(8)
La maison de laque : 124-138
1.
124. Droṇa organise une séance publique où ses élèves
pourront montrer leur talent. Préparation de la séance, assistance, entrée des
princes, démonstrations, applaudissements. Duryodhana et Bhīma
s’affrontent à la massue. (= 33 ślokas) |
Livre I,
chapitre 124.
1.
Vaiśampāyana dit : « Voyant que les fils de
Dhṛtarāṣṭra et les fils de Pāṇḍu, ô
Bhārata, avaient la maîtrise des armes,
ô roi, Droṇa dit au roi Dhṛtarāṣṭra, 2. en
présence de Kṛpa, de Somadatta, du sage Bāhlīka, du fils de Gaṅgā,
de Vyāsa et de Vidura. 3.
« Ô roi, le meilleur des Kuru, tes garçons ont achevé leur
apprentissage. Ils pourraient montrer chacun
leur habileté, ô roi, avec ta permission… ». 4.
Alors, le Mahārāja, avec la joie dans le cœur, lui dit : « Fils de
Bharadvāja, tu as accompli une grande œuvre, ô le meilleur des
deux-fois-nés ! 5. Et
si tu penses qu’il est temps, ordonne-moi toi-même dans quelle contrée je dois
prescrire à chacun d’aller. 6. Je
suis dégoûté et j’envie aujourd'hui parmi les hommes qui ont des yeux celui qui verra mes fils se
distinguer par leurs armes. 7.
Chambellan, ce que dit ton gourou, ton maître, fais-le donc : car il n’existe pas de
plaisir qui soit semblable, je pense, ô toi qui chéris le Dharma. » 8.
Ainsi, après avoir salué le roi, le fils de Bharadvāja sortit, suivi par
Vidura, et le très-sage mesura sur le
sol une surface plane, sans
arbres, sans buissons, donnant au nord. 9.
Sur ce terrain il fit une offrande, en un jour consacré à la lunaison ; pour cette raison, il en fit
faire aussi la proclamation dans la cité, ô le meilleur des orateurs. 10.
Sur ce site, les ouvriers bâtirent, conformément aux règles qu’on voit dans
les traités, une très grande estrade, bien
agencée, pour le roi, munie de toutes sortes
d’armes, ainsi que pour les femmes, ô taureau parmi les hommes. 11.
Et les hommes du village construisirent là des plates-formes larges et ayant de la hauteur,
et les riches des palanquins. 12.
Puis quand le jour fut venu, le roi en compagnie de ses conseillers, se faisant précéder de
Bhīṣma et Kṛpa, le meilleur des maîtres, 13.
pénétra sur l’estrade drapée d’un lacis de perles, ornée de joyaux et de béryls
bleus, plaquée d’or fin, merveilleuse. 14.
Et la très glorieuse Gāndhārī et Kuntī, ô héros parmi les
vainqueurs, et toutes les femmes du roi
avec leurs serviteurs et leur suite montèrent avec joie sur
l’estrade, telles les épouses des dieux sur le mont Meru. 15. A
commencer par les brahmanes et les nobles guerriers, l’ensemble des quatre
classes accourut de la ville en hâte, désireux de voir
l’habileté des garçons dans les armes. 16.
Entre les instruments de musique qu’on faisait résonner et la curiosité des
gens, la foule s’agitait alors
comme une grande houle. 17.
Puis, portant des vêtements immaculés, un cordon sacré immaculé, une chevelure immaculée, une
barbe blanche, des onguents et une guirlande immaculés, 18. le
maître alors s’avança au centre de l’estrade avec son fils, comme la Lune avec Mars entre
dans le ciel débarrassé de ses nuages pluvieux. 19.
Le meilleur parmi les puissants fit une offrande correspondant à l’occasion et il fit alors prononcer une
bénédiction aux brahmanes connaisseurs de mantras. 20.
Là-dessus, au son sacré de ce jour sacré, les hommes entrèrent, portant
diverses sortes d’armes et d’instruments. 21.
Alors entrèrent les puissants taureaux des Bhārata, ceints de leurs
armures légères, ceints de leurs sangles,
ceints de leurs carquois, avec leurs arcs. 22.
Et l’aîné allait devant, ils étaient précédés par Yudhiṣṭhira, et les très puissants princes
avaient un armement vraiment prodigieux. 23.
Certains, de peur qu’on leur lance une flèche, courbaient la tête, d’autres hommes, pleins
d’audace, regardaient avec étonnnement. 24.
Ils atteignaient les cibles avec des flèches marquées à leurs noms, de toutes sortes, lancées
avec dextérité tandis qu’ils chevauchaient à toute allure. 25. A
voir là cette troupe de princes tenant leurs arcs et leurs flèches, commes’ils voyaient une cité
de Gandharvas, ils étaient stupéfaits. 26.
Immédiatement les hommes, par centaines de milliers, crièrent alors, les yeux écarquillés
d’étonnement : « Bravo ! Bravo ! », ô Bhārata. 27.
Ces puissants princes concoururent encore et encore avec leurs arcs, et
montés sur leurs chars, et montés sur des éléphants,
des chevaux, et à la lutte. 28.
Puis, tenant leurs glaives et leurs boucliers de cuir, ils combattirent
encore, et se livrèrent à un combat à
l’épée, comme on le leur avait montré, partout sur le terrain. 29.
Pendant qu’ils usaient de leurs glaives et de leurs boucliers de cuir, on
regardait leur dextérité, leur
excellence, leur beauté, leur sang-froid, la fermeté de leurs mains. 30.
Puis Bon-Guerrier et Ventre-de-loup [1],
toujours joyeux, descendirent tous deux,
massue à la main, comme les deux pics de deux montagnes. 31.
Ceints de leurs sangles, les deux princes puissants et virils, se
raffermissaient, comme deux grands éléphants
en rut autour d’une femelle. 32.
Les deux puissants princes décrivaient des cercles à gauche et à droite, avec leurs massues
brillantes, comme deux taureaux en rut. 33. A
Dhṛtarāṣṭra, à Gāndhārī et à
l’éléphante des Pāṇḍava [2],
Vidura décrivait tout ce que
faisaient les princes. |
1.
125. L’assistance prend parti pour l’un ou pour l’autre. Droṇa
demande à Aśvatthāmā de stopper le combat : il a peur qu’il
dégénère. Il fait entrer Arjuna, sous les applaudissements de la foule. Celui-ci
fait une démonstration de ses armes divines et montre son excellence à toutes
sortes d’armes. A la fin du spectacle, Duryodhana et ses frères bloquent la
sortie de l’arène. (= 32 ślokas) |
Livre I,
chapitre 125.
1.
Vaiśampāyana dit : « Quand le roi des Kuru
eut pris place sur l’estrade, ainsi que Bhīma, le meilleur parmi les
forts, la foule se divisa en deux,
selon ses préférences pour chacun des deux partis. 2.
« Ha ! Quel héros que le roi des Kuru ! »
« Ha ! Bhīma ! » criaient les hommes, et leurs grands
cris jaillissaient brusquement. 3.
Voyant donc l’estrade semblable à l’agitation de la houle, le sage fils de Bharadvāja dit à
Aśvatthāmā, son fils bien-aimé : 4.
« Arrête ces deux grands guerriers, qui sont tous deux des gymnastes accomplis, pour qu’il n’y ait pas de
bagarre à cause de Bhīma et Duryodhana ! » 5.
Ainsi tous deux furent arrêtés par le fils du gourou tandis qu’ils
brandissaient leurs massues comme deux vagues écumantes
secouées par le vent de la fin du monde. 6.
Droṇa alla donc sur l’aire devant l’estrade et dit cette parole après avoir écarté la foule
des instruments de musique dont le bruit semblait un grand nuage orageux. 7.
« Voici celui qui m’est plus cher que mon fils, le meilleur de ceux qui
maîtrisent toutes sortes d’armes, le fils d'Indra, semblable au
frère cadet d’Indra, le fils de Pṛthā ! » 8.
Après avoir ainsi été salué par la voix de son maître, le jeune homme entra, ayant attaché le bandeau de
cuir qui protégeait son pouce, avec son carquois plein et son arc. 9.
Portant son armure d’or, Arjuna apparaissait tel le Soleil, tel Indra armé
de la foudre, porteur de pluie au crépuscule. 10.
Il y eut alors une immense confusion sur toute l’estrade, et les instruments de musique
résonnèrent de toutes parts en même temps que les conques. 11.
« Voici le glorieux fils de Kuntī ! Voici le puîné des Pāṇḍava ! Voici le fils du grand
Indra ! Voici le protecteur des Kuru ! 12.
Voici le meilleur des experts en armes ! Voici le héros des connaisseurs
du Dharma ! Voici celui qui excelle parmi
les vertueux, le trésor de la vertu et de la connaissance ! » 13.
Quand elle entendit la clameur incomparable que poussaient les spectateurs, la poitrine de Kuntī fut
mouillée de larmes qui se mêlaient à son lait. 14.
Les oreilles pleines de ce grand vacarme, Dhṛtarāṣṭra, le meilleur des hommes, parla
alors à Vidura, l’esprit joyeux : 15.
« Chambellan, quel est ce vacarme, pareil à l’agitation de la houle, qui s’élève soudainement de
l’estrade et semble percer le firmament ? » 16.
Vidura lui dit : « C’est le fils de Pṛthā,
ô Mahārāja, Arjuna, le fils de Pāṇḍu, qui est descendu avec son
armure, d’où ce vacarme… » 17.
