(4)
Histoire de Pauloma : 4-12
I, 4. Ugraśravas est prié d’attendre que la
session sacrificielle de Śaunaka soit terminée. (= 11 ślokas) |
1.
Le fils de Lomaharṣaṇa,
Ugraśravas, le conteur qui connaît
les vieilles légendes, était dans la forêt Naimiṣa lors du grand
sacrifice des douze ans de Śaunaka, le chef de clan, et il s’approcha
des sages qui étaient venus là. 2.
Ce connaisseur des vieilles légendes, qui
avait laborieusement travaillé sur les récits d’antan, leur parla en portant
ses mains jointes à son front : « Que désirent
entendre vos Seigneuries ? Que
dois-je réciter ? » 3. Les sages lui dirent :
« Nous
t’interrogerons toi, ce qu’il y a de meilleur pour Lomaharṣaṇa, et tu nous parleras et nous
serons attentifs à ton discours ; mais
d’abord le bienheureux Śaunaka se trouve
dans le sanctuaire du feu. 4. Celui-ci connaît les gestes divines,
les gestes des divinités et des asuras, et
il connaît entièrement les gestes des hommes, des serpents et des gandharvas. 5. Et dans ce sacrifice, ô fils du
conteur, c’est ce savant chef de clan qui est
le deux-fois-né, ferme
dans ses vœux, sage, un maître expert
dans la littérature sacrée et ésotérique, 6. sincère, plein de quiétude, un ascète
fidèle à ses vœux ; pour
nous tous il est vénérable : il faut donc l’attendre.
7. A un moment le Maître prend place
sur le siège le plus honorable ; alors
tu diras ce que te demandera le meilleur des deux-fois-nés. » 8. Le conteur dit :
« Qu’il en soit
ainsi : quand le Maître au grand cœur se sera assis, à
sa requête je dirai les saintes gestes aux sujets variés. » 9. Et puis quand ce taureau parmi les
brahmanes eut achevé tout son office point par point, donnant leur content
aux dieux avec des paroles sacrées, aux Mânes avec une libation d’eau, il
vint 10. où les sages brahmanes d’une
sainteté parfaite étaient assis, fidèles à leurs vœux, s’étant
retirés près de l’autel du sacrifice, précédés par le fils du conteur. 11. Ensuite donc, parmi les officiants
contrôleurs qui étaient assis, le maître de maison Śaunaka vint s’asseoir, puis il dit ceci : |
I, 5. A la fin du sacrifice, Śaunaka demande
à Ugraśravas de commencer par raconter l’histoire de sa famille, la
famille de Bhṛgu. Ugraśravas s’exécute. Bhṛgu engendra
Cyavana, Cyavana engendra Pramati, Pramati engendra Ruru, Ruru engendra
Śunaka, le père de Śaunaka. Śaunaka veut entendre l’histoire
de Cyavana, et Ugraśravas raconte. Bhṛgu part faire ses dévotions
tandis que son épouse Pulomā est enceinte. Un démon, Pulomant, aperçoit
Pulomā et s’en éprend. Il demande à Agni quel est l’époux de
Pulomā, qu’il a aimée autrefois : si c’est Bhṛgu, il enlèvera
Pulomā. Agni ne se résout pas à mentir. (= 26 ślokas) |
Livre
I, chapitre 5. 1. Śaunaka
dit : « Ton
père, mon garçon, a étudié jadis l’intégralité des récits d’antan. Est-ce que d’aventure
toi aussi tu aurais appris tout cela de Lomaharṣaṇa ? 2. Car, dans ces récits d’antan, il y a les gestes divines et les premières lignées
des sages. Elles
nous ont été racontées jadis, et nous les
avons entendues autrefois de ton père. 3. Parmi celles-ci je désire entendre
l’antique lignée de Bhṛgu. Raconte
