancêtres suspendus au-dessus d’un trou, la tête en bas,

4. attachés à une touffe de vétiver dont il ne restait plus qu’un fil,

et ce fil était peu à peu rongé par un rat qui était près de là, dans un terrier.

5. Manquant de nourriture, émaciés, misérables, tourmentés dans leur trou, ils demandaient assistance ;

il s’approcha de ces misérables avec son aspect misérable et s’adressa à eux.

6. « Qui êtes-vous, vous qui êtes suspendus, attachés à une touffe de vétiver

chétive dont les racines sont rongées par un rat vivant dans un terrier ?

7. La seule racine qui reste encore à cette touffe de vétiver,

un rat l’emporte encore peu à peu de ses dents tranchantes.

8. Elle sera tranchée bientôt, car il en reste peu encore ;

par conséquent vous allez tomber, là, dans ce trou, la tête la première.

9. Aussi je suis touché par le chagrin de vous voir la tête en bas,

touchés par une pénible adversité : quel service dois-je donc vous rendre ?

10. Faut-il le quart de mon ascèse, ou même encore le tiers,

ou aussi la moitié, dites-moi, pour anéantir cette adversité à l’instant ?

11. Ou bien même encore soyez-en vainqueurs avec l’intégralité de mon ascèse,

vous tous Seigneurs ; considérez que c’est là ce que je désire. »

12. Les ancêtres lui dirent : 

« Tu es, Seigneur, un jeune brahmane prospère, toi qui désires nous sauver ici-bas,

mais, éminent ascète, il n’est pas possible de repousser cela par l’ascèse.

13. Fils, c’est pour nous le fruit de l’ascèse, ô le meilleur des prêcheurs,

c’est à cause de l’extinction de notre lignée, ô brahmane, que nous tombons dans cet enfer impur.

14. A être suspendus ici, fils, nous n’avons plus de connaissance,

raison pour laquelle nous ne te connaissons pas, bien que tes exploits virils soient très célèbres de par le monde.

15. Tu es, Seigneur, un bienheureux prospère, toi qui compatis à notre grand chagrin,

tu viens à nous avec pitié  et compassion : écoute qui nous sommes, ô deux-fois-né.

16. Nous sommes ceux qu’on appelle les moines errants, des sages très attachés à leurs vœux,

tombés ici-bas depuis le monde saint, à cause de l’extinction de notre lignée, ô puissant Seigneur.

17. Notre sainte ascèse s’est perdue, nous n’avons plus du tout de fil ;

nous avons bien aujourd’hui un seul fil, mais ce n’est plus ce que c’était.

18. Nous avons donc dans notre famille un parent, un infortuné parmi les gens de peu de fortune,

il s’appelle Jaratkāru, il connaît à fond le Veda et les annexes des Veda,

il contrôle son cœur et il a un grand cœur, il est très vertueux, c’est un très grand ascète.

19. A cause de son désir d’ascèse, nous sommes tombés dans le malheur :

il n’a ni femme, ni fils, ni parent d’aucune sorte.

20. C’est pourquoi nous sommes suspendus sur ce trou, ayant perdu l’esprit, sans protecteur.

Pour nous protéger, toi qui nous as vus, tu dois lui dire :

21. « Tes ancêtres sont suspendus, les pauvres, au-dessus d’un trou, la tête en bas ;

en homme de bien prends-toi donc des épouses et engendre donc, ô Seigneur.

le seul fil qui reste à notre famille, c’est toi seul, ô ascète. »

22. La touffe de vétiver où tu nous vois attachés, ô brahmane,

c’est la touffe de notre famille, elle était celle qui faisait croître sa famille.

23. Les racines de cette plante que tu vois là, ô brahmane,

ce sont nos fils, fils, que le temps grignote tout autour.

24. Et cette racine que tu vois, ô brahmane, à moitié dévorée,

nous y sommes tous suspendus, et lui s’adonne tout seul à l’ascèse.

25. Le rat que tu vois, ô brahmane, c’est le temps à la grande force,

et peu à peu il affaiblit par le jeûne ce balourd qui trouve son plaisir dans l’ascèse,

Jaratkāru, avide d’ascèses, à l’esprit balourd et dépourvu de raison.

26. Son ascèse ne nous sauvera pas du tout, Excellence :

notre racine est tranchée, nous tombons, notre esprit est gâté par le temps,

regarde-nous, nous allons finir en enfer tout comme des malfaiteurs.

27. Quand nous y serons tombés avec nos antiques aïeux,

lui aussi alors sera tranché par le temps et comme cela il ira bien en enfer.

28. L’ascèse, ou bien encore le sacrifice, et tout autre grande purification,

tout cela n’égale pas, fils, une descendance : c’est l’avis des justes.

29. Si toi tu le vois, fils, veuille dire à l’ascétique Jaratkāru

ce que tu as vu et ce que tu dois lui dire sans rien oublier,

30. comment il devrait prendre des femmes et comment il devrait engendrer des enfants ;

tu dois lui parler de cette façon, ô brahmane, pour notre protection. »

 

 

 

 

 

I, 42. Jaratkāru se fait reconnaître et promet de se marier s’il trouve une jeune fille qui porte le même nom que lui et si on la lui donne spontanément en aumône. Il ne trouve pas de jeune fille qui réponde aux conditions posées. Seul dans la forêt, il clame sa quête. Les serpents l’entendent et préviennent Vāsuki. Celui-ci, accompagné de sa sœur, rejoint Jaratkāru dans la forêt et la lui offre.  

 

Livre I, chapitre 42.

 

1. Le conteur dit :

« Après avoir entendu cela, Jaratkāru, envahi par la douleur et la souffrance,

dit à ses aïeux d’une voix que la douleur éclaboussait de pleurs :

2. « Je suis justement Jaratkāru, le fils coupable de vos Seigneuries :

infligez-moi une punition, car j’ai mal agi et je suis immature. »

3. Ses aïeux lui dirent :

« Fils, c’est une chance que tu sois arrivé en ce lieu par hasard ;

et pour quel motif , ô brahmane, n’as-tu pas fait l’acquisition d’une épouse ? »

4. Jaratkāru leur dit :

« Toujours dans mon cœur, ô mes aïeux, vient rouler ce projet :

je ferais parvenir mon corps dans l'au-delà sans avoir répandu ma semence.

5. Mais en vous voyant ainsi, Seigneurs, suspendus comme des oiseaux,

ma pensée se détourne de la sainte chasteté, ô mes aïeux.

6. J’accomplirai le désir qui vous est cher et je fonderai un foyer, ça ne fait aucun doute,

si jamais je trouve une jeune fille qui a le même nom que moi,

7. et, qui qu’elle soit, celle qui sera offerte de son propre gré en aumône

et que je n’entretiendrai pas, je la prendrai.

8. Moi j’agirais de la sorte si je m’installais ;

sinon je ne le ferai pas : c’est là ma promesse, ô mes aïeux. »

9. Le conteur dit :

« Après avoir ainsi parlé à ses ancêtres, l’anachorète parcourut la terre,

mais il ne trouva pas d’épouse : « Il est vieux » disait-on, ô Śaunaka.

10. Lorsqu’il sombra dans le découragement à être ainsi poussé par ses ancêtres,

il alla alors dans la forêt et il poussa de grands gémissements car il était extrêmement affligé.

11. « Les êtres qui sont ici, ceux qui demeurent immobiles et ceux qui sont mobiles,

ou ceux qui sont invisibles, que ceux-là écoutent ma voix.

12. Alors que je me livrais à de terribles ascèses, mes ancêtres m’ont poussé,

« Fonde un foyer ! » disaient-ils, car ils étaient opprimés par le malheur ; à cause de leur volonté qui m’est chère,

13. cherchant à fonder un foyer, je parcours toute la terre, demandant l’aumône d’une jeune fille, oh…

vagabond et voué à la douleur par la mission de mes ancêtres.

14. La créature qui a une fille, parmi celles que j’ai mentionnées ici,

qu’elle me donne sa fille, à moi qui erre en tous sens.

15. Que me soit offerte une fille qui ait le même nom que moi et à titre d’aumône,

et que je n’entretienne pas cette fille qu’on me donne. »

16. Alors, les serpents qui étaient à l’entour de Jaratkāru

apportèrent cette nouvelle à Vāsuki et l’en informèrent.

17. Après les avoir écoutés, le seigneur des serpents prit la jeune fille, couverte de parures,

et le serpent alla le trouver dans la forêt.

18. Là Vāsuki, le seigneur des serpents, offrit la jeune file en aumône

à l’ascète au grand cœur, ô brahmane : il ne l’accepta pas.

19. Il pensa « Elle n’a pas le même nom », et comme son entretien n’avait pas été discuté,

il s’en tenait à sa condition d’homme libre, d’autant qu’il était partagé sur le mariage…

20. Alors il demanda le nom de la jeune fille, ô rejeton de Bhṛgu ;

« Et je n’assurerais pas son entretien, Vāsuki » dit-il.

 

 

 

 

 

I, 43. Il précise qu’elle s’appelle aussi Jaratkāru et qu’il continuera à la nourrir. Jaratkāru se marie. Il fait promettre à sa femme de ne rien faire qui lui déplaise. Elle conçoit un enfant. Quelque jours plus tard l’ascète est endormi sur ses genoux. Arrive l’heure de la prière. Elle ne sait si elle doit le réveiller ou non. De peur qu’il manque à son devoir, elle le réveille. Il se met en colère et se sent méprisé : le soleil n’aurait pas eu l’audace de se coucher tandis qu’il dormait ! Et Jaratkāru s’en va. Elle s’inquiète de savoir si le but de son mariage, avoir un fils pour le salut de sa famille, est bien rempli. L’ascète se contente de lui assurer que l’enfant est bien là, et retourne à son ascèse.