Dhṛtarāṣṭra dit : « Je suis heureux, je
suis favorisé, je suis protégé, ô subtil, par les trois feux des
Pāṇḍava nés des bâtons à feu de Pṛthā ! » 18.
Vaiśampāyana dit : « Quand les gens réunis
sur l’estrade se furent un peu calmés, le Rechigneur fit voir la
dextérité dans les armes qu’il tenait de son maître. 19.
Avec celle d’Agni il lança le feu, avec celle de Varuṇa il lança la
pluie, avec celle de Vāyu il
lança le vent, avec celle de Parjanya il lança les nuages, 20.
avec celle de Bhauma il entra dans la terre, avec celle de Parvata il lança
des montagnes, et avec l’arme qui fait
disparaître elles disparurent à nouveau. 21.
Un moment il se tenait debout, un moment accroupi, un moment il allait sur le
timon du char, un instant au milieu du char,
un instant il sautait à terre. 22.
Cher à son gourou, possédant l’excellence, il atteignait une cible fragile, petite, aussi bien
qu’une grande avec diverses flèches. 23.
Tandis qu’on faisait circuler un sanglier de cuivre, il lâcha simultanément dans son museau cinq flèches
en même temps comme s’il n’y avait eu qu’une seule flèche. 24.
Dans un fourreau en corne de vache qui s’agitait au bout d’une corde où il
était attaché ce grand héros enfonça
vingt-et-une flèches. 25.
Ainsi et d’autres façons il était très fort à l’épée et à l’arc, et il faisait des
démonstrations de son habileté avec les massues. 26.
Ainsi, quand la plus grande partie de ces exploits eut été accomplie, ô
Bhārata, quand la foule et le son des
instruments de musique eurent diminué, 27.
surgi du portail d’entrée, ô majesté, dénotant la puissance, un entrechoquement de bras se
fit entendre, semblable au fracas de la foudre. 28.
« Est-ce que les montagnes se déchirent ? Est-ce donc la terre qui
se fend ? Est-ce donc le ciel qui
s’emplit de nuages lourds de pluies ? » 29.
Telle fut sur le coup la pensée de l’assemblée, ô Seigneur de la Terre. Et tous les spectateurs
s’étaient alors tournés vers le portail. 30.
Entouré par les cinq frères fils de Pṛthā, Droṇa
resplendissait comme la lune en conjonction
avec la constellation des cinq étoiles. 31.
En compagnie d’Aśvatthāmā, ses cent frères orgueilleux entouraient Duryodhana, le
tueur de ses ennemis, qui s’était levé. 32.
Et celui-ci, entouré par ses frères prêts au combat, rangés près de lui,
debout, sa massue à la main, resplendissait comme jadis,
lors de la destruction des Dānavas, le Destructeur de remparts lorsqu’il
était entouré par les troupes des dieux. |
1. 126. Karṇa fait son entrée et défie
Arjuna : quoique tu aies fait, je peux faire mieux. Karṇa fait une
démonstration éblouissante et Duryodhana le félicite d’avoir rabaissé l’orgueil
d’Arjuna. Karṇa réclame de se battre en duel avec Arjuna. Après un
échange verbal peu amène, ils se préparent au combat. Le soleil éclaire Karṇa
en plein et laisse Arjuna à l’ombre. Kuntī s’évanouit en voyant ses deux
fils prêts à se battre. Droṇa demande aux combattants de se présenter
l’un à l’autre. Karṇa baisse la tête : il n’est pas noble !. Duryodhana
intronise Karṇa roi des Aṅga, et la consécration royale se fait
sur le champ. Duryodhana demande à Karṇa son amitié en échange. (= 39
ślokas) |
Livre I, chapitre 126.
1.
Vaiśampāyana dit : « Les gens firent place,
les yeux écarquillés d’étonnement, et Karṇa, le conquérant
des cités ennemies, entra dans la large arène, 2.
portant la cuirasse qu’il avait en naissant, son visage illuminé par ses boucles
d'oreille, avec son arc, ceint de son
épée, tel une montagne qui marcherait, 3. le
fils de la vierge Pṛthā à la grande gloire, aux grands yeux, fragment du Lumineux aux
rayons perçants, Karṇa, le destructeur des troupes de ses ennemis. 4. Sa
puissance et son courage étaient comparables à ceux des rois des lions, des
taureaux et des éléphants, il était pareil au feu, à la
Lune et au Soleil par l’excellence de son éclat, de sa brillance et de sa
splendeur. 5. Le
jeune homme était élancé, ayant l’aspect d’un palmier d’or et la massivité
d’un lion. Innombrables étaient les
qualités de ce prince splendide issu du Lumineux en personne. 6. Ce
puissant prince scruta en tous sens le cercle de l’arène et il s’inclina pour saluer
Droṇa et Kṛpa, sans beaucoup de respect. 7.
Toute la foule assemblée était immobile, les yeux fixés sur lui. Son arrivée provoqua un
frisson : « Qui est-ce ? » se demandait-on avec
curiosité. 8.
Avec le son d’un morne nuage le meilleur des orateurs, le fils du Soleil, dit à son
frère, son frère qu’il ne connaissait pas, le fils du Punisseur-de-Pāka [3] : 9.
« Fils de Pṛthā, ce que tu as fait là, moi je le ferai en mieux devant ces hommes
qui regardent : ne sois pas si fier de toi ! » 10.
Il n’avait pas achevé de parler, ô le meilleur des orateurs, que les gens se levèrent
aussitôt de tous côtés, comme se déclencherait une machine. 11.
Et alors la joie envahit Duryodhana, ô tigre parmi les hommes, et aussitôt la honte et
colère pénétrèrent le Rechigneur. 12.
Avec le consentement de Droṇa, Karṇa, qui se plaisait toujours au
combat, fit alors ce qu’avait fait le
fils de Pṛthā : il était d’une grande force. 13.
Alors, ô Bhārata, Duryodhana en compagnie de ses frères prit joyeusement Karṇa
dans ses bras et lui ces mots : 14.
« Bienvenue à toi, puissant guerrier ! C’est une chance que tu sois
venu, tu forces le respect ! Moi et le royaume des Kuru
sommes à ta disposition ! » 15.
Karṇa dit : « A toute autre, je
choisis ton amitié : je désire faire un combat
singulier avec le fils de Pṛthā , ô Bhārata ! » 16.
Duryodhana lui dit : « Profite des plaisirs
en ma compagnie, sois un ami pour tes compagnons, mets le pied sur la tête de
tous ceux dont le cœur est mauvais, ô dompteur de tes ennemis ! » 17.
Vaiśampāyana dit : « Aussi le fils de Pṛthā
, estimant qu’il était lui-même attaqué, s’adressa à Karṇa qui se dressait
comme une montagne au milieu de l’assemblée de ses frères : 18.
« Pour ceux qui s’insinuent sans être invités, ceux qui parlent sans y
être invités, il y a des endroits :
c’est là que tu iras, Karṇa, quand tu auras été tué par
moi ! » 19.
Karṇa lui dit : « Cette arène est à tout
le monde ! Où est le problème pour toi, Arjuna ? Les nobles sont ceux qui ont
une valeur supérieure, le Dharma se tourne du côté de la force. 20.
Pourquoi ces offenses en haletant chétivement ? Parle avec tes flèches,
ô Bhārata, jusqu’à ce que, sous les yeux
de ton gourou, je coupe aujourd’hui ta tête avec mes flèches ! » 21.
Vaiśampāyana dit : « Droṇa y
consentit donc, et les fils de Pṛthā, ces conquérants des cités
ennemies, après avoir vite embrassé
leurs frères, se jetèrent dans le combat. 22.
Porté en triomphe par Duryodhana et ses frères qui l’entouraient, Karṇa
se présenta avec son arc et ses flèches. 23. Le
ciel s’emplit de nuages qui se ruaient en avant avec les armes d’Indra, pleins d’éclairs et de coups
de tonnerre, où s’alignaient des hérons qui riaient. 24.
Voyant le dieu aux chevaux bais qui regardait tendrement vers l’arène, le Lumineux emporta les
nuages qui s’approchaient trop dangereusement. 25.
Or donc les Pāṇḍava disparurent dans l’ombre des nuages
chargés de pluie, et Karṇa parut nimbé de
l’éclat brûlant du Soleil. 26. A
l’endroit où était Karṇa, se tenaient les fils de Dhṛtarāṣṭra, et où étaient les fils de Pṛthā,
Bharadvāja, Kṛpa et Bhīṣma. 27.
L’arène fut divisée en deux parties, et il se fit une division entre les
femmes ; la fille de Kuntibhoja,
connaissant l’affaire, s’évanouit. 28.
La voyant ainsi évanouie, Vidura, le connaisseur de tout le Dharma, ranima Kuntī en
l’aspergeant avec de l’eau mêlée de santal. 29.
Et quand son souffle fut revenu, elle regarda ses deux fils ceints de leurs armures et,
malgré son grand tourment, elle n’entreprit rien. 30.
Tous deux brandissaient leurs grands arcs, et Kṛpa le fils de
Śaradvāt, expert dans la pratique des
duels et connaisseur de tout le Dharma, leur dit : 31.
« C’est le fils cadet de Pṛthā, le rejeton de Pāṇḍu, de la lignée de Kuru, qui va
livrer un duel avec toi, Seigneur. 32.