cette geste : nous sommes prêts pour ton enseignement » 4. Le conteur lui dit : « Ô le meilleur des deux-fois-nés, ce qui a été
appris jadis comme il convient, par des hommes
au grand cœur, le sage Vaiśaṃpāyana et les autres aussi,
et raconté jadis, 5. et ce qui a été appris par mon père,
et aussi alors par moi comme il convient, écoute-le donc :
cette liste d’ancêtres que les dieux, et Indra, et Agni et les troupes de
Marut honorent, la lignée
des descendants de Bhṛgu, ô rejeton de
Bhṛgu. 6. Brahmane, descendant de Bhṛgu, grand anachorète, cette lignée je te la raconte ; elle contient des légendes en rapport
direct avec les récits d’antan. 7. Bhṛgu avait un fils bien-aimé
du nom de Cyavana Bhārgava. Cyavana avait aussi un
héritier vertueux du nom de Pramati. Et
Pramati avait aussi un fils de Ghṛtācī :
« Ruru ». 8. Puis de Pramadvarā naquit un fils à Ruru, ton
arrière-grand-père : Śunaka
au cœur
loyal, qui connaissait à fond le Veda. 9. et austère et célèbre, savant
connaisseur du Brahman, très vertueux , sincère, maître de lui-même, maître de
ses sens. » 10. Śaunaka
dit : « Fils du conteur
comment ce fils de Bhṛgu au grand cœur a
reçu ce surnom de Cyavana ? Je te demande de me dire. » 11. Le conteur lui dit :
« Bhṛgu
avait une épouse qu’il chérissait, nommée « Pulomā ». En
elle se développa un embryon, provenant de la semence virile de Bhṛgu. 12. Et tandis que l’embryon se formait
dans Pulomā, ô rejeton de Bhṛgu, au creux de cette
femme sereine mariée à un homme célèbre, à ce moment-là, 13. alors que Bhṛgu, le meilleur
des protecteurs du Dharma, se
rendait à une consécration, le
rākṣasa
Puloman vint alors à son ermitage. 14. En entrant dans l’ermitage il vit
l’épouse irréprochable de Bhṛgu : envahi
par l’amour, il perdit l’esprit. 15. La gracieuse Pulomā accueillit
alors ce rākṣasa qui arrivait avec
des produits des bois, des fruits, des racines etc. 16. Mais alors, ô brahmane, le rākṣasa,
tourmenté par l’amour, fut
alors excité en la voyant et chercha à enlever cette femme irréprochable. 17. Puis dans le sanctuaire du feu il
vit Jātavedā[1] en train de brûler. Alors
le rākṣasa interrogea ainsi le Purificateur[2] en train de brûler. 18. « Indique-moi de qui elle est
l’épouse, ô Agni, car je te le demande dans les règles. Tu
es véridique, dis la vérité, ô Purificateur, à moi qui te la demande. 19. Car j’avais choisi auparavant comme
épouse cette femme au teint clair. Mais
ensuite son père l’accorda au sournois Bhṛgu. 20. Si cette femme aux belles hanches est l’épouse clandestine de Bhṛgu, dis-moi
donc la vérité : je désire l’enlever de l’ermitage. 21. Car la fureur continue aujourd'hui à me brûler le cœur que cette femme à la
taille fine, qui est mon épouse depuis longtemps, Bhṛgu l’ait
remportée. » 22. Le rākṣasa s’adressa
donc ainsi à Jātavedā en
train de brûler. Avec
méfiance il l’interrogea encore et encore sur l’épouse de Bhṛgu. 23. « Toi, Agni, tu vas
constamment dans le voisinage de toutes les créatures, comme un témoin du Bien et du Mal ; dis une parole
vraie, ô sage. 24. Si le sournois Bhṛgu a enlevé
celle qui est mon épouse depuis longtemps, alors
dis-moi la vérité, je te prie. 25.