 

Livre I, chapitre 43.

 

1. Le conteur dit :

« Mais Vāsuki dit alors cette parole au vieux sage Jaratkāru :

« Cette jeune fille a le même nom que toi, c’est mon austère sœur.

2. Et j’entretiendrai ta femme, accepte-la , ô le meilleur des deux-fois-nés,

et j’assurerai sa protection de toutes mes forces, ô ascète. »

3. Quand le serpent eut fait sa promesse (« J’entretiendrai ma sœur »),

Jaratkāru alla alors dans la demeure du serpent.

4. Là, cet excellent connaisseur des mantras, expert en ascèses, très attaché à ses vœux,

au cœur loyal lui prit la main en suivant le rite et les mantras.

5. Puis il alla dans une chambre à coucher splendide avec l’agrément du seigneur des serpents,

et il emmena sa femme, tandis que les grands sages le célébraient.

6. Là un lit avait été préparé, couvert de coussins précieux ;

Jaratkāru y demeura en compagnie de sa femme.

7. Là cet excellent ascète établit un accord avec sa femme :

« Rien de déplaisant ne doit m’être fait, ni dit d’aucune manière.

8. Si tu faisais quelque chose de déplaisant, je te quitterais toi et ma chambre dans ta maison.

Enregistre la parole que j’ai prononcée !

9. Alors la sœur du roi des serpents, bouleversée au plus haut point,

au comble de la douleur, lui dit cette parole : « Qu’il en soit ainsi... »

10. Et ainsi cette femme célèbre honorait son mari maussade

avec des moyens plus extraordinaires qu’un corbeau blanc, dans son désir de lui plaire.

11. Puis un jour, après s’être baignée à la fin de ses règles, la sœur de Vāsuki,

comme il convient, s’approcha de son mari le grand anachorète.

12. Là elle conçut un embryon semblable au feu,

possédant une ardeur extrême, avec un éclat comparable à Vaiśvānara[36],

il grandissait tout comme Soma[37] pendant la quinzaine claire.

13. Quelques jours après, Jaratkāru le grand ascète,

ayant posé la tête sur son giron, s’endormit comme épuisé.

14. Et pendant que le seigneur des brahmanes dormait, Savitā[38] allait vers la montagne du couchant ;

quand ce fut la fin du jour, ô brahmane, la sage sœur de Vāsuki

réfléchit alors, craignant que le Dharma ne soit transgressé.

15. « Que vaudrait-il donc mieux faire pour mon mari ? Le réveiller ou pas ?

Car il est maussade et le cœur plein de Dharma. Comment pourrais-je ne pas l’offenser ?

16. Soit il sera en colère en pratiquant le Dharma, soit il le sera au contraire d’avoir transgressé le Dharma.

Transgresser le Dharma serait assurément plus grave en l’occurrence » pensait-elle.

17. « Si je le réveille il entrera certainement en colère,

mais il y aurait de sa part transgression du Dharma s’il laissait passer la prière du soir, c’est certain ».

18. Après avoir ainsi délibéré dans son esprit, Jaratkāru la serpente

parla au sage resplendissant d’ascèse, semblable à un feu qui couve,

et elle lui dit alors cette parole tendre d’une voix douce :

19. « Réveille-toi, Monseigneur, le soleil disparaît à l’horizon :

honore le crépuscule, Seigneur, après avoir touché les eaux, toi qui es ferme dans tes vœux.

20. C’est le moment particulièrement délicat de l’oblation à Agni, charmant et cruel à la fois :

le crépuscule avance, et il va dans le ciel à l’occident, Seigneur. »

21. A ces mots le bienheureux Jaratkāru le grand ascète

dit à sa femme cette parole, la lèvre tremblante :

22. « Tu as fait là preuve de mépris envers moi, serpente,

je n’habiterai pas à tes côtés : je partirai comme je suis venu.

23. Femme aux belles cuisses, il n’est pas possible que le soleil éclatant, alors que je suis assoupi,

se couche à l’heure normale : je le sais dans mon cœur.

24. Et il ne plairait à personne de demeurer là en ayant été méprisé,

à plus forte raison un homme comme moi qui pratique le Dharma, ou quelqu’un de ma sorte. »

25. Quand son mari eut dit à Jaratkāru ces mots qui faisaient trembler son cœur,

la sœur de Vāsuki lui dit alors en restant à sa place :

26. Ce n’est pas par mépris que je t’ai réveillé :

« Puisses-tu ne pas transgresser le Dharma, ô brahmane » me disais-je en faisant cela »

27. A ces mots, Jaratkāru le grand ascète dit à sa femme

serpente (le sage était envahi par la colère et désirait l’abandonner) :

28. « Ma voix ne dit pas de mensonges, je vais partir, serpente :

j’ai fait jadis cette convention réciproque avec toi.

29. Ma chère, ce séjour fut un plaisir, dis-le à ton frère, jolie femme.

Quand je serai parti d’ici, douce amie, dis-lui « Le bienheureux s’en est allé ».

Et aussi, quand je serai parti, n’aie pas de chagrin, je te prie. »

30. A ces mots Jaratkāru, cette femme au corps sans défaut, répondit ainsi

à son mari Jaratkāru, hantée par l’inquiétude et le chagrin.

31. D’une voix balbutiante et éplorée, la bouche toute sèche,

la femme aux belles hanches porta ses mains jointes à son front, les yeux pleins de larmes,

gardant son sang-froid, la femme aux belles cuisses tremblait dans son cœur.

32. Toi qui connais le Dharma, daigne ne pas m’abandonner, alors que je suis innocente,

toi qui est du côté du Dharma, alors que je suis du côté du Dharma, et que je me réjouis toujours quand tu es heureux.

33. Le but pour lequel je t’ai été donnée en mariage, ô le meilleur des deux-fois-nés,

je ne l’ai pas atteint, comme une sotte : que me dira Vāsuki ?

34. Mes parents, dominés par la malédiction de notre mère, ô Excellence,

désiraient une descendance de ta part : mais elle ne se montre toujours pas.

35. Car obtenir de ta part une descendance, ce serait le bonheur pour mes parents,

cette union avec toi ne me serait pas inutile, ô deux-fois-né.

36. Je désire le bien de mes parents et je te supplie, ô bienheureux :

après avoir déposé en moi cet embryon qui ne peut se voir, ô Excellence,

comment, après m’avoir abandonnée, en étant un homme au grand cœur, désires-tu partir, alors que je suis innocente ? »

37. A ces mots, le sage, l’ascète Jaratkāru, dit à sa femme

une parole et l’expression convenait particulièrement :

38. « Tu as là un embryon, ma chère, pareil à Vaiśvānara[39],

un sage au cœur éminemment loyal, connaissant parfaitement le Veda et ses annexes.

39. Après avoir dit cela, Jaratkāru au cœur loyal, le grand sage,

se livra à une ascèse encore plus terrible après avoir pris sa décision.

 

 

 

 

 

I, 44. Vāsuki apprend que Jaratkāru est parti et s’inquiète de savoir si sa sœur est bien enceinte. Elle le rassure. Naissance d’Āstika, élevé dans le palais du roi des serpents.  

 

Livre I, chapitre 44.

 

1. Le conteur dit :

« A peine son mari fut-il parti, Jaratkāru informa

son frère, en allant vite le trouver, comme il convient, ô ascète.

2. Alors, le meilleur des serpents, apprenant ce très grand malheur,

dit alors à sa sœur affligée, étant lui-même alors encore plus affligé :

3. « Tu sais, ma chère sœur, ce qui devait être accompli avec ce mariage et quelle en est la raison :

que pour le bien des serpents il te vienne un fils.

4. Ce vaillant nous délivrera assurément du sacrifice des serpents :

ainsi m’a parlé jadis l’Aïeul[40] accompagné des dieux.

5. Est-ce que tu as un embryon, ma chère sœur, de cet excellent anachorète ?

Je ne désire pas que tes épousailles avec ce sage soient sans fruit.

6. Il n’est pas convenable que je désire te questionner sur un tel sujet ;

néanmoins, vu l’importance du sujet, je te sollicite donc.

7. Et connaissant le caractère invivable de ton mari, ascétique à l’excès,

je ne le poursuivrai jamais : en plus il me maudirait !

8. Ma chère sœur, raconte-moi tout sur son comportement avec toi.

Extrais l’horrible écharde depuis longtemps plantée dans mon cœur, ma chère sœur. »

9. A ces mots, Jaratkāru lui répondit alors ainsi,

apaisant les tourments de Vāsuki le seigneur des serpents.

10. « Interrogé par moi au sujet de ma descendance, ce grand ascète au grand cœur

m’a dit « Il y en a » en montrant mon ventre, et il est parti.

11. Même pour des choses sans importance, je n’ai pas souvenance que quoi que ce soit de futile

m’ait été dit par lui jadis : pourquoi dans une question cruciale le ferait-il ?

12. « Tu n’as pas à te faire de souci sur ce que tu dois faire, serpente :

un fils te naîtra, aussi éclatant que le soleil et le feu. »

13. Et après m’avoir dit cela, ô mon frère, mon mari est parti dans son ermitage ;

par conséquent que cesse la peine excessive qui occupe ton esprit. »

14. Entendant cela, Vāsuki, le seigneur des serpents, fut au comble de la joie :

« Qu’il en soit ainsi ! » dit-il et il admit ce que lui disait sa sœur.

15. Et lui rendant hommage avec des présents pour l’honorer, avec des paroles apaisantes  et tout ce qui convenait,

le meilleur des serpents honora sa propre sœur.

16. Puis l’embryon crût avec un grand éclat, avec la splendeur de Ravi[41],

comme Soma[42], ô le meilleur des deux-fois-nés, haut dans le ciel pendant la quinzaine claire.

