(13) Le mariage : 186-191

 

1. 186. Drupada a préparé somptueusement la fête. Kuntī et Draupadī sont reçues dans les appartements des femmes, des sièges sont préparés pour les Pāṇḍava qui, malgré leur déguisement, font l’admiration générale. Des mets excellents sont servis. Drupada vient les rejoindre. (=  15 ślokas)

Livre I, chapitre 186

1. Le messager dit :

« Le roi Drupada a fait préparer la nourriture

pour les gens en vue du mariage.

Lorsque vous aurez fait tout ce que vous devez faire,

venez ici même avec la Noiraude, et vous ne devez pas vous attarder.

2.         Voici des chars bariolés en or avec des fleurs de lotus,

auxquels sont attelés de bons chevaux, dignes des rois de la Terre.

Montez-y tous et partez

vers la demeure du roi du Pañcāla ! ».

3. Vaiśampāyana dit :

« Ces taureaux des Kuru se mirent donc en marche,

en se faisant précéder par le chapelain.

Ils étaient montés sur ces grands chars,

et Kuntī et la Noiraude allaient ensemble.

4.         Entendant les paroles du chapelain,

telles que les avait dites, ô Bhārata, le roi du Dharma,

dans son désir de connaître les meilleurs des Kuru

le roi rassembla de nombreux produits :

5.         des fruits, des guirlandes parfaitement confectionnées,

des peaux, des  cuirasses, ainsi que des sièges,

et aussi des bœufs, ô roi, des cordes,

et d’autres produits issus de l’agriculture,

6.         et quant aux choses qui sont dans les autres arts,

elles étaient toutes là entièrement préparées.

Et les choses qui servent pour les jeux,

le roi les avait toutes rassemblées là :

7.         des chars, des chevaux, des cuirasses éclatantes,

de grandes épées, des chevaux et des chars bariolés,

des arcs excellents et des flèches de premier ordre,

des javelots et des lances incrustées d’or,

8.         des javelines, des corbeaux, des haches,

et également tout ce qui a trait aussi à la guerre.

Des lits et des sièges ouvragés à la perfection,

et il y avait là aussi diverses choses encore.

9.         Et Kuntī entoura de soins la vertueuse Noiraude,

et elle entra dans le gynécée de Drupada ;

et les femmes rendirent ses salutations

avec empressement à la femme du roi des Kuru.

10.      Considérant leur démarche de lion,

leurs grands yeux de taureaux, leurs vêtements de peau d’antilope

cachant leur épaule gauche, et les bras de ces héros parmi les hommes

qui pendaient comme les anneaux du seigneur des serpents,

 

11.      aussi bien le roi que tous les conseillers du roi,

et les fils du roi de même que ses amis,

et absolument tous les serviteurs, ô roi,

furent alors saisis d’une très grande joie.

12.      Et ces héros étaient tranquillement installés

sur de superbes sièges, avec des tabourets pour les pieds.

Et ces hommes éminents s’étaient assis selon l’ordre,

sans s’étonner de ce luxe.

13.      Toutes sortes de nourriture dignes des rois,

dans des plats d’or et d’argent,

étaient offertes par des serviteurs et des servantes,

et aussi des cuisiniers, vêtus de vêtements bien lavés.

14.      Là, ces héros parmi les hommes, après avoir mangé,

après avoir totalement satisfait leurs désirs,

s’éloignèrent alors de toutes ces richesses,

et ces héros parmi les hommes entrèrent dans le magasin d’armes.

15.      Les désignant, le fils de Drupada,

et le roi en compagnie de tous les chefs conseillers

s’approchèrent et rendirent joyeusement hommage

aux fils de Kuntī, fils et petits-fils de rois.

 

 

  1. 187. A la demande de Drupada, Yudhiṣṭhira révèle qui ils sont, et ce qui leur est arrivé. Il explique que Draupadī sera leur femme commune : ainsi en a décidé Kuntī. Ils prendront donc la main de Draupadī chacun leur tour. Il n’y a là rien de contraire à la loi. Drupada demande à en discuter plus avant. Vyāsa arrive. (=  32 ślokas)

 

Livre I, chapitre 187

1. Vaiśampāyana dit :

« Le glorieux roi de Pañcāla appela le prince Yudhiṣṭhira

et le prit dans ses bras comme on le fait pour un brahmane.

2. Avec confiance, il interrogea le splendide fils de Kuntī :

« Comment vous appeler, Seigneur ? Nobles guerriers ou bien brahmanes ?