Quand j’aurais entendu de toi qu’elle est l’épouse de Bhṛgu, moi je
l’enlèverai de l’ermitage, ô
Jātavedā, sous tes yeux :
dis-moi une parole véridique. 26. Entendant ces mots, le Sept-Rayons
fut fort abattu : « Je suis effrayé
aussi bien par le mensonge que par la malédiction de Bhṛgu »
dit-il tout doucement. |
I,
6. Le démon enlève Pulomā. Celle-ci se met en colère et l’enfant,
Cyavana, naît prématurément. Son éclat consume le démon. Colère de Bhṛgu
quand il apprend ce qui s’est passé. Il maudit Agni qui l’a trahi : “Tu
mangeras n’importe quoi !” (= 13 ślokas) |
Livre
I, chapitre 6. 1. Le conteur dit :
Et alors, entendant
les paroles d’Agni, le rākṣasa se jeta sur elle, ô brahmane, sous la forme
d’un sanglier, à la vitesse du vent ou de l’esprit. 2. Ainsi l’embryon qui vivait dans la
matrice, ô rejeton de la maison de Bhṛgu, en
colère tomba du ventre de sa mère : c’est pour cela qu’il est devenu
Cyavana. 3. Quand il le vit tombé du sein maternel
et resplendissant comme Āditya, alors le rākṣasa fut réduit en cendres,
s’écroula et la laissa. 4. Se raidissant sous la douleur, Pulomā aux belles hanches s’enfuit en
courant, emportant, ô
brahmane, le
rejeton de Bhṛgu, Cyavana Bhārgava. 5. Brahmā
en personne, l'Aïeul de tous les mondes vit l’épouse irréprochable
de Bhṛgu en pleurs, les yeux pleins de larmes. Brahmā,
le bienheureux Aïeul consola la jeune
mariée. 6. Ruisselant de ses larmes jaillit une
grande rivière qui
suivait la trace de la glorieuse épouse de Bhṛgu. 7. Voyant alors que la rivière
s’écoulait en suivant sa route, le
bienheureux Aïeul du monde donna à cette rivière le nom de « Vadhūsarā », aux alentours de
l’ermitage de Cyavana. 8. C’est ainsi que naquit Cyavana, le
majestueux fils de Bhṛgu. Là
son père vit Cyavana et cette femme ardente. 9. Alors Bhṛgu, en colère,
interrogea sa femme Pulomā : « Qui a parlé de
toi ici à ce rākṣasa qui cherchait à t’enlever ? Car
assurément le rākṣasa ne savait pas que tu es mon épouse au doux
sourire. 10. Toi dis-le moi donc
maintenant : je désire le maudire dans ma colère. Qui
ne craint pas mes malédictions ? Et qui a commis cette
transgression ? 11. Pulomā lui dit : « Monseigneur, c’est Agni qui m’a dénoncée à ce
rākṣasa. C’est
pourquoi le rākṣasa m’a enlevée, tandis que je criais comme une
orfraie. 12. J’ai été libérée par l’éclat du
fils que j’ai de toi, et
ce rākṣasa a été réduit en cendres, il m’a laissée m’échapper et
s’est écroulé. » 13.
Le conteur dit : Après avoir entendu
Pulomā, Bhṛgu, au comble de la fureur, maudit
Agni dans sa colère : « Tu mangeras de tout. » |
I,
7. Agni n’a fait que dire la vérité, on ne peut le lui reprocher. Il est la “bouche
des dieux” : comment pourrait-il manger n’importe quoi ?. Il fait grève de
sacrifice et se retire des feux des brahmanes. Les dieux se plaignent à
Brahmā. Brahmā apaise Agni : ce n’est pas toi qui mangeras
n’importe quoi, seulement tes flammes, et tout ce que tu brûleras sera
purifié. Le feu reprend sa place. (=
26 ślokas) |
Livre
I, chapitre 7. 1. Le conteur dit :
Maudit
par Bhṛgu, Vahni en colère dit alors cette parole : « Quelle
est-là l’audace que tu as maintenant commise, ô brahmane ? 2. A moi qui m’appliquais au Dharma
tout en disant la vérité ! Quand
j’ai été interrogé, j’ai dit la vérité : quelle transgression y a-t-il
là de ma part ? 3.
En effet, celui qui, interrogé comme témoin, connaîtrait les faits et ferait
un faux témoignage, tuerait
ses ancêtres de même que ses descendants sur sept générations. 4. Et celui qui connaît la vérité
concernant une affaire et la connaissant ne parle pas, celui-là
est aussi souillé par le même crime, cela ne fait pas de doute. 5. Moi aussi je suis capable de te
maudire, mais je dois respecter les brahmanes ; et
je vais dire une évidence, puisque tu la connais toi aussi : écoute. 6.
