(3) Histoire de Pauśya : 3

 

I, 3. Les frères de Janamejaya ont battu sans raison le fils de la chienne Saramâ. Celle-ci maudit Janamejaya : un danger imprévisible s’abattra sur lui. Janamejaya se choisit un percepteur : Somaśravas, fils de Śrutaśravas qui a fait vœu de donner aux brahmanes tout ce qu’ils demanderaient. Le guru Dhaumya âyoda envoie son élève âruṇi boucher une fuite dans une digue. Celui-ci ne trouve pas d’autre moyen que de se mettre lui-même dans la fente. Son maître le félicite. Dhaumya envoie un autre élève, Upamanyu, garder ses vaches et lui interdit successivement tout moyen de se procurer de la nourriture. Affamé, Upamanyu mange des feuilles qui le rendent aveugle. Il est guéri par les Aśvin qu’il invoque et son maître le félicite. Daumya éprouve son troisième élève, Veda, en l’obligeant à rester à la maison et à exécuter tous les travaux. A la fin, il est satisfait et le félicite. Veda est choisi comme précepteur par Janamejaya et Pauśya. Il charge son élève Uttaṅka de s’occuper de la maison en son absence. A son retour, il félicite son élève et lui donne son congé. C’est sa femme qui fixera le cadeau de fin d’études. Celle-ci demande les boucles d’oreille de l’épouse de Pauśya pour les porter à une cérémonie qui doit avoir lieu dans quatre jours. L’épouse de Pauśya les lui donne et l’avertit que le serpent Takṣaka les convoite. Dispute avec Pauśya à propos de nourriture impure. Uttaṅka retourne chez son maître. En route, il se fait voler les boucles d’oreille. Le voleur n’est autre que Takṣaka déguisé en mendiant. Le serpent fuit sous terre et Uttaṅka le suit. Après diverses péripéties, il récupère les boucles d’oreille en enfumant la demeure des serpents. Il arrive à temps pour les donner à la femme de son maître. Il part ensuite chez Janamejaya et le convainc de se venger de Takṣaka.  (=  195 ślokas)

 

Livre I, chapitre 3.

 

1. Le conteur dit :

Janamejaya, le fils de Pārikṣit, en compagnie de ses frères assistait à une longue session sacrificielle à Kurukṣetra ; ses trois frères étaient Śrutasena, Ugrasena et Bhīmasena.

2. Tandis donc qu’ils assistaient à la session sacrificielle un chiot de Saramā s’approcha ; les frères de Janamejaya le frappèrent, et en hurlant il se réfugia auprès de sa mère.

3. A ces hurlements, sa mère lui dit : « Pourquoi pleures-tu ? Par qui as-tu été frappé ? »

4. A ces mots il répondit à sa mère :  « J’ai été frappé par les frères de Janamejaya ».

5. Sa mère lui répondit : « Manifestement tu as commis là une faute, pour laquelle tu as été frappé ».

6. Il lui dit en retour : « Je ne fais aucune faute, je ne guette pas les offrandes, je ne les lèche pas »

7. Entendant cela, sa mère Saramā, affligée pour son fils, s’approcha du sacrifice où Janamejaya en compagnie de ses frères assistait à la longue session sacrificielle.

8. En colère elle lui dit alors : « Mon fils que voici n’est coupable d’aucune faute, pour quel motif a-t-il été frappé ? Eh bien, puisqu’il a été frappé sans vous avoir fait de tort, pour cette raison un danger invisible viendra sur vous. »

9. Quand Saramā, la chienne des dieux, eut dit cela à Janamejaya, il fut profondément troublé et abattu.

10. Celui-ci, après avoir achevé cette session sacrificielle, retourna à Hāstinapura et se donna beaucoup de peine pour rechercher un chapelain compétent qui, disait-il « apaiserait ma mauvaise action ».

11. Une fois Janamejaya, le fils de Pārikṣit, était parti à la chasse et dans un endroit de son domaine il avait vu un ermitage.

12. Là était assis un sage du nom de Śrutaśravās, son fils bien-aimé du nom de Somaśravā était assis.

13. Janamejaya le fils de Pārikṣit s’approcha de son fils et le choisit comme chapelain.

14. Il salua le sage et lui dit : « Bienheureux, que ton fils que voici soit mon chapelain ».

15. A ces mots il lui répondit : « Ô Janamejaya, ce fils m’est né d’un femme serpent. Ce grand ascète, nourri de la lecture des textes sacrés, a été créé par la force de mes ascèses et, après que cette femme serpent eut bu mon sperme, il s’est développé dans sa matrice. Il est à même, Seigneur, d’apaiser toutes les mauvaises actions, sauf celles contre le Grand Dieu[1]. Mais il a fait un vœu secret. Ce qu’un brahmane, quel qu’il soit, lui demanderait, pour quelque motif que ce soit, il le lui donnerait. Si tu supportes cela, alors emmène-le ».