3. Ou bien des travailleurs doués de qualités, ou des gens nés d’une matrice servile ?

Ou des accomplis usant de magie, parcourant tous les horizons,

4. venus du ciel pour la Noiraude qu’ils désirent voir ?

Dis-nous la vérité, Seigneur, car nous avons de gros doutes sur ce sujet.

5. Est-ce que, quand nous aurons mis fin à nos doutes, la joie de l’esprit pourrait nous pénétrer ?

Est-ce que nous aurions du bonheur en partage, ô tourmenteur de tes ennemis ?

6. Pour l’amour de moi, dis-moi la vérité : auprès des rois la vérité resplendit,

et ainsi le prêtre qui désire faire des rites méritoires ne doit pas dire de mensonge.

7. Car en entendant ta voix, ô dompteur de tes ennemis pareil aux immortels,

je commencerai certainement selon les règles les préparatifs du mariage. ».

8. Yudhiṣṭhira dit :

« Ne sois pas abattu, ô roi du Pañcāla, sois joyeux !

Ce que tu souhaites, ce que tu désires est certainement réalisé, sans aucun doute !

9. Car nous sommes de nobles guerriers, ô roi, les fils de Pāṇḍu au grand cœur.

Sache que je suis l’aîné des fils de Kuntī ; ces deux-là ce sont Bhīmasena et Arjuna

par lesquels ta fille, ô roi, a été gagnée dans l’assemblée des rois.

10. Les deux jumeaux, ô roi des rois, sont là où se trouve la Noiraude.

Dissipe le chagrin de ton cœur, nous sommes de nobles guerriers, ô taureau parmi les hommes.

Ta fille est comme un lotus rose, parti d’un étang vers un autre étang.

11. Je te dis là toute la vérité, ô roi,

car, Seigneur, tu es notre gourou et notre refuge suprême. ».

12. Vaiśampāyana dit :

« Le roi Drupada eut alors les yeux plein de joie,

et il ne put pas répondre convenablement à Yudhiṣṭhira.

13. Ce tourmenteur de ses ennemis fit des efforts pour réprimer sa joie,

et le roi fit une réponse convenable à Yudhiṣṭhira.

14. Ce roi au cœur loyal lui demanda comment jadis ils s’étaient sauvés,

et le fils de Pāṇḍu lui raconta tout dans l’ordre.

15. Le roi Drupada écouta ce que lui disait le fils de Kuntī,

et il blâma le roi Dhṛtarāṣṭra.

16. Et il rassura Yudhiṣṭhira, le fils de Kuntī,

et Drupada, le meilleur des orateurs, lui promit un royaume.

17. Puis Kuntī, et la Noiraude, et Bhīma et Arjuna aussi,

et les deux jumeaux, à la demande du roi, entrèrent dans le grand palais.

18. Et ils séjournaient là, ô roi, honorés par Le Chef-de-l’armée-sainte.

Ils respiraient à nouveau, et le roi accompagné de ses fils leur dit :

19. « Que le fils de Kuru prenne sa main selon la règle dès aujourd’hui.

Qu’Arjuna aux grands bras profite de ce jour de bon augure. »

20. Alors Yudhiṣṭhira, le roi fils de Dharma, lui dit :

« Moi aussi je dois m’unir à mon épouse, ô Seigneur des peuples.

21. Drupada lui dit :

« Seigneur, soit tu dois prendre la main de ma fille selon les règles,

soit tu dois assigner la Noiraude à celui que tu as à l’esprit, ô héros.. ».

22. Yudhiṣṭhira lui dit :

« Draupadī sera la première reine de nous tous, ô roi,

car c’est ce que ma mère a dit auparavant, ô Seigneur des peuples.

23. Moi aussi je ne suis pas marié, et Bhīmasena le fils de Pāṇḍu aussi.

Ta fille a été gagnée par un fils de Pṛthā, et elle est comme un trésor.

24. Nous avons cette convention entre nous, ô roi, de jouir ensemble de nos trésors,

et nous ne voulons pas revenir sur cette convention, ô le meilleur des rois.

25. Pour nous tous, selon le Dharma, la Noiraude sera la première reine :

elle doit nous prendre la main, à tous, l’un après l’autre, devant le feu. ».

26. Drupada dit :

« Il est établi qu’un seul homme peut avoir de nombreuses femmes, ô fils de Kuru,

on n’a jamais établi qu’une seule femme puisse avoir de nombreux hommes…

27. Ce qui est interdit dans le monde et dans le Veda, toi qui respectes le Dharma et qui es pur,

comment peux-tu le faire, fils de Kuntī ? D’où t’es venue une telle idée ? ».