J’ai le moyen de m’incarner de plusieurs façons et j’existe sous diverses
formes, dans les feux sacrés
perpétuels, dans les grands sacrifices de soma, et encore dans les rites et
les sacrifices. 7. Par l’offrande qui est allumée à
travers moi selon la règle indiquée par les Veda les
divinités aussi bien que les Mânes sont satisfaits. 8. Les eaux sont toutes les troupes des
dieux, les eaux sont de même les troupes des Mânes. Et les offrandes de nouvelle lune et de pleine lune sont pour les dieux
en même temps que pour les Mânes. 9. Ainsi dieux et Mânes, Mânes et dieux sont
vénérés ensemble et un à un aux quinzaines lunaires. 10. Puisque les dieux comme les Mânes
m’offrent toujours des oblations, je
suis ainsi traditionnellement la Bouche des Trente Dieux et des Mânes. 11. Les Mânes reçoivent des oblations à
la nouvelle lune et les dieux à la pleine lune par cette même bouche,
et elle mange l’oblation qui est offerte. Comment
mangerai-je de tout, alors que je suis leur bouche ? » 12. Sur ces considérations Vahni se retira des feux sacrés
perpétuels des deux-fois-nés ainsi que des rites, des grands sacrifices de
soma et des cérémonies d'offrande. 13.
Privées de la prononciation de la syllabe om et de l'invocation vaṣaṭ[3],
dépourvues de svadhā[4] et
de svāhā[5], démunies
de feu, toutes les créatures furent ainsi bien abattues. 14. Alors les vieux sages, tout
tremblants allèrent vers les dieux et leur dirent ces mots : « Avec la perte
du feu et la disparition des rites, les trois mondes vacillent alors qu’ils
n’ont pas commis de faute. Fixez
ce qui doit être fait sur ce point pour qu’il n’y ait pas de perte de
temps. » 15. Alors les vieux sages et les dieux
s’approchèrent de Brahmā et
ils lui firent connaître qu’Agni avait été maudit et qu’il s’était retiré des
rites. 16. Agni a été maudit par Bhṛgu, Votre Excellence, pour quelque raison. Comment, en étant la
bouche des dieux, en mangeant ainsi la meilleure part du sacrifice, en
mangeant les offrandes dans tous les mondes,
en viendra-t-il à manger de tout ? 17. Après avoir entendu leurs paroles,
le Créateur du Monde convoqua Agni et
lui dit une parole pleine de délicatesse, réconfortante, immuable. 18. Tu es le créateur aussi bien que la
fin de tous les mondes ici-bas. Tu soutiens les trois
mondes, et tu es l’agent des rites. Seigneur
du monde, fais en sorte que les rites ne soient pas détruits.
19. Comment t’es-tu ainsi égaré, toi
qui es le seigneur qui consomme l'oblation, puisque tu es la
purification en ce monde et que tu es présent dans toutes les
créatures ? 20. Tu n’en viendras pas à manger de
tout avec tout ton corps. Au moment de t’emparer
des choses, ce seront les flammes qui consumeront tout, ô feu empanaché. 21. De même que tout ce qui est touché
par les rayons du soleil est rendu pur, de
même tout ce qui sera consumé par ta flamme deviendra pur. 22. Agni, ton grand éclat a disparu par
sa propre puissance Par ton propre éclat
aussi accomplis la malédiction du sage, ô Tout-Puissant. Accepte la part des
dieux et la tienne quand elle est offerte dans ta bouche. » 23. « Qu’il en soit ainsi »
répondit Vahni à l'Aïeul. Il
partit exécuter le commandement du dieu suprême. 24. Et les sages divins, joyeux,
repartirent alors comme ils étaient venus, et
les sages accomplirent tous les rites comme auparavant. 25. Au ciel les dieux se réjouissaient
ainsi que la multitude des créatures sur la terre. Et
Agni connut une joie extrême d’être débarrassé de sa souillure. 26. Telle est l’antique épopée issue de
la malédiction d’Agni, la
destruction de Puloman et la naissance de Cyavana. |
I 8-12 : Histoire de Pramadvarā. I,
8. Un ermite, Sthûlakeśa, recueille Pramadvarā, la fille d’une
apsaras et l’élève. Ruru, le petit-fils de Cyavana, la demande pour femme.
