(7) Les origines : 62-123

 

 

I, 62. Histoire de Śakuntalā. Eloge du roi Duḥṣanta. 

 

 

 

Livre I, chapitre 62.

 

1. Janamejaya dit :

« Nous avons entendu de toi, ô brahmane, avec précision ces incarnations partielles

des Dieux, des Dānavas et des Rākṣasas, ainsi que des Gandharvas et des Apsaras.

2. Je désire encore d’abord que cette lignée des Kuru

me soit racontée par toi, ô brahmane, en présence de cette foule de brahmanes et de sages. »

3. Vaiśampāyana dit :

« Le fondateur de la lignée des Paurava avait pour nom Duḥṣanta, il était vaillant,

il était un protecteur des quatre horizons de la Terre, ô le meilleur des Bhārata.

4. Ce seigneur des hommes régissait tout le quatrième monde entre Ciel et Terre [1],

et aussi les contrées qui sont entourées par l’Océan, ayant été victorieux au combat.

5. Ce destructeur de ses ennemis régissait toutes les contrées des barbares hommes des bois,

les confins de l’Océan qui sécrète les perles et qu’habitent des gens des quatre classes.

6. On ne mélangeait pas les castes, il n’y avait pas de gens qui faisaient faire des labours,

personne ne faisait le mal, pendant que ce roi gouvernait.

7. Trouvant la joie dans le Dharma, les hommes se vouaient au Dharma et au profit

en ce temps-là, ô tigre parmi les hommes, sous le règne de ce prince des peuples.

8. Il n’y avait pas de crainte des voleurs, mon ami, ni non plus de crainte de la faim,

il n’y avait pas non plus de crainte de la maladie sous le règne de ce prince des peuples.

9. Les classes se plaisaient dans leur Dharma respectif, dans leurs actes elles étaient détachées du sort ;

se reposant sur ce souverain, elles étaient aussi en toute sécurité.

10. Et Parjanya [2] faisait pleuvoir au bon moment, et les moissons étaient fructueuses,

et, abondant de toutes sortes de pierreries, la Terre était alors pleine de trésors.

11. Et ce jeune homme d’une puissance prodigieuse, dur comme le diamant,

en soulevant le Mandara [3] dans ses bras l’aurait emporté avec ses bois et ses forêts.

12. Quant à l’archerie, le combat à la massue et le maniement de l’épée,

depuis le dos d’un éléphant ou d’un cheval, il en avait une parfaite connaissance.

13. Et pour la force il était semblable à Viṣṇu, pour l’éclat il était pareil au Soleil,

pour l’imperturbabilité il était semblable aux flots de la mer, pour l’endurance il était semblable à la Terre.

14. C’était un souverain estimé et dont la ville et le royaume étaient sereins,

il vivait parmi un peuple connu pour ses mœurs entièrement tournées vers le Dharma. »

 

 

 

 

 

I, 63. Le roi Duḥṣanta part pour la chasse. Description de la chasse. 

 

Livre I, chapitre 63.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Un jour ce puissant guerrier, accompagné d’une importante troupe,

alla dans une forêt épaisse, entouré de centaines de chevaux et d’éléphants.

2. Il avançait entouré d’hommes et de guerriers portant des glaives et des lances,

brandissant des massues et des gourdins, tenant dans leurs mains des javelots et des javelines,

3. et des rugissements de ses guerriers, du vacarme des conques et des grosses caisses,

et aussi des bruits des jantes des chars avec celui des palanquins des grands éléphants,

4. mêlés aux hennissements, aux bruits des hommes qui agitaient leurs armes en grognant,

et cette bruyante agitation accompagnait ce prince.

5. Debout sur la terrasse de leur magnifique palais, à cause de l’extrême beauté du roi

les femmes regardaient ce héros qui avait fait sa propre gloire.

6. Les troupes des femmes regardaient alors le guerrier et l’estimaient

pareil à Śakra, tueur de ses adversaires, protecteur contre les éléphants ennemis.

7. « Il est un tigre parmi les hommes, d’un héroïsme prodigieux dans la bataille :

les ennemis qui ont subi son bras puissant ne sont plus. »

8. Tels étaient les mots que disaient les femmes, avec amour elles glorifiaient le roi,

et elles répandaient des pluies de fleurs sur sa tête.

9. Et en tout endroit il était glorifié de toutes parts par les seigneurs des brahmanes,

et avec une joie extrême il était parti dans la forêt dans son désir de tuer des gazelles.

10. Très longtemps les habitants de la ville et des villages le suivirent alors,

et ils s’en retournèrent ensuite après avoir reçu congé du roi.

11. Le seigneur de la Terre avec son char semblable à Suparṇa

emplissait de bruit la Terre de même que le troisième ciel.

12. Et tandis qu’il avançait, ce sage vit un bois semblable au paradis d'Indra,

rempli de cognassiers, d’asclépiades et de cachoutiers, plein d’arbres ṭaṅkas et dhavas,

13. avec un relief irrégulier de montagnes et de plateaux, et tout couvert de rocs,

sans eau et sans hommes, s’étendant sur des lieues,

rempli de multitudes de gazelles et aussi d’autres bêtes des bois épouvantables.

14. Duḥṣanta, ce tigre parmi les hommes, avec ses serviteurs, ses troupes et sa monture

mettait sens dessus-dessous cette forêt, tuant toutes sortes de gibiers.

15. Là de grandes multitudes de tigres venaient à portée de ses flèches,

et Duḥṣanta les abattait et les transperçait de ses traits.

16. Tous ceux qui étaient à distance, ce taureau parmi les hommes les transperçait de ses traits,

et les autres, ceux qui venaient à proximité, il les taillait en pièces avec son glaive.

17. Et toutes les antilopes noires, ce champion des lanciers les tuait de sa lance,

il connaissait la science du tournoiement de la massue, il avançait avec une vaillance sans borne.

18. Avec ses javelots, ses coutelas, et aussi ses massues, ses gourdins, ses javelines,

il avançait, massacrant là les bêtes des bois, le gibier, les oiseaux.

19. Et tandis que le roi à l’héroïsme prodigieux et ses guerriers belliqueux

bouleversaient la grande forêt, les grands gibiers s’enfuyaient.

20. Alors, une fois les troupeaux mis en fuite et les chefs de hardes tués,

les hardes de gazelles dans leur désarroi poussaient des cris en tous sens.

21. Puis, parvenues à une rivière à sec, tourmentées par la soif qui les désespérait,

le cœur épuisé par l’effort, elles perdirent conscience et s’écroulèrent.

22. Et accablées par la faim et la soif, et épuisées elles tombaient au sol ;

certaines alors étaient mangées crues par des tigres parmi les hommes qui avaient faim.

23. Certains, ayant préparé un feu et ayant fait cuire les bêtes des bois,

en dévoraient alors les chairs, après les avoir découpées comme il convient.

24. Là quelques puissants éléphants, rendus furieux d’avoir été blessés par des épées,

contractaient, terrifiés, le bout de leur trompe, et s’enfuyaient paniqués.

25. Et tandis qu’ils répandaient urine et excréments, leur sang coulait en abondance,

et les grands éléphants sauvages piétinèrent alors un grand nombre d’hommes.

26. La forêt, enveloppée d’un grand nuage porteur de flèches,

semblait pleine de buffles, avec les grands gibiers qui avaient été tués par le roi. »

 

 

 

 

 

I, 64. Duḥṣanta pénètre dans une ravissante forêt. Il arrive à un ermitage et y entre. Description de l’ermitage de Kaṇva.

 

Livre I, chapitre 64.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Alors, après avoir tué des milliers de gibiers, monté sur sa grande monture,

le roi entra dans une autre forêt tout occupé de la chasse.

2. Tout seul, avec sa vigueur exceptionnelle, malgré la soif et la faim,

il parvint au fin fond de la forêt et arriva dans un grand lieu désert.

3. Et le roi le franchit aussi : il arriva dans une autre grande forêt

contenant quantité d’ermitages et procurant le réconfort à l’esprit ;

elle était très agréable à regarder et était parcourue de souffles frais.

4. Elle était pleine d’arbres en fleurs et de prairies d’une extrême douceur,

elle était très étendue et résonnait aussi des doux gazouillis des oiseaux.