Et toi-même, puissant seigneur, tu dois dire le nom de ta mère, de ton père,
de ta famille, et de quels rois tu fais
croître la famille. Quand il saura cela, le fils
de Pṛthā te combattra, ou pas… ». 33. A
ces mots, Karṇa baissa honteusement la tête, comme le ferait une fleur de
lotus gâtée par les eaux de pluie. 34.
Duryodhana dit : « Maître, il y a une
triple origine pour les rois dans les arrêts des textes sacrés : c’est celui qui est de
naissance noble, celui qui est un héros, et celui qui conduit une armée. 35. Si
Arjuna ne veut pas livrer un combat avec quelqu’un qui n’est pas roi, alors je l’introniserai roi
du pays d’Aṅga. » 36.
Vaiśampāyana dit : « Ainsi à l’instant,
avec des grains de riz, des vases d’or pleins de fleurs et un trône d’or, les
connaisseurs des mantras consacrèrent Karṇa, le grand aurige, comme roi
d’Aṅga ; et le puissant guerrier connut la fortune. 37.
Après avoir reçu un parasol et un éventail en crin de cheval, au milieu des
cris de victoire, le roi, taureau parmi les
rois, dit alors au fils de Kuru : 38.
« Que dois-je donner qui équivaille le don de ce royaume ? Dis-le moi, ô tigre parmi les
rois, et je ferai ainsi, ô roi ! » « Je veux ton amitié
éternelle » lui répondit le Bon-Guerrier. 39. A
ces mots, Karnas lui répondit « Qu’il en soit ainsi ! » Et tous deux s’embrassèrent
avec joie et entrèrent dans une extrême allégresse. |
1. 127. Le cocher Adhiratha vient féliciter
son fils Karṇa. Bhīma se moque de Karṇa : “Fils de cocher, tu
n’as aucun droit de te battre contre un noble! Tiens t’en à ton fouet!”.
Duryodhana plaide pour Karṇa : les mystères de la naissance restent
souvent inexpliqués : comment une biche donnerait-elle naissance à un tigre,
avec sa cuirasse d’or et ses boucles d’oreille ?. Le soleil se couche, et
Duryodhana sort de l’arène avec Karṇa. (= 24
ślokas) |
Livre I,
chapitre 127.
1.
Avec le haut de son vêtement de travers, tout en sueur, tout tremblant, Adhiratha entra dans l’arène,
ne soutenant sa vie qu’à l’aide d’une canne, comme s’il venait le chercher. 2.
Quand il le vit, abandonnant son arc, par attachement pour la dignité de son
père, Karṇa le salua
respectueusement, la tête encore humide d’eau lustrale. 3.
Troublé, il couvrit ses pieds avec un bout de son vêtement et le conducteur de chars,
devant son succès, lui dit : « Mon fils ! » 4.
Bouleversé de tendresse, prenant dans ses bras la tête encore humide de l’eau
lustrale du roi d’Aṅga, il l’arrosa à nouveau de ses pleurs. 5. En
le voyant, le Pāṇḍava Bhimasena en conclut :
« C’est un fils de cocher ! », et il dit alors cette parole
en éclatant de rire : 6.
« Tu n’as pas le droit, fils de cocher, d’être tué dans un combat avec
le fils de Pṛthā ! Tu devrais vite prendre le
fouet qui convient à ta famille ! 7. Tu
n’as pas le droit de jouir du royaume d’Aṅga, manant ! Comme un chien dans un
sacrifice n’a pas droit au gâteau de riz à côté du feu
sacrificiel ! » 8. A
ces mots, la lèvre de Karṇa fut prise d’un tremblement : il poussa un soupir vers le
ciel et leva les yeux vers le Soleil. 9.
Aussi le très puissant Duryodhana bondit de colère fraternellement comme un
éléphant en rut d’un massif de lotus. 10.
Et il dit à Bhīmasena aux exploits terribles qui se tenait là : « Ventre-de-loup, il ne
convient pas que tu dises une telle parole ! 11.
La puissance des nobles guerriers est supérieure, elle doit combattre en
fonction de la noblesse guerrière. Les origines des héros comme
celle des rivières sont assurément difficiles à connaître. 12.
C’est de l’eau que sort le Feu par lequel est pénétrée toute créature. C’est à partir d’un os de
Dadhīca que fut fait le foudre qui détruisit les Dānavas. 13.
« Il est fils du Feu, fils des Pléiades, fils de Rudra, fils de
Gange » entend-on à propos du
bienheureux dieu Guha[4]
qui est un mystère pour tous. 14.
Et ceux qui sont nés de femmes de la noblesse guerrière sont connus pour être
aussi des brahmanes. Notre maître est né d’une
coupe[5],
et notre gourou Kṛpa d’une touffe de roseaux. Et comment vous êtes nés
Messieurs, cela les rois le savent aussi. 15.
Avec ses boucles d’oreille, avec sa cuirasse qui le désignent par ces signes
comme divin, comment ce tigre pareil au
Soleil serait né d’une antilope ? 16.
Ce prince est digne de régner sur la Terre, non sur le royaume d’Aṅga, par la valeur de son bras et
par moi qui obéis à ses ordres. 17.
Sinon, l’homme qui ne supporte pas mon comportement qu’il bande son arc, monté
sur son char ou à pieds ! » 18.
Alors dans toute l’arène il y eut une grande clameur, faite de bravos et de
protestations, et le Soleil gagna le couchant. 19.
Ainsi Duryodhana prit alors Karṇa par la main, ô roi, et ainsi ils sortirent tous
deux de l’arène à la lueur du feu des torches. 20.
Et, ô seigneur des peuples, les Pāṇḍava avec Droṇa et
Kṛpa, en compagnie de Bhīṣma,
s’en allèrent tous chacun dans sa maison. 21.
Un homme criait « Arjuna ! », un autre « Karṇa ! »,
ô Bhārata, un autre
« Duryodhana ! », et ils parlaient ainsi en partant. 22.
Et Kuntī considéra tendrement aux signes divins qui avaient été indiqués que son fils était le roi d’Aṅga,
et sa joie grandit secrètement. 23.
Et Duryodhana ayant trouvé Karṇa, ô roi, la peur qu’Arjuna faisait
naître en lui disparut aussitôt. 24.
Et ce héros, dont la pratique des armes était parfaite, s’adressa au
Bon-Guerrier avec une aménité toute particulière ; et alors Yudhiṣṭhira
pensa : « Il n’y a pas d’archer sur Terre qui soit comparable à Karṇa. » |
1. 128. Droṇa demande ses honoraires à
ses élèves : capturez Drupada et amenez-le moi !. C’est vite chose faite. Droṇa
dit à Drupada : “Une fois de plus, j’implore ton amitié. Je te donne la
moitié de ton royaume : ainsi, rois tous les deux, nous pourrons être amis”.
Drupada accepte de mauvais cœur et prépare sa vengeance. (= 18
ślokas) |
Livre I, chapitre 128.
1.
Réunissant ses disciples, Droṇa leur demanda son salaire de précepteur à tous, pour avoir
l’intégralité de ses honoraires, ô roi. 2.
« Saisissez-vous de Drupada, le roi du Pāñcāla, sur la
première ligne d’une bataille et amenez-le. Bonne chance à
vous ! Ce serait le meilleur des dons. » 3.
Ils dirent « D’accord ! », et tous les guerriers s’en allèrent
vite sur leurs chars en compagnie de Droṇa
pour lui donner le prix de son enseignement. 4.
Ainsi ces taureaux parmi les hommes marchèrent contre les Pāñcālas
et les massacrèrent : et ils détruisirent la cité
du très puissant Drupada. 5.
Ils se saisirent de Drupada, le chef de l’armée sainte, à la première ligne
de la bataille, et ces taureaux parmi les
Bhārata le rapportèrent avec ses compagnons à Droṇa. 6.
Après avoir brisé son orgueil, pris ses richesses et l’avoir mis à sa merci, Droṇa songea dans son
esprit à quereller Drupada et il lui dit : 7.
« J’ai rapidement ravagé ton royaume, j’ai détruit ta citadelle. Tu es vivant, à la merci de
ton ennemi : qui a envie d’un ami de longue date ? [6] ». 8.
Ainsi disait-il en éclatant de rire, et après réflexion il lui dit à
nouveau : « N’aie pas peur pour ta
vie, ô roi, nous autres brahmanes sommes miséricordieux. 9.
Grâce aux jeux que tu as eus dans l’ermitage avec moi quand tu étais enfant, mon affection pour toi a
grandi, ô taureau parmi les nobles guerriers. 10.
Je désire à nouveau ton amitié, ô taureau parmi les hommes. Je t’accorde une faveur, ô
roi : obtenir la moitié du royaume ! 11.
Un homme qui n’est pas roi, comme on dit, n’est pas digne d’être l’ami des
rois : c’est pourquoi je me suis
donné de la peine pour ton royaume, ô chef de l’armée sainte. 12.
Tu es le roi sur la rive sud, moi au nord du Gange : reconnais-moi comme ton ami,
ô Pāñcāla, si c’est ton avis… ». 13.
Drupada lui dit : « Cela n’est pas
étonnant, ô brahmane, avec des preux au grand cœur. Je me réjouis pour toi et je
désire de ta part une amitié éternelle. » 14.
Vaiśampāyana dit : « A ces mots, Droṇa
le libéra, ô Bhārata, l’accueillant avec respect,
le cœur réjoui, et il lui donna la moitié du royaume. 15.