Quelques jours avant la date du mariage, Pramadvarā est mordue par un
serpent et meurt. . (= 22
ślokas) |
Livre
I, chapitre 8. 1. Le conteur dit : Ensuite, ô brahmane,
Cyavana, le fils de Bhṛgu, engendra un fils de
Sukanyā, Pramati au grand
cœur, à l’éclat flamboyant. 2. Et Pramati conçut avec Ghṛtācī un fils du nom de Ruru. Et
Ruru conçut Śunaka
avec Pramadvarā. 3. Tout ce qu’a fait ce très éclatant
Ruru, brahmane, je
le dirai en détails, sans rien omettre : toi écoute-le.
4. Il y avait jadis un grand sage à qui
ses ascèses avaient donné la sagesse, nommé
Sthūlakeśa[6], attaché au bien-être
de toutes les créatures. 5. C’est aussi en ce temps-là que Menakā conçut du
roi des gandharvas, appelé Viśvāvasu,
ô sage brahmane. 6. Ensuite cette Menakā, une Apsara, ô rejeton de Bhṛgu, accoucha de son bébé le
moment venu, près de l’ermitage de Sthūlakeśa. 7. Puis, après avoir accouché de son
bébé au bord de la rivière, elle s’en alla. C’était
une fille ressemblant au bébé d’un dieu et comme flamboyant de beauté. 8. Le grand sage, Sthūlakeśa
l’éclatant, la vit mise au monde sur la berge déserte,
orpheline. 9. Alors, en voyant cette fille,
Sthūlakeśa, l’excellent deux-fois-né, le meilleur des
anachorètes, la recueillit donc, plein de compassion, et l’éleva. Elle
grandit avec de belles hanches, rayonnante dans son ermitage. 10. Celle-ci était plus belle que les
filles de joie, dotée de toutes les qualités de la beauté. Aussi
le grand sage lui donna le nom de « Pramadvarā ». 11. Quand Ruru vit Pramadvarā dans son ermitage, cet
homme au cœur loyal devint évidemment passionnément amoureux. 12. Le descendant de Bhṛgu
s’adressa alors au père par l’intermédiaire de ses amis. Et
entendant cela, Pramati alla voir le célèbre Sthūlakeśa. 13. Alors le père donna la jeune Pramadvarā à Ruru, fixant
le mariage avant l’astérisme lunaire consacré à Bhaga[7]. 14. Ainsi, quelques jours avant le
mariage, la
jeune fille au teint clair jouait en compagnie de ses amies. 15. Elle ne vit pas un serpent endormi,
étendu sur le côté, et
ses pieds marchèrent sur lui : elle était destinée à mourir, poussée par
le Temps. 16. Celui-ci, poussé par la loi du
Temps, abattit sur cette insouciante ses
crocs enduits de venin, profondément dans son
corps. 17. Une fois mordue, celle-ci tomba
immédiatement à terre sans conscience, morte,
ne méritant plus un regard, elle dont la beauté méritait tous les regards. 18. Et elle était comme endormie à
terre, tuée par le venin du serpent, elle
était encore plus séduisante avec ses hanches
fines. 19. Son père la vit, ainsi que les
autres ascètes aussi, tombée
sur le sol après ses convulsions, resplendissante comme un lotus. 20. Alors tous les meilleurs des
deux-fois-nés s’attroupèrent pleins de compassion : Svastyātreya,
Mahājānu, Kuśika,
Śaṅkhamekhala, 21. le fils de Bharadvāja, Kauṇakutsa, Ārṣṭiṣeṇa,
et aussi Gautama, Pramati
accompagné de son fils, de même que les autres anachorètes de la forêt.