28. Yudhiṣṭhira dit :

« Le Dharma est subtil, ô Mahārāja, on ne connaît pas son cours.

Nous suivons l’un après l’autre le chemin emprunté par les anciens.

29. Ma voix ne dit pas des mensonges, mon esprit ne médite pas contre le Dharma.

Et c’est ainsi que parle ma mère, et c’est ce que j’ai à l’esprit.

30. C’est là le Dharma éternel, ô roi, accomplis-le sans hésiter.

N’aie pas de réserve sur ce point, en aucune manière, ô roi ! ».

31. Drupada dit :

« Toi, et Kuntī, ô fils de Kuntī, et mon fils Dhṛṣṭadyumna

devez discuter s’il doit en être fait ainsi. Et demain nous agirons… ».

32. Vaiśampāyana dit :

« Ils s’assemblèrent tous donc ainsi et discutèrent, ô Bhārata,

Et l’Îlien arriva par hasard, ô roi.

 

 

  1. 188. Drupada demande à Vyāsa si une femme peut être l’épouse de plusieurs hommes. Il pense, quant à lui, que c’est contraire à la loi. Dhṛṣṭadyumna rappelle que, pourtant, un frère aîné peut avoir commerce avec la femme de son plus jeune frère, sans transgresser la loi. Yudhiṣṭhira rétorque qu’on a déjà vu des exemples similaires. Et la parole d’un maître est la loi, or le premier maître est sa propre mère. Vyāsa confirme et prend Drupada à part. (= 22  ślokas)

 

Livre I, chapitre 188

1. Vaiśampāyana dit :

« Puis tous les Pāṇḍava et le très glorieux fils de Pañcāla

quand ils virent le Noir Îlien au grand cœur se levèrent pour lui rendre hommage.

2. Il leur fit à tous bonne figure, les interrogeant pour finir sur leur bonne santé.

Puis ce sage au grand cœur s’assit sur un splendide siège en or.

3. Et avec la permission du Noiraud à l’éclat sans borne, tous

ces héros parmi les bipèdes s’assirent sur des sièges très précieux.

4. Puis, après un moment, le fils de Pṛṣata parla d’une voix douce

et ce prince des peuples interrogea le sage au grand cœur au sujet de Draupadī.

5. « Comment une seule femme pourrait être à plusieurs hommes, sans qu’il y ait un crime contre le Dharma ?

Dis-nous tout cela avec précision, ô bienheureux. ».

6. Vyāsa dit :

« Sur ce Dharma où il y a désaccord et qui est en conflit avec le monde et les Veda,

je désire entendre l’avis de chacun d’entre vous. ».

7. Drupada dit :

« A mon avis, cela va contre le Dharma, c’est interdit dans le monde et dans les Veda.

Car on ne connaît pas le cas d’une seule femme pour plusieurs hommes, ô le meilleur des deux-fois-nés.

8. Et ce Dharma n’a pas non plus été pratiqué par les anciens au grand cœur.

Et ce n’est pas non plus le Dharma de la multiplicité qui doit être pratiqué éternellement.

9. Donc moi je ne prends pas la résolution de le mettre en pratique,

car cela me paraît douteux et contestable en regard du Dharma. ».

10. Dhṛṣṭadyumna dit :

« Comment un frère aîné pourrait-il aller vers la femme de son cadet,

ô brahmane, taureau parmi les deux-fois-nés, tout en gardant une bonne conduite, ô ascète ?

11. En aucune façon nous ne connaissons avec précision les voies du Dharma :

ce qu’est le Dharma ou ce qui ne l’est pas, il n’est pas possible de le déterminer.

12. Et je ne détermine donc en aucune façon si des gens tels que nous peuvent faire,

ô brahmane, que la Noiraude soit la première reine de cinq hommes… ».

13. Yudhiṣṭhira dit :

« Ma voix ne dit pas des mensonges, mon esprit ne médite pas contre le Dharma,

car je reste dans cette opinion qu’il n’y a rien là contre le Dharma.

14. Car l’on apprend aussi dans les récits d’antan qu’une fille de Gautama, du nom de Jaṭilā,

a vécu avec sept sages, ô le meilleur de ceux qui connaissent le Dharma.

15. Et l’on dit que la voix du gourou est le Dharma, ô le meilleur des connaisseurs du Dharma,

et de tous les gourous la mère est le plus grand gourou.

16. Et elle a dit cette parole : « Jouissez-en comme d’une aumône ! ».

C’est pourquoi je pense que c’est là le Dharma, ô le meilleur des deux-fois-nés. ».