C’est donc à Mākandī, une cité bien peuplée sur les rives du Gange, qu’il alla habiter, l’esprit
abattu, ainsi qu’à Kāmpilyā, la meilleure des cités, et le sud du Pañcāla
jusqu’à la rivière Carmaṇvatī. 16.
Drupada, se souvenant de sa querelle avec Droṇa, ne trouvait aucune
paix, et il ne voyait pas comment
le vaincre vu la puissance de ses nobles guerriers, 17.
se sachant dépourvu de la puissance des brahmanes. Dans l’attente de la
naissance d’un fils, le roi endurait cela, tandis que Droṇa
s’installait dans le territoire d’Ahicchatra. 18. C’est
ainsi, ô roi, que la cité d’Ahicchatra bien peuplée fut conquise militairement
par le fils de Pṛthā et offerte à Droṇa. |
1. 129. Duryodhana, Karṇa et
Śakuni continuent de comploter contre Bhīma et Arjuna. Les citoyens
veulent Yudhiṣṭhira pour roi. Duryodhana vient trouver Dhṛtarāṣṭra.
Si Yudhiṣṭhira devient roi, son fils le deviendra aussi et les
Kaurava seront définitivement écartés du royaume : Que Dhṛtarāṣṭra
prenne les mesures nécessaires. (= 18 ślokas) |
Livre I, chapitre 129.
1.
Bhīmasena était le plus fort, Dhanaṃjaya était un expert, et voyant cela, le méchant
Duryodhana était tourmenté. 2.
Ainsi Karṇa l’Écorché et Śakuni le fils de Subala essayaient par de multiples
moyens de tuer les Pāṇḍava. 3.
Les Pāṇḍava, ces dompteurs de leurs ennemis, reconnurent
tout cela, mais, s’en tenant à l’avis de
Vidura, ils l’ignorèrent. 4.
Les gens de la ville virent alors que les fils de Pāṇḍu
possédaient des vertus et quand ils les
rencontraient dans des carrefours ou des assemblées, ils leur disaient : 5.
« Dhṛtarāṣṭra, le seigneur des peuples qui a
l’œil de la sagesse, à cause de sa cécité n’a pas obtenu le pouvoir
royal autrefois : comment serait-il roi ? 6. De
même Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, fidèle à sa
parole et très attaché à ses vœux, a renoncé jadis au pouvoir
royal et il ne va aucunement le prendre aujourd’hui. 7. Et
nous, cet aîné des Pāṇḍava, tout jeune mais avec sa
maturité, donnons-lui bien l’onction
royale aujourd’hui : il est vrai et connaît la compassion. 8.
Car, connaissant le Dharma, il honorera Bhīṣma le fils de
Śāṃtanu ainsi que Dhṛtarāṣṭra et ses fils en leur ménageant
des profits de toutes sortes. » 9. En
entendant les paroles que disaient ces gens dévoués à Yudhiṣṭhira,
le méchant Duryodhana était tourmenté. 10.
S’échauffant, cet homme à l’âme corrompue ne supportait pas leur parole et enfiévré par la jalousie,
il alla voir Dhṛtarāṣṭra. 11.
Voyant son père tout seul, il lui rendit hommage et, enfiévré par la
préférence des gens de la ville, il lui dit donc : 12.
« J’ai entendu les paroles malveillantes des gens de la ville qui
bavardaient : faisant fi de toi et de
Bhīṣma, ils veulent le Pāṇḍava comme roi ! 13.
C’est aussi le souhait de Bhīṣma : il ne veut pas devenir
roi. Et les gens dans la ville veulent
nous faire subir une pression extrême. 14.
Pāṇḍu jadis reçut le pouvoir royal de son père en raison de
ses qualités personnelles ; et toi tu ne prends pas le
pouvoir royal dont tu disposes en considération de ton handicap. 15.
Si ce Pāṇḍava obtient l’héritage de Pāṇḍu, son fils sûrement
l’obtiendra, et le sien du sien ensuite. 16.
Et nous, et nos fils aussi, serons privés de lignée royale, nous serons méprisés du
monde, ô roi de la Terre… 17.
Nous obtiendrons un enfer éternel, ne subsistant qu’avec les aumônes des
autres : puissions-nous ne pas
devenir, ô roi, tels que nous sommes destinés à être rapidement… 18.
Car si tu étais fermement à la tête du royaume depuis longtemps, ô roi, avec sûreté c’est nous qui
aurions le pouvoir royal, même si le peuple n’est pas d’accord ! » |
1. 130. Dhṛtarāṣṭra
ne voit pas le moyen d’écarter Yudhiṣṭhira du trône : les alliés
de Pāṇḍu lui sont fidèles. Duryodhana rétorque qu’il a déjà
en main le trésor et les ministres : il suffit d’écarter les Pāṇḍava
et de les envoyer à Vāraṇāvata. Une fois qu’ils seront
éloignés, il se fait fort de prendre le royaume. Dhṛtarāṣṭra
se demande comment vont réagir Bhīṣma, Vidura, Droṇa et Kṛpa.
Duryodhana le rassure. (= 20 ślokas) |
Livre I, chapitre 130.
1.
Vaiśampāyana dit : « Et quand Dhṛtarāṣṭra
eut entendu de son fils une telle parole, il songea un moment, puis il
dit à Duryodhana : 2.
« Pāṇḍu fut toujours très attaché au Dharma et il a
toujours été gentil pour moi : il l’a été pour tous ses proches,
mais pour moi en particulier. 3. Je
ne sache pas qu’il ait jamais voulu de la nourriture ou autre pour lui : car, ferme dans ses vœux, il
m’offrait continuellement le pouvoir royal. 4.
Son fils, tout comme Pāṇḍu, ne songe qu’au Dharma, il est plein de qualités,
célèbre dans le monde entier et il est très respecté par les gens de la
ville. 5.
Comment pourrions-nous dès lors le chasser de force du royaume de son père et de
ses aïeux, sans compter ses alliés ?... 6.
Pāṇḍu toujours a soutenu ses compagnons, a soutenu son
armée, a soutenu leurs fils et leurs
petits-fils tout particulièrement. 7.
Jadis, fils, les hommes issus de Pūru étaient honorés par Pāṇḍu : comment, pour défendre Yudhiṣṭhira,
ne nous tueraient-ils pas avec nos parents ? » 8.
Duryodhana dit : « C’est bien là, père,
l’inconvénient qui occupe mon esprit : en y regardant, tous les
dignitaires ne considèreront que l’importance de leur profit, 9.
ils seront certainement nos alliés en fonction de leur supériorité. Les trésoriers avec les conseillers
dépendent aujourd’hui de moi, ô maître de la Terre. 10.
Tu peux, Seigneur, vite faire partir les Pāṇḍava vers la ville de Vāraṇāvata
en leur faisant une gentille promesse. 11.
Quand j’aurai raffermi le pouvoir royal, ô roi, alors Kuntī reviendra avec
ses enfants, ô Bhārata. » 12.
Dhṛtarāṣṭra lui dit : « Duryodhana, moi aussi
j’ai retourné cela dans mon cœur, mais je ne le montre pas à
cause de la mauvaiseté de ce projet. 13.
Ni Bhīṣma, ni Droṇa, ni le chambellan [7],
ni Gautama [8] n’approuveront que les fils
de Kuntī soient éloignés, jamais… 14.
Car aux yeux des descendants de Kuru nous et eux sommes égaux, mon
fils : ces hommes sages et
concentrés sur le Dharma ne sauraient accepter cette iniquité. 15.
Nous-mêmes, pour ces descendants de Kuru au grand cœur, comment ne mériterions-nous
pas la mort, mon fils, aux yeux du monde ? » 16.
Duryodhana lui dit : « Bhīṣma est
toujours impartial, le fils de Droṇa est de mon côté, et Droṇa est là où est
son fils : il n’y a aucun doute là-dessus. 17.
Et Kṛpa Śāradvata est aussi du côté où sont les trois, à aucun moment il
n’abandonnera Droṇa ni son neveu. 18.
L’intérêt du chambellan est lié à nous, mais il s’en cache là où sont les
autres : et, à lui seul, il ne serait
pas à même de nous empêcher au nom des Pāṇḍava. 19.
Exile en toute confiance les fils de Pāṇḍu avec leur mère à Vāraṇavata dès
aujourd’hui : il n’y a là aucun inconvénient. 20.
La peur qui m’empêche de dormir, comme une écharde plantée dans mon cœur, le feu surgi de mon chagrin,
détruis-les en agissant ainsi. » |
1. 131. Dhṛtarāṣṭra
fait courir des bruits auprès des Pāṇḍava sur la beauté de
Vāraṇāvata et de son festival de Śiva, et les engage à
s’y rendre et à l’y représenter. Ils partent avec la bénédiction de leurs proches.
(= 18 ślokas) |
Livre I, chapitre 131.
1.
Vaiśampāyana dit : « Ainsi le roi
Duryodhana avec ses frères cadets se gagnèrent peu à peu tous les
dignitaires en leur offrant des marques d’honneur et des récompenses. 2. A
l’instigation de Dhṛtarāṣṭra, d’habiles conseillers racontèrent que la cité de
Vāraṇāvata était charmante. 3.