17. Et quand il fut temps, ô brahmane, la sœur du serpent enfanta

un garçon ressemblant à l’enfant d’un dieu, anéantissant les craintes de son père et de sa mère.

18. Et il grandit là même, dans le palais du roi des serpents,

et il étudia les Veda avec leurs annexes en compagnie de Bhārgava, le fils de Cyavana.

19. Encore jeune, sa conduite suivait les règles, il était plein de sagesse, d’intelligence et de qualités,

et son nom devint célèbre dans les mondes : « ĀSTIKA ».

20. Comme son père, en partant dans la forêt, avait dit de lui « Il y en a un » quand il était encore dans le ventre de sa mère,

pour cette raison ce nom « Āstika » qui était le sien fut renommé[43].

21. Le jeune garçon, d’une intelligence sans borne, vivait là,

dans la demeure du roi des serpents, soigneusement gardé.

22. Tel le Bienheureux[44], le Seigneur des dieux, le dispensateur de richesses qui brandit le trident,

il grandissait et réjouissait tous les serpents.

 

 

 

 

 

I, 45. Eloge de Parikṣit. Les ministres racontent à Janamejaya la mort de son père. Comment, à la chasse, il a blessé une gazelle qui lui a échappé. Comment il a demandé à un ascète s’il avait vu cette gazelle et comment celui-ci n’a rien répondu. Comment il l’a outragé en déposant un serpent mort sur son épaule.  (cf. I,36)

 

Livre I, chapitre 45.

 

1. Śaunaka dit :

« Que demanda alors le roi Janamejaya à ses conseillers      

concernant la montée au ciel de son père ? Dis-le moi à nouveau en détail. »

2. Le conteur dit :

« Ecoute, ô brahmane, comment les conseillers furent alors interrogés par le roi

et lui racontèrent tous la mort de Pārikṣit.

3. Janamejaya dit :

« Vous savez, Messieurs, comment mon père se comportait

et comment le très-glorieux rencontra la mort quand il fut temps.

4. Entendre de votre part tout ce qui concerne la conduite de mon père

me procurera de la joie, et en aucune façon le contraire. »

5. Le conteur dit : 

« Interrogés par ce roi au grand cœur, les conseillers dirent alors cette parole

au roi Janamejaya (c’étaient des savants qui connaissaient tout du Dharma) :

6. « Ton père avait le cœur loyal, et c’était un homme au grand cœur, et il protégeait sa lignée ;

comment se comportait ici-bas cet homme au grand cœur, écoute-le.

7. Il créa l’ensemble des quatre castes, les maintenant chacune dans le Dharma, et il les protégea,

conformément au Dharma, en roi connaisseur du Dharma, comme une incarnation de Dharma.

8. Il protégea la Terre divine, splendide, avec un héroïsme inégalé ;

on ne le haïssait pas et il ne haïssait personne ;

il était équitable à l’égard de toutes les créatures, comme Prajāpati.

9. Les brahmanes, les nobles guerriers, les paysans et aussi les serviteurs, restaient chacun dans sa fonction

avec bonne grâce, ô roi, bien obéissants à ce roi.

10. Et il soutenait dans leur misère les veuves et les orphelins, et les infirmes,

et toutes les créatures prenaient plaisir à le regarder, il était sans égal, comme Soma.

11. Il avait un peuple joyeux et prospère, il était splendide, sa parole était vraie, son héroïsme inébranlable,

et ce roi fut le disciple de Śāradvata dans la science du tir à l’arc.

12. Et ton père, Janamejaya, était cher à Govinda[45],

et au monde entier aussi le très-glorieux était cher.

13. Après la destruction des Kuru, il naquit d’Uttarā :

à cause de cela il fut « Pārikṣit » [celui qui règne alentour], le puissant fils du fils de Subhadrā [46].

14. C’était un roi expert dans le Dharma des rois, doué de toutes les qualités,

et maître de ses sens, réfléchi et avisé, honoré par les anciens.

15. Il connaissait les six catégories [47], il était d’une grande intelligence, connaisseur de la loi morale au plus haut degré ;

ton père protégea ces sujets pendant soixante ans,

puis il rencontra la mort qui lui était réservée, inéluctable, à cause d’un serpent.

16. Et toi donc, ô le meilleur des hommes, tu as reçu conformément au Dharma

ce royaume, issu de la lignée de Kuru, pour un millier d’années.

Dès l’enfance tu étais né pour être le protecteur de toutes les créatures. »

17. Janamejaya dit :

« Dans cette lignée il n’y eut jamais un roi qui ne fût le bienfaiteur de ses sujets et qui ne leur fût cher ;

en particulier ils considéraient avec quelle grandeur s’étaient conduits leurs ancêtres, soucieux de leur conduite.

18. Comment un homme tel que mon père rencontra-t-il la mort ?

Racontez-moi exactement, je désire entendre la vérité. »

19. Le conteur dit :

« Ainsi pressés par le roi, les conseillers dirent tous

à leur souverain comment les choses avaient tourné pour le roi, ravis de lui faire plaisir :

20. « Le roi, votre père, avait toujours été chasseur,

comme Pāṇḍu, votre Excellence, le meilleur archer dans la bataille ;

il nous confiait entièrement toutes les tâches du roi.

21. Celui-ci un jour, tandis qu’il errait dans la forêt, perça une gazelle d’une flèche,

et après l’avoir percée, il poursuivit rapidement la gazelle dans la forêt épaisse,

22. à pieds, son épée à la ceinture, avec son carquois et son arme bandée ;

et dans le fourré épais ton père ne trouva pas la gazelle qui s’était enfuie.

23. Exténué et âgé, usé par ses soixante ans,

affamé, il aperçut dans la grande forêt, non loin de là, un anachorète.

24. Ce roi des rois interrogea l’anachorète, qui avait fait vœu de silence,

et l’anachorète ne répondit rien du tout, malgré ses questions.

25. Ainsi, accablé par la faim et la fatigue, devant cet anachorète qui se tenait là comme un tronc d’arbre,

ayant fait vœu de silence, impassible, le roi tomba immédiatement sous l’empire de la colère.

26. Mais le roi ne savait pas que l’anachorète avait fait vœu de silence :

envahi par la colère, ton père l’agressa.

27. Avec l’extrémité de son arc, il ramassa sur le sol un serpent mort

et le déposa sur l’épaule de cet homme à l’âme immaculée, ô le meilleur des Bhārata.

28. Mais le sage ne lui dit rien en bien ou en mal,

et il resta comme il était, sans s’irriter, gardant le serpent sur son épaule.

 

 

 

 

 

I, 46. Comment Śriṅgin a appris l’outrage fait à son père et comment il a maudit Parikṣit. Comment le père de Śriṅgin a fait prévenir le roi. Comment Takṣaka a soudoyé Kaśyapa. Comment un paysan qui ramassait du bois a tout entendu et rapporté l’entretien de Kaśyapa et de Takṣaka. Comment Takṣaka a mordu Parikṣit. Janamejaya prend la décision de se venger de Takṣaka.  (cf. I,37-38)

 

Livre I, chapitre 46.

 

1. Les conseillers dirent :

« Alors le roi, ô roi des rois, après avoir attaché le serpent sur l’épaule

de l’anachorète, affaibli par la faim, retourna dans sa cité.

2. Cet anachorète avait un fils, né d’une vache, très célèbre,

du nom de Śṛṅgī, d’un grand éclat, impétueux, extrêmement irascible.

3. Cet anachorète était allé vers Brahmā et avait célébré son culte.

Et quand il eut reçu son congé, Śṛṅgī s’en revint et il apprit alors

par un ami que son père avait été agressé par votre père de cette manière,

4. qu’un serpent mort avait été suspendu par votre père, Janamejaya,

et que son père le portait, ô tigre des Kuru, sur son épaule, alors qu’il n’avait fait de tort à personne,

5. qu’il pratiquait une ascèse rigoureuse, qu’il était un anachorète éminent, ô roi,

tout à fait maître de ses sens et très pur, accomplissant des prodiges,

6. dont l’ascèse irradiait l’âme, maîtrisant ainsi toutes les parties de son corps,

rayonnant dans ses actes, rayonnant dans ses paroles, ferme, exempt de désirs,

7. exempt de bassesse, exempt d’envie, un vieux sage fidèle à son vœu de silence :

ce refuge pour toutes les créatures avait été offensé par votre père.

8. Alors en entendant cela, plein de colère, il maudit votre père :

le fils du sage avait un grand éclat malgré sa jeunesse, il surpassait les anciens.

9. Il toucha l’eau aussitôt, et dans sa colère il dit ceci,

en visant votre père, comme si son éclat l’enflammait :

10. « Celui qui a mis un serpent mort sur mon maître alors qu’il ne faisait pas de mal,

le serpent Takṣaka avec colère l’anéantira de sa flamme.

Le mal sera là dans sept nuits : vois la puissance de mon ascèse ! »

11. Après avoir ainsi parlé, il alla là où se trouvait son père,

et quand il vit son père, il le mit au courant de cette malédiction.

12. Aussi ce tigre parmi les anachorètes envoya un message à votre père :

« Tu as été maudit par mon fils : sois sur tes gardes, ô souverain !

Grand roi, Takṣaka t’anéantira de sa flamme. »

13. Entendant cette parole terrible, votre père, Janamejaya,

se tint sur ses gardes, terrifié par Takṣaka le meilleur des serpents.

14. Puis, quand fut venu le septième jour,

le sage brahmane Kaśyapa voulut aller chez le roi.