16. A ces mots, Janamejaya lui répondit : « Bienheureux, il en sera ainsi ».

17. L’ayant pris comme chapelain, il s’en retourna auprès de ses frères et leur dit : « Je l’ai choisi comme Maître. Ce qu’il pourra dire devra être fait sans hésitation ».

18. Il parla de la sorte, et ses frères firent ainsi. Après avoir donné ces informations à ses frères, il se mit en marche pour Takṣaśilā, et il plaça cette contrée sous son autorité.

19. A cette époque il y avait un sage du nom de Dhaumya Āyoda, qui avaient trois disciples : Upamanyu, Āruni[2] et Veda.

20. Il envoya un de ses disciples, Āruni de Pañcāla : « Va et colmate la brèche dans le bassin ».

21. Sur l’ordre de son Maître Āruni de Pañcāla partit donc alors, mais ne il put pas colmater la brèche dans le bassin.

22. Tourmenté, celui-ci vit un expédient : « Soit ! Je ferai ainsi ».

23. Et ainsi il s’introduisit dans la brèche du bassin, et quand il y fut couché l’eau alors s’arrêta.

24. Un jour le Maître Āyoda Dhaumya interrogea ainsi ses disciples : « Où est allé Āruni de Pañcāla ? »

25. Ils répondirent : « Bienheureux, c’est vous justement qui avez envoyé : "Va et colmate la brèche dans le bassin". »

26. A ces mots il répondit à ses disciples : « Pour cette raison, nous allons tous là où il est ».

27. Il y alla, et il poussa un cri pour l’appeler : « Ô Āruni de Pañcāla, où es-tu ? Mon enfant, viens ».

28. Āruni, entendant alors la voix de son Maître, se leva immédiatement de la brèche du bassin et s’approcha de son Maître. Et il lui dit : « Je suis là, dans la brèche du bassin, je m’y suis introduit pour bloquer l’eau qui sort irrésistiblement, et j’ai entendu le cri du Bienheureux ; immédiatement j’ai rouvert la brèche du bassin qui était là en m’approchant. Je vous salue donc, Bienheureux. Que mon Seigneur ordonne. Que dois-je faire ? »

29. Son Maître lui dit : « Puisque, Seigneur, en te levant tu as ouvert la brèche du bassin, pour cette raison, le Seigneur sera appelé du nom d’Uddālaka ».

30. Son Maître lui accorda une faveur : « Puisque tu as obéi à ma parole, pour cette raison tu obtiendras ce qu’il y a de meilleur ». « Tu comprendras tous les Veda et tous les traités concernant le Dharma ».

31. Après ces mots de son Maître, il alla dans le pays de son choix.

32. Mais il y eut un autre disciple de ce même Āyoda Dhaumya, du nom d’Upamanyu.

33. Le Maître l’envoya : « Mon enfant, Upamanyu,  garde les vaches ».

34. Conformément aux paroles de son Maître il garda les vaches. Et il gardait les vaches le jour, et à la fin de la journée il revenait, et debout devant son Maître il le saluait.

35. Son Maître le voyait gras, et il lui dit : « Mon enfant, Upamanyu, comment assures-tu ta subsistance ? Tu es vraiment gras ! »

36. Il répondit à son Maître : « J’assure ma subsistance avec la nourriture que je mendie ».

37. Son Maître lui répondit : « La nourriture mendiée doit m’être offerte et ne doit pas être utilisée ».

38. Après avoir dit « D’accord ! », il retourna garder les vaches. Après les avoir gardées et être revenu, il se tint debout de la même façon devant son Maître et le salua.

39. Cependant son Maître le vit encore gras et lui dit : « Mon enfant, Upamanyu, je reçois absolument toute la nourriture que tu mendies. Comment maintenant assures-tu ta subsistance ? »

40. A ces mots il répondit son Maître : « La nourriture mendiée qui doit être offerte au Bienheureux d’abord, et après je mendie. C’est ainsi que j’assure ma subsistance ».

41. Son Maître lui répondit : « Ce n’est pas là une pratique convenable pour un précepteur. Tu fais aussi obstacle à la subsistance des autres en faisant cela. Tu es avide ».

42. Après s’être fait dire cela, il retourna garder les vaches. Et après les avoir gardées, il retourna à la maison de son Maître, il se tint debout devant son Maître et le salua.

43. Cependant son Maître le vit encore gras et lui dit à nouveau : « Je reçois toute la nourriture que tu mendies et tu n’en mendies pas d’autre. Tu es gras. Comment assures-tu ta subsistance ? »

44. Il répondit à son Maître : « Monsieur j’assure ma subsistance avec le lait de ces vaches »

45. Son Maître lui répondit : « Cela n’est pas convenable de s’approprier le lait de Monsieur sans mon autorisation ».

46. Après avoir confirmé qu’il en serait ainsi, il alla garder les vaches, puis revint à la maison de son Maître, se tint debout devant son précepteur et le salua.