17. Kuntī dit :

« C’est comme l’a dit Yudhiṣṭhira fidèle au Dharma :

j’ai une peur terrible du mensonge. Comment pourrais-je être délivrée du mensonge ? ».

18. Vyāsa dit :

« Tu échapperas au mensonge, ma chère, c’est là le Dharma éternel.

Mais je ne parlerai pas à tous, ô fils de Pañcāla : apprends de moi-même

19. comment ce Dharma a été fixé et d’où vient qu’il est éternel.

La façon dont a parlé le fils de Kuntī, c’est là le Dharma, il n’y aucun doute. ».

20. Vaiśampāyana dit :

« Puis le bienheureux seigneur, Vyāsa l’Îlien se leva,

prit le roi par la main et entra dans la maison du roi.

21. Les Pāṇḍava, Kuntī et Dhṛṣṭadyumna, le fils de Pṛṣata,

perplexes, les attendirent là tous deux.

22. Alors l’Îlien raconta au roi au grand cœur

comment le fait qu’une seule femme ait plusieurs maris était le Dharma.

 

 

  1. 189. Il lui raconte l’Histoire des cinq Indra. Autrefois, Yama, occupé à un sacrifice, cesse de tuer les créatures, et celles-ci se multiplient. Les dieux viennent se plaindre à Brahmā. Celui-ci leur répond que tout redeviendra normal quand Yama en aura terminé avec son sacrifice. Les dieux voient un lotus flotter sur la Gaṅgā. Indra va voir ce qui se passe : une femme est là, dans l’eau, qui pleure : ses larmes deviennent des fleurs de lotus. Interrogée, elle emmène Indra auprès d’un jeune homme qui joue aux dés au sommet d’une montagne : il ne se dérange pas quand Indra l’interpelle et il le paralyse d’un regard. Quand il a terminé sa partie, il demande à la femme d’amener Indra plus près de lui : dès qu’elle le touche, Indra tombe à terre. Il demande à Indra de déplacer la montagne et d’entrer dans la cavité où il voit quatre autres Indra semblables à lui. Indra plaide, et le jeune homme, qui n’est autre que Śiva, lui dit qu’il lui faudra renaître dans une matrice humaine et conquérir le ciel par des hauts faits. Les autres lui expliquent qu’il leur faudra tous cinq renaître sur terre, engendrés par Dharma, Vāyu, Indra et les Aśvin. Indra promet d’engendrer un fils. Ainsi les Pāṇḍava sont les réincarnations des anciens Indra et Draupadī la réincarnation de la divine Śrī. Vyāsa donne à Drupada sa vision divine, et celui-ci voit les cinq Indra dans toute leur splendeur divine, et Śrī. Il relate les circonstances de la naissance de Draupadī : Śiva lui a accordé, à sa demande répétée, d’avoir cinq maris. (=  49 ślokas)

 

Livre I, chapitre 189

1. Vyāsa dit :

« Jadis, dans la forêt de Naimiṣa, les Dieux assistaient à un sacrifice.

Là, ô roi, Vaivasvata œuvrait en tant que sacrificateur.

2.         Alors Yama fut consacré, ô roi,

et il ne faisait plus mourir aucune créature.

Alors les créatures devinrent nombreuses,

dépassant leur temps, enfreignant la mort.

3.         Alors Śakra, Varuṇa, Kubera,

les Sādhyas, les Rudras, les Trésors, et les deux Aśvin

se rassemblèrent avec les autres Dieux

autour du Seigneur-des-créatures, le créateur de l’univers.

4.         Une fois assemblés ils s’adressèrent au gourou du monde :

« Nous avons une terrible peur de l’accroissement des hommes.

Et tremblant de peur et aspirant à la prospérité,

nous venons tous trouver refuge auprès de toi, Seigneur. ».

5. Brahma dit :

« Pourquoi avez-vous peur des hommes, puisque vous vous êtes immortels ?

Qu’il n’y ait jamais pour vous de peur de la part des mortels. ».

6. Les Dieux dirent :

« C’est que les mortels sont devenus immortels, ils n’y a plus de différence.

Tremblant à cause de cette indifférenciation, nous sommes venus pour qu’il y ait une différence. ».

7. Brahma dit :

« Vaivasvata est occupé à cause du sacrifice :

c’est pour cela que les humains ne meurent pas.

Quand il aura entièrement achevé ce sur quoi il se concentre,

ce sera alors le temps de la fin pour les créatures.