22. En voyant la jeune fille morte,
tuée par le venin du serpent, ils
se lamentèrent, pris de pitié ; quant à Ruru, il quitta cet endroit,
affligé. |
I, 9. Ruru se lamente. Un messager des dieux lui
offre la vie de Pramadvarā contre la moitié de la sienne. Yama accepte
de ressusciter Pramadvarā. Ils vivent heureux, et Ruru jure de se venger
des serpents. Histoire de Sahasrapād. Un jour, il menace de son
bâton une grosse couleuvre. (= 22 ślokas) |
Livre
I, chapitre 9. 1. Le conteur dit :
« Pendant que les
brahmanes étaient assis là en cercle, Ruru
criait dans la forêt épaisse où il était allé plein de chagrin. 2. Accablé de douleur, il se lamentait
de façon très touchante. En
pleurs, il dit ces mots, en songeant à sa chère Pramadvarā. 3. « Elle git à terre cette fille
au corps svelte qui fait croître ma peine et
celle de tous mes parents : quel malheur pourrait donc alors dépasser
celui-là ? 4. Si j’ai pratiqué l’ascèse qui
m’avait été donnée ou si mes maîtres ont
ainsi été satisfaits comme il convient, que ma bien-aimée revienne à la vie. 5. Puisque depuis ma naissance j’ai été
maître de moi-même, ferme dans mes vœux, eh
bien qu’à l’instant même Pramadvarā
se relève rayonnante. » 6. Le messager des dieux dit :
« La parole que
tu dis là, Ruru, dans ton malheur, est vaine : pour
un mortel que la vie a quitté, ô toi dont le cœur est loyal, il n’y a pas de
vie. 7. Sa vie l’a quittée, la pauvre fille d’un
Gandharva et d’une Apsara : pour cette raison, fils, ne tourne pas ton esprit vers le
chagrin, en aucune façon. 8. Mais sur ce point les dieux au grand
cœur ont jadis trouvé un expédient ; si
tu désires y avoir recours, tu obtiendras Pramadvarā. » 9. Ruru dit : « Quel expédient
a été trouvé par les dieux ? Dis-le moi en vérité, ô messager céleste. J’y
aurai recours aussi quand je l’aurai appris : daigne me sauver,
Seigneur. » 10. Le messager des dieux dit :
« A condition
d’offrir la moitié de ta vie à la jeune fille, ô rejeton de Bhṛgu, ton
épouse Pramadvarā, Ruru, se
relèvera. » 11. Ruru dit : « J’offre la
moitié de ma vie à la jeune fille, ô suprême messager céleste ! Que
ma bien-aimée se relève parée des ornements de sa beauté ! » 12. Le conteur dit :
Alors le roi des
Gandharvas et le messager des dieux, ces deux perfections, allèrent
vers le Roi du Dharma[8] et lui dirent cette
parole. 13. « Roi du Dharma, qu’avec la
moitié de la vie de Ruru son épouse Pramadvarā se
relève, cette beauté qui est morte, si tu le juges bon. » 14. Le Roi du Dharma dit :
« Si tu le
désires, messager des dieux, que Pramadvarā,
l’épouse de Ruru, se relève en recevant la moitié de la vie de
Ruru. » 15. Le conteur dit :
Alors quand il eut
ainsi parlé, la jeune Pramadvarā
se releva avec
la moitié de la vie de Ruru, comme si elle s’était endormie, le teint clair. 16. Cela sera connu dans le futur pour
le resplendissant Ruru : « Que sa vie,
quand il sera devenu très vieux, soit diminuée de moitié au bénéfice de son
épouse. » 17. Ainsi, au jour choisi, leurs deux
pères célébrèrent joyeusement le
mariage et ils se réjouissaient tous deux, avec une prévenance réciproque. 18. Et ayant acquis une épouse si
difficile à acquérir, aussi splendide que l’étamine du lotus, il
fit vœu d’anéantir ces animaux flexueux, et il était ferme dans ses