15. Takṣaka, le seigneur des serpents, vit alors Kaśyapa.

Et le seigneur des serpents alla vers Kaśyapa qui se hâtait et lui dit :

« Où te hâtes-tu, Seigneur, et que veux-tu faire ? »

16. Kaśyapa dit :

« Là où le roi, le meilleur des Kuru, du nom de Pārikṣit, un deux-fois-né,

sera brûlé, dit-on, par le serpent Takṣaka.

17. Je vais le voir en hâte pour le rendre immédiatement exempt de fièvre :

et si je l’aide, aucun serpent ne l’attaquera. »

18. Takṣaka dit :

« Pourquoi veux-tu le ressusciter une fois que je l’aurai mordu ?

Dis-moi ce que tu désires, je te le donne dès maintenant : rentre à ta maison ! »

19. Les conseillers dirent :

« C’est pour acquérir des richesses que je vais là-bas », et à ces mots il

dit à l’ascète au grand cœur, en marquant son respect d’une voix délicate :

20. « Si grande que soit la richesse que tu convoites, reçois de ma part encore plus que celle du roi,

reviens sur tes pas et sans rien à te reprocher. »

21. Quand le serpent lui eut ainsi parlé, Kaśyapa, le meilleur des bipèdes,

reçut de Takṣaka autant d’argent qu’il désirait et il revint sur ses pas.

22. Ensuite, quand le brahmane fut retourné, Takṣaka revêtit un déguisement

et le meilleur des rois alla vers votre père, ce roi respectueux du Dharma.

23. Il se tenait dans son palais sur ses gardes, mais il le consuma du feu de son venin.

Ainsi c’est vous, ô tigre parmi les hommes, qui avez reçu l’onction royale pour mener à la victoire.

24. Ce que nous avons vu et aussi entendu, ô le meilleur des rois, avec exactitude

nous vous l’avons exposé dans son intégralité et dans toute sa violence.

25. Et après avoir entendu, ô le meilleur des rois, la destruction du roi

et l’humiliation de ce sage Uttaṅka[48], décidez de ce qui s’ensuivra. »

26. Janamejaya dit :

« Je désire entendre quelle fut alors dans ce lieu d’errance, ce bois solitaire,

la conversation du seigneur des serpents et de Kaśyapa.

27. Comment ce qui fut vu et aussi entendu est venu à vos oreilles, Messieurs ?

Puis, après avoir entendu cela, je prendrai ma décision concernant la destruction des serpents. »

28. Les conseillers dirent :

« Ecoutez, ô roi, comment et de quelle façon nous fut jadis racontée cette

rencontre du seigneur des deux-fois-nés et du seigneur des serpents en chemin.

29. Dans cet arbre[49], ô roi, un homme, pour trouver du bois à brûler,

après en avoir cherché auparavant, était monté sur l’arbre aux branches sèches :

là le serpent et le deux-fois-né ne le virent pas perché sur son arbre.

30. Celui-ci fut ainsi réduit en cendres avec cet arbre :

par la puissance du deux-fois-né, ô roi des rois, il fut ressuscité avec l’arbre.

31. Il vint en ville, ô le meilleur des rois, et il nous fit savoir

comment tout cela s’était produit entre Takṣaka et le deux-fois-né.

32. Nous vous avons raconté, ô roi, comment cela s’était produit, comment nous l’avons appris :

après l’avoir appris, ô tigre parmi les rois, décidez comme vous le désirez. »

33. Le conteur dit :

« Après avoir écouté les paroles de ses conseillers, le roi Janamejaya

accablé par le malheur, se tourmentait et se tordait les mains.

34. Le roi aux yeux de lotus bleu exhalait encore et encore un long soupir brûlant,

et ses deux yeux répandaient des pleurs continuellement,

et, plein de souffrance et de chagrin, le souverain dit :

35. « Après avoir entendu, Messieurs, votre récit concernant la montée au ciel de mon père,

écoutez bien la résolution que j’ai prise.

36. Dès maintenant, je pense, en ce qui concerne le criminel Takṣaka,

il faut lui rendre la pareille : c’est lui qui a nui à mon père,

37. en accomplissant la parole du sage Śṛṅgī et en brûlant le roi.

Si ce criminel s’en était allé, mon père ne vivrait-il pas ?

38. Que lui aurait-il manqué si le roi avait vécu

grâce à Kaśyapa et à la sage conduite des conseillers ?

39. Mais celui-ci dans son égarement a empêché Kaśyapa, le meilleur des deux-fois-nés,

de rencontrer le roi invincible et de le ressusciter.

40. C’est là une grande transgression de la part de ce criminel de Takṣaka

qui a donné au deux-fois-né une fortune pour qu’ainsi il ne fasse pas vivre le roi.

41. Je ferai plaisir à Uttaṅka, et un grand plaisir à moi-même

et aussi à vous tous, Messieurs, en entreprenant de venger de mon père. »

 

 

 

 

 

I, 47. Janamejaya convoque les prêtres et les sacrifiants. On décide de rassembler les serpents et de les brûler au cours d’un sacrifice. Préparations du sacrifice. Un constructeur prévient qu’un brahmane se présentera qui empêchera le sacrifice d’arriver à son terme. On renforce la garde. Le sacrifice commence et les serpents, irrésistiblement appelés, tombent dans le feu.  

 

Livre I, chapitre 47.

 

1. Le conteur dit :

« Après avoir ainsi parlé, Seigneur, sous les applaudissements de ses conseillers

le roi donna son aval au sacrifice des serpents.

Alors, le brahmane, le tigre des Bhārata, le roi fils de Pārikṣit,

2. le Seigneur de la Terre convoqua son chapelain et son prêtre

et leur fit un discours solennel et éloquent.

3. « Ce Takṣaka scélérat qui a fait du mal à mon cher père,

comment pourrais-je lui rendre la pareille ? Dites-le moi, Messieurs.

4. Dites-moi tous deux le rituel que vous connaissez par lequel j’attirerai

ce serpent Takṣaka en même temps que ses parents dans le feu flamboyant.

5. De la même façon que mon père jadis a été brûlé par le feu de son venin,

de même je désire que ce serpent scélérat soit lui aussi brûlé. »

6. Les prêtres dirent :

« Il existe, ô roi, une grande session sacrificielle, créée pour toi par les dieux,

appelée le « grand sacrifice des serpents » : elle est mentionnée dans les récits d’antan, ô roi.

7. Il n’y a personne d’autre que toi, ô roi qui puisse offrir ce sacrifice

c’est ce que disent ceux qui connaissent les légendes d’antan, et nous possédons ce sacrifice. »

8. Le conteur dit :

« A ces mots, le sage de sang royal imagina le serpent Takṣaka

entrant ainsi dans la gueule flamboyante du feu du sacrifice, ô Excellence.

9. Alors le roi parla ainsi aux brahmanes, connaisseurs de mantras :

« J’offrirai ce sacrifice : qu’on me prépare le matériel nécessaire. »

10. Ainsi ses prêtres, conformément à la règle, ô Excellence,

mesurèrent l’endroit destiné à l’espace du sacrifice,

comme il convient : ils étaient tous experts en sacrifice et tout à fait partants pour cette résolution.

11. L’oblation était préparée avec une extrême abondance et accompagnée d’une multitude de deux-fois-nés ;

les prêtres y avaient déposé une abondance de céréales et une profusion de trésors.

12. Et après avoir mesuré selon la règle l’espace du sacrifice désiré,

ils consacrèrent alors le roi pour le rendre apte au grand sacrifice des serpents.

13. Et l’on en était d’abord là du grand sacrifice des serpents : il allait avoir lieu.

Un grand présage se manifesta alors qui faisait obstacle au sacrifice.

14. Dans l’espace du sacrifice qui avait été ménagé une voix se fit entendre,

celle d’un architecte plein de sagesse expert en architecture.

15. C’est ainsi que parla alors l’arpenteur, un conteur des légendes d’antan :

étant donné l’endroit et le moment où cette mesure avait été faite,

un brahmane serait cause que ce sacrifice n’arriverait pas à son terme.

16. Entendant cela, le roi, avant le temps de sa consécration, dit

à l’huissier : « Qu’aucune personne que je ne connais pas n’entre ici ! »

17. Alors le rituel commença conformément aux règles dans un grand sacrifice des serpents,

et les sacrificateurs, comme il convient, s’activaient tout autour, chacun à sa tâche.

18. Revêtus de vêtements noirs, les yeux tout rougis par la fumée,

en récitant des mantras, ils versaient des oblations dans le flamboyant Jātavedā [50].

19. Et faisant trembler le cœur de tous le serpents, ils

jetaient alors ainsi tous les serpents dans la gueule du feu.

20. Ainsi les serpents tombèrent ensemble dans le feu sacrificiel qui flamboyait :

les malheureux se tordaient en s’appelant mutuellement,

21. frémissant et sifflant, ils lovaient ainsi farouchement

leurs queues et leurs têtes avec violence, et ils tombaient dans le feu éclatant.

22. Blancs, noirs et bleus, vieux aussi bien que jeunes,

en poussant des hurlements d’horreur, ils tombaient dans le feu aux flammes brillantes.

23. Ainsi des centaines de milliers, des millions, des centaines de millions

de serpents périssaient malgré eux, ô le meilleur des deux-fois-nés,

24. les uns semblables à des rats, les autres comme des trompes d’éléphants,

et au grand corps, à la grande force, comme des éléphants en rut.

25. Et de toutes sortes, en grand nombre, de toutes les couleurs, gorgés de venin,

épouvantables, pareils à des barres de fer, toujours à mordre avec leur grande force,

les serpents tombaient dans le feu, broyés par la punition prononcée par leur mère.

 

 

 

 

 

I, 48. Nom des différents officiants. Takṣaka se réfugie chez Indra qui le rassure. Vāsuki demande à sa sœur d’envoyer d’urgence Āstika pour arrêter le sacrifice, comme l’a prévu Brahmā.  