« Il y a un très grand rassemblement, le plus charmant du monde, pour rendre hommage à
Paśupati [9] dans la cité
de Vāraṇāvata, 4.
une contrée regorgeant de toutes sortes de joyaux, un charme pour les
hommes. » C’est ainsi qu’ils faisaient
cette description, conformément à la parole de Dhṛtarāṣṭra. 5.
Comme la cité de Vāraṇāvata leur était décrite avec tant de
charme, il vint aux fils de Pāṇḍu
l’envie d’y aller, ô roi. 6. Et
quand le roi jugea que la curiosité était née chez eux, le fils d’Ambikā [10]
s’adressa alors ainsi aux Pāṇḍava : 7.
« Continuellement mes gens me racontent encore et encore que la cité de Vāraṇāvata
est la plus charmante au monde. 8. Si
vous songez à aller au festival de Vāraṇāvata, fils, avec ton clan et ta suite
soyez y comme des immortels ! 9.
Aux brahmanes et aux chantres tous ensemble offrez des joyaux à votre bon
plaisir, comme des dieux éclatants. 10.
Quand vous y aurez passé un certain temps et aurez goûté une joie extrême, vous reviendrez joyeux ici à
Hāstinapura ! » 11.
Yudhiṣṭhira, comprenant que c’était là le désir de Dhṛtarāṣṭra
et qu’il était lui-même sans
alliés, lui répondit « D’accord ! ». 12.
Puis, au très sage Bhīṣma, au subtil Vidura, à Droṇa, à
Bāhlīka ainsi qu’à Somadatta, le fils de Kuru, 13. à
Kṛpa, au fils du précepteur [11]
et à la glorieuse Gāndhārī Yudhiṣṭhira dit
alors ces paroles avec une douce tristesse : 14.
« Mes amis, nous allons aller avec nos gens, sur l’ordre de Dhṛtarāṣṭra, vers Vāraṇāvata,
une cité charmante et très fréquentée. 15.
Vous tous, gracieusement, répandez sur nous des paroles de bon augure : fortifiés par vos
bénédictions, aucun mal ne nous maîtrisera. » 16. A
ces mots du fils de Pāṇḍu, tous les Kauravās eurent des paroles gracieuses
et se rapprochèrent des Pāṇḍava. 17.
« Puissiez-vous sur votre route avoir toujours du succès auprès de
toutes les créatures ; et qu’il ne vous arrive aucun
malheur d’aucune façon, ô fils de Pāṇḍu ! ». 18.
Ainsi, quand ils eurent reçu des vœux de succès pour leur voyage, les Pāṇḍava,
après avoir accompli les rites pour le profit du
royaume, s’en allèrent à Vāraṇāvata. |
1. 132. Duryodhana envoie de toute urgence
son confident Purocana à Vāraṇāvata, avec mission de
construire une maison hautement inflammable, richement meublée pour y loger
les Pāṇḍava et Kuntī. Une fois qu’ils seront au lit,
qu’il y mette le feu. Purocana part exécuter sa mission. (= 19
ślokas) |
Livre I, chapitre 132.
1.
Vaiśampāyana dit : « Quand le roi eut ainsi
parlé aux Pāṇḍava au grand cœur, le méchant Duryodhana entra
dans une joie extrême. 2.
Amenant à part son conseiller Purocana, ô taureau des Bhārata, il le prit par la main droite
et lui dit cette parole : 3.
« Cette Terre nourricière regorgeant de richesses est mienne, ô
Purocana ! De même qu’elle est à moi,
elle est à toi : je te prie de la protéger ! 4.
Car il n’y a personne d’autre en qui j’aie davantage confiance que toi ; en m’associant à un allié tel
que toi, je pourrais délibérer avec toi ! 5.
Garde ce conseil, mon ami, et élimine mes ennemis. Par une habile ruse fais
comme je t’ai dit. 6.
Les Pāṇḍava ont été envoyés par Dhṛtarāṣṭra
à Vāraṇāvata : ils se réjouiront au
festival, sur l’ordre de Dhṛtarāṣṭra. 7. Prends
un char rapide attelé à un âne, et fais en sorte d’arriver
aujourd’hui même à Vāraṇāvata. 8.
Arrivé là, fais faire une maison comprenant quatre salles, parfaitement close, de grand
prix, dépendant de l’armurerie. 9. Du
chanvre, de la résine de vatica, etc. des matières quelles qu’elles soient qui soient inflammables…
fais-toi donner tout cela ! 10.
Mélange du beurre clarifié mêlé d’huile et beaucoup de laque avec de l’argile, et fais-en
un enduit sur les murs. 11.
Des bouts de chanvre, des cannes de roseau, du beurre fondu et toutes sortes
d’objets en bois, ajoute tout cela dans cette
maison, de partout, 12.
et de façon à ce que les Pāṇḍava ne te soupçonnent pas, même
en y regardant avec attention, ni que d’autres hommes se
disent que c’est là un ouvrage inflammable. 13.
Quand tu auras bâti la maison de cette façon, avec de grands honneurs installes-y les Pāṇḍava,
ainsi que Kuntī avec les femmes qui lui sont dévouées. 14.
Fournis des sièges magnifiques, des véhicules, des lits aux Pāṇḍava,
autant qu’il en faut pour que mon père soit satisfait. 15.
Il faut tout faire pour qu’ils prennent du bon temps en toute confiance dans la cité de Vāraṇāvata,
jusqu’à ce que le temps soit venu. 16.
Quand tu seras assuré qu’ils ont toute confiance et qu’ils sont couchés sans
crainte, allume alors un feu à la
porte de cette maison. 17.
Une fois qu’ils auront été brûlés, « Ils ont été brûlés dans leur
maison » diront alors les gens ou bien leurs parents, quand
ils parleront des Pāṇḍava. ». 18.
Purocana promit au Kaurava qu’il en serait ainsi, et il partit sur un char
attelé d’un âne vers la cité de Vāraṇavata. 19.
Il se hâta d’y aller, ô roi, s’en tenant à la volonté de Duryodhana, et Purocana fit tout comme
l’avait dit le fils du roi. |
1. 133. Vidura et les gens de la ville
accompagnent les Pāṇḍava sur le chemin. Ils protestent
contre leur exil et se plaignent de la conduite de Dhṛtarāṣṭra.
Mais Yudhiṣṭhira leur remontre qu’il faut toujours obéir au roi,
et les renvoie chez eux. Vidura, avant de les quitter, explique aux Pāṇḍava
qu’il est une arme qui n’est pas faite de fer, mais qui pénètre dans les
corps : cette arme, qui détruit les sous-bois et la rosée, ne détruit pas la
taupe dans son trou. Qu’ils soient sur leur garde ! (= 30 ślokas) |
Livre I, chapitre 133.
1.
Vaiśampāyana dit : « Les Pāṇḍava
attelèrent leurs chars à d’excellents chevaux, rapides comme le vent, et quand ils y montèrent, ils
étreignirent tristement les pieds de Bhīṣma, 2.
ainsi que du roi Dhṛtarāṣṭra, et de Droṇa au
grand cœur, et aussi des autres
vieillards, et de Vidura et Kṛpa. 3.
Ils saluèrent donc tous les vieillards issus de Kuru, car ils étaient fermes
dans leurs vœux, et ils embrassaient les gens
de leur âge, et les enfants aussi les saluaient. 4.
Ils prirent congé de toutes leurs mères, en marchant rituellement autour d’elles ainsi qu’autour de tous les
dignitaires, et ils partirent pour Vāraṇavata. 5. Le
très sage Vidura ainsi que les autres taureaux parmi les Kuru et les gens de la ville
suivaient ces tigres parmi les hommes, accablés de chagrin. 6. Il
y avait là certains brahmanes qui disaient alors sans peur, pleins de chagrin pour les
fils de Pāṇḍu, ô taureau des Bhārata : 7.
« Le roi voit un danger, alors qu’il est totalement entouré de ténèbres. Dhṛtarāṣṭra
est vraiment stupide : il ne voit pas devant lui le Dharma. 8.
Car les Pāṇḍava, dont le cœur est dépourvu de mal,
n’approuveront pas le mal, ni Bhīma le plus fort
des garçons, ni Dhanaṃjaya le fils de Kuntī. Et à plus forte raison les
deux très sages fils de Mādrī. 9. Dhṛtarāṣṭra
ne supportera pas qu’ils obtiennent ce royaume par leur père. Bien plus, Bhīṣma
ne permettra pas un acte entièrement contraire au Dharma : que les fils de Kuntī,
les taureaux des Bhārata, soient bannis indûment ! 10.
Car jadis il fut pour nous comme un père le fils de Śāṃtanu, Vicitravīrya le sage de
sang royal, de même que Pāṇḍu fils de Kuru. 11.
Et maintenant que ce tigre parmi les hommes est parti vers son destin, Dhṛtarāṣṭra
ne supportera pas ces jeunes princes. 12.
Nous tous nous ne supportons pas cela dans la meilleure des cités : nous quittons nos maisons et
nous allons où va Yudhiṣṭhira ! ». 13.
Tandis que les citoyens, abattus, parlaient ainsi, bien qu’accablé de chagrin Yudhiṣṭhira, le roi
du Dharma, leur dit plein de joie : 14.
« C’est un père honorable, le meilleur gourou : ce que dit le roi, nous devons le faire sans
hésitation. Tel est notre vœu. 15.
Seigneurs, vous êtes nos amis : marchez rituellement autour de nous, louez-nous dans vos
bénédictions, et retournez chacun dans vos maisons. 16.