5. Elle était toute couverte d’arbres dont les rameaux déployés répandaient une ombre douce,

dans ses lianes s’agitaient les abeilles, elle rayonnait de splendeur.

6. Aucun arbre qui manquât de fleurs, ou de fruits, aucune plante épineuse non plus,

et pas d’arbre non plus qui ne fût plein d’abeilles dans cette forêt.

7. Elle résonnait du chant des oiseaux, et était toute ornée de fleurs ;

avec ses arbres fleurissant en toutes saisons et ses prairies d’une extrême douceur,

elle était un ravissement pour l’esprit : le maître archer pénétra dans cette magnifique forêt.

8. Là, des arbres pleins de fleurs que le vent faisait tomber

répandaient encore et encore une pluie de fleurs multicolore.

9. Et touchant le ciel, retentissant des doux chants des oiseaux,

les arbres resplendissaient alors dans leurs habits de fleurs multicolores.

10. Et dans leurs rameaux pliant sous le poids des fleurs

les oiseaux, en compagnie des abeilles, lançaient leurs doux gazouillis.

11. Et là de nombreuses places étaient ornées de monceaux de fleurs,

elles étaient entourées de maisons de lianes qui réjouissaient l’esprit ;

à les contempler le roi au grand éclat était plein de joie.

12. Avec les arbres dont les rameaux couverts de fleurs s’embrassaient l’un l’autre,

semblables à l’étendard du grand Indra, cette forêt resplendissait.

13. Un souffle d’une fraîcheur agréable et parfumée transportait le pollen des fleurs

et circulait dans la forêt comme s’il s’unissait aux arbres avec désir.

14. Telle était la forêt que le roi rencontra et qu’il regardait,

née au bord d’une rivière, magnifique, semblable à un étendard dressé.

15. Or, tandis qu’il observait cette forêt avec ses oiseaux tout joyeux,

il vit un très bel ermitage, plein de charme et d’agrément,

16. plein d’arbres de toutes sortes, et où flambaient des feux ;

il était rempli d’ascètes et de Vālakhilyas [4], et peuplé d’une multitude d’anachorètes,

17. et avec beaucoup de maisons de feu ; des fleurs jonchaient les gazons

et de grands et vastes rivages le faisaient resplendir vivement.

18. Il était près de Mālinī, ô roi, la rivière sainte aux eaux charmantes,

remplie de toutes sortes d’oiseaux, charmant l’esprit avec ces bois dédiés à l’ascèse ;

voyant là avec joie des bêtes fauves et du gibier, il ressentit de la joie.

19. Et l’illustre grand guerrier entra dans cet ermitage

qui ressemblait au monde des dieux et était en tout point charmant.

20. Il regardait la rivière aux eaux saintes qui embrassait l’ermitage

et se tenait là comme la mère de tous les êtres qui respirent,

21. avec ses bancs de sable peuplés de tadornes, charriant des fleurs et de l’écume,

avec les habitations de troupes de Kinnaras [5], fréquentée par les singes et les ours,

22. résonnant des saintes récitations du Veda, avec ses bancs de sable brillants,

fréquentée par les éléphants en rut, les tigres et les plus gros serpents.

23. Lorsqu’il vit la rivière qui jouxtait l’ermitage, ainsi que l’ermitage,

ce prince se mit alors en tête d’y pénétrer.

24. Il entra dans la grande forêt qui a pour parure la Mālinī aux nombreux îlots et aux rives charmantes,

semblable au  séjour de Nara et Nārāyaṇa que le Gange fait briller,

et résonnant des cris furieux des paons.

25. Ce roi s’approcha de cet ermitage qui ressemblait au jardin de Citraratha [6]

afin de voir le grand sage et ascète Kaṇva Kaśyapa

qui avait toutes les qualités et un rayonnement incomparable.

26. Dans son armée une cohue de fantassins se pressait contre les chars et des chevaux en foule :

il les fit s’arrêter à l’orée de la forêt et il leur dit ceci :

27. « Je vais aller voir l’anachorète pur, l’ascète

Kaśyapa : attendez-moi là jusqu’à mon retour. »

28. Le seigneur des hommes approcha de cette forêt semblable au paradis d'Indra,

et le roi, oubliant faim et soif, frissonna de plaisir.

29. Ôtant ses insignes royaux, le souverain, avec ses compagnons

et en compagnie de son chapelain, se dirigea vers le magnifique ermitage,

désireux de voir là ce sage qui avait accumulé les ascèses avec constance.

30. Et il regardait cet ermitage semblable au monde de Brahmā,

bruissant du bourdonnement des abeilles, mêlé à une multitude d’oiseaux de toutes sortes.

31. Ce tigre parmi les hommes entendit les meilleurs des spécialistes du Ṛgveda qui prononçaient les stances

en procédant par quarts de strophes [7], pendant que le rituel s’étirait.

32. Et les connaisseurs du rite, des formules magiques et des annexes du Veda scandaient aussi leur récitation en marchant,

ils étaient stricts, d’un esprit sans borne, et ils faisaient alors resplendir cet ermitage.

33. Les meilleurs en Atharvaveda, estimés par la foule des sacrificateurs,

faisaient résonner les recueils védiques en procédant par quart de strophes.

34. Comme le monde de Brahmā, ce magnifique ermitage était retentissant

des deux-fois-nés incomparables qui prononçaient les paroles relatives au rituel,

35. des connaisseurs du sacrifice et du rituel, des experts de la récitation par redoublement [8] et de la phonétique,

connaissant à fond le Veda, possédant la connaissance de la logique et du sens des principes,

36. des experts dans les inhérences [9] et les combinaisons de propositions de toutes sortes,

des connaisseurs dans la discrimination des effets et dont l’objet principal est la Délivrance et le Dharma,

37. ceux qui sont parvenus à la connaissance de la vérité suprême par la thèse, l’antithèse et la conclusion ;

et l’élite de ceux qui ont l’expérience du monde faisait résonner l’ermitage en tous sens.

38. Et çà et là le tueur de ses ennemis vit des seigneurs brahmanes stricts et très attachés à leurs vœux,

voués à la récitation à voix basse et à l’oblation au feu, des Accomplis.

39. Le souverain vit des sièges merveilleux, couverts de fleurs,

disposés avec grand soin, et il en fut stupéfait.

40. Et voyant les deux-fois-nés célébrer le rituel devant les autels des dieux,

cet excellent prince pensa qu’il était lui-même dans le monde de Brahmā.

41. Il ne pouvait se contenter de contempler ce magnifique, ce splendide ermitage

protégé par l’ascèse de Kaśyapa et avec une multitude d’ascètes.

42. Le tueur de ses ennemis, en compagnie de ses conseillers et de son chapelain, pénétra dans le sanctuaire de Kaśyapa

entouré de toutes parts par des sages, des ascètes très attachés à leurs vœux, dans la solitude, d’un charme extrême, salutaire.

 

 

 

 

 

I, 65. Kaṇva est absent : sa fille, Śakuntalā reçoit le roi. Duḥṣanta interroge Śakuntalā. Elle raconte son histoire. Indra, effrayé des austérités de Viśvāmitra, envoie la nymphe Menakā le séduire. Menakā hésite : elle a peur d’une malédiction, mais elle obéira à Indra. 

 

Livre I, chapitre 65.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Alors ce puissant guerrier entra seul, après avoir renvoyé ses conseillers ;

il ne vit pas dans cet ermitage le sage très attaché à ses vœux.

2. N’apercevant pas le sage et voyant que l’ermitage était désert,

il dit d’une voix forte « Qui est là ? » en faisant comme résonner toute la forêt.

3. Entendant ses cris, une jeune fille aussi belle que Śrī

sortit de l’ermitage, portant les vêtements d’une ascète.

4. Dès que la fille aux yeux noirs vit le roi Duḥṣanta,

elle lui souhaita aussitôt bienvenue, en le saluant respectueusement.

5. Elle l’honora en lui donnant un siège ainsi que de l’eau pour laver ses pieds,

et elle questionna le prince, ô roi, sur sa santé et son bien-être.

6. Celle-ci, après l’avoir honoré comme il faut et ainsi questionné sur sa santé,

lui dit, en affectant de lui sourire : « Que puis-je faire pour toi ? ».