47. Son Maître le vit encore gras et il lui dit : « Tu ne manges pas la nourriture mendiée, et tu n’en mendies pas une autre, tu ne bois pas le lait, tu es gras… Comment assures-tu ta subsistance ? »

48. A ces mots il répondit à son Maître : « Monsieur, je bois l’écume que ces veaux recrachent en tétant la mamelle de leurs mères. »

49. Son Maître lui répondit : « Ces veaux vertueux, pris de pitié pour toi, recrachent davantage d’écume. Tu fais donc aussi obstacle à la subsistance des veaux, justement en faisant cela. Je te prie, Seigneur, de ne pas boire non plus l’écume ».

50. Après avoir confirmé qu’il en serait ainsi, il garda les vaches en s’abstenant de nourriture. Ainsi empêché, il ne mange pas la nourriture mendiée, ni n’en mendie une autre, il ne boit pas le lait, il ne s’approprie pas l’écume.

51. Un jour dans la forêt, tourmenté par la faim, il mangea des feuilles d’arka.

52. Celui-ci eut la vue gâtée pour avoir mangé ces feuilles d’arka qui ont pour conséquence l’âcreté, l’amertume, l’échauffement, et il devint aveugle. Marchant à l’aveuglette, il tomba dans un puits.

53. Ensuite il ne revient pas ; le Maître dit à ses disciples : « J’ai tout interdit à Upamanyu. Il est certainement en colère. C’est pourquoi il ne revient pas, alors qu’il est parti depuis longtemps ».

54. A ces mots il alla dans la forêt et il appela Upamanyu : « Ho ! Upamanyu ! Où es-tu ? Mon enfant, viens ! ».

55. Celui-ci alors, entendant l’appel de son Maître, lui répondit en criant : « Je suis là, ô Maître ! Je suis tombé dans un puits ».

56. Son Maître lui répondit : « Comment es-tu tombé dans le puits ? »

57. Il lui répondit : « Après avoir mangé des feuilles d’arka, je suis devenu aveugle ; je suis alors tombé dans le puits ».

58. Son Maître lui répondit : « Glorifie les Aśvin. Ces deux médecins divins te rendront la vue.

59. Après ces mots de son Maître, il entreprit de glorifier les divins Aśvin avec des paroles du Ṛgveda.

60. « Vous deux qui êtes les tout premiers, qui êtes nés les premiers, dont l’éclat est prodigieux, par mon chant je vous loue, vous êtes tous deux radieux, infinis,

les deux oiseaux divins, les deux chars aériens immaculés, vous gouvernez  tous deux tous les êtres.

61. Oiseaux couleur d’or, compagnons du grand voyage, Nāsatya et Dasra au beau nez, vous êtes les deux bannières,

vous tissez vivement la lumière sur votre beau métier à tisser, vous couvrez complètement le sombre Soleil.

* 62. Grâce à la force de Suparṇa, les Aśvin pour notre bonheur ont délivré la caille qui avait été avalée,

d’abord avec élégance ils ont salué (?) de manière trompeuse, ils ont emporté les excellentes vaches rouges.

63. Et trois cent soixante vaches laitières enfantent un seul veau, et elles l’allaitent,

elles sont réparties dans diverses étables, mais donnent du lait à un seul ; les Aśvin les traient pendant la saison chaude au moment de la libation de louange.

64. Sept cents rayons sont attachés à un seul moyeu, vingt autres rayons sont fixés sur les jantes,

sans jante la roue inaltérable tourne en rond ; agile, elle unit les Aśvin par l’illusion.

65. La roue unique tourne avec ses douze rayons, avec un moyeu à six jantes et un seul axe ; elle porte l’ambroisie

à laquelle les dieux sont vraiment tous très attachés ; vous les deux Aśvin, vous la délivrez, ne soyez pas abattus.

66. Les Aśvin se sont comportés comme l’immortel Indra ; que les Aśvin enlèvent les deux femmes des pêcheurs ;

fendant la montagne, les Aśvin parcourent la Terre, devenus célèbres par le jour qui tomba alors en pluie dans la caverne Vala[3].

67. C’est par vous deux qu’à l’origine sont engendrés les dix points cardinaux ; pareillement ils se répandent en tête montés sur leur char ;

les sages accompagnent leur course ; les dieux, les hommes parcourent leur séjour.

68. C’est par vous deux que se modifient les couleurs changeantes ; elles gouvernent  tous les êtres,

ces brillances se déplacent aussi en les suivant ; les dieux, les hommes parcourent leur séjour.