Quand il arrivera que nous devrons agir avec vous, seigneurs, alors vous agirez pour moi
avec amitié et bienveillance. » 17.
Ils promirent qu’il en serait ainsi. Ils marchèrent rituellement autour de
lui, ils le louèrent dans leurs
bénédictions, et ils rentrèrent dans la ville. 18.
Et quand les citoyens furent retournés, Vidura, qui connaissait entièrement
le Dharma, dit ces paroles au meilleur
des Pāṇḍava pour le conseiller, de sage à sage, en pleine
connaissance de l’art de parler, en homme qui voit le Dharma et le
profit : 19.
« Par la connaissance, on pourrait agir de sorte à anéantir cette
adversité. Il y a une arme acérée, qui
n’est pas en métal, qui tranche le corps : on ne tue pas celui qui la
connaît, il sait tuer son ennemi. 20.
Elle est tueuse des broussailles, tueuse du froid, de l’animal qui vit dans
un terrier dans un grand buisson, et elle ne se brûlerait pas
elle-même : celui qui la garde vit. 21.
L’aveugle ne sait pas le chemin, l’aveugle ne trouve pas la direction, celui qui manque de fermeté
n’obtient pas la réussite : comprends cela, reste vigilant ! 22.
Donnée par des étrangers, un homme prend cette arme qui n’est pas faite de
fer : en s’installant dans le
refuge d’un porc-épic, il pourrait échapper au feu. 23.
En marchant il distingue les chemins, grâce aux étoiles il trouve la
direction ; et écrasant lui-même cinq
âmes, il n’est pas écrasé. » 24.
Après l’avoir conseillé, il suivit ses instructions et il marcha rituellement
autour de lui ; puis après avoir pris congé
des Pāṇḍava, Vidura retourna chez lui. 25.
Quand Vidura, Bhīṣma et les gens de la ville furent ainsi
retournés, Kuntī s’adressa à
Celui-dont-l’ennemi-n’est-pas-né [12]
et lui dit cette parole : 26.
« Quelle parole le chambellan a-t-il dite au milieu des gens, comme s’il
ne parlait pas ? Tu lui as dit
« D’accord », et nous, nous ne comprenons pas… 27.
S’il nous est possible de l’entendre et si ce n’est pas une mauvaise chose, je désire entendre toute
votre conversation, à toi et à lui. » 28.
Yudhiṣṭhira lui dit : « Vidura m’a dit :
« Attention au poison et au feu ! » et il m’a dit :
« Aucun chemin ne saurait vous être inconnu. ». 29.
Et il m’a dit : « En dominant tes sens, tu gagneras la Terre
nourricière », et j’ai répondu à
Vidura : « Je comprends tout cela. ». » 30.
Vaiśampāyana dit : « Ils partirent le
huitième jour du mois de Phalgunī, sous l’étoile Rohiṇī, ils atteignirent Vāraṇāvata
et ils virent les gens de la ville. |
1.
134. Les citoyens de Vāraṇāvata accueillent dignement les
Pāṇḍava. Purocana les reçoit, et, au bout de dix jours, les
emmène dans la maison qu’il a fait construire pour eux. Yudhiṣṭhira
sent l’odeur de la laque et comprend qu’il s’agit d’un piège et que
Duryodhana cherche à les faire périr. Il décide de faire semblant de rien,
pour ne pas donner l’alerte à Duryodhana. Les Pāṇḍava sont
isolés et sans le sou : il vaut mieux que Duryodhana les croit morts. (= 28
ślokas) |
Livre I, chapitre 134.
1.
Vaiśampāyana dit : « Alors tous les dignitaires
dans la ville de Vāraṇāvata, munis de toutes sortes
d’amulettes conformément aux textes sacrés, avec empressement, 2.
s’approchèrent dès qu’ils eurent appris l’arrivée des fils de Pāṇḍu,
les meilleurs des hommes, sur toutes sortes de
véhicules, par milliers, dans une allégresse extraordinaire à cette nouvelle. 3.
Les gens de Vāraṇāvata s’approchèrent des fils de Kuntī, faisant tous pour eux des
souhaits de victoire, debout autour d’eux pour leur rendre hommage. 4.
Entouré par eux, le tigre parmi les hommes, le roi du Dharma, Yudhiṣṭhira
brillait, semblable à un
dieu, comme le maître du foudre parmi les immortels. 5.
Ils furent salués avec respect par les gens de la ville, et ces
irréprochables saluèrent les gens de la ville avec respect et ils entrèrent dans la
ville de Vāraṇāvata, pleine de décorations et de gens. 6.
Les héros entrèrent dans la cité et allèrent vite ensuite vers les maisons des brahmanes, ô roi, qui se
réjouissaient de leurs actions, 7. et
vers les maisons des préposés de la ville et des auriges. Ces hommes excellents
s’approchèrent même des maisons des travailleurs et des serviteurs. 8. Et
après avoir été honorés par les hommes de la ville, les Pāṇḍava,
ces taureaux des Bharata, allèrent ensuite vers leur logement
dont Purocana leur fit les honneurs. 9. De
la nourriture, à manger et à boire, des lits magnifiques, des sièges somptueux leur
furent donnés par Purocana. 10.
Là ils furent salués par lui avec respect, avec une suite digne des plus
grands, ils furent honorés par les
hommes, et ils brillaient au milieu des habitants de la cité. 11.
Ils demeurèrent là dix jours, puis Purocana leur offrit alors la maison
du malheur appelée « Bonheur ». 12.
Ces tigres parmi les hommes y entrèrent en compagnie de leur suite, à l’invitation de Purocana,
comme les Esprits-Cachés dans le Mont Kailāsa [13]. 13.
Mais, regardant cette maison, l’expert dans le Dharma qu’était Yudhiṣṭhira
dit à Bhīmasena : « C’est inflammable, mon ami : je sens une
odeur de graisse, mêlée à du beurre clarifié et de la laque. 14.
Oui, cette maison a manifestement été faite pour brûler, ô tourmenteur de tes
ennemis, il est manifeste que du
chanvre et de la résine de Vatica ont été employés pour faire la maison, que tous les matériaux
(roseau, herbe, bambou, etc.) ont été aspergés de beurre fondu. 15.
Cela a été bien fait par des ouvriers compétents, versés dans la fabrication
des maisons : alors que j’ai confiance, ce
méchant Purocana désire me brûler. 16.
Le sage Vidura l’avait vu alors ce malheur et il m’en avait
averti auparavant, ô fils de Pṛthā. 17.
Il nous en a averti, et nous connaissons cette maison comme celle du malheur, parachevée par des maîtres
secrets soumis à la volonté de Duryodhana. » 18.
Bhīma lui dit : « Si tu penses que cette
maison a été rendue inflammable, Seigneur, le mieux alors est que nous
allions où nous logions auparavant… » 19.
Yudhiṣṭhira lui dit : « C’est ici qu’il faut
rester, il me semble, en restant sur nos gardes, l’air de rien, comme des gens perdus,
pendant que nous chercherons comment sortir d’ici en sûreté. 20.
Car si Purocana découvrait notre expression, il serait pressé d’agir, et
se déchaînerait pour nous brûler. 21.
Ce Purocana ne sera effrayé par aucun reproche ou aucune faute, car cet imbécile agit conformément
à la résolution du Bon-Guerrier. 22.
De plus, quand nous aurons été brûlés ici, le grand-père Bhīṣma pourrait être pris de colère.
Ou pour quelle raison serait-il irrité contre les fils de Kuru ? « C’est le Dharma »
dirait-il dans sa colère, et il en serait de même des autres taureaux de
Kuru. 23.
Mais si nous nous enfuyions par crainte de l’incendie, le Bon-Guerrier, avide du
pouvoir royal, nous ferait tous tuer par des espions. 24.
Nous ne sommes pas dans notre rang, il se tient dans son rang ; nous
n’avons pas de partisans, il est entouré de partisans ; notre bourse est vide, la
sienne est pleine… Il pourrait certainement projeter de nous faire tuer. 25.
C’est pourquoi ce mal et ce malfaisant Bon-Guerrier, nous devons faire en sorte de les tromper
en gardant notre séjour secret en quelque endroit que nous allions. 26.
En chasseurs, parcourons cette terre nourricière : ainsi nous connaîtrons les
chemins quand nous nous enfuirons. 27.
Faisons dès maintenant une tranchée bien couverte dans la terre : si nous retenons notre
respiration, le feu ne nous y brûlera pas. 28.
Pendant que nous demeurerons ici, il faut faire en sorte que Purocana ne s’en
aperçoive pas, ni aucun homme parmi les gens
de la ville, en restant en alerte. » |
1. 135. Un sapeur se présente à point,
envoyé par Vidura. Il demande ses instructions à Yudhiṣṭhira,
après s’être fait reconnaître par un mot de passe. Yudhiṣṭhira
fait creuser un trou au milieu de la maison, soigneusement dissimulé. Ils
dorment la nuit dans ce trou, mènent le jour une existence normale, pour
endormir la méfiance de Purocana. (= 21 ślokas) |
Livre I, chapitre 135
1.
Vaiśampāyana dit : « Un ami de Vidura, un
terrassier, un expert, dit ces mots aux Pāṇḍava,
ô roi, quand ils furent seuls : 2.
« J’ai été envoyé par Vidura, je suis un terrassier tout à fait
expert : je dois rendre service aux
Pāṇḍava. Que dois-je faire pour vous ? 3.