7. Alors le roi, voyant cette jeune fille au corps sans aucun défaut, à la voix douce,

qui l’avait salué comme il faut, lui dit alors :

8. « Je suis venu pour rendre hommage à l’éminent sage Kaṇva :

où est allé le bienheureux, ma chère ? Dis-le moi, ma belle. »

9. Śakuntalā lui dit :

« Mon père bienheureux est parti de l’ermitage pour aller chercher des fruits :

attends-le un moment, tu le verras quand il reviendra. »

10. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots, ne pouvant rencontrer le sage, le roi

vit qu’elle avait de belles hanches, qu’elle était superbe, avec un doux sourire.

11. Elle était resplendissante de beauté, d’ascèse et de maîtrise de soi,

avec la beauté de la jeunesse ; le roi lui parla en ces termes : 

12. « Qui es-tu ? De qui es-tu la fille, femme aux belles hanches ? Et pourquoi es-tu venue dans la forêt

en possédant une telle beauté ? D’où es-tu, ma belle ? 

13. Car un seul regard sur toi m’a ravi l’esprit.

Je désire te connaître : parle-moi, ma belle. »

14. Quand le roi lui eut ainsi parlé dans l’ermitage, la jeune fille alors

lui dit en riant cette parole, d’une voix très douce :

15. « Je passe pour la fille du bienheureux Kaṇva, ô Duḥṣanta,

l’ascète plein de fermeté, le célèbre connaisseur du Dharma. »

16. Duḥṣanta lui dit :

« L’éminent bienheureux que le monde vénère est chaste.

Même Dharma pourrait se fourvoyer dans sa conduite, un homme très attaché à ses vœux ne se fourvoierait pas.

17. Comment t’a-t-il eu comme fille, femme au teint clair ?

J’ai un gros doute sur ce point : je te prie ici de trancher cela pour moi. »

18. Śakuntalā lui dit :

« Comment cela m’est arrivé, et comment cela s’est produit jadis ?

Écoute comment en fait, ô roi, comment je suis la fille de l’anachorète.

19. Un sage est venu ici et a posé des questions sur ma naissance :

écoute, prince, comment le bienheureux lui a expliqué.

20. Comme on sait, pendant longtemps Viśvāmitra se livra à une grande ascèse :

par son ascèse excessive il tourmentait Śakra, le souverain des troupes des dieux.

21. « Par son ascèse cet homme au courage incandescent pourrait me faire déchoir de mon trône ! »

Aussi, effrayé, le Destructeur de remparts dit ceci à Menakā :

22. « Par tes qualités divines, tu te distingues, ô Menakā, parmi les Apsaras.

Fais mon salut, Excellence, écoute ce que je vais te dire.

23. Ce grand ascète Viśvāmitra, semblable au Soleil,

se livre à une ascèse épouvantable, et mon esprit en est effrayé.

24. Menakā, femme à la taille fine, tu dois te charger de ce Viśvāmitra.

Son âme est sévère, il est inapprochable, terrible est l’ascèse qu’il pratique.

25. Pour qu’il ne me fasse pas déchoir de mon trône, va donc vers lui et séduis-le,

fais obstacle à son ascèse, fais-moi cette faveur extrême.

26. Avec ta beauté, ta jeunesse, ta douceur, tes manières, tes petits mots,

séduis-le, femme aux belles hanches, détourne-le de son ascèse. »

27. Menakā lui dit :

« Ce bienheureux a un très grand éclat, et il est aussi constamment dans une grande ascèse,

et en outre il est irascible : toi aussi, bienheureux, tu le connais…

28. L’éclat, l’ascèse et aussi la colère de cet homme au grand cœur

te font même trembler toi : comment, moi, ne tremblerais-je pas devant lui ?

29. Lui qui a privé l’éminent Vaśiṣṭha de ses fils bien-aimés

et qui, né d’abord dans la noblesse guerrière, devint brahmane par la force…

30. Lui qui, pour se purifier, créa une rivière intraversable, aux eaux abondantes,

très sainte, que les hommes par le monde connaissent sous le nom de Kauśikī.

31. (c’est là que, jadis, Mataṅga, un sage de sang royal au cœur loyal, ayant embrassé l’état de chasseur,

soutint l’épouse de l’ascète au grand cœur pendant une période de calamité ;

32. une fois le temps de la famine passé, retournant à l’ermitage,

le puissant sage donna alors à la rivière le nom de Pārā ;

33. c’est là où, l’esprit en joie, il fit faire lui-même un sacrifice à Mataṅga,

et où toi, par peur de lui, Seigneur des dieux, tu es allé boire le Soma).

34. Et ce fut lui qui, étant très irrité par le destin annoncé par les constellations, créa des multitudes de constellations

à la place des constellations antérieures de Śravaṇā.

35. Celui qui fait des choses pareilles, moi j’en ai très peur !

Comment dans sa colère  ne me consumerait-il pas ? Fais-le moi savoir, ô Tout-Puissant…

36. Avec son éclat il carboniserait les mondes, il ferait trembler la Terre avec son pied,

il écraserait le grand mont Meru et l’enverrait vite bouler.

37. Un tel homme, avec un tel éclat, flambant tel le feu purificateur,

maître de ses sens, comment une jeune fille telle que moi pourrait-elle le toucher ?

38. Sa bouche est un feu sacrificiel flamboyant, les pupilles de ses yeux sont le Soleil et la Lune,

sa langue est le Temps : ô le meilleur des dieux, comment une fille comme moi pourrait-elle le toucher ?

39. Yama, et Soma, et les Grands Sages, et l’ensemble des Sādhyās, et tous les Vālakhilyās

tremblent aussi devant lui à cause de sa puissance : comment dans ces conditions quelqu’un comme moi ne tremblerait pas ?

40. Tu m’as donné un ordre : comment moi n’irais-je pas vers le sage, Seigneur des dieux ?

Mais songe à ma protection, ô roi des dieux, afin que je puisse agir pour toi en étant protégée.

41. Ce serait bien si le Maître des Vents  à ce moment-là ouvrait mes vêtements, ô dieu, tandis que je jouerais devant lui,

et que Manmatha [10] soit alors pour moi dans cette affaire un allié par ta grâce divine.

42. Et qu’un vent parfumé souffle de la forêt à ce moment-là pour moi quand je séduirai le sage. »

« C’est d’accord » dit-il, et quand on eut fixé cela, elle alla alors vers l’ermitage de Kauśika [11].

 

 

 

 

 

I, 66. Menakā séduit l’ascète Viśvāmitra. Ainsi naquit Śakuntalā, abandonnée par sa mère dès sa naissance. Kaṇva la recueille. 

 

Livre I, chapitre 66.

 

1. Śakuntalā dit :

« Quand elle lui eut ainsi parlé, Śakra le fit savoir au vent mouvant,

et Menakā se mit aussitôt en marche, en compagnie de Vāyu.

2. Alors Menakā, la femme aux belles hanches, regarda timidement Viśvāmitra,

qui par son ascèse consumait les fautes, tandis qu’il pratiquait ses ascèses dans son ermitage.

3. Ensuite elle le salua et se mit à jouer devant le sage,

et le Maître des vents lui ôta son vêtement pareil à la Lune.

4. La fille au teint clair se jeta vite à terre, étreignant son vêtement,

comme souriant doucement avec honte au Maître des vents.

5. Le meilleur des anachorètes vit Menakā qui, confuse, cherchait à retenir son vêtement,

se montrant alors dans l’incomparable beauté de la jeunesse.

6. Alors, voyant son extrême beauté, le taureau parmi les brahmanes

eut la convoitise de coucher avec elle et il tomba sous l’emprise du désir.

7. Et il l’y invita et, innocemment, elle voulut bien ;

et tous deux passèrent alors un temps très long dans la forêt,

faisant l’amour au gré de leur désir, comme si cela n’avait duré qu’un seul jour.

8. Et de Menakā l’anachorète donna naissance à Śakuntalā,

sur un joli plateau de l’Himalaya, près de la rivière Mālinī.

9. Menakā abandonna le bébé qu’elle avait enfanté sur le bord de la Mālinī,

et, sa tâche accomplie, elle retourna donc vite à la cour de Śakra.