vœux ! 19. Tous les serpents qu’il voyait,
pris d’une fureur terrible, ils
les tuait chaque fois, s’ils étaient assez près, en se saisissant d’une arme. 20. Un jour Ruru, ce sage brahmane,
était allé dans une grande forêt et
là il vit, couché, un amphisbène plein de vigueur. 21. Alors brandissant son bâton pareil
au bâton du Temps, ce
sage brahmane en colère le frappa ; alors l’amphisbène lui dit : 22. « Je ne commets aucune faute
envers toi aujourd'hui, ô ascète. Pourquoi donc me frappes-tu avec fureur et plein de
colère ? » |
I, 10. La couleuvre lui remontre qu’elle n’est
pas venimeuse. Ruru l’épargne et lui demande son histoire. Elle était
autrefois un ascète, du nom de Sahasrapād, transformé en serpent par la
malédiction d’un brahmane. (= 8 ślokas) |
Livre
I, chapitre 10. 1. Ruru dit : « Mon épouse, qui
est ma vie, a été mordue par un serpent. C’est
pourquoi je me suis fait à moi-même une promesse épouvantable, ô
serpent : 2. “Que
je tue à chaque fois tout serpent que je pourrais voir ” Par
conséquent j’ai l’intention de te tuer, tu vas être privé de ta vie. 3. L’amphisbène lui dit :
« Ce sont
d’autres serpents, ô sage brahmane, qui mordent ici-bas les hommes. Daigne
ne pas faire de mal aux amphisbènes parce qu’ils ont l’air de serpents. 4.
Semblable est notre infortune, différents sont nos avantages, semblables nos
douleurs, différentes nos joies : puisque tu es un
connaisseur du Dharma, daigne ne pas faire de mal à nous autres les
amphisbènes. » 5. Le conteur dit :
Entendant les mots de
ce serpent, Ruru alors ne le tua pas :
il était bouleversé par la peur, pensant à ce moment-là que l’amphisbène
était un vieux sage. 6. Et le bienheureux Ruru lui parla en
guise de réconciliation : « Pour
l’amour de moi, serpent, dis-moi qui tu es pour en être venu à cet état. 7. L’amphisbène lui dit :
« Jadis, ô
Ruru, j’étais un vieux sage du nom de Sahasrapād[9] Par
la malédiction d’un sage brahmane, j’en suis venu à l’état de serpent. 8. Ruru dit : « Pourquoi ce
deux-fois-né en colère t’a-t-il maudit, ô le meilleur des serpents ? Et aussi combien de temps auras-tu ce corps ? |
I,
11. Sahasrapād avait fait peur à son maître Khagama avec un serpent
fait d’herbes. Khagama le maudit et le
transforme en serpent. Sahasrapād le supplie de l’épargner, et le
brahmane, qui ne peut revenir sur sa parole, lui promet qu’il retrouvera sa
forme quand il aura rencontré Ruru. Sahasrapād retrouve sa forme et
prêche la non-violence. Il propose à Ruru l’histoire d’Āstika. (= 17 ślokas) |
Livre
I, chapitre 11. 1. L’amphisbène lui dit :
« J’avais jadis
un camarade, du nom de Khagama, un deux-fois-né, aux
paroles très acérées, fils, investi de la force de l’ascèse. 2. Pour jouer, puérilement, j’avais
façonné un serpent avec de l’herbe et, alors qu’il était
occupé à une oblation à Agni, je lui ai
fait peur, si bien qu’il est tombé sans connaissance. 3. Et quand il a repris conscience,
l’ascète qui disait toujours le
vrai et était très attaché à ses vœux, comme consumé par la fureur m’a
dit : 4. “ Tu as façonné un serpent pour me
faire peur ; eh bien, à cause de ma
colère, tu seras un serpent avec une force pareille à celle de celui-là. ” 5. Moi, connaissant la force de son
ascèse, ô ascète, je fus terriblement
effrayé dans mon cœur et je m’adressai à cet anachorète. 6.