69. Les Nāsatya, les Aśvin, c’est vous deux que je glorifie, et la guirlande de fleurs de lotus bleu que vous portez.

Les Nāsatya immortels, vous faites croître la justice, dans la justice vous êtes les dieux, elle enfante alors sur la pointe du pied.

70. Que les deux jeunes hommes prennent un embryon par le commencement, le mort enfante alors sur la pointe du pied,

aussitôt né l’embryon dévore sa mère[4], les Aśvin délivrent les vaches pour qu’il y ait la vie. »

71. Après avoir été loués en ces termes, les Aśvin arrivèrent. Et ils dirent ceci : « Nous sommes satisfaits. Ce gâteau est pour toi. Mange-le ».

72. A ces mots celui-ci répondit : « Seigneurs, vous ne dites pas de mensonge, mais moi je n’ose pas m’approprier ce gâteau sans l’offrir à mon Maître. »

73. Alors les Aśvin lui dirent : « Nous deux jadis avons justement été loués de la même façon que toi par ton Maître, et satisfaits, nous lui avons offert un gâteau. Et il se l’est ainsi approprié, sans l’offrir à son Maître. Toi aussi fais exactement comme ton Maître a fait ».

74. A ces mots, il leur répondit à nouveau : « Je vous demande pardon, Seigneurs Aśvin, je n’ose pas, moi, me l’approprier sans l’offrir à mon Maître ».

75. Les Aśvin lui dirent : « Nous sommes satisfaits de ta conduite à l’égard de ton précepteur. Les dents de ton Maître sont en fer noir, les tiennes seront en or, et tu seras pourvu d’yeux, et tu atteindras la perfection ».

76. Après ces mots des Aśvin, il recouvra la vue, il retourna auprès de son Maître, le salua et lui raconta. Et il fut content de cela.

77. Et il lui dit ceci : « Tu atteindras la perfection comme les Aśvin te l’ont dit, et tous les Veda te seront intelligibles ».

78. C’était l’épreuve d’Upamanyu.

79. Ensuite il y eut un autre disciple encore de cet Āyoda Dhaumya, du nom de Veda.

80. Son Maître lui expliqua :

« Mon enfant, que Veda s’assoie ici.

Si, dans ma maison, tu veux bien écouter un certain temps ce qui doit être,

le bonheur sera à toi ».

81. Après avoir dit « D’accord ! », il séjourna longtemps dans la maison de son maître, tout entier occupé à écouter son maître,

comme un bœuf continuellement attelé à de lourds brancards, endurant les souffrances de la froidure, de la chaleur, de la faim, de la soif, toujours docile.

82. Au bout d’une longue période son maître fut satisfait de lui,

et donc, à cause de cette satisfaction, ce fut le bonheur et il obtint la connaissance totale.

C’était l’épreuve de Veda.

83. Son maître lui donna congé ; il quitta ce séjour dans la maison de son maître et entra dans l’état de maître de maison.

Et il vécut dans sa propre maison et eut trois disciples.

84. Il ne disait jamais à ses disciples

soit « Que cette action soit faite », soit « Ecoute le maître ».

Car, ayant connu la souffrance du séjour dans la maison d’un maître, il ne désirait pas atteler ses disciples au tourment.

85. Et après un certain temps deux nobles guerriers, Janamejaya et Pauṣya, vinrent vers le brahmane Veda et le choisirent pour maître.

86. Celui-ci un jour partit pour procéder à un sacrifice et il donna ses instructions à un disciple du nom d’Uttaṅka :

« Ô Uttaṅka, tout ce qui manque dans notre maison, je désire, mon ami, que l’on en manque pas »

87. Après avoir donné un tel ordre à Uttaṅka, Veda partit de chez lui.

88. Et Uttaṅka, obéissant à son maître, suivit les instructions de son maître et demeura dans la maison de son maître.

89. Tandis qu’il vivait là, les femmes de son précepteur se réunirent, l’appelèrent et lui dirent :

« La femme de ton maître est dans sa période de fécondité,

et le maître est absent.

Qu’il soit fait de sorte que cette période-là ne soit pas vaine.

Elle est abattue ».

90. Après que les femmes lui eurent dit ces mots, il leur répondit :

« Je n’ai pas à accomplir cette action interdite d’après la parole de femmes.

Je n’ai pas reçu l’ordre de mon maître

d’accomplir pour toi une action interdite »

91. Après un certain temps, son précepteur revint de ce voyage dans sa maison.

Il apprit de lui toute cette affaire et en fut satisfait.

92. Et il lui dit

« Uttaṅka mon enfant

quelle faveur dois-je te faire ?

J’ai vraiment été obéi, mon ami, conformément au Dharma.

A cause de cela, une affection réciproque a grandi entre nous.

Je te donne donc congé, mon ami.

Tu obtiendras tout succès.