10. Voyant, dans cette forêt solitaire et grouillante de lions et de tigres, le bébé

couché, les oiseaux l’entourèrent de toutes parts.

11. Pour que dans la forêt les carnassiers avides de viande ne fassent pas de mal à cette enfant,

les oiseaux montaient la garde autour de la fille de Menakā.

12. Et moi, étant venu pour me rincer la bouche, je la vis couchée

dans un coin isolé de la forêt solitaire, entourée d’oiseaux,

et je la sauvai donc et l’adoptai comme ma fille.

13. Le père biologique, celui qui sauve la vie, et celui dont on mange la nourriture,

voilà, dans l’ordre, les trois sortes de pères selon la sentence du Dharma.

14. Et puisque dans une forêt solitaire les oiseaux ont monté la garde autour d’elle,

je lui donne donc le nom de « Śakuntalā » [12].

15. Sache, mon cher, que Śakuntalā est ainsi ma fille,

et Śakuntalā croit innocemment que je suis son père. »

16. A sa demande, il raconta cela au grand sage, comme étant ma naissance.

Sache, ô roi, qu’ainsi je suis la fille de Kaṇva.

17. Je considère donc Kaṇva comme mon père, ne connaissant pas mon propre père.

Voilà, je t’ai raconté, ô roi, comme j’ai entendu que cela s’est passé. »

 

 

 

 

 

I, 67. Duḥṣanta séduit Śakuntalā et l’épouse sur le mode des gandharva. Śakuntalā lui fait promettre que son fils sera l’héritier direct du royaume. Duḥṣanta s’en va. Kaṇva, à son retour, approuve la conduite de Śakuntalā. 

 

Livre I, chapitre 67.

 

1. Duḥṣanta lui dit :

« Tu as très clairement raconté comment tu te trouves, belle demoiselle, fille de roi.

Sois mon épouse, femme aux belles hanches ; dis-moi, que dois-je faire pour toi ?

2. Un collier d’or, des vêtements, deux boucles d’oreille d’or pur,

de splendides joyaux et des gemmes venues de toutes sortes de cités, ma belle ?

3. Je te les offre dès aujourd’hui, et d’abord un pectoral et des peaux ;

que tout mon royaume soit dès aujourd’hui à toi. Sois mon épouse, ma belle.

4. Et sois mienne selon le rite nuptial des Gandharva, belle demoiselle,

car, parmi les mariages, l’enlèvement à la Gandharva est de loin, dit-on, le meilleur. »

5. Śakuntalā lui dit :

« Mon père, ô roi, est parti de l’ermitage pour aller chercher des fruits.

Attends-le un moment : il m’offrira à toi »

6. Duḥṣanta lui dit :

« Je veux que tu m’aimes, femme aux belles hanches et sans reproches.

Sache que je me tiens là pour toi, mon esprit s’en est allé vers toi.

7. La parenté vient de soi-même, l’origine c’est soi-même, soi-même vient de soi-même :

daigne faire le don de toi-même par toi-même, conformément au Dharma.

8. Pour résumer, la tradition connaît huit mariages conformes au Dharma :

celui de Brahmā, celui des dieux, de même que celui des sages, celui de Prajāpati, ainsi que celui des Démons,

9. celui des Gandharvas, celui des Rākṣasa, et celui des vampires est selon la tradition le huitième.

Aux temps passés Manu l’Auto-engendré [13] a défini leur Dharma.

10. Observe que les quatre premiers sont recommandés au brahmane,

sache qu’une série de six appartient au Dharma de la noblesse guerrière, ô innocente.

11. On dit que celui des Rākṣasa est pour les rois, et selon la tradition celui des Démons est chez les travailleurs et les serviteurs,

et selon la tradition trois sur cinq sont légitimes, et deux sont illégitimes.

12. Et celui des vampires ainsi que celui des Démons, ces deux-là ne doivent être pratiqués en aucune façon ;

de  ce fait, d’après la tradition, ce moyen est possible selon la règle du Dharma.

13. Ces deux mariages, selon les Gandharva et les Rākṣasa, sont légitimes au sein de la noblesse guerrière, sois sans crainte,

qu’ils soient pratiqués séparément ou en les combinant, il n’y a pas de doute.

14. Tu es amoureuse de moi, je suis amoureux de toi, femme au teint clair :

daigne devenir mon épouse selon le rite de mariage des Gandharvas ! »

15. Śakuntalā lui dit :

« Si c’est là la voie du Dharma, et si je suis moi-même mon propre seigneur,

ô le meilleur des Paurava, entends ma condition, ô seigneur, pour me donner en mariage.

16. Promets-moi en vérité ce que je vais te dire en secret :

que l’enfant qui pourrait naître de moi soit ton successeur,

17. un prince héritier, ô grand roi, dis-le moi en vérité !

S’il en est ainsi, Duḥṣanta, que mon union avec toi se fasse. »

18. Vaiśampāyana dit : 

« « Qu’il en soit ainsi, lui dit le roi sans hésiter,

et de plus je te conduirai dans ma cité, femme au sourire éblouissant,

comme tu le mérites, femme aux belles hanches, je te le dis en vérité. »

19. A ces mots, le sage de sang royal prit la jeune fille à l’allure irréprochable

par la main, comme il convient, et demeura avec elle.

20. Et il la rassura au moment du départ et il lui dit encore et encore :

« J’enverrai pour toi un convoi d’éléphants, de chariots, de cavaliers et d’infanterie ;

avec lui je t’amènerai dans ma propre résidence, femme au sourire éblouissant. »

21. Le roi Janamejaya lui fit cette promesse ;

au moment où le prince partait, Kaśyapa lui vint à l’esprit.

22. « Le bienheureux, avec toute son ascèse, que fera-t-il quand il apprendra cela ?... »

Et en songeant à cela, il entra dans sa cité.

23. Un moment après son départ, Kaṇva revint à son ermitage

et Śakuntalā, par pudeur, n’approcha pas son père.

24. Et Kaṇva, le grand ascète, était doué de connaissance divine et il comprit.

Le bienheureux, ravi, lui dit, en la regardant de son œil divin :

25. « Ce qui a été fait aujourd’hui par toi, une descendante de roi, en faisant fi de moi,

l’union avec un homme, ce n’est pas une infraction au Dharma.

26. Car, pour la noblesse guerrière, le rite de mariage des Gandharvas est, dit-on, le meilleur,

entre un amoureux et une amoureuse, sans formule sacrée, en secret, selon la tradition.

27. Il a un cœur loyal, un grand cœur, ce Duḥṣanta, le meilleur des hommes,

auquel tu t’es unie, Śakuntalā, en tant que mari aimant.

28. Tu mettras au monde un fils au grand cœur, à la grande force,

qui règnera sur toute cette Terre ceinte par l’Océan.

29. Et quand il partira au loin, la roue de cet homme au grand cœur

sera irrésistible à jamais, il sera le maître de la roue. »

30. Alors elle lava les pieds de l’anachorète tandis qu’il se reposait,

et après l’avoir débarrassé de son fardeau et déposé les fruits, elle lui dit :

31. « Ce Duḥṣanta, le meilleur des hommes, que j’ai choisi pour époux,

daigne lui accorder ta grâce, ainsi qu’à ses compagnons. »

32. Kaṇva lui dit :

« Je lui suis favorable pour toi, femme au teint clair :

reçois de moi pour lui le vœu que tu désires. »

33. Vaiśampāyana dit :

« Alors Śakuntalā, parce qu’elle voulait le bien de Duḥṣanta fit le vœu

que les Paurava seraient très attachés au Dharma et ne seraient pas chassés de leur royaume. »

               

 

 

 

I, 68. Naissance du fils de Śakuntalā au bout de trois années. Il grandit et fait l’admiration de tous. Kaṇva envoie Śakuntalā et son fils chez Duḥṣanta pour réclamer leur droits. Śakuntalā présente son fils à Duḥṣanta, mais celui-ci ne la reconnaît pas et la chasse. Indignation et reproches de Śakuntalā. Eloge de l’épouse. Eloge de l’amour filial. Duḥṣanta persiste et se moque de Śakuntalā. 