8.         Le corps de Vaivasvata se développe,

et le vôtre aussi en l’utilisant avec force :

car ce sera pour eux la mort au temps de la mort,

car votre corps sera fort parmi les hommes. ».

9. Vyāsa dit :

« Et après avoir entendu la parole du Dieu né en premier,

les Dieux allèrent où les Dieux reçoivent des sacrifices,

et ils siégeaient ensemble, pleins de puissance,

quand ils virent une fleur de lotus sur la Gangā.

10.      Et en voyant cela ils furent étonnés,

et Indra, leur héros, y alla.

Là il vit une jeune femme, avec l’éclat du feu,

là où naît perpétuellement la Gangā.

11.      Là la jeune femme pleurait ; à la recherche d’eau,

elle avait plongé dans la divine Gangā et se tenait là debout.

Ses larmes tombaient goutte à goutte dans l’eau,

et chaque larme devenait un lotus d’or.

12.      Le Porteur-du-foudre regarda ce prodige,

il s’approcha de la jeune femme et l’interrogea :

« Qui es-tu ? Pour quelle raison pleures-tu ?

Pour l’amour de moi, dis-moi une parole véridique. ».

13. La femme dit :

« Tu sauras ici qui je suis, ô Śakra,

et pourquoi, infortunée, je pleure.

Viens, ô roi, et je marcherai devant.

Tu verras pour quelle raison je pleure. ».

14. Vyāsa dit :

« Tandis qu’elle marchait, il la suivit,

et il vit non loin de là un bel adolescent

sur un trône décoré de têtes de lion, en compagnie de jeunes filles,

jouant aux dés au sommet du roi des montagnes.

15.      Il lui dit : « Je suis le roi des Dieux,

sache que l’ensemble de l’univers est sous mon autorité,

je suis le Seigneur » dit-il plein de colère,

en le voyant complètement indifférent à cause des dés.

16.      Le Dieu regarda alors Śakra en colère,

et en riant il leva doucement les yeux vers Śakra.

Le roi des Dieux fut revigoré

d’être regardé par lui, et il se dressait comme un pilier.

17.      Et quand il en eut assez de son jeu,

il dit alors à la Déesse qui pleurait :

« Amène-le plus près de l’endroit où je suis,

qu’il ne soit pas à nouveau possédé par son orgueil. ».

18.      A peine Śakra eut-il été touché par elle

que ses membres s’affaissèrent et qu’il tomba au sol.

Le Bienheureux à l’éclat puissant lui dit :

« Ne refais jamais cela, ô Śakra !

19.      Et retourne ce grand roi des montagnes :

ta force et ta puissance sont incommensurables.

Et quand tu l’auras retourné, va à l’intérieur :

il y en a là qui comme toi ont la splendeur du soleil. ».

20.      Et quand il eut retourné le sommet de la grande montagne,

il en vit quatre autres qui avaient le même éclat.

En les voyant il fut abattu :

« Est-ce que je ne serai pas comme eux ? ».

21.      Et le Dieu de la montagne, la colère dans les yeux,

se retourna vers le porteur du foudre et lui dit :

« Entre dans cette caverne, Dieu aux cent sacrifices,

puisque par sottise tu m’as le premier manqué de respect ! ».

22.      A ces mots du Tout-Puissant, le roi des Dieux

fut pris de violents tremblements devant cette imprécation,

ses membres s’écroulèrent, comme par le vent est chassée

la feuille d’un pipal du sommet du roi des montagnes.

23.      Il porta ses mains jointes au-dessus de son visage incliné humblement,

tremblant immédiatement devant ces paroles,

et il dit ceci au Puissant aux mille formes :

« Ô Bienheureux, sois aujourd’hui le juge de mon répit… ».

24.      Le Dieu à l’arc puissant lui dit en éclatant de rire :

« De telles conduites n’obtiennent pas de répit en ce monde.

Ceux-là aussi ont l’existence devant eux.

Aussi, entre dans cette caverne et couchez-vous !

25.      Il y aura encore un répit pour vous, sans aucun doute :

entrez tous dans une matrice humaine.

Là, après avoir accompli un exploit infaisable,

et après en avoir amenés beaucoup d’autres à leur trépas,

26.      ils retourneront dans le paradis d’Indra

très précieux qu’ils auront gagné auparavant par leurs exploits.

Tout ce que je dis là

devra être fait, et autre chose avec des significations multiples. ».

27. Les Indra d’antan dirent :

« Nous irons du monde des Dieux vers celui des hommes,

où il est établi que la délivrance est difficile à avoir.

Mais les Dieux devraient nous mettre dans des mères,

Dharma, Vāyu, le Généreux et les deux Aśvin. ».