Va ! »

93. A ces mots, il lui répondit :

« Quelle faveur dois-je te faire ?

Car on dit :

94. ‘’De celui qui parlerait contre le Dharma et de celui qui pose des questions contre le Dharma,

l’un des deux quitte ce monde, et l’autre reçoit de la haine.’’

95. Comme j’ai reçu ton congé, mon ami, je désire t’offrir le cadeau de maître que tu désires ».

96. Comme il lui parlait ainsi, son précepteur lui répondit :

« Uttaṅka mon enfant, reste donc ».

97. Uttaṅka dit un jour à son précepteur :

« Ordonne, Seigneur.

Quelle faveur t’offrirai-je comme cadeau de maître ? »

98. Son précepteur lui répondit :

« Uttaṅka mon enfant, à maintes reprises tu me presses ‘’Je voudrais offrir un cadeau de maître’’

Alors va.

Entre voir ma femme et demande-lui quoi m’offrir.

Ce qu’elle te dira, offre-le ».

99. Quand son précepteur lui eut parlé ainsi, il interrogea la femme du précepteur :

« Madame, j’ai reçu congé de mon précepteur pour rentrer chez moi.

Je désire donc de tout cœur lui offrir un cadeau de maître et rentrer libre de dette.

Ordonne donc, Madame.

Que lui offrir comme cadeau de maître ? »

100. A ces mots la femme du précepteur répondit à Uttaṅka :

« Va chez le roi Pauṣya.

Demande-lui les deux boucles d’oreille que porte sa Dame.

Apporte-les.

Dans quatre jours il y aura une cérémonie.

Je désire accueillir les brahmanes avec ces deux parures.

Fais en sorte que je sois resplendissante avec ces boucles d’oreille ces jours-là.

Que ce soit le bonheur pour toi, si tu saisis l’occasion »

101. Quand la femme du précepteur lui eut parlé ainsi, Uttaṅka partit.

En route, tandis qu’il marchait, il vit un taureau gigantesque et sur lequel était monté aussi un homme gigantesque.

102. Cet homme s’adressa à Uttaṅka :

« Uttaṅka, mange cette bouse de ce taureau ».

103. A ces mots, celui-ci refusa.

104. L’homme lui dit encore :

« Mange, Uttaṅka.

N’hésite pas.

Ton propre précepteur en a mangé jadis ».

105. A ces mots, Uttaṅka dit « Très bien ! » ; il mangea alors la bouse et l’urine du taureau et partit à l’endroit où était le seigneur Pauṣya.

106. Uttaṅka y alla et l’aperçut assis.

Il s’approcha de lui en le bénissant, et après l’avoir loué il lui dit :

« Seigneur, je suis venu à toi en tant que mendiant ».

107. Celui-ci le salua et lui dit :

« Bienheureux, je suis effectivement Pauṣya.

Que puis-je faire ? »

108. Uttaṅka lui dit :

« Je suis venu te mendier comme cadeau pour mon maître des boucles d’oreille, ces deux boucles d’oreille que porte ta Dame ; daigne, Seigneur, me les donner »

109. Pauṣya lui répondit :

« Entre dans le gynécée et demande à ma Dame ».

110. A ces mots il entra dans le gynécée et ne vit pas la Dame.

111. Il retourna dire à Pauṣya :

« Il n’est pas convenable que nous soyons traités par votre Seigneur avec un mensonge.

Votre Dame n’est pas du tout dans ce gynécée.

Je ne la vois pas ».

112. A ces mots Pauṣya lui répondit :

« Actuellement, Seigneur, tu es impur.

Souviens-toi.

Cette Dame ne peut pas être vue par quelqu’un d’impur ou de malpropre.

A cause de sa vertu, celle-ci ne peut pas être vue par un malpropre ».

113. Se souvenant alors à ces mots, Uttaṅka dit :

« C’est cela, comme j’étais impur je me suis rincé à la hâte et en marchant ».

114. Pauṣya lui répondit :

« C’est cela même.

Ça ne se fait pas de se rincer en marchant, ni en étant debout ».

115. Alors Uttaṅka, après avoir dit « D’accord », s’assit face à l'Est, se lava bien les mains, les pieds et le visage, se rinça avec des eaux silencieuses qui allaient jusqu’au cœur, but trois fois, s’essuya deux fois et se rinça les orifices avec de l’eau ; il entra dans le gynécée, et il vit cette Dame.

116. Et elle, en voyant Uttaṅka se leva, le salua et lui dit :

« Bienvenue à toi, bienheureux.

Ordonne. Que puis-je faire ? »

117. Il lui dit :

« Ces boucles d’oreille, daigne me les donner en aumône comme cadeau pour mon maître »

118. Satisfaite de cette franchise, et pensant qu’il était un vase d’élection et « non négligeable », elle enleva ses boucles d’oreille et les lui tendit.