 

Livre I, chapitre 48.

 

1. Śaunaka dit :

« Lors du grand sacrifice des serpents du roi sage, descendant de Pāṇḍu,

Janamejaya, qui donc étaient les grands sages qui officiaient ?

2. Qui étaient les prêtres surveillants[51] lors de ce grand sacrifice des serpents très violent

et si effrayant qui mit les serpents au comble du désespoir ?

3. Enumère-les tous en détail, je t’en prie, cher seigneur,

il faut assurément les considérer comme des experts des règles du grand sacrifice des serpents, ô fils du conteur. »

4. Le conteur dit :

« Eh bien, je vais te dire ici les noms des sages

qui étaient alors les prêtres officiants et les prêtres surveillants de ce roi.

5. Parmi ceux-ci d’abord le célébrant[52] était le brahmane Caṇḍabhārgava,

né dans la famille de Cyavana, connu pour être le meilleur connaisseur des Veda.

6. Le chantre[53] était un brahmane âgé et sage, Kautsāryajaimini,

le brahmane[54] était Śārṅgarava, l’officiant du soma[55] était Bodhapiṅgala.

7. Et le prêtre surveillant était Vyāsa, accompagné de ses fils et de ses disciples :

Uddālaka, Śamaṭhaka, Śvetaketu et Pañcama,

8. Asita et aussi Devala, Nārada de même que Parvata,

Ātreya, Kuṇḍajaṭhara, de même que le deux-fois-né Kuṭighaṭa,

9. Vātsya, le vieux Śrutaśravās, qui tirait sa vertu de son ascèse et de ses pieuses lectures,

Kahoḍa et Devaśarma, Maudgalya, Śamasaubhara.

10. Ceux-là et d’autres étaient des brahmanes très attachés à leurs vœux,

et ils étaient donc les prêtres surveillants au sacrifice du fils de Pārikṣit.

11. Et tandis que les prêtres versaient les offrandes pendant le grand rituel du sacrifice des serpents,

les serpents tombaient là, épouvantables, terrifiant les animaux.

12. Des ruisseaux charriant la graisse et de la moelle des serpents se répandaient,

et l’odeur des serpents qui brûlaient s’exhalait sans cesse tumultueusement.

13. Et l’on entendait sans cesse le cri des serpents qui tombaient, et aussi de ceux qui étaient en l’air

dans le ciel, et celui, très fort, de ceux qui étaient cuits par le feu.

14. Quant à Takṣaka, le seigneur des serpents, il alla dans le palais du Destructeur de remparts[56]

dès qu’il entendit que le roi Janamejaya avait été consacré.

15. Puis le meilleur des serpents raconta comment tout s’était déroulé,

et il chercha refuge, effrayé d’avoir commis une faute, auprès du Destructeur de remparts.

16. Indra, tout joyeux, lui dit : « Ici, ô Takṣaka, tu n’as en aucune façon

à avoir de crainte, ô seigneur des serpents, de ce grand sacrifice des serpents.

17. J’ai jadis demandé ta grâce à l’Aïeul,

il n’y a donc rien à craindre pour toi : que se dissipe la fièvre de ton esprit. »

18. Après avoir été ainsi rassuré, le meilleur des serpents

demeura donc là, dans le palais de Śakra, ravi, heureux.

19. Comme les serpents tombaient perpétuellement dans le feu, accablé de douleur,

Vāsuki, à qui il restait peu de parents, se tourmentait.

20. Et un désespoir épouvantable pénétra Vāsuki le seigneur des serpents.

Le cœur agité, il dit ceci à sa sœur :

21. « Mes membres brûlent, ma chère sœur, et je ne peux plus m’orienter,

et je sombre comme égaré, mon esprit est comme ballotté.

22. Ma vue vacille complètement et mon cœur semble se déchirer :

je vais tomber malgré moi dans ce feu aux flammes brillantes.

23. Ce sacrifice du fils de Pārikṣit est accompli pour se venger de nous,

et à l’évidence il faut que j’aille dans la maison du roi de mes pères[57].

24. Voici venu le moment pour lequel, ma sœur, je t’ai

donnée jadis à Jaratkāru : sauve-nous donc avec nos parents !

25. Ce sacrifice qui est en train de se dérouler, ô la meilleure des serpentes, est-ce qu’Āstika

ne l’empêchera pas ? Jadis l’Aïeul[58] en personne me l’a dit…

26. Cela, ma chère sœur, dis-le à ton cher fils, respecté par les anciens

pour sa connaissance des Veda, afin qu’il me délivre maintenant avec ceux dont j’ai la charge. »

 

 

 

 

 

I, 49. Jaratkāru explique à Āstika les raisons de sa naissance. Comment Kadrū, la mère des serpents a maudit ses fils et les a condamnés à être brûlés au cours du sacrifice de Janamejaya. Comment Brahmā a annoncé la naissance d’Āstika. Comment Vāsuki a donné sa sœur à l’ascète Jaratkāru. Qu’Āstika accomplisse maintenant sa mission. Āstika rassure Vāsuki et se rend au sacrifice. Les gardes l’empêchent d’entrer.  

 

Livre I, chapitre 49.

 

1. Le conteur dit :

« Ainsi la serpente Jaratkāru appela son fils,

et selon les termes de Vāsuki, le roi des serpents, elle lui dit ceci :

2. « J’ai été donné à ton père par mon frère, mon fils, pour une raison.

Et le moment est venu : agis selon la vérité. »

3. Āstika dit :

« Pour quelle raison as-tu été donnée à mon père par mon oncle ?

Dis-le moi avec exactitude : quand je l’aurai entendue, je l’accomplirai. »

4. Le conteur dit :

« Alors, soucieuse du bien de ses parents,

Jaratkāru, la sœur du roi des serpents, lui dit sans se troubler :

5. « Kadrū, dit la tradition, était la mère de tous les serpents sans exception.

Comment, dans sa colère, elle maudit ses fils, écoute-le attentivement :

6. « Puisque Ucchaiḥśrava, le roi des chevaux n’a pas été falsifié dans mon intérêt

quand, à l’initiative de Vinatā, j’ai parié que je serais esclave, mes jeunes fils,

7. au sacrifice de Janamejaya la flamme venteuse vous consumera :

vous rejoindrez ainsi les cinq éléments, vous irez dans le monde des morts. »

8. Et ainsi cette imprécatrice, l’Aïeul du monde en personne

l’approuva et lui dit cette parole : « Qu’il en soit ainsi. »

9. Et quand Vāsuki entendit cette parole de l’Aïeul,

une fois l’ambroisie barattée, fils, il alla se réfugier auprès des dieux.

10. Et après avoir atteint leur but et obtenu l’ambroisie inégalable, tous les dieux

honorèrent mon frère et s’approchèrent du Seigneur des créatures[59].

11. Et tous les dieux cherchaient à apaiser l’Aïeul

en compagnie du roi Vāsuki : « Que cette malédiction ne se réalise pas ! » disaient-ils.

12. Vāsuki, le roi des serpents, que voici est affligé au sujet de ses parents.

Que la malédiction de sa mère, ô Bienheureux, ne se réalise pas ! »

13. Brahmā dit :

« Jaratkāru prendra une femme qui sera Jaratkāru :

un deux-fois-né naîtra, il délivrera les serpents de la malédiction. »

14. Jaratkāru dit :

« Après avoir entendu cette parole, Vāsuki, le Seigneur des serpents,

m’offrit, ô mon fils semblable à un immortel, à ton père au grand cœur ;

peu de temps avant que le moment n’arrive, tu naquis alors en moi.

15. Ce moment est venu : daigne nous sauver de ce danger,

et aussi daigne sauver mon frère de ce feu purificateur.

16. Fais en sorte que ce ne soit pas en vain qu’on m’ait donnée à ton sage

père pour notre délivrance !  Sinon quel est ton avis, mon fils ? »

17. Le conteur dit :

« A ces mots, Āstika dit alors à sa mère « Qu’il en soit ainsi »,

et il dit à Vāsuki, consumé de douleur, et comme le ressuscitant :

18. « Je te délivrerai moi, ô noble Vāsuki, le meilleur des serpents,

de cette malédiction : c’est la vérité que je te dis.

19. Garde l’esprit confiant, ô serpent, , tu n’as aucune crainte à avoir.

Je m’efforcerai, mon cher, de faire pour le mieux.

Ma voix ne dit pas de mensonges pour des choses sans importance[60], à plus forte raison dans les autres cas.

20. Je vais aller chez Janamejaya, cet excellent roi qui a été consacré :

par des paroles accompagnées de bénédictions je l’amadouerai aujourd’hui, mon oncle,

de façon, Excellence, à ce que le sacrifice du roi soit arrêté.

21. Confie-moi tout, , subtil Seigneur des serpents,

mon esprit ne peut jamais t’être déloyal. »

22. Vāsuki dit :

« Āstika, je suis très agité, mon cœur se déchire,

je ne sais plus où me diriger, je suis broyé par le sceptre de Brahmā. »

23. Āstika dit :

« Tu ne dois pas te faire de souci, en aucune façon, ô le meilleur des serpents :

je détruirai la crainte qui te vient du feu flamboyant.

24. Le sceptre de Brahmā plein d’épouvante, éclatant comme le feu de Kāla[61],

je le détruirai : n’aie pas ici de crainte, en aucune façon. »

25. Le conteur dit :

« Puis, après avoir enlevé à Vāsuki la crainte qui enfiévrait son esprit

et l’avoir prise sur sa propre personne, Āstika, le meilleur des deux-fois-nés, alla en toute hâte

26. au sacrifice doué de toutes les qualités de Janamejaya,

afin de délivrer les seigneurs des serpents.