 

Livre I, chapitre 68.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir promis, Duḥṣanta repartit et Śakuntalā

aux belles cuisses enfanta un bébé, un garçon, d’une puissance sans limite,

2. après trois ans ; il avait le même éclat que le Feu flamboyant,

il possédait les qualités de la beauté et de la noblesse, en fils de Duḥṣanta, ô Janamejaya.

3. Kaṇva, le meilleur des officiants célébra alors pour lui

le rite de purification de la naissance et les autres pour élever son esprit en sagesse.

4. Avec ses dents éclatantes et pointues, le jeune homme était solide comme un lion ;

sa main portait la marque de la roue royale, il était charmant, avec une grande tête et une grande force ;

ce garçon avait l’aspect d’un rejeton des dieux et il grandit là rapidement.

5. A l’âge de six ans, devant l’ermitage de Kaṇva, cet enfant puissant

attachait les tigres, les lions et les sangliers, et les éléphants aussi bien que les buffles

6. aux arbres, tout autour de l’ermitage,

et leur montait dessus, les domptait et s’amusait à les poursuivre.

7. Ainsi les habitants de l’ermitage de Kaṇva lui donnèrent un surnom :

« Qu’il soit Sarvadamana, puisqu’il dompte tout ! »

8. Le garçon devint connu sous le nom de Sarvadamana,

et il était doué de courage, de puissance aussi bien que de force.

9. Le sage, voyant ce garçon et ses exploits surhumains,

dit à Śakuntalā : « C’est le moment pour lui de devenir prince héritier. »

10. Et, remarquant sa force, Kaṇva dit à ses disciples :

« Emmenez vite aujourd’hui de cet ermitage Śakuntalā

auprès de son mari, avec son fils, en lui donnant toutes les marques d’honneur.

11. Pour les femmes  il n’est pas bien vu de demeurer trop longtemps chez ses parents :

cela nuit à leur renommée, à leur réputation et à leur vertu : aussi emmenez-la au plus vite ! »

12. « Qu’il en soit ainsi » dirent-ils tous, et ces hommes à l’énergie sans limite se mirent en route,

donnant la première place à Śakuntalā et à son fils, et ils allèrent vers la Ville-des-éléphants.

13. Ayant pris son fils semblable au rejeton d’un immortel, et aux yeux de lotus,

la femme splendide sortit alors de la forêt qu’avait connue Duḥṣanta.

14. Elle alla voir le roi et, après s’être fait connaître, elle fut introduite,

accompagnée de son fils qui avait le rayonnement du Soleil levant.

15. Après lui avoir rendu hommage comme il convient, Śakuntalā lui dit :

« Voici ton fils, ô roi : qu’il reçoive l’onction royale de prince héritier.

16. Car il est ton fils, ô roi, né en moi, semblable à un dieu.

Comporte-toi avec lui conformément à notre accord, ô le meilleur des hommes.

17. Rappelle-toi comment jadis, quand nous nous sommes unis, tu t’es mis d’accord avec moi,

Excellence, devant l’ermitage de Kaṇva. »

18. Quand il entendit cette parole, le roi se souvint bien d’elle,

mais il lui dit : « Je ne me souviens pas ; à quel ascète impur appartiens-tu ?

19. Je ne me souviens pas d’avoir été avec toi dans une relation de Dharma, de désir ou de profit.

Va-t-en, ou reste, ou bien fais ce que tu désires. »

20. En entendant ces mots, la sage femme aux belles hanches fut pleine de honte,

et complètement assommée par la douleur, elle restait là, immobile comme une colonne.

21. L’exaspération et la fureur donnaient à ses yeux une rougeur de cuivre, ses lèvres palpitantes se gonflaient,

du coin des yeux elle regardait le roi de travers et semblait le réduire en cendres.

22. Et dissimulant son expression, quoique transportée de fureur,

elle réprimait alors l’ardeur qu’elle avait amassée par son ascèse.

23. Réfléchissant un bon moment, pleine de douleur et d’exaspération,

elle fixa son mari et, avec colère, lui dit cette parole :

24. « Tu sais très bien, ô grand roi : pourquoi dis-tu ainsi

« Je ne sais pas » avec indifférence, tout comme un étranger ordinaire ?

25. Sur ce point, je connais ton cœur sur la vérité comme sur le mensonge.

Tu en es, hélas ! Seigneur, le témoin oculaire : ne te méprise pas toi-même.

26. Celui qui connaît la vérité d’une manière et a une connaissance autre de soi-même,

quel mal ne fait-il pas ce voleur qui se détrousse lui-même ?

27. Tu penses : « Je suis seul », mais tu ne sais pas qu’il y a dans ton cœur l’anachorète d’antan

qui est au courant de ton action mauvaise : tu commets ce forfait devant lui.

28. Celui qui a fait le mal pense : « Personne ne me connaît. »

Mais les dieux le connaissent, et son être intime aussi,

29. le Soleil et la Lune, le Vent et le Feu, le Ciel, la Terre, l’Eau, son cœur et Yama,

et le Jour, et la Nuit, et les deux crépuscules, et Dharma connaît la conduite de l’homme.

30. Yama Vaivasvata supprime le péché de celui

dont la conscience, dans son cœur, se réjouit lorsqu’elle est témoin de ses actes.

31. Mais l’homme mauvais dont la conscience ne se réjouit pas,

Yama le supprime en tant que pécheur criminel.

32. Il perçoit autrement une âme qui se méprise elle-même,

le dieu n’est pas favorable à celui dont la motivation ne s’accorde pas avec son âme.

33. Je suis « venue spontanément », ne méprise pas la femme fidèle que je suis :

je mérite l’eau de l’hommage, et tu ne m’honores pas, alors que tu as devant toi ton épouse venue spontanément.

34. Pourquoi me négliges-tu, dans ta cour, comme une femme commune ?

Je ne crie certainement pas cela dans un désert : pourquoi ne m’entends-tu pas ?

35. Si, alors que je te supplie, tu n’exauces pas ma parole,

Duḥṣanta, ta tête éclatera aujourd’hui en cent morceaux.

36. Le mari s’introduit dans son épouse, et c’est d’elle qu’il naît à nouveau ;

« C’est par la femme » : les chantres inspirés d’antan connaissent cette caractéristique de l’épouse.

37. La descendance qui est engendrée par un homme qui a fait l’amour

sauve avec sa lignée les ancêtres qui sont morts jadis.

38. C’est parce que le fils sauve son père de l’enfer nommé « Put »

qu’il est appelé « putra », dit l’Auto-engendré en personne.

39. Elle est une épouse qui connaît son ménage, elle est une épouse qui est prolifique,

elle est une épouse qui considère son mari comme sa vie, elle est une épouse fidèle.

40. L’épouse est la moitié de l’homme, l’épouse est le meilleur ami,

l’épouse est la racine des trois buts de l'homme [14], l’épouse est l’allié de celui qui la fera mourir [15].

41. Les hommes mariés sont de bons officiants, ils accomplissent les rites domestiques avec leur épouse,

les hommes mariés sont dans la joie, les hommes mariés sont prospères.

42. Celles qui parlent aimablement sont des amies dans les moments de solitude,

elles sont des pères dans les actions conformes aux Dharma, des mères dans les moments de peines.

43. Même dans les forêts vierges elle est le repos de son mari quand il voyage,

celui qui est avec son épouse est digne de confiance : c’est pourquoi une épouse est la meilleure voie.

44. Même au moment de sa transmigration, de sa mort, ne faisant qu’un dans l’infortune avec son mari,

une épouse qui est fidèle le suit aussi toujours.

45. Une épouse, lorsqu’elle est morte en premier, attend son mari dans l’au-delà,

et si son mari est mort avant elle, ensuite une femme vertueuse le suit.

46. C’est pour cette raison, ô roi, que l’on désire le mariage :

le mari obtient une épouse pour ici-bas et dans l’autre monde.

47. « Un fils est soi-même né de soi-même » disent les sages.

C’est pourquoi un homme devrait regarder son épouse comme une mère parce qu’elle est mère de son fils.

48. Le fils né de son épouse est comme son propre visage dans un miroir :

un père, quand il le regarde, se réjouit comme un saint quand il gagne le paradis.

49. Les hommes avisés, quand ils sont consumés par les chagrins, les maladies,

trouvent leur joie dans leurs femmes, comme ceux qui souffrent de la chaleur dans les eaux.