28. Vyāsa dit :

« Après avoir entendu ces mots, le maître du foudre

dit à nouveau ceci au meilleur des Dieux :

« Avec mon sperme je pourrais donner un homme

pour cette tâche, le cinquième de ceux-là, engendré par moi. ».

29.      Le Bienheureux à l’arc puissant, avec sa bonté naturelle,

leur accorda volontiers le désir qu’ils avaient exprimé ;

et il établit aussi qu’une femme aimée de par le monde,

Śrī, serait leur épouse parmi les hommes.

30.      Puis, en leur compagnie, le Dieu

alla vers Nārāyaṇa l’incommensurable :

et lui aussi établit que tout cela soit ainsi.

C’est ainsi que tous naquirent sur la Terre.

31.      Et aussi Hari [1] s’arracha deux cheveux,

l’un était clair, et l’autre était noir.

« Que ces deux cheveux entrent dans des femmes

de la famille des Yadu, Rohiṇī et Devakī. ».

De l’une d’elles naquit Baladeva,

et de l’autre naquit en deuxième Kṛṣṇa le Chevelu.

32.      Ceux qui avaient l’apparence de Śakra et étaient bloqués auparavant

dans cette caverne de la plus grande des montagnes,

sont devenus ici-bas les vaillants Pāṇḍava,

et le Pāṇḍava ambidextre [2] est une portion de Śakra.

33.      C’est ainsi que sont nés les Pāṇḍava

qui auparavant, ô roi, étaient des Indra,

et c’est pour eux que jadis Lakṣmī a été désignée

pour être leur femme, c’est elle qui est Draupadī à l’aspect divin.

34.      Car comment une femme, à la fin d’un sacrifice, surgirait

de la surface de la Terre autrement que par un moyen divin ?

Elle dont ma beauté a la splendeur de la Lune et du Soleil,

et dont l’éminent parfum s’exhale à une portée de voix !

35.      Et affectueusement, ô seigneur des hommes, je te donne

une autre faveur, et tout à fait merveilleuse :

la vision des Dieux. Regarde les fils de Kuntī,

avec leurs corps précédents, saints et divins ! ».

36. Vaiśampāyana dit :

« Alors Vyāsa, dont les actes étaient d’une parfaite noblesse,

ce pur brahmane, grâce à son ascèse donna

au roi la vision des Dieux : le roi les vit

tous exactement avec leurs corps précédents.

37.      Ainsi il vit ces jeunes hommes divins couronnés de diadèmes d’or,

pareils à Śakra, de la couleur du Soleil et du feu,

ceints de chapelets et d’une beauté charmante,

avec une poitrine large, grands comme des palmiers,

38.      avec des vêtements divins, sans poussières, dorés,

tout resplendissants avec leurs magnifiques guirlandes,

des Dieux aux trois yeux incarnés, ou de divins Vasus,

ou des Āditya parés de toutes les vertus.

Et en voyant ces Indra d’antan si beaux,

le roi Drupada fut réjoui et étonné.

39.      Ayant obtenu cette magie divine et incommensurable,

le prince de la Terre vit l’épouse prospère

sous la forme de Śrī, tout aussi belle :

elle leur était comparable par sa beauté, son éclat et sa gloire.

40.      En voyant ce grand prodige,

il prit les pieds du fils de Satyavatī :

« Pour toi ce n’est pas une merveille, ô sage suprême… »

lui dit-il ainsi, l’esprit apaisé.

41. Vyāsa dit :

« Il y avait dans un ermitage la fille d’un ascète au grand cœur.

Mais cette jeune fille ne trouvait pas de mari, bien qu’elle fût belle.

42. Grâce une ascèse terrible elle se concilia Śaṃkara,

et satisfait le Seigneur lui dit lui-même : « Choisis ce que tu désires ».

43. A ces mots, la jeune fille dit au Dieu, au Seigneur qui exauce les vœux :

« Je désire un mari possédant toutes les qualités. », et elle répétait cela encore et encore.

44. Le roi des Dieux, satisfait, lui accorda alors le vœu :

« Tu auras cinq maris excellents » lui dit Śaṃkara.

45. Celle-ci implora le Dieu et lui dit encore :

« Je mérite de n’avoir de ta part qu’un seul mari pourvu de qualités ! ».

Le Dieu des Dieux, réjoui dans son cœur, lui dit à nouveau cette parole favorable :

46. « Tu as parlé cinq fois, en me répétant « Donne-moi un mari ».