119. Elle lui dit :

« Takṣaka, le roi des serpents convoite ces boucles d’oreille.

Je te prie de les porter en faisant attention. »

120. A ces mots, il répondit à la Dame :

« Dame, sois tout à fait rassurée :

Takṣaka, le roi des serpents, n’est pas capable de m’attaquer ».

121. Sur ces mots, il prit congé de la Dame et retourna auprès de Pauṣya.

122. En le voyant il lui dit :

« Ô Pauṣya, je suis satisfait ».

123. Pauṣya lui répondit :

« Bienheureux, après un long temps nous avons trouvé un vase d’élection.

Et tu es un hôte, Seigneur, plein de qualités.

Je vais donc faire une offrande aux Mânes.

Prenons un moment ».

124. Uttaṅka lui répondit :

« Je suis vraiment pressé.

Je désire qu’on m’offre vite la nourriture qui est à disposition, Seigneur ».

125. « D’accord » dit-il, et il le nourrit avec la nourriture qui était à disposition.

126. Alors Uttaṅka vit que la nourriture était froide et avec un cheveu ; pensant « Elle est impure », il dit à Pauṣya :

« Puisque tu me donnes de la nourriture impure, tu seras pour cette raison aveugle ».

127. Pauṣya lui répondit :

« Puisque toi tu gâtes de la nourriture non corrompue, tu seras pour cette raison sans descendance ».

128. Alors Pauṣya alla voir l’impureté de cette nourriture.

129. Alors considérant que cette nourriture avait été offerte par une femme aux cheveux défaits et qu’avec un cheveu dedans elle était impure, il apaisa Uttaṅka.

« Bienheureux, c’est par ignorance que cette nourriture avec un cheveu dedans t’a été offerte et elle est froide.

Je t’en demande pardon, Seigneur.

Que je ne devienne pas aveugle ! »

130. Uttaṅka lui répondit :

« Je ne parle pas en vain.

Tu deviendras aveugle, mais en peu de temps tu ne seras plus aveugle.

Mais, Seigneur, ne me donne pas de malédiction ».

131. Pauṣya lui répondit :

« Je ne suis pas capable de rappeler ma malédiction.

Et ma colère ne parvient pas encore à s’apaiser.

En outre, Seigneur, ne sais-tu pas ce qu’il en est ?

132. ‘’Le cœur d’un brahmane est doux comme le beurre frais | dans sa voix est placé un couteau acéré ;

chez le noble guerrier ces deux sont inversés | sa voix est douce comme le beurre frais, son cœur est acéré.’’

133. Fin de citation.

En l’occurrence, je ne suis donc pas capable, avec un cœur acéré, de modifier cette malédiction.

Va-t-en! »

134. Uttaṅka lui répondit :

« Seigneur, après avoir été informé sur l’impureté de la nourriture je me suis apaisé.

Et auparavant tu avais dit.

‘’Puisque tu gâtes de la nourriture non corrompue, tu seras pour cette raison sans descendance’’.

Et du moment que la nourriture était corrompue, cette malédiction ne sera pas sur moi ».

135. Voilà qui est réglé ». Sur ces mots Uttaṅka partit en emportant les boucles d’oreille.

136. Il aperçut sur la route un ascète mendiant nu qui venait à sa rencontre, en étant tantôt visible, tantôt invisible.

Alors Uttaṅka jeta les boucles d’oreille à terre et commença l’ablution[5].

37. Pendant ce temps l’ascète mendiant s’approcha en hâte, saisit les boucles d’oreille et se sauva.

Uttaṅka s’approcha de lui et le saisit.

L’autre, quittant son apparence, prit l’apparence de Takṣaka et entra soudainement sous terre dans un grand trou qui s’était ouvert.

138. Il pénétra dans le monde des serpents et alla dans son palais.

Uttaṅka le poursuivit dans le trou,

et en pénétrant il célébra les serpents en ces vers.

139. « Les serpents, sujets d’Airāvata, brillent dans la bataille

comme nuages porteurs de pluie envoyés par le vent avec leurs éclairs.

140. Leurs formes sont belles, et diverses aussi leurs formes avec leurs anneaux bigarrés.

Les descendants d’Airāvata resplendissent comme le soleil sur le dos du firmament.

141. Nombreuses sont les sentes des serpents sur la rive nord du Gange.

Qui désirerait marcher dans l’armée contre les rayons du soleil sans Airāvata?

142. Vingt-huit mille huit cents

serpents escortent Dhṛtarāṣṭra quand il se déplace.

143. Ceux qui rampent près de lui et ceux qui avancent plus loin,

moi je leur rends hommage : ils sont les frères d’Airāvata, leur aîné.

144. Celui qui demeure toujours à Kurukṣetra et Khāṇḍava,

le fils de Kadrū, Takṣaka, je l’ai célébré pour obtenir les boucles d’oreille.