50. Même s’il est très énervé, un homme sage ne saurait dire des choses désagréables à ses femmes charmantes,

considérant que le plaisir et la joie, ainsi que le Dharma dépendent d’elles.

51. Les femmes charmantes sont le champ pur et éternel du principe de naissance,

même chez les vieux sages qui peut engendrer des descendants sans les femmes charmantes ?

52. Quand un fils tombe et, tout couvert de poussière et de terre,

se blottit dans les bras de son père, qu’y a-t-il alors de supérieur à cela ?

53. Et toi, toi, il t’échoit un fils, c’était ton désir,

et quand il te regarde, pourquoi en fronçant les sourcils le méprises-tu ?

54. Les petites fourmis rouges, quand elles portent leurs œufs ne les cassent pas :

comment donc, toi qui connaît le Dharma, ne soutiendrais-tu pas ton propre fils ?

55. Ni les vêtements, ni les femmes charmantes, ni les eaux n’ont un contact aussi agréable

que le doux contact d’un garçonnet qui veut être pris dans tes bras.

56. Le brahmane est le meilleur des bipèdes, le bœuf gaur est supérieur aux autres quadrupèdes,

le maître est le meilleur des êtres importants, un fils est ce qu’il y a de mieux dans ce qu’on peut toucher.

57. Que ce fils plaisant à voir puisse se blottir contre toi et te toucher.

On ne connaît pas en ce monde de contact plus doux que celui d’un fils.

58. Pendant trois années entières, ô destructeur de tes ennemis, j’ai conçu

ce garçon, ô roi des rois, pour effacer tes peines.

59. « Il sera l’oblateur d’un sacrifice du cheval qui comptera pour cent », ô descendant de Puru,

c’est ainsi que jadis, à sa naissance, une voix me parla depuis le ciel.

60. N'est-il pas vrai que, de retour d’un village d’un autre nom, après les avoir soulevés avec tendresse

et humé doucement leur tête, les hommes reçoivent leurs fils avec joie ?

61. Même dans les Veda les deux-fois-nés prononcent ce texte incantatoire

pendant les rites de naissance de leurs fils : toi aussi tu le connais.

62. « Tu t’es constitué de chaque partie de mon corps, tu es né de mon cœur,

tu es moi-même avec le nom de fils, puisses-tu vivre pendant cent ans.

63. Car ma nourriture dépend de toi, et aussi mon impérissable lignée ;

aussi, puisses-tu vivre, mon cher enfant, très heureux pendant cent ans. »

64. Il a été engendré des parties de ton corps, il est un autre homme à partir d’un homme ;

regarde mon fils comme un second toi-même reflété dans un lac pur.

65. Comme le feu de l’oblation est apporté du foyer domestique,

ainsi cet enfant a été engendré à partir de toi, et toi, qui étais un, tu as été fait deux.

66. Alors que tu t’étais égaré en poursuivant une antilope pendant une chasse,

tu m’as approchée, ô roi, moi une jeune vierge, dans l’ermitage de mon père.

67. Urvaśī, Pūrvacitti, Sahajanyā et Menakā,

Viśvācī et Ghṛtācī sont bien les six meilleures parmi les Apsaras.

68. Parmi elles il y a une excellente Apsara, du nom de Menakā, fille de Brahmā :

depuis le ciel elle gagna la Terre et enfanta de Viśvāmitra.

69. L’Apsara Menakā me mit au monde sur un plateau de l’Himalaya,

et elle partit en me rejetant, comme si j’étais la fille d’une autre.

70. De quelle sombre action me suis-je donc jadis rendue coupable puisque, dès ma naissance,

j’ai été abandonnée par mes parents quand j’étais une enfant, et maintenant par toi ?

71. Eh bien, si tu me répudies, je retournerai à l’ermitage ;

mais cet enfant, daigne ne pas l’abandonner : il est ton propre fils. »

72. Duḥṣanta lui dit :

« Je ne sache pas que j’aie engendré un fils avec toi, Śakuntalā.

Les femmes sont menteuses : qui croira tes paroles ?

73. Menakā, ta mère, est une putain sans pitié

qui t’a jetée sur un plateau de l’Himalaya comme un déchet.

74. Quant à ton père sans pitié, ce Viśvāmitra issu de la noblesse guerrière,

mais avide de devenir brahmane, c’était un obsédé du sexe.

75. Menakā est la meilleure des Apsaras, et ton père fait partie des grands sages ?

Comment diras-tu être leur descendante, toi qui as l’air d’une putain ?

76. N’as-tu pas honte de prononcer une parole aussi invraisemblable,

surtout en ma présence ? Va t’en, ascète impure !

77. Qu’a à voir un grand sage toujours aussi redoutable, et qu’a à voir une Apsara comme Menakā

avec une souillon comme toi qui porte des vêtements d’ascète ?

78. Et ton fils est gigantesque : il est vigoureux alors qu’il n’est qu’un enfant.

Comment en aussi peu de temps a-t-il poussé comme le tronc d’un śāla [16] ?

79. Et tu es de basse extraction, tu m’as l’air d’une putain,

et comme par hasard tu es née d’une passion amoureuse de Menakā ?

80. Tout ce que tu me dis là, ascète, est incompréhensible,

Je ne te reconnais pas moi : va où bon te semble ! »

 

 

 

 

 

I, 69. Śakuntalā rappelle ses devoirs à Duḥṣanta. Eloge de la vérité. Une voix céleste confirme les paroles de Śakuntalā : cet enfant est bien son fils, qu’on l’appelle Bharata. Duḥṣanta accueille dignement Śakuntalā et son fils, et fait de ce dernier le prince héritier. La gloire de Bharata. 

 

Livre I, chapitre 69.

 

1. Śakuntalā lui dit :

« Ô roi, tu vois les défauts des autres qui ne sont pas plus gros qu’un grain de moutarde,

mais, même en les regardant, tu ne vois pas tes propres défauts qui ont la taille d’un coing.

2. Menakā fait partie des trente dieux, et les trente dieux viennent derrière Menakā :

ma naissance à moi est supérieure à ta naissance, Duḥṣanta.

3. Toi tu erres sur le sol, ô roi, moi je parcours l’atmosphère ;

vois la différence entre nous deux, comme entre le mont Méru et un grain de moutarde.

4. Le Grand Indra, Kubera, Yama, Varuṇa…

je visite leurs palais l’un après l’autre : vois ma puissance, ô roi !

5. Et ce que je vais te dire, ô roi irréprochable est une parole véridique

pour t’instruire, sans animosité : veuille l’écouter patiemment.

6. Tant qu’un homme laid ne voit pas son visage,

il pense qu’il est plus beau que les autres.

7. Mais quand il voit son visage difforme dans un miroir,

il comprend alors que c’est lui qui est autre, pas les autres.

8. Celui qui est doté d’une très grande beauté ne méprise rien,

celui qui est très bavard a la parole mauvaise, il devient alors blessant.

9. Le sot, lorsqu’il écoute les paroles, bonnes ou mauvaises, des hommes qui bavardent,

garde la parole mauvaise, comme le fait un porc avec les ordures.

10. Mais l’intelligent, lorsqu’il écoute les paroles, bonnes ou mauvaises, des hommes qui bavardent,

garde la parole vertueuse, comme l’oie sauvage sépare le lait de l’eau.

11. De même que l’homme de bien est tourmenté lorsqu’il médit des autres,

de même le méchant devient joyeux lorsqu’il médit des autres.

12. De même que les justes entrent en joie quand ils saluent avec respect les vieux sages,

ainsi le sot, lorsqu’il injurie l’homme de bien, trouve l’apaisement.

13. Ceux qui ne connaissent pas le mal ont une vie heureuse, les sots visent au mal ;

lorsqu’ils doivent parler d’êtres différents, ils disent que ces êtres différents sont comme eux.

14. C’est pourquoi on ne connaît rien de plus ridicule ici-bas

que lorsque le méchant dit de l’homme de bien lui-même : « C’est un méchant ».

15. Même l’impie craint l’homme irrité, dépourvu de vérité et de Dharma,

à l’instar d’un serpent venimeux : à plus forte raison un homme pieux.