Eh bien, il en sera ainsi, et bonne chance à toi :

quand tu seras réincarnée dans un autre corps, il en sera comme il a été dit. ».

47. Car, ô Drupada, cette jeune fille à la beauté divine naquit comme ta fille :

la Noiraude, la fille de Pārṣata, est destinée à être l’épouse irréprochable des cinq.

48. La Śrī du ciel est apparue lors du grand sacrifice pour les Pāṇḍava,

et après avoir pratiqué une terrible ascèse, elle est venue pour être ta fille.

49.      Et cette déesse radieuse appréciée par les Dieux

est seule pour cinq grâce à la conduite qu’elle a adoptée.

Créée par elle-même, l’épouse des Dieux est auto-engendrée.

Après avoir entendu cela, ô roi Drupada, fais ce que tu veux… ».

 

 

  1. 190. Drupada est convaincu : Śiva sait ce qu’il fait !. Draupadī épouse les cinq Pāṇḍava l’un après l’autre, à un jour d’intervalle. Elle redevient vierge à chaque fois. Drupada les inonde de cadeaux et ils viennent s’installer chez lui. (=  18 ślokas)

 

Livre I, chapitre 190

1. Drupada dit :

« Je n’avais pas entendu tes paroles, ô grand sage,

et auparavant je m’efforçais de faire mon devoir.

En effet il n’est pas possible que ce qui est établi s’en aille,

et ce qui arrive là doit s'accomplir.

2.         Le nœud du destin ne peut être dénoué ;

ici-bas il n’y a rien d’établi par nos propres actions ;

car ce qui est causé à cause du choix d’un seul

se produit pour beaucoup.

3.         Et puisque la Noiraude a dit jadis

« Que le Bienheureux ne me donne pas un seul mari »

celui-ci lui a dit aussi que c’était là son vœu,

car le Dieu connaît ce qui est le mieux ici.

4.         Et si cela a été établi par Śaṃkara,

Dharma ou pas Dharma, il n’y a pas là pour moi de faute.

Qu’ils prennent sa main selon la règle,

selon leur bon plaisir, puisque la Noiraude leur est destinée… ».

5. Vaiśampāyana dit :

« Le Bienheureux dit alors au roi du Dharma :

« En vérité ce jour est de bon augure, ô descendant de Pāṇḍu,

en ce jour la Lune est en conjonction avec Puṣya :

en ce jour prends en premier la main de la Noiraude. ».

6.         Ainsi le roi Le Chef-de-l’armée-sainte avec son fils

firent alors apporter pour les amis des fiancés ce qu’il fallait,

d’excellentes choses en abondance ; quant à sa fille, la Noiraude,

il lui fit prendre un bain et l’orna d’une abondance de joyaux.

7.         Puis tous ses amis s’assemblèrent

là, ainsi que les conseillers et les ministres,

pour voir le mariage en toute confiance,

et aussi les deux-fois-nés, comme les notables de la ville.

8.         Son palais se distinguait par ses mendiants,

sa cour était ornée d’une jonchée de fleurs de lotus,

elle brillait d’une multitude de joyaux multicolores de grande valeur,

comme le ciel sans tache où s’accumulent les étoiles.

9.         Puis les fils du roi des Kaurava,

ces jeunes gens parés de boucles d’oreille,

revêtus d’étoffes de grande valeur, parfumés du meilleur santal,

firent leurs ablutions et firent le rite de bénédiction.

10.      Avec leur chapelain à l’éclat pareil à celui du feu,

Dhaumya, ô Seigneur, conformément aux règles,

ils entrèrent tous successivement dans l’assemblée,

comme les grands taureaux entrent joyeusement dans l’étable.

11.      Puis ce connaisseur du Veda prépara

le feu dévorant et versa une oblation sur la flamme avec des mantras ;

et ce connaisseur des mantras mena Yudhiṣṭhira

vers la Noiraude et l’unit à elle.

12.      Ce connaisseur du Veda les prit tous deux par les mains,

les joignit et leur fit faire le tour du feu par la droite.

Puis après avoir donné congé au héros resplendissant dans la bataille,

le chapelain sortit de la maison du roi.

13.      Et ainsi, successivement, un jour après l’autre,

les fils de roi, dotés d’une très grande beauté,

ces grands auriges, continuateurs de la lignée des Kuru,

prirent alors la main de cette excellente femme.

14.      Et ce fut là un prodige extraordinaire,

dépassant l’entendement humain, que dit le sage brahmane :

celle-ci, qui était assurément d’une grande majesté avec sa taille fine,

restait une jeune vierge à mesure que les jours s’écoulaient.