Vidura m’a dit en secret : « Tu iras auprès des Pāṇḍava : fais-leur confiance ».
Que dois-je faire pour vous ? 4.
Sous l’aile sombre du quatorzième jour [14],
Purocana mettra le feu à la porte de
ta maison. 5. En
compagnie de leur mère les Pāṇḍava, ces taureaux parmi les
hommes, doivent être brûlés : telle est la décision du fils
de Dhṛtarāṣṭra, ô fils de Pṛthā, c’est ce
que j’ai entendu. 6. Et
Vidura t’a dit quelque chose, ô Pāṇḍava, dans une langue
obscure, et tu lui as dit
« D’accord » : c’est là mon gage de confiance. » 7.
Yudhiṣṭhira, le fils de Kuntī ferme dans ses vœux, lui
dit : « Je te reconnais, mon cher,
tu es un ami de Vidura, 8.
pur, fiable, aimable et d’une fidélité à toute épreuve. Je ne sache aucune raison de
demander un signe de reconnaissance à un sage. 9.
Nous sommes toi, comme tu es nous, nous ne faisons pas de différences entre
toi et nous. Nous sommes des tiens comme
nous sommes des siens ; protège-nous comme un sage. 10.
C’est pour moi, à mon avis, que ce gîte inflammable a été fait par Purocana sur
l’ordre du fils de Dhṛtarāṣṭra. 11.
Cet homme mauvais et méchant est riche, et il dispose aussi d’alliés, et avec son âme corrompue, il
nous opprime aussi constamment. 12.
Toi, seigneur, délivre-nous de ce feu impétueux et dévorant en faisant tout
ton possible pour nous : car, si nous étions brûlés,
le Bon-Guerrier aurait ses désirs satisfaits. 13.
Voici l’arsenal bien pourvu de ce scélérat : ce grand édifice a été
construit sans interruption de façon à toucher l’extrémité du monticule. 14.
L’acte assurément mauvais que veut commettre celui-ci, Vidura le connaissait à
l’avance et il nous en a avertis. 15.
Il est arrivé ce malheur que jadis le chambellan avait vu : toi, délivre-nous sans que
nous soyons vus par Purocana… » 16.
Le terrassier promit qu’il en serait ainsi et il s’y mit avec zèle : il creusa donc une fosse et
fit un trou très profond. 17.
Il le fit au milieu de la maison, avec une ouverture pas très grande, munie d’une trappe secrète,
semblable au plancher, ô Bhārata. 18.
Et par peur de Purocana, ils gardèrent cette ouverture secrète : ce sinistre personnage restait
là constamment, à la porte de leur demeure. 19.
Et c’est là qu’ils passaient la nuit en armes, ô roi. Et le jour, les Pāṇḍava
allaient à la chasse de forêt en forêt. 20.
Semblant confiants sans être confiants, ils trompaient Purocana : mécontents en semblant
contents, ô roi, ils vivaient dans une extrême affliction. 21.
Aucun des hommes qui habitaient la ville ne les découvrit d’ailleurs, grâce au
compagnon de Vidura, le meilleur des terrassiers. |
1. 136. Au bout d’une année, Yudhiṣṭhira
pense que Purocana les croit parfaitement confiants et se prépare à agir : il
est temps de fuir. Kuntī offre une fête pour les brahmanes et leurs
femmes. S’y trouve une femme de Niṣāda avec ses cinq enfants.
Kuntī les soûle, et ils s’endorment dans la maison. Bhīṣma
met le feu à la maison où se trouve également Purocana. L’incendie fait
immédiatement rage, et les habitants de Vāraṇāvata se
désespèrent de la mort des Pāṇḍava. Ceux-ci fuient
secrètement avec Kuntī. Mais ils sont fatigués et n’avancent pas. Bhīma
les porte tous les cinq et fonce, en écrasant les arbres. (= 19 ślokas) |
Livre I, chapitre 136
1.
Vaiśampāyana dit : « Les voyant contents
d’avoir vécu là toute une année, et constatant qu’ils
semblaient confiants, Purocana était plein d’allégresse. 2.
Tandis que Purocana était ainsi plein de joie, Yudhiṣṭhira, le
fils de Kuntī qui connaissait le Dharma,
parla à Bhīmasena, à Arjuna et aux jumeaux : 3.
« Cette crapule de Purocana croit que nous sommes en pleine
confiance : cet homme au cœur cruel a été
trompé. Je pense qu’il est temps de nous enfuir. 4.
Nous mettrons le feu à l’arsenal et nous brûlerons Purocana, et après avoir mis ici six
personnes, nous nous enfuirons sans être remarqués. » 5.
Sous le prétexte de vouloir faire des dons, Kuntī fit pour les brahmanes
un grand festin de nuit, ô
roi, et leurs femmes y vinrent. 6.
Celles-ci passèrent leur temps à manger et à boire à leur gré, et elles rentrèrent chez
elles de nuit après avoir pris congé de la descendante de Madhu. 7. Il
se trouva à ce festin une femme Niṣāda [15]
qui avait cinq fils : en quête de nourriture elle
était venue avec ses fils, pressée par le Temps. 8.
Celle-ci but de l’alcool avec ses fils jusqu’à se saouler et tomber ivre
morte avec tous ses enfants, ô roi,
à l’intérieur de la maison ; elle s’endormit sans
connaissance, pareille à une morte, ô prince. 9. Et
tandis qu’une tempête se déchaînait dans la nuit et que les gens dormaient, ô
tout-puissant, Bhīma alluma un feu à
l’endroit où était couché Purocana. 10.
La très grande ardeur du feu et son bruit se manifestèrent alors, et la
foule des gens s’en aperçut. 11.
Les gens de la ville disaient : « Poussé par Duryodhana,
cette canaille à l’esprit immature a construit pour sa propre
perte cette maison qui a brûlé. 12.
Quelle honte ! Le projet de Dhṛtarāṣṭra n’était
pas correct : il a fait brûler les vertueux
et jeunes Pāṇḍava par son conseiller. 13.
Heureusement désormais ce fieffé scélérat au cœur mauvais a été brûlé, lui qui a brûlé les meilleurs
des hommes, des innocents qui avaient toute notre confiance. » 14.
Vaiśampāyana dit : « Ainsi se lamentaient
les gens de Vāraṇavata tandis qu’ils se tenaient
dans la nuit tout autour de la maison. 15.
De leur côté les Pāṇḍava accompagnés de leur mère, très
abattus, sortirent par la tranchée et
allèrent se cacher sans être aperçus. 16.
Comme ils n’avaient pas pu dormir et qu’ils étaient agités, les Pāṇḍava, tourmenteurs de leurs
ennemis, ne pouvaient pas partir rapidement avec leur mère. 17.
Bhīmasena qui était d’une impétuosité extraordinaire, ô roi des rois, partit en emportant tous ses
frères ainsi que sa mère. 18.
Ce puissant guerrier mit sa mère sur ses épaules, les deux jumeaux sur ses
hanches, prenant dans ses mains ses
deux frères, les très puissants fils de Pṛthā. 19.
Dans son impétuosité fracassant les arbres, labourant la terre de ses pieds, le fougueux
Ventre-de-loup fonçait, rapide comme le vent. |
1.
137. Les habitants de Vāraṇāvata découvrent que la maison avait
été construite avec des matériaux hautement combustibles et accusent Dhṛtarāṣṭra
et Duryodhana. Ils découvrent les corps brûlés de la femme Niṣāda
et de ses fils et envoient dire à Dhṛtarāṣṭra que les
Pāṇḍava ont péri dans l’incendie de la maison de laque. Dhṛtarāṣṭra
se désole, et organise les funérailles. Pendant ce temps, les Pāṇḍava
fuient dans la forêt. Quand ils sont fatigués, Bhīma les porte. (= 23
ślokas) |
Livre I, chapitre 137
1.
Vaiśampāyana dit : « Et quand la nuit se fut
écoulée, tous les gens de la ville vinrent là en hâte pour
rechercher les fils de Pāṇḍu. 2.
Les gens jetèrent de l’eau sur le feu et ils virent alors que la maison de laque avait
brûlé ainsi que le conseiller Purocana. 3.
« Cela a sûrement été ordonné par le malfaisant Duryodhana pour détruire les Pāṇḍava ! »
criaient les gens. 4.
« Sans aucun doute, c’est avec la complicité de Dhṛtarāṣṭra
que le fils de Dhṛtarāṣṭra a fait brûler les héritiers
de Pāṇḍu, car il ne l’en a pas empêché. 5.
Assurément Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, ne suit pas
le Dharma, ni Droṇa, ni Vidura, ni
Kṛpa, ni les autres fils de Kuru… 6.
Quant à nous, envoyons un message à ce scélérat de Dhṛtarāṣṭra : "Ton plus grand désir
est accompli : tu as brûlé les Pāṇḍava." » 7.
Puis ils écartèrent les braises pour chercher les Pāṇḍava, et ils aperçurent l’innocente
femme Niṣāda, brûlée avec ses cinq fils. 8.
Tandis qu’il nettoyait la maison, le terrassier couvrit la tranchée avec des cendres
à l’insu des gens. 9. Puis
les gens de la ville mandèrent à Dhṛtarāṣṭra que les Pāṇḍava
avaient été brûlés dans l’incendie, ainsi que Purocana. 10.