27. Āstika partit et aperçut le somptueux espace du sacrifice

rempli d’un grand nombre de prêtres surveillants qui resplendissaient comme Vahni[62] et Sūrya[63].

28. Là, au moment d’entrer, le meilleur des deux-fois-nés fut arrêté par les gardes.

Pour entrer, le meilleur des deux-fois-nés célébra ce sacrifice.

 

 

 

 

 

I, 50. Āstika fait l’éloge du sacrifice.  

 

Livre I, chapitre 50.

 

1. Āstika dit :

« Il y eut le sacrifice de Soma, le sacrifice de Varuṇa, le sacrifice de Prajāpati à Prayāga,

il en est de même ici pour ton sacrifice, ô le meilleur des Bhārata, fils de Pārikṣit : nos vœux accompagnent ceux qui te sont chers !

2. On dit du sacrifice de Śakra qu’il est centuple, d’autres aussi ont un même décompte, égal à cent[64],

il en est de même ici pour ton sacrifice, ô le meilleur des Bhārata, fils de Pārikṣit : nos vœux accompagnent ceux qui te sont chers !

3. Comme il y eut le sacrifice de Yama et celui de la moelle à Hari[65], le sacrifice du roi Rantideva,

il en est de même ici pour ton sacrifice, ô le meilleur des Bhārata, fils de Pārikṣit : nos vœux accompagnent ceux qui te sont chers !

4. Il y eut le sacrifice de Gaya et du roi Śaśabindu, il en fut de même pour le sacrifice du roi Vaiśravaṇa[66],

il en est de même ici pour ton sacrifice, ô le meilleur des Bhārata, fils de Pārikṣit : nos vœux accompagnent ceux qui te sont chers !

5. Et comme il y eut le sacrifice de Nṛga et d’Ajamīḍha, et le sacrifice du roi fils de Daśaratha[67],

il en est de même ici pour ton sacrifice, ô le meilleur des Bhārata, fils de Pārikṣit : nos vœux accompagnent ceux qui te sont chers !

6. Il y eut le sacrifice, fameux chez nous jusqu’au ciel, du fils de dieu, du roi Yudhiṣṭhira, issu d’Ajamīḍha[68],

il en est de même ici pour ton sacrifice, ô le meilleur des Bhārata, fils de Pārikṣit : nos vœux accompagnent ceux qui te sont chers !

7. Il y eut le sacrifice de Kṛṣṇa[69], le fils de Satyavatī et où il célébra lui-même le rituel,

il en est de même ici pour ton sacrifice, ô le meilleur des Bhārata, fils de Pārikṣit : nos vœux accompagnent ceux qui te sont chers !

8. Ceux qui sont là ont le rayonnement du feu sacrificiel et du soleil, ils sont assemblés comme autour du sacrifice du Tueur de Vṛtra[70],

on ne leur connaît aucun savoir qu’ils auraient à connaître à ce jour, ce qui leur est donné ne saurait en aucune façon disparaître.

9. Et il n’y a pas dans les mondes de prêtre pareil à Dvaipāyana[71], telle est ma conclusion,

ses disciples parcourent la Terre, tous ces prêtres sont des experts chacun dans son office.

10. Le dieu à la lumière bienfaisante, à l’éclat prodigieux, au grand cœur, au sperme d’or, le dévoreur universel aux empreintes noires,

à l’aigrette tournée vers la droite, le flamboyant dévoreur désire ce que tu lui offres rituellement.

11. Ici-bas, dans le monde des vivants, on ne connaît pas d’autre roi qui soit comme toi le protecteur de ses sujets,

et grâce à ta constance mon esprit est toujours en joie : le roi qui est le roi du Dharma, soit c’est toi, soit c’est Yama[72].

12. Comme ici-bas Śakra s’incarne le foudre à la main, pareillement tu es en ce monde la protection de tes sujets,

nous te considérons comme le seigneur des hommes, ici-bas en ce monde, et lors du sacrifice il n’y a pas d’autre maître de maison que toi.

13. Tu es l’équivalent de Khaṭvāṅga, Nābhāga, Dilīpa, pour la majesté tu es pareil à Yayāti, à Māndhātā[73],

pour l’éclat tu as la semblance de l’éclat d’Āditya[74], comme Bhīṣma tu rayonnes, tu es fidèle à tes vœux.

14. Comme Vālmīki, modeste est ta dignité, et comme Vasiṣṭha, tu contrôles ta colère,

pour la souveraineté, tu es pareil à Indra selon moi, et ta splendeur brille comme Nārāyaṇa.

15. Comme Yama tu connais les arrêts du Dharma, comme Kṛṣṇa tu es pourvu de toutes les qualités,

de même que dans la prospérité tu es le séjour des richesses, de même tu es pareil à un trésor pour les sacrifices.

16. Tu es semblable au roi Dambhodbhava par la force, comme Rāma tu connais l’épée et tu connais le javelot,

tu es d’un éclat pareil à celui d’Aurva et de Trita, ta vision blesse le regard à l’instar de Bhagīratha. »

17. Le conteur dit :

« Après avoir été ainsi célébrés, tous furent ainsi rassérénés : le roi, les prêtres surveillants, les officiants, le feu sacrificiel…

Voyant les mines qu’ils faisaient, le roi Janamejaya lui répondit alors :

 

 

 

 

 

I, 51. Janamejaya, émerveillé par les paroles d’Āstika, lui offre un vœu. Les prêtres lui conseillent d’attendre que Takṣaka soit tombé lui aussi dans le feu. Le sacrifice continue donc. Indra apparaît, mais il ne peut protéger Takṣaka qui tombe vers le feu. Janamejaya renouvelle son offre de vœu à Āstika. Celui-ci demande l’arrêt immédiat du sacrifice. Janamejaya, dépité, lui propose de choisir un autre vœu, mais Āstika est intraitable. Le sacrifice s’arrête.  

 

Livre I, chapitre 51.

 

1. Janamejaya dit :

« Cet enfant parle comme un ancien : ce n’est pas un enfant, c’est un ancien selon moi.

Je désire lui accorder un vœu : brahmanes assemblés, accordez-le lui de ma part ! »

2. Les prêtres surveillants dirent :

« Même enfant, un brahmane en ce monde est assurément vénérable pour les rois, autant celui qui n’est pas savant que celui qui est normalement savant.

Il est digne aujourd’hui de tout ce que tu désires, d’autant que Takṣaka approche vite. »

3. Le conteur dit :

« Alors que le roi dispensateur de dons désirait dire au deux-fois-né « Choisis un vœu », il fut ainsi apostrophé

par un prêtre d’humeur pas très réjouie qui lui cria : « Tant que Takṣaka ne vient pas à notre cérémonie… »

4. Janamejaya dit :

« Pour que ma cérémonie soit accomplie, et pour que Takṣaka vienne vite à nous,

déployez tous vos efforts, Seigneurs : de toutes ses forces il me voue vraiment une haine extrême. »

5. Les prêtres officiants dirent :

« Comme nous le disent les textes sacrés, comme l’affirme le feu purificateur,

Takṣaka, ô roi, est dans le palais d’Indra, écrasé par la peur. »

6. Le conteur dit : 

« Comme Lohitākṣa, le conteur au grand cœur, qui connaissait les récits d’antan, l’avait appris jadis,

il dit à ce moment-là au roi qui l’interrogeait : « C’est comme l’ont dit les brahmanes, ô dieu parmi les hommes.

7. Je te parle après avoir consulté les récits d’antan : un vœu lui a été offert par Indra, ô roi.

''Demeure ici auprès de moi bien à l’abri : le feu purificateur ne te consumera pas''. »

8. Après avoir entendu cela, le roi consacré fut tourmenté, et il continua à presser le prêtre durant le sacrifice.

Et le prêtre versait activement des offrandes en prononçant des mantras ; alors Indra en personne se présenta,

9. monté sur son char céleste, plein de majesté, entouré de louanges par tous les dieux,

et escorté aussi de nuées d'orage, et de génies aériens et de multitudes d’Apsaras.

10. Le serpent se cachait dans son manteau, tremblant de peur, il ne voyait aucun refuge.

Le roi, en colère, répondit donc aux prêtres experts en mantras une parole où il désirait la mort de Takṣaka :

11. « Si ce serpent Takṣaka, ô brahmanes, demeure avec Indra,

faites-le tomber avec Indra lui-même dans le feu ! »

12. Les prêtres officiants dirent :

« Ce Takṣaka va vite tomber en ton pouvoir, ô roi :

on entend ses grands hurlements, l’effroi lui fait pousser des cris horribles.

13. Le serpent a désormais été lâché par le porteur du foudre, ses crochets sont tombés, son corps est mis en pièces par les mantras,

le seigneur des serpents, tournoyant dans les airs, a perdu conscience, il approche, exhalant d’ardents soupirs.

14. Ta cérémonie, ô roi des rois, se déroule comme il convient, Seigneur.

Veuille donc offrir un vœu à cet excellent deux-fois-né. »

15. Janamejaya dit :

« Ô toi qui est incommensurable avec la beauté de la jeunesse, je t’accorde un vœu comme il te convient :

choisis le vœu qui te tient à cœur, je te l’accorderai, même si on ne doit pas le donner. »

16. Le conteur dit :

« Au moment où Takṣaka le seigneur des serpents allait tomber dans Jātavedā[75],

Āstika annonça alors en ces termes mêmes : « C’est l’occasion.