16. Celui qui méprise son propre fils, qu’il a engendré et qui lui ressemble,

celui-là les dieux anéantissent sa fortune et il ne gagne pas les mondes célestes.

17. Car les ancêtres disent qu’un fils est le fondement de la lignée et de la caste,

ce qui est le plus haut dans tout ce qui compose le Dharma : c’est pourquoi on ne saurait abandonner un fils.

18. Les fils issus de sa propre épouse, et les cinq (ceux qu’on a reçus, ceux qu’on a achetés, ceux qu’on a élevés,

ceux qu’on a adoptés et ceux qui sont nés avec d’autres femmes) : voilà les fils que Manu mentionne.

19. Ils sont les véhicules du Dharma et de la renommée des hommes, ils font croître la joie dans leur esprit ;

par leur naissance, les fils préservent leurs ancêtres de l’enfer, ils sont les radeaux du Dharma.

20. Toi, ô tigre parmi les princes, je te prie de ne pas abandonner ton fils ;

tu es le protecteur de toi-même, de la vérité et du Dharma, ô souverain ;

ô lion parmi les rois, je te prie de ne pas apporter ici de tromperie.

21. Un étang vaut mieux qu’une centaine de puits, un sacrifice vaut mieux qu’une centaine d’étangs,

un fils vaut mieux qu’une centaine de sacrifices, la vérité vaut mieux qu’une centaine de fils.

22. Si un millier de sacrifices du cheval et la vérité sont pesés sur une balance,

la vérité surpasse même le millier de sacrifices du cheval.

23. L’étude de tous les Veda, l’immersion dans tous les lieux d’ablution

peuvent être soit égales, soit inférieures au fait de dire la vérité, ô roi.

24. Aucun Dharma n’égale la vérité, il n’y a rien qui égale la vérité,

car il n’y a rien de plus terrible ici-bas que le mensonge.

25. Ô roi, la vérité est le sacré absolu, et la vérité est la règle absolue :

ne rejette pas la règle, ô roi : que la vérité soit ton alliance.

26. Si tu es enclin au mensonge, si par toi-même tu n’es pas fidèle,

eh bien, je m’en irai de moi-même : on ne peut s’accorder avec quelqu’un comme toi.

27. Même sans toi, Duḥṣanta, mon fils règnera sur cette Terre

aux quatre frontières que le Roi-des-montagnes[17] ceint d’une guirlande. »  

28. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir ainsi parlé, Śakuntalā partit.

Alors, venue du ciel, une voix désincarnée parla à Duḥṣanta

tandis qu’il était entouré par les prêtres, les chapelains, les maîtres spirituels et les ministres.

29. « La mère est l’outre du père ; quant au fils, il est à celui-là même qui l’a engendré.

Prends ton fils en charge, ô Duḥṣanta, ne méprise pas Śakuntalā.

30. Un fils qui conçoit, ô dieu parmi les hommes, t’enlève de la demeure de Yama,

et tu es l’auteur des jours de cet enfant : Śakuntalā a dit la vérité.

31. Quand une femme enfante son fils, c’est son propre corps qu’elle divise en deux ;

aussi prends ton fils en charge, ô Duḥṣanta : il est fils de Śakuntalā, ô roi.

32. C’est une calamité : qui abandonne de son vivant son fils vivant ?

Descendant de Puru, prends en charge ce fils au grand cœur issu de Śakuntalā et Duḥṣanta.

33. Puisque, selon notre parole même, tu te dois de le prendre en charge,

que ton fils soit donc renommé sous le nom de Bharata [18]. »

34. Après avoir entendu ce qu’avaient dit les dieux célestes, le roi descendant de Puru,

plein d’allégresse, dit ceci à son chapelain et à ses conseillers.

35. « Écoutez, Seigneurs, ce qui a été dit par ce messager des dieux.

Moi-même aussi je sais bien qu’il est mon propre fils.

36. Si, uniquement d’après ce qui m’était dit, je l’avais accepté comme fils,

les gens se seraient méfiés, et il n’aurait pas été irréprochable. »

37. Alors, le roi, après l’avoir légitimé grâce à l’envoyé des dieux, ô Bhārata,

plein de joie et d’allégresse l’accueillit comme son fils.

38. Et il huma doucement sa tête et l’embrassa avec tendresse,

tandis que les brahmanes lui rendaient hommage et que les conteurs le célébraient.

Le roi éprouva une joie extrême à toucher son fils.

39. Quant à son épouse, connaissant le Dharma, il lui rendit hommage conformément au Dharma ;

et le roi, pour la réconforter, lui dit aussi cette parole :

40. « Mon union avec toi s’est faite loin des yeux du peuple :

c’est pourquoi j’ai chicané, ô ma reine, afin de t’innocenter.

41. Les gens auraient aussi pensé que j’étais allé avec toi parce que tu es une femme,

et que j’aurais choisi ce fils pour régner : c’est pourquoi j’ai chicané.

42. Et ce que, dans ta colère excessive, tu m’as dit de désagréable, ma bien-aimée,

c’était par amour, femme aux larges yeux : je te le pardonne, ma beauté. »

43. Après avoir ainsi parlé à sa reine bien-aimée, Duḥṣanta, le sage de sang royal,

lui rendit hommage avec des étoffes, des nourritures et des boissons, ô Bhārata.

44. Et ensuite, le roi Duḥṣanta donna au fils qu’il avait eu de Śakuntalā

le nom de Bharata et il lui conféra le titre de prince héritier.

45. Et la roue de ce prince au grand cœur devint célèbre et roula,

grande, resplendissante, divine, invincible, remplissant le monde de son grondement.

46. Après avoir vaincu les rois, il en fit ses sujets,

et il suivit le Dharma des justes et acquit une gloire inégalable.

47. Il fut un roi qui faisait tourner sa roue sur toute la Terre,  majestueusement,

et il offrit de nombreux sacrifices, comme Śakra le seigneur des Vents[19].

48. Kaṇva sacrifia pour lui, comme Dakṣa[20], avec de nombreuses aumônes ;

et ce roi illustre fit célébrer un sacrifice du cheval surnommé « Foison-de-vaches »

dans lequel Bharata offrit à Kaṇva un millier de lotus.

49. De Bharata vient la gloire des Bhārata, de lui provient cette dynastie des Bhārata

et de celle des hommes d’antan qui lui succédèrent et sont connus comme les « Bhārata ».

50. Car, dans la descendance de Bhārata, il y eut des hommes semblables à des dieux, très puissants,

et il y en eut beaucoup, semblables à des brahmanes, qui étaient les meilleurs des rois.

51. Parmi tous ceux-ci dont les noms sont innombrables,

je parlerai d’abord de ceux, ô Bhārata,

qui furent bienheureux, semblables à des dieux et ne se souciaient que de droiture et de sincérité.

 

 

 

 

 

I, 70. Histoire de Yayāti. Résumé : Yayāti, un roi exemplaire, tombe soudain dans une vieillesse extrême. De ses cinq fils, seul le cadet Pūru accepte de prendre la vieillesse de son père. Il en est récompensé par l’accession à la royauté. 

 

Livre I, chapitre 70.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Dans la descendance de Dakṣa le Seigneur-des-créatures et de Manu Vaivasvata,

de Bharata, de Kuru, de Pūru et d’Ajamīḍha,

2. je te raconterai, ô irréprochable, cette lignée de tous les Yādavās et les Pauravas,

de même que celle des Bhāratas, leur grand cheminement et leur succès dans la sainteté

qui apporte l'abondance, la gloire et une longue vie.

3. Tous grands par leurs éclats et semblables aux grands sages par leur éclat,

on rapporte que les dix fils de Pracetas étaient des hommes d’antan vertueux,

très forts, qui furent consumés autrefois par le feu né d’un nuage.

4. Parmi eux naquit Dakṣa Prācetas, et de Dakṣa ces créatures

sont issues, ô tigre parmi les hommes, car il est l’Aïeul du monde.

5. S’étant uni avec Vīriṇī, l’anachorète Dakṣa Prācetas

engendra mille fils semblables à lui-même, très attachés à leurs vœux.

6. Aux fils de Dakṣa, assemblés au nombre de mille, Nārada

enseigna la délivrance en tant que connaissance inégalable du Sāṃkhya [21].