Prudemment et avec trouble aussi, je me tenais devant lui, mes mains ouvertes en forme de coupe, humblement
incliné : “ Mon ami, dis-je, je
t’ai fait cela en plaisantant pour l’amusement. 7. Daigne me pardonner, ô brahmane,
détourne ta malédiction de moi “ Alors, voyant que
j’avais l’esprit terriblement effrayé, l’ascète 8. exhala soudain un soupir ardent, et,
bouleversé, me dit : “ Ce qui est dit par
moi n’est jamais faux, de quelque façon que ce soit : c’est ce qui
arrivera. 9. Mais, ô toi qui es ferme dans tes
vœux, écoute la parole que je vais te dire, et
après l’avoir écoutée, que cette parole reste dans ton cœur, ô ascète. 10. Un fils naîtra de Pramati, du nom
de Ruru, un homme vertueux. Quand tu l’auras vu,
ce sera pour toi la délivrance de ta malédiction, quasi immédiatement. “ 11. Et après t’avoir vu,
« Ruru », fils vertueux de Pramati, j’ai
récupéré ma propre forme, et maintenant je vais te dire ton intérêt.
12. La non-violence
est la loi suprême, dit-on, pour tout ce qui respire ; c’est pourquoi un
brahmane qui respire ne saurait en aucune façon utiliser la violence contre
toute créature. 13. Un brahmane, mon cher « est né ici-bas, dit une ancienne
tradition, pour connaître le Veda et ses disciplines annexes, et
assurer la sécurité de toutes les créatures » mon fils. 14. Et ce qu’on appelle la
non-violence, la sincérité, le pardon est décidément pour
le brahmane une loi supérieure à celle même de préserver les Veda. 15. Le devoir du noble guerrier ici-bas
ne te concerne pas : le
port du bâton, la violence, la protection de ses sujets… 16. C’était là assurément la tâche d’un
noble guerrier (écoute-moi Ruru au
cœur loyal) que jadis le massacre des serpents par Janamejaya. 17. Et la protection des serpents
effrayés fut le fait d’un brahmane possédant la force de
l’ascèse et du courage, connaissant à fond le Veda et ses disciplines annexes, d'Āstika,
le premier parmi les deux-fois-nés, lors du grand sacrifice des serpents, ô
le meilleur des brahmanes. » |
I, 12. Mais il disparaît. Ruru va demander à son
père l’histoire d’Āstika. (= 5 ślokas) |
Livre
I, chapitre 12. 1. Ruru dit : « Comment le noble guerrier
Janamejaya a-t-il massacré les serpents ? Ou pourquoi, mon ami,
les serpents ont-ils été massacrés, ô le meilleur des deux-fois-nés ? 2. Pourquoi aussi les serpents ont-ils
été délivrés, dis-moi, par cet Āstika ?
Raconte-moi cela, je désire l’entendre entièrement. » 3. Le sage lui dit : « Ruru, tu
entendras tous les grands exploits d’Āstika des
brahmanes qui les racontent ». A ces mots, il disparut.
4. Le conteur dit :
« Et Ruru courut
dans toute la forêt en tous sens dans
son désir de voir le sage ; épuisé, il s’effondra sur le sol. 5. Et après avoir repris connaissance,
Ruru partit et raconta alors cela à son père. Et
son père, à sa demande, lui fit tout ce récit. » |
[1] « Celui qui possède
tout » = Agni, le dieu du feu.
[2] = Agni, le dieu du feu.
[3] « Que vienne » (invocation à une divinité à la fin
de la récitation d'un rituel, après quoi le prêtre officiant verse l'oblation
dans le feu sacrificiel).
[4] Invocation de bénédiction en offrant la libation aux Mânes.
[5] « Gloire à » accompagne
l'oblation à une divinité.
[6] = « à la chevelure
épaisse ».
[7] Avant le 10 août
donc : Bhaga «Fortune» préside l’astérisme Pūrvaphalgunī (δ
du Lion). C’est un āditya garant de l'attribution des biens et des maux.
Aveugle, il personnifie le Destin;
[8] = Yama : premier homme devenu à sa mort
dieu de la Mort; il est représenté rouge, estropié, tenant le lacet, le bâton,
la hache et le poignard; il garde le ciel des morts avec deux chiens au regard
perçant ; plus tardivement, il est le roi des enfers, où il inflige des
tourments aux esprits des défunts
[9] = « aux mille
pieds » .