17. si tu m’offres un vœu, je choisis ceci, Janamejaya :

que ton sacrifice cesse, que les serpents ne tombent pas là-dedans. »

18. Alors donc à ces mots, ô brahmane, le roi, fils de Pārikṣit,

pas très joyeux, dit cette parole à Āstika :

19. « De l’or, de l’argent, des vaches, ou tout autre chose que tu imagines, ô Puissant,

je te le donnerais en vœu , ô brahmane : que mon sacrifice ne s’arrête pas ! »

20. Āstika dit :

« Ton or, ton argent, tes vaches, je ne les choisis pas, ô roi.

Que ton sacrifice cesse, que vive la famille de notre mère ! »

21. Le conteur dit :

« Alors, après ces paroles d’Āstika, le roi, fils de Pārikṣit,

disait encore et encore ceci à Āstika : « Dis un vœu,

22. choisis-toi un autre vœu qui te plaise, ô le meilleur parmi les meilleurs des deux-fois-nés. »

Et le fils de Bhṛgu ne demandait pas un autre vœu.

23. Là, tous les prêtres surveillants qui connaissaient les Veda

dirent unanimement au roi : « Que le brahmane reçoive l’objet de son vœu ! »

 

 

 

 

 

I, 52. Nom des serpents tombés dans le feu.  

 

Livre I, chapitre 52.

 

1. Śaunaka dit :

« Quels sont les serpents qui, lors de ce sacrifice, sont tombés dans le feu sacrificiel ?

Je désire entendre les noms de tous ceux-là, ô fils du conteur. »

2. Le conteur dit :

« Il y en avait plusieurs milliers, des millions, des centaines de millions,

une telle profusion qu’il n’est pas possible de les compter, ô toi qui connais les Veda.

3. Mais dans la mesure où je peux en oublier, apprends de moi les noms des serpents,

ceux qui étaient donnés aux chefs qui ont été sacrifiés dans Jātavedā.

4. Apprends d’abord de moi les principaux membres de la lignée de Vāsuki,

zinzolins, blancs, épouvantables, avec un grand corps, gorgés de venin.

5. Koṭika, Mānasa, Pūrṇa, Saha, Paila, Halīsaka,

Picchila, Koṇapa, Cakra, Koṇavega, Prakālana,

6. Hiraṇyavāha, Śaraṇa, Kakṣaka, Kāladantaka,

voilà les serpents parents de Vāsuki qui sont entrés dans le feu sacrificiel.

7. Ceux qui sont nés dans la lignée de Takṣaka, je vais te les dire, écoute :

Pucchaṇḍaka, Maṇḍalaka, Piṇḍabhetta, Rabheṇaka,

8. Ucchikha, Surasa, Draṅga, Balaheḍa, Virohaṇa,

Śilīśalakara, Mūka, Sukumāra, Pravepana,

9. Mudgara, Śaśaroma, Sumanas, Vegavāhana,

voilà les serpents de la lignée de Takṣaka qui sont entrés dans le feu sacrificiel.

10. Pārāvata, Pāriyātra, Pāṇḍara, Hariṇa, Kṛśa,

Vihaṃga, Śarabha, Moda, Pramoda, Saṃhatāṅgada,

11. Voilà ceux de la lignée d’Airāvata qui sont entrés dans le feu sacrificiel.

Quant aux serpents issus de la lignée de Kauravya, écoute-moi, ô le meilleur des deux-fois-nés :

12. Aiṇḍila, Kuṇḍala, Muṇḍa, Veṇiskandha, Kumāraka,

Bāhuka, Śṛṅgavega, Dhūrtaka, Pāta et Pātara.

13. Quant aux serpents issus de la lignée de Dhṛtarāṣṭra, écoute avec précision

comment je les nomme, ô brahmane, ils étaient impétueux comme le vent, gorgés de venin :

14. Śaṅkukarṇa, Piṅgalaka, Kuṭhāramukha et Mecaka,

Pūrṇāṅgada, Pūrṇamukha, Prahasa, Śakuni, Hari,

15. Āmāhaṭha, Komaṭhaka, Śvasana, Mānava, Vaṭa,

Bhairava, Muṇḍavedāṅga, Piśaṅga et Udrapāraga,

16. Ṛṣabha surnommé l’impétueux, Piṇḍāraka et Mahāhanu,

Raktāṅga, Sarvasāraṅga, Samṛddha, Pāṭa et Rākṣasa,

17. Varāhaka, Vāraṇaka, Sumitra, Citravedika,

Parāśara, Taruṇaka, Maṇiskandha et Āruṇi.

18. Voilà, ô brahmane, je t’ai nommé les serpents qui ont fait grandir leur renommée,

les principaux : mais vu leur profusion je ne les ai pas tous nommés.

20. Ceux à sept têtes, à deux têtes, à cinq têtes, et les autres encore

qui avaient un venin comme le feu de Kāla[76], épouvantables, furent sacrifiés par centaines de milliers.

21. Avec leurs grands corps, leurs grandes forces, ils s’élevaient comme les pics d’une montagne,

leur largeur s’étalait sur une lieue, leur longueur s’étendait sur deux lieues,

22. changeant de forme à leur gré, se déplaçant à leur gré, gorgés d’un venin pareil au feu flamboyant ;

ils furent consumés là, lors du grand sacrifice, broyé par le sceptre de Brahmā. »

 

 

 

 

 

I, 53. Takṣaka ne tombe pas dans le feu. Āstika l’encourage : “Tiens bon !”. Le sacrifice cesse. Janamejaya récompense les officiants et renvoie Āstika chez lui avec beaucoup d’honneurs. Les serpents félicitent Āstika et lui offrent un vœu. Il choisit que l’invocation de son nom protège de la morsure des serpents.  

 

Livre I, chapitre 53.

 

1. Le conteur dit :

« Nous avons aussi entendu cet autre prodige de la part d’Āstika,

alors que le roi fils de Pārikṣit lui accordait des vœux.

2. Comme le serpent, après être tombé de la main d’Indra, restait en l’air,

le roi Janamejaya fut alors perplexe.

3. Alors que le feu recevait des oblations en flamboyant puissamment, comme il convient,

Takṣaka, écrasé par la peur, ne tombait pas du tout dans les flammes.

4. Śaunaka dit :

« Pourquoi, conteur, ces brahmanes lettrés n’ont-ils pas proféré une foule de mantras,

puisqu’à ce moment-là Takṣaka ne tombait pas dans le feu ? »

5. Le conteur dit :

« Alors que le meilleur des serpents tombait, inconscient, de la main d’Indra,

Āstika lui cria par trois fois ces mots : « Tiens bon ! Tiens bon ! ».

6. Il se tenait fermement dans l’atmosphère, le cœur consumé,

comme se tiendrait un homme à l’intérieur d’un cercle de bœufs.

7. Alors le roi, vivement pressé par les prêtres surveillants, dit cette parole :

« Qu’il en soit fait selon le désir qu’a exprimé Āstika ! 

8. Que ce rite se termine, que les serpents se portent bien,

qu’Āstika ici présent soit contenté, que la parole du conteur soit vraie ! ».

9. Alors il y eut un hululement de joie

quand le vœu fut accordé à Āstika, aussi il fut mis fin

10. au sacrifice du descendant de Pāṇḍu, le roi fils de Pārikṣit,

et le roi descendant de Bhārata, Janamejaya, était satisfait.

11. Et aux prêtres officiants et aux prêtres surveillants qui étaient réunis là,

il offrit des richesses par centaines, par centaines de milliers,

12. et à Lohitākṣa, le conteur ainsi qu’à l’architecte, par qui avait été prédit

qu’un être tout-puissant ferait cesser le sacrifice au point culminant de la cérémonie :

13. « La cause en sera un brahmane » ; il lui donna de grandes richesses,

puis il accomplit la cérémonie de purification selon le rite reconnu par les instructions du rituel.

14. Āstika fut envoyé avec beaucoup d’hospitalité dans son propre palais

par le roi, l’esprit réjoui, et le lettré était réjoui d’avoir accompli sa tâche.

15. « Il faudra revenir, lui dit-il :

tu seras mon prêtre surveillant lors du grand rituel du sacrifice du cheval. »

16. Après avoir dit : « Qu’il en soit ainsi », Āstika se sauva, plein de joie

d’avoir accompli sa tâche incomparable et d’avoir contenté le prince.

17. Et il alla au comble de la joie auprès de sa mère et de son oncle,

il s’approcha d’eux, prit leurs pieds dans ses mains[77] et leur dit comment cela s’était passé.

18. Après avoir entendu cela, les serpents qui étaient rassemblés là se réjouirent, libérés de leur égarement,

ils étaient pleins d’affection pour Āstika et ils lui dirent : « Choisis le vœu que tu désires ! »

19. Encore et encore ils lui disaient tous ensemble : « Quelle faveur devons-nous te faire aujourd’hui, ô sage ?

Nous sommes tous joyeux et délivrés : quel désir devons-nous accomplir pour toi, mon enfant ? »

20. Āstika dit :

« Ceux qui, matin et soir, ici-bas, l’esprit plein de sérénité, sages brahmanes et hommes du commun aussi,

feraient ce récit de mon Dharma, ne doivent en aucune façon avoir peur de vous. »

21. Le conteur dit :

« Et ils parlèrent à leur neveu sereinement : « Nous ferons en sorte que ce vœu se réalise,

c’est avec joie que nous sommes tous attelés à ton désir, nous le réaliserons volontiers, ô fils de notre sœur ! »

22. « Que le très glorieux qui est apparu en Jaratkāru grâce à Jaratkāru,

qu’Āstika, fidèle à sa parole, me protège des serpents !

23. Celui qui se rappellerait Asita, Ārtimat et aussi Sunītha[78],

que ce soit de jour comme de nuit, ne saurait avoir peur des serpents. »

24. Le conteur dit :

« Après avoir délivré les serpents du Grand Sacrifice des Serpents, le meilleur des deux-fois-nés

trouva, quand il fut temps, la mort qui lui était destinée, le cœur plein de Dharma, entouré de ses fils et petits-fils.