7. Alors Dakṣa, le Seigneur-des-créatures, désireux de se créer des descendants,

eut l’idée de  cinq cents filles qui lui donneraient des héritiers, ô Janamejaya.

8. Il en donna dix à Dharma, treize à Kaśyapa,

et à la Lune vingt-sept qui sont associées à la gestion du temps.

9. Avec la fille de Dakṣa qui était la meilleure parmi les treize femmes,

Kaśyapa, le fils de Marīci, engendra les Ādityas,

Indra et tous les autres, dieux très puissants, et aussi Vivasvat.

10. De Vivasvat naquit un fils, le puissant Yama Vaivasvata,

Et Mārtaṇḍa naquit aussi, fils de Yama, ô roi.

11. De Mārtaṇḍa naquit un fils puissant, le sage Manu.

La lignée de Manu fut alors célèbre comme étant celle des hommes :

c’est ainsi que les hommes issus de Manu naquirent brahmanes, nobles guerriers, etc.

12. Ainsi la caste des brahmanes, ô roi, était alors alliée à la noblesse guerrière,

et les hommes brahmanes transmirent les Veda avec leurs annexes.

13. Vena, Dhṛṣṇu, Nariṣyanta, ainsi que Nābhāga et Ikṣvāku,

et encore Karūṣa, Śaryāti, de même qu’Ilā la huitième [22],

14. Pṛṣadhra le neuvième, Nābhāgāriṣṭa le dixième,

ce sont, dit-on, les fils de Manu qui ne songeaient qu’au devoir de la noblesse guerrière et étaient d’une grande force.

15. Il y eut aussi sur Terre cinquante autres fils de Manu :

une dispute s’éleva entre eux et ils périrent tous : telle est la tradition qui nous est parvenue.

16. Ensuite le sage Purūravas naquit dans Ilā.

Cette dernière était sa mère et son père : telle est la tradition qui nous est parvenue.

17. Purūravas obtint treize îles de l’Océan ;

il était entouré de créatures non-humaines, étant lui-même un humain à la grande gloire.

18. Purūravas, enivré par ses exploits, entra en conflit avec les brahmanes

et il déroba aux brahmanes leurs joyaux malgré leurs cris de protestation.

19. Sanatkumāra vint du monde de Brahmā pour le rencontrer, ô roi,

il lui fit donc une remontrance, mais il ne l’accepta pas.

20. Alors, il fut maudit par les grands sages en colère, et aussitôt il mourut.

Ce roi plein de convoitise avait perdu le sens.

21. Quand il était dans le monde des Gandharvas en compagnie d’Urvaśī, ce souverain

apporta les feux qui doivent être au nombre de trois pour célébrer les rites comme il faut.

22. Six fils naquirent au fils d’Ilā : Āyu, Dhīmat, Amāvasu,

Dṛḍhāyu, Vanāyu et Śrutāyu, et ils étaient les enfants d’Urvaśī.

23. Nahuṣa, Vṛddhaśarmāṇa, Raji, Rambha, Anenas :

on dit que ce sont les fils qu’Āyu a eus avec Svarbhānavī.

24. Nahuṣa, le fils d’Āyu était un sage, un héros dans le domaine de la vérité ;

ce seigneur régna sur un royaume très grand selon le Dharma.

25. Les ancêtres, les dieux, les vieux sages, les prêtres, les Gandharvas, les dragons et les Rākṣasas,

Nahuṣa régnait sur eux, ainsi que sur les brahmanes, les nobles guerriers et les roturiers.

26. Il massacra les hordes des manants, il fit payer une taxe aux ermites,

et il la leur fit aussi porter sur le dos comme à du bétail : il était vigoureux.

27. Et il atteignit la puissance d’Indra, subjuguant les dieux du ciel

par son éclat, son ascèse, et aussi par la puissance de sa vaillance.

28. Nahuṣa engendra six fils avec Priyavāsas :

Yati, Yayāti, Saṃyāti, Āyāti, Pāñca et Uddhava.

29. Yayāti, le fils de Nahuṣa, fut un roi accompli, un héros dans le domaine de la vérité ;

il régna sur la Terre et il offrit des sacrifices avec toutes sortes de consécrations.

30. Il honorait considérablement ses ancêtres et montrait toujours sa piété envers les dieux ;

l’invincible Yayāti protégeait tous ses sujets.

31. Ses fils étaient de grands archers, doués de toutes les qualités,

et il les engendra, ô grand roi, avec Devayānī et Śarmiṣṭhā.

32. De Devayānī naquirent Yadu et Turvasu ;

Druhyu, Anu et Pūru furent enfantés par Śarmiṣṭhā.

33. Après avoir régné, conformément au Dharma, pendant des éternités sur ses sujets, ô roi,

le fils de Nahuṣa atteignit une vieillesse vraiment effrayante qui détruisit sa beauté.

34. Vaincu par la vieillesse, le roi parla à ses fils,

Yadu, Pūru, Turvasu, Druhyu et Anu en ces termes, ô Bhārata :

35. « Me livrant aux désirs avec la jeunesse, je veux, en étant un jeune homme,

m’ébattre avec des jeunes filles : donnez-moi votre aide, mes garçons ! »

36. Yadu, l’aîné, le fils de Devayānī, lui dit :

« Que devons-nous faire pour toi, Seigneur, que devons-nous faire, nous et notre jeunesse ? »

37. Yayāti lui dit : « Qu’on m’enlève ma vieillesse.

Avec ta jeunesse à toi, je me livrerais aux plaisirs.

38. Je célébrais un long sacrifice et, par une malédiction l’anachorète Uśanas

m’a privé de ce qui concerne le désir, et cela me tourmente, mes garçons.

39. Qu’avec mon corps à moi l’un de vous dirige le royaume,

et moi, avec un corps svelte et tout neuf de jeune homme, je pourrais satisfaire mes désirs. »

40. Yadu et les autres ne lui ôtèrent pas sa vieillesse.

Alors Pūru, le cadet, vaillant dans le domaine de la vérité, lui dit :

41. « Ô roi, avec un corps tout neuf et svelte, livre-toi à ce qui est accessible à la jeunesse,

moi je prendrai ta vieillesse sur moi et je m’occuperai du royaume à ta demande. »

42. A ces mots, le sage de sang royal, grâce à la puissance de son ascèse,

transféra alors sa vieillesse sur son fils au grand cœur.

43. Et alors, avec l’âge de Pūru, le roi retrouva la jeunesse,

et, avec l’âge de Yayāti, Pūru s’occupa du royaume.

44. Au bout d’un millier d’années, l’invincible Yayāti

n’était pas rassasié de ses désirs et il dit à son fils Pūru :

45. « En toi j’ai un héritier, tu es le fils qui fondera ma lignée ;

elle deviendra célèbre dans le monde sous le nom de lignée de Pūru. »

46. Alors, ce tigre parmi les hommes désigna Pūru comme roi ;

et après un long temps, enfin, il subit la loi du temps.

 

 

 

 

 

I, 71. Les Asuras ont pour chapelain Kāvya Uśanas, qui a le pouvoir de rappeler les morts à la vie. Ainsi les dieux sont-ils désavantagés dans leur combat avec les Asuras. Ils envoient Kaca, le fils de Bṛhaspati, comme disciple chez Kāvya Uśanas pour percer son secret. Kaca conquiert l’affection de Kāvya et de sa fille Devayānī. Les Asuras, comprenant le projet de Kaca, le tuent. A la demande de Devayānī, Kāvya le ressuscite. Les Asuras le tuent à nouveau, et font avaler ses cendres à Kāvya, mêlées à de l’alcool. Kāvya ne peut le rappeler à la vie, Kaca le tuerait en sortant de son ventre !. Devayānī insiste. Kāvya n’a d’autre solution que de transmettre son pouvoir à Kaca, afin que celui-ci, après l’avoir tué en sortant de son ventre, puisse le ressusciter. Kāvya Uśanas interdit solennellement l’alcool aux brahmanes. Après mille années, Kaca demande son congé à Kāvya. 

 

Livre I, chapitre 71.

 

1. Janamejaya dit : 

« Yayāti, notre ancêtre, qui était le dixième des enfants de Prajāpati,

comment