Quand Dhṛtarāṣṭra, ô roi, eut appris ce très grand
malheur, la perte des fils de Pāṇḍu,
il fut très affligé et se lamenta : 11. « Maintenant
mon précieux frère, le roi Pāṇḍu, est mort, étant donné que ces héros ont
été brûlés avec leur mère. 12.
Que des hommes aillent vite dans la cité de Vāraṇavata, qu’on célèbre les rites
funéraires pour ces héros et pour la fille du roi Kunti. 13.
Et qu’on fasse des urnes funéraires, splendides et très grandes, et que leurs amis rendent
hommage à ceux qui sont morts ici. 14.
Dans de telles circonstances, le bien, quel qu’il soit, qu’il m’est possible
de mettre en œuvre pour les Pāṇḍava
et Kuntī, doit être fait entièrement en puisant dans mes
richesses. » 15.
Après avoir ainsi parlé, entouré de ses proches, Dhṛtarāṣṭra,
le fils d’Ambikā, offrit l’eau rituelle aux fils de Pāṇḍu. 16.
Tous les fils de Kuru poussaient de grands gémissements, ne pensant qu’à leur
peine, mais Vidura manifestait moins
sa peine, car il en savait plus. 17.
De leur côté les Pāṇḍava sortirent de la cité de Vāraṇavata
et marchèrent à vive allure,
ô roi, se dirigeant vers le Sud. 18.
Reconnaissant leur route de nuit grâce aux étoiles, allant vers le Sud, soutenant leur allure, ils
arrivèrent, ô roi, dans une forêt épaisse. 19.
Les fils de Pāṇḍu étaient épuisés, tourmentés par la soif,
les yeux aveuglés par le sommeil ; et ils dirent à nouveau cette
parole au très puissant Bhīmasena : 20.
« Désormais, qu’y a-t-il de plus affreux que d’être dans cette forêt
épaisse ? Nous ne voyons pas où nous
allons, nous ne pouvons pas non plus avancer… 21.
Et ce scélérat, nous ne savons pas si Purocana a été brûlé : comment donc serions-nous délivrés
de ce péril sans être repérés ?... 22.
Prends-nous à nouveau de la même façon et avance, ô Bhārata : car tu es le seul d’entre
nous à être aussi puissant que le vent mouvant. » 23.
Quand le roi du Dharma lui eut ainsi parlé, le très puissant Bhīmasena saisit Kuntī et ses
frères et il partit à toute allure : il était très puissant. |
1. 138. Fatigués, assoiffés, affamés, ils
arrivent dans un endroit désolé au cœur de la forêt et s’arrêtent sous un
banian. Bhīma les laisse et part chercher de l’eau. En revenant, il les
trouve endormis, et s’apitoie sur le sort de Kuntī et celui de ses
frères. Il décide de les veiller le reste de la nuit. (= 31
ślokas) |
Livre I, chapitre 138
1.
Vaiśampāyana dit : « Tandis qu’il fonçait,
mouvant ses cuisses impétueusement, comme souffle le vent, ô roi,
au début de la saison chaude, 2. il
piétinait les arbres, ceux qui étaient en fleurs comme ceux qui portaient des
fruits, il détruisait les bosquets qui
poussaient près de son chemin. 3.
Ainsi, il allait déchiquetant les arbres avec sa force sans limite, et cette impétuosité créait
chez les Pāṇḍava comme un étourdissement. 4. Et
ils traversaient encore et encore une large rivière en ramant avec leurs bras, et sur leur chemin ils
avançaient en se cachant, dans leur crainte du fils de Dhṛtarāṣṭra. 5. Il
portait seule sa gracile et glorieuse mère sur son dos quand le chemin était
difficile, dans les montées et les mauvais chemins. 6. Le
taureau des Bhārata arriva à la fin du jour dans un endroit boisé, pauvre en racines, fruits et
eau, sinistre avec ses bêtes et ses oiseaux de proie. 7. Le
crépuscule vint, sinistre, les bêtes et les oiseaux étaient épouvantables, tous les horizons étaient
obscurcis par des vents hors de saison. 8. Et
les fils de Kuru, tourmentés par la fatigue et la soif, par la somnolence qui
grandissait, étaient incapables d’avancer. 9.
Alors Bhīma pénétra dans la grande forêt sinistre et déserte et il courut vers un banian
charmant qui dispensait une ombre abondante. 10.
Là ce taureau des Bhārata les déposa tous et leur dit : « Je vais chercher de
l’eau potable par là : reposez-vous, Seigneurs. 11.
Là des grues aquatiques font un doux bruit : certainement il y a là un
grand étang, c’est mon avis. ». 12.
Avec l’autorisation de son frère aîné il partit, ô Bhārata, et il alla là où les oiseaux
aquatiques se faisaient entendre. 13.
Là il but de l’eau et se baigna, ô taureau des Bhārata, et il apporta de l’eau dans
son voile, ô prince. 14. Il
alla vite auprès de sa mère qui était à quelque huit lieues ; en voyant sa mère endormie
avec ses frères sur le sol, l’esprit de Ventre-de-loup
fut totalement envahi par le chagrin, et il se lamenta : 15.
« Eux qui jadis à Vāraṇavata, dans des lits inégalables, ne trouvaient pas alors le
sommeil, les voici aujourd’hui endormis sur le sol… 16.
La sœur de Vāsudeva qui broie la troupe de ses ennemis, la fille de Kuntibhoja,
Kuntī honorée pour toutes ses qualités, 17.
la bru de Vicitravīrya, l’épouse de Pāṇḍu au grand
cœur, qui couchait toujours dans un
palais, qui avait l’éclat d’un calice de lotus blanc, 18.
la plus délicate des femmes, qui était accoutumée aux lits de grand prix, voyez-la aujourd’hui ici par
terre, elle n’y est pas habituée... 19.
Elle qui a enfanté ces fils de Dharma, d’Indra et de Vāyu, la voilà couchée à terre,
exténuée : elle n’y est pas habituée... 20.
Que puis-je voir maintenant de plus pénible, moi qui aujourd’hui vois ces
tigres parmi les hommes endormis sur le sol ? 21.
Car, le roi qui connaît le Dharma et mérite de régner sur les trois mondes, comment se fait-il qu’il soit
couché à terre, exténué, comme un homme ordinaire ? 22.
Et lui, brun comme un nuage céruléen, sans égal parmi les hommes sur Terre, couché à terre comme un homme
ordinaire : qu’y a-t-il donc de plus pénible ?... 23.
Et ces deux qui par la splendeur de leur beauté sont comme les Aśvin
parmi les dieux, les voilà aujourd’hui comme
des hommes ordinaires endormis sur le sol. 24.
Celui dont les parents ne seraient pas mauvais ni ne souilleraient leur
famille, celui-là vivrait très heureux
dans ce monde, comme dans un village un arbre solitaire. 25.
Car un arbre s’il est le seul dans un village, plein de feuilles et de
fruits, devient un arbre sacré, sans parenté,
vénérable, très honoré. 26.
Ceux dont les nombreux parents sont des héros attachés au Dharma, ceux-là vivent heureux dans
ce monde et sont en bonne santé. 27.
Ils sont puissants les fils de parents unis par l’amitié et recherchant la
prospérité : ils vivent en se reposant les
uns sur les autres, comme des arbres nés dans une forêt. 28.
Mais nous le méchant Dhṛtarāṣṭra avec son fils nous a bannis, et nous avons
failli être brûlés sur son ordre. 30.
J’aperçois une cité pas très loin de cette forêt. Pendant que je veille ils
dorment : eh bien, moi je reste éveillé… 31.
Ils boiront ensuite l’eau une fois réveillés, quand ils auront vaincu leur
fatigue. ». Bhīma en décida ainsi,
et il resta alors lui-même à veiller. |
[1] Duryodhana et
Bhīmasena.
[2] Kuntī.
[3] Indra.
[4] Skanda : les dieux,
désireux d'avoir un chef à leur armée, demandèrent à Agni de féconder Gaṅgā;
l'embryon d'or qui en jaillit était Skanda; selon une autre variante, Agni
féconda les épouses des sept sages en lesquelles s'était transformée
successivement Svāhā, qui recueillit son sperme pour le jeter six fois dans un étang d'or du Mont
Śveta ; Skanda fut confié aux six Pléiades ses nourrices qui
l'élevèrent en cachette; il est ainsi souvent représenté avec six têtes et appelé
Kārttikeya (fils des Pléiades) et Guha (le Caché).
[5] Droṇa « (Né
dans une) coupe » de la semence de l'ermite Bharadvāja versée à la
vue de la nymphe Ghṛtācī.
[6] Allusion à la parole de
Drupada en I, 122, 7 quand il rejetait l’amitié de Droṇa.
[7] Vidura.
[8] Kṛpa.
[9] Paśupati, le
«Seigneur des âmes», épithète de Śiva, personnification du sacrifice
rituel.
[10] Dhṛtarāṣṭra.
[11] Aśvatthāmā,
fils du précepteur Droṇa.
[12] Yudhiṣṭhira.
[13] Les Guyakas « Esprits-Cachés » sont des génies, gardiens des
trésors de Kubera : le Mont Kailāsa est la demeure de Śiva et de
Kubera.
[14] « L’aile
sombre » désigne la quinzaine de jours défavorable entre une pleine lune [pūrṇimā] et une nouvelle
lune [amāvāsyā].
[15] Femme non aryenne,
déclassée et méprisable.