15.      Après la célébration du mariage, Drupada donna aux grands auriges

toutes sortes de richesses magnifiques,

une centaine de chars plaqués d’or fin,

attelés de quatre chevaux ceints de brides d’or,

16.      une centaine d’éléphants à la peau tachetée de rouge

tels une centaine de montagnes aux sommets d’or,

ainsi qu’une centaine d’esclaves, éclatantes de jeunesse,

vêtues de vêtements, de bijoux et de chapelets de grande valeur.

17.      Et un par un, le fils de Somaka leur donna en présence du feu

des richesses par dizaines de myriades,

de même que des vêtements et des ornements

de grand prix en rapport avec leur majesté.

18.      Et après la célébration du mariage, les Pāṇḍava

reçurent la femme couverte d’une abondance de joyaux,

et, pareils à Indra, ces très puissants guerriers se promenèrent

dans la cité du roi du Pañcāla.

 

 

  1. 191. Conseils de Kuntī à Draupadī. Cadeaux de Kṛṣṇa. (=  19 ślokas)

 

Livre I, chapitre 191

1. Vaiśampāyana dit :

« Quand Drupada fut entré en alliance avec les Pāṇḍava,

il n’y eut plus pour lui aucune crainte, même des Dieux, en aucune manière.

2. Les épouses de Drupada au grand cœur s’approchèrent de Kuntī,

elles célébrèrent son nom et inclinèrent leurs têtes à ses pieds.

3. Et la Noiraude, enveloppée dans un tissu de lin, avec le bracelet de son mariage,

adressa le salut rituel à sa belle-mère et se tint devant elle, la tête baissée et les mains jointes.

4. Draupadī possédait la beauté et la distinction, elle avait de la conduite et de la morale,

et Pṛthā avec amour dit à sa belle-fille cette bénédiction :

5. « Comme Indrāṇī est au Dieu aux chevaux bais, et comme Svāhā est au Feu brillant,

et comme Rohiṇī est à Soma, comme Damayantī est à Nala,

6. comme Bhadrā est à Vaiśravaṇa, et comme Arundhatī est à Vasiṣṭha,

comme Lakṣmī est à Nārāyaṇa, ainsi sois toi à tes maris,

7. enfantant la vie, enfantant des héros, jouissant d’une grande félicité,

heureuse, possédant des richesses, maîtresse du sacrifice, très dévouée.

8. Et que les années viennent à toi comme, constamment, tu rendras hommage comme il convient

aux saints hommes qui viendront en hôtes, les jeunes, les vieux et les vénérables.

9. Dans les royaumes et les cités, et avant tout dans le pays des Kuru,

fais-toi donner l’onction royale avec le roi auquel le Dharma est cher.

10. Quand la Terre aura été soumise grâce à la vaillance de tes puissants époux,

offre-la toute aux brahmanes lors d’un grand sacrifice du cheval.

11. Les joyaux précieux qui sont sur Terre, ô précieuse,

obtiens-les, ô Excellence, pour ton bonheur pour cent automnes.

12. Et de même que je te souhaite aujourd’hui la bienvenue, ma bru, dans ton vêtement de lin,

de même je te souhaiterai à nouveau la bienvenue quand tu auras vertueusement enfanté un fils. ».

13. Et donc quand les Pāṇḍava eurent pris épouse, Hari [3] leur offrit

des bijoux d’or sertis de perles et d’aigues-marines multicolores.

14. Et Mādhava [4] offrit aussi des tissus de grand prix de diverses contrées,

des joyaux, des étoffes de laine et des peaux d’antilope soyeuses et brillantes,

15. des lits, des sièges, et divers grands véhicules,

des aigues-marines et des diamants multicolores et des vases par centaines.

16. Pleins de beauté, de jeunesse et d’habileté, et tout ornés,

Kṛṣṇa offrit des serviteurs venus de diverses contrées, par milliers,

17. des éléphants apprivoisés et dressés, et de bons chevaux tout ornés,

et des chars d’ivoire décorés de beaux bandeaux en or.

18. Et le Destructeur-de-Madhu [5] à l’âme incommensurable

leur offrit de l’or brut par millions à thésauriser.

19. Et Yudhiṣṭhira, le roi du Dharma, reçut tout cela

avec une très grande joie, car il désirait complaire à Govinda [6].

 

 

 



[1] Viṣṇu.

[2] Arjuna.

[3] Kṛṣṇa.

[4] Kṛṣṇa descendant de Madhu.

[5] Kṛṣṇa.

[6] Kṛṣṇa, « Possesseur des troupeaux ».