25. Voilà, je t’ai fait avec exactitude le récit d’Āstika,

et grâce à ce récit on ne connaît jamais la peur des serpents,

26. après avoir écouté le très édifiant récit d’Āstika qui exalte le Bien,

la geste éminente du chantre Āstika, ô brahmane, depuis le tout début. »

27. Śaunaka dit :

« A partir de la lignée même de Bhṛgu, tu m’as fait ce grand

récit en entier, cher fils du conteur : je suis satisfait de toi.

28. Je te prie aussi à nouveau comme il convient, ô fils du conteur :

raconte-moi encore l’épopée que composa Vyāsa

29. lors de ce Grand Sacrifice des Serpents, extrêmement difficile à réaliser pour les prêtres surveillants

au grand cœur, pendant les intervalles du sacrifice, comme il convient, ô grand chantre.

30. Quels furent les récits merveilleux, quels étaient leurs sujets exactement ?

Nous désirons l’entendre de toi, ô fils du conteur, car tu es clairvoyant. »

31. Le conteur dit :

« Pendant les intervalles du sacrifice, les deux-fois-nés racontaient des contes en rapport avec les Veda,

mais Vyāsa racontait continuellement le grand récit de Bhārata. »

32. Śaunaka dit :

« Le récit du Mahābhārata qui fait la gloire des Pāṇḍava,

que Janamejaya réclama alors à Kṛṣṇa Dvaipāyana[79],

33. celui-ci  l’a récité alors selon les règles, pendant les intervalles du sacrifice.

Et moi, selon les règles, je désire entendre ce saint récit

34. issu de l’océan de pensées du grand sage aux actes purs :

raconte-le, ô le meilleur des justes, je ne m’en lasse pas, ô fils du conteur ! »

35. Le conteur dit :

« Eh bien, je vais te raconter ce grand récit suprême

depuis le tout début, le Mahābhārata tel que l’a conçu Kṛṣṇa Dvaipāyana.

36. Prends plaisir à mon récit, ô deux-fois-né aux pensées supérieures :

le réciter donne aussi à mon esprit un frisson de plaisir. »

 

 

 



[1] Vyāsa.

[2] Aruṇa, demi-dieu personnifiant l'Aurore, cocher du char de Sūrya.

[3] Aigle mythique, ; à sa naissance il effraya les dieux par son éclat; il est roi des oiseaux et destructeur des serpents dont il est affamé.

[4] = Brahmā.

[5] Uccaiḥśravā « le Très Glorieux », cheval blanc merveilleux issu du barattage de l'océan de lait ; il est l'ancêtre de tous les chevaux; Indra se l'appropria pour conduire son char.

[6] Êtres célestes fabuleux à corps d'homme et tête de cheval.

[7] Ananta « Éternel », épith. du dragon d'éternité Śeṣa, fils de Kaśyapa et de Kadrū; durant la création il demeure aux enfers et à la fin du Monde Rudra émane de ses têtes pour détruire l'Univers.

[8] Viṣṇu.

[9] Pātāla, septième enfer souterrain; les dragons y habitent; Bali y règne.

[10] Epithète du dieu Candra personnifiant la Lune comme « récipient du soma ».

[11] Āditya, fils d'Aditi, le Soleil personnifié.

[12] Mohinī « Celle qui trompe », forme féminine assumée par la magie de Viṣṇu.

[13] épithète de Viṣṇu « le meilleur des hommes ».

[14] Nara.

[15] monstres marins, chimères de dauphin et de  crocodile, montures de Varuṇa et de Gaṅgā.

[16] Kṛṣṇa, 9e avatāra de Viṣṇu.

[17] « Bouche de la jument », une des portes des régions infernales, située au pôle Sud.

[18] = Indra.

[19] = Indra, le Chef des descendants de Vasu.

[20] Māruta, épithète de Vāyu « Maître des Vents ».

[21] Candra « le Brillant », personnifie la Lune.

[22] Vahni, épithète d'Agni, le dieu du feu.

[23] Bhāskara, épithète de Sūrya « Qui illumine ».

[24] les Vālakhilyās, nom d'une classe de sages de très petite taille, qui faisait pénitence pour obtenir la création d'êtres vivants; il y a 60.000 Vālakhilyās, qui entourent le char du Soleil.

[25] Sceptre de Brahmā, arme cosmique (utilisée par Rāma pour écarter les eaux et permettre le passage vers Laṅkā).

[26] Indra.

[27] Agni.

[28] Viśvakarman.

[29] Indra.

[30] Śiva.

[31] Le foudre (vajra) a été fabriqué par l’artisan céleste Tvaṣṭā à partir des os de la tête de cheval que le sage Dadhīca avait reçu des Aśvin, au cas où Indra lui couperait la tête pour le punir de leur avoir révélé certains mystères.

[32] Suparṇa « au beau plumage ».

[33] = les serpents.

[34] Indra.

[35] Savitā, l’un des douze Adityas, radieux du Soleil levant, « l'Incitateur » aux mains d'or [Hiraṇyahasta]; il symbolise le pouvoir magique du Verbe identifié au pouvoir procréateur du Soleil.

[36] Vaiśvānara « Celui qui est à tous les hommes », épithète du Soleil.

[37] Épithète du dieu Candra personnifiant la Lune comme «(récipient du) soma».

[38] Savitā, l’un des douze Adityas, radieux du Soleil levant.

[39] Vaiśvānara « Celui qui est à tous les hommes », épithète du Soleil.

[40] Brahmā.

[41] Ravi, épithète de Sūrya, le Soleil.

[42] Épithète du dieu Candra personnifiant la Lune comme «(récipient du) soma».

[43] Étymologisation du nom Āstika à partir de asti « Il y en a un ».

[44] Śiva.

[45] Govinda (« Possesseur des troupeaux »), épithète du jeune Kṛṣṇa.

[46] Fils de Subhadrā : Abhimanyu, le fils d'Arjuna et de Subhadrā.

[47] Les six catégories (varga) ennemies intérieures de l’homme, à savoir les cinq sens et l’imagination.

[48] Voir le chapitre 3.

[49] L’arbre sur lequel, au chapitre 3, Kaśyapa montre sa puissance à Takṣaka : le serpent le réduit en cendres et Kaśyapa le fait revivre.

[50] Jātavedā, épithète d'Agni, le Feu, « qui possède (ultimement) toutes les créatures ».

[51] Les sadasya, prêtres dont la seule fonction est de surveiller le sacrifice.

[52] Le hotṛ, prêtre qui récite les stances du Ṛgveda prescrites pour une cérémonie.

[53] L’udgātṛ, prêtre-chantre de sāman (hymne de louange, notamment chant védique, mélodie liturgique pour le Ṛgveda).

[54] Le brahman, prêtre en chef du sacrifice védique ; il ne fait qu'observer le sacrifice, pour en rectifier les erreurs possibles et le « guérir ».

[55] L'adhvaryu, prêtre officiant du sacrifice du soma; il prononce les formules de la yajuḥsaṃhitā; il fait l'oblation de beurre dans le feu ; il est assisté du hotṛ, de l'udgātṛ et du brahman.

[56] Indra.

[57] Yama, le dieu des morts.

[58] Pitāmaha « l'Aïeul », un des noms de Brahmā.

[59] Le « Seigneur des créatures », épithète de la moitié mâle (Virāṭ) de Brahmā, le Créateur.

[60] Cf. I,43, 28 : ce sont les mêmes mots que son père Jaratkāru au moment de son départ.

[61] Kāla, épithète de Yama-Mṛtyu, le dieu de la Mort, sous son aspect du Temps destructeur.

[62] Vahni, épithète d'Agni, le dieu du feu.

[63] Sūrya, le dieu du Soleil.

[64] Une des épithètes de Śakra (= Indra) est śatakratu « aux cent sacrifices ».

[65] Hari, épithète de Viṣṇu « le Lion ».

[66] Vaiśravaṇa (« Descendant de Viśravā ») patronyme de Kubera (dieu de la richesse, gardien des neuf trésors, chef des génies et des esprits cachés).

[67] Le roi fils de Daśaratha : Rāma, le héros du Rāmāyaṇa.

[68] Après avoir recouvré le pouvoir royal, Yudhiṣṭhira fit un grand sacrifice de cheval (aśvamedha) pour soumettre tous les rois.

[69] Kṛṣṇa « le noiraud », surnom du sage Vyāsa (« le Compilateur »), fils de Parāśara et Kālī-Satyavatī; on lui attribue la compilation du Mahābhārata et des récits sacrés [purāṇa].

[70] Indra : Vṛtra, symbole de la sécheresse, retint les eaux prisonnières; il fut tué par Indra aidé de Viṣṇu, libérant les eaux et créant les rivières.

[71] Dvaipāyana (« Né sur une île ») : épithète de Vyāsa (né dans une île de la Yamunā).

[72] Dharmarāja « roi du Dharma » est une des épithètes de Yama, le dieu des morts : Janamejaya est, dans le monde des vivants, l’équivalent de Yama dans le monde des morts.

[73] Khaṭvāṅga, Nābhāga, Dilīpa, Yayāti et Māndhātā sont des grands rois légendaires.

[74] Le Soleil.

[75] « Celui qui possède tout » = Agni, le dieu du feu.

[76] Kāla, épithète de Yama-Mṛtyu, le dieu de la Mort, sous son aspect du Temps destructeur.

[77] Prendre les pieds de quelqu’un dans ses mains est un signe de respect.

[78] Noms de mantras contre les serpents apparemment.

[79] Kṛṣṇa (le Noiraud) né sur une île (Dvaipāyana) : épithète de Vyāsa, né dans une île de la rivière Yamunā..