145. Takṣaka et Aśvasena sont toujours tous deux compagnons

de ceux qui séjournent à Kurukṣetra, le long de la rivière Ikṣumatī.

146. Le dernier frère de Takṣaka qui est connu sous le nom de Śrutasena,

celui qui a succombé à Mahad Dyumni alors qu’il convoitait la suprématie parmi les serpents,

que toujours je rende hommage à son grand cœur ! »

147. Alors qu’après cette célébration des serpents il ne recevait pas les boucles d’oreille, il aperçut deux femmes tissant une étoffe qu’elles avaient mise sur un métier à tisser.

148. Et sur ce métier à tisser il y avait des fils noirs et blancs,

et il aperçut une roue que faisaient tourner six garçons,

et il aperçut un homme qui était beau.

149. Il les célébra tous avec ces vers incantatoires :

150. « Trois cents soixante [rayons] sont fixés ici, au milieu de cette roue immuable qui roule éternellement

sur vingt-quatre quinzaines de jours ; six garçons la font tourner.

151. Et deux jeunes femmes tissent ce métier à tisser multicolore, faisant perpétuellement tourner les fils

et tortillant les fils noirs aussi bien que les fils blancs, les êtres du passé aussi bien que les êtres vivants, pour toujours.

152. Le maître du foudre, le protecteur de l’univers, le meurtrier de Vṛtra, l’exterminateur de Namuci,

revêtu de deux vêtements noirs, ce grand cœur qui distingue en ce monde la vérité et le mensonge,

153. qui a choisi pour monture le cheval Vaiśvānara, l’ancien embryon des Eaux,

à ce Seigneur de l'Univers  je rends un hommage éternel, au Maître des trois mondes, au Destructeur de remparts. »

154. Alors l’homme lui dit ;

« Je suis satisfait de cette louange.

Quelle faveur dois-je te faire ? »

155. Il lui dit :

« Puissent les serpents tomber en mon pouvoir ».

156. L’homme lui dit à nouveau :

« Souffle dans l’anus de ce cheval ».

157. Il souffla dans l’anus du cheval.

Alors, par tous les orifices du cheval dans lequel il avait soufflé jaillirent des nuages de fumée pétillant de feu.

158. Le monde des serpents en fut enfumé.

159. Alors, plein d’effroi, abattu par la peur de ce feu éclatant, Takṣaka saisit les boucles d’oreille, sortit précipitamment de son palais et dit à Uttaṅka :

« Reprends les boucles d’oreille, Seigneur »

160. Uttaṅka les prit.

Après avoir pris les boucles d’oreille, il réfléchit :

« C’est aujourd'hui la cérémonie de la femme de mon précepteur.

Et je suis parti loin.

Comment donc pourrais-je faire en vérité ? »

161. Ensuite, tandis qu’il réfléchissait ainsi, l’homme lui dit :

« Uttaṅka, monte sur ce cheval.

Il te mènera en un instant à la maison de ton précepteur. »

162. Après avoir dit « D’accord », il monta sur le cheval et retourna à la maison de son précepteur.

Et la femme de son précepteur, après avoir pris son bain s’était assise et se coiffait : « Uttaṅka ne vient pas ».

Elle médita une malédiction contre lui.

163. Mais Uttaṅka entra et salua la femme de son précepteur.

Et il lui tendit les boucles d’oreille.

164. Elle lui répondit :

« Uttaṅka, tu arrives au bon endroit au bon moment.

Bienvenue à toi, mon enfant.

Peu s’en est fallu que tu ne sois maudit par moi.

La chance a été avec toi.

Gagne la perfection ».

165. Alors Uttaṅka salua son précepteur.

Son précepteur lui répondit :

« Uttaṅka, mon enfant, bienvenue à toi.

Qu’as-tu fait aussi longtemps ? »

166. Uttaṅka répondit à son précepteur :

« Monsieur, Takṣaka, le roi des serpents, m’a fait obstacle dans cette tâche.

C’est pourquoi j’ai été attiré dans le monde des serpents.

167. Là j’ai vu deux femmes tissant une étoffe qu’elles avaient mise sur un métier à tisser.

Et sur ce métier à tisser il y avait des fils noirs et blancs.

Qu’est-ce que c’est ?

168. Et là j’ai vu une roue avec ses douze rayons.

Et six garçons la font tourner.

Qu’est-ce encore ?

169. J’ai vu aussi un homme.

A nouveau, qui est-ce ?

170. Et un cheval démesuré.

Qui est-ce encore ?

171. Comme je marchais sur la route, j’ai vu un taureau.

Et un homme le chevauchait.

Il me parla poliment :

« Uttaṅka, mange la bouse de ce taureau.

Ton précepteur en a aussi mangé ».

Alors, vu ces paroles, j’ai consommé la bouse de ce taureau.

Je désire donc, Seigneur, que tu m’indiques de quoi il s’agit ».

172. A ces mots, son précepteur lui répondit :

« Ces deux femmes sont le Créateur et l’Ordonnateur.

Et ces fils noirs et blancs, les nuits et les jours.

173. Quant à cette roue avec ses douze rayons et les six garçons qui la font tourner, ce sont les six saisons et la roue c’est l’année.

Cet homme est Parjanya [le dieu de la pluie].

Ce cheval est Agni [le dieu du feu].

174. Le taureau que tu as vu quand tu marchais sur la route, c’est Airāvata, le roi des serpents.

Et celui qui le chevauchait, c’est Indra.

Quant à la bouse de ce taureau que tu as mangée, c’est l’ambroisie.

175. C’est pour cela en vérité que tu n’as pas péri dans ce palais du serpent.

Et puis Indra est mon ami.

176. C’est par cette grâce que tu as repris les boucles d’oreille et que tu es revenu.

Pars donc, mon cher.

Je te donne congé, Seigneur.

Tu obtiendras le bonheur ».

177. Après avoir reçu le congé de son précepteur, Uttaṅka, en colère contre Takṣaka et désireux de se venger partit pour Hāstinapura.

178. Arrivé à Hāstinapura en peu de temps, l’excellent deux-fois-né

qu’était Uttaṅka s’approcha du roi Janamejaya.

179. Il venait de revenir invaincu de Takṣaśilā.

Il vit justement le vainqueur entouré de tous côtés par ses ministres.

180. Il commença d’abord pour lui, selon la règle, des bénédictions de victoire,

et il lui dit les paroles qui convenaient sur un chant traditionnel.

181. « Toi, quand un autre devoir arrive à échéance, excellent prince,

toi, comme avec puérilité, tu fais autre chose, excellent souverain. »

182. A ces mots du brahmane, le roi Janamejaya lui répondit

d’un cœur bienveillant, comme il convient, en rendant hommage à l’anachorète.

183. « Par la protection de ces sujets je protège le Dharma de la caste noble.

Explique-moi donc ce que je devais faire, ô Seigneur des deux-fois-nés ; je suis attentif aujourd’hui à ta parole »

184. Quand l’éminent souverain lui eut dit cela, l’éminent deux-fois-né, le meilleur des saints

dit à ce roi au courage ferme ce qu’était sa tâche et celle du roi.

185. « Roi des rois des hommes, Takṣaka a fait du mal à ton père,

tu dois lui rendre la pareille à ce serpent scélérat.

186. Et c’est l’occasion, je pense, d’un exploit reconnu par la règle :

rends donc hommage, ô roi, à ce père au grand cœur.

187. Cet innocent, mordu par cet être au cœur vil,

ce roi a rejoint les cinq éléments, comme un arbre frappé par la foudre.

188. Takṣaka que sa force faisait déborder d’orgueil,

ce scélérat a commis un crime, il a mordu ton père.

189. Le protecteur d’une lignée de sages de sang royal, le prince semblable à un immortel,

il l’a tué et puis ce criminel est retourné à Kāśyapa.

190. Daigne brûler ce scélérat dans le brillant feu sacrificiel

du sacrifice des serpents, ô grand roi, c’est le lot qui t’incombe.

191. Ainsi tu rendras l’honneur à ton père,

et pour moi ce sera, ô roi, une immense faveur qui me sera faite.

192. C’est l’œuvre de ce scélérat, ô gardien de la Terre, si j’ai

rencontré des obstacles, ô grand roi sans reproche, quand je m’occupais du cadeau pour mon maître. »

193. Entendant cela, le prince s’irrita vraiment contre Takṣaka,

enflammé, comme l’est le feu par une offrande, par l’offrande de la parole d’Uttaṅka.

194. Et alors le roi, bien abattu, interrogea ses ministres

en présence d’Uttaṅka sur la montée au ciel de son père.

195. Alors vraiment ce roi des rois fut submergé par la douleur et le chagrin

quand il entendit d’Uttaṅka la mort de son père.

 

  [Première raison du sacrifice des serpents : se venger de Takṣaka]

 

 



[1] = Śiva.

[2] = Uddālaka.

[3] Indra, aidé des lumineux [aṅgirasas] et des souffles [marutas], ouvrit la caverne Vala pour libérer l'Aube [Uṣā] au premier matin du Monde; ses rayons nourriciers étaient confisqués par les Asuras avares [paṇi] comme leur bétail; cette caverne, découverte par la chienne Saramā, se trouvait sur une île de la rivière céleste Rasā.

[4] = l’année morte enfante en commençant une nouvelle année.

[5] La vue d’un mendiant est une souillure dont il faut se purifier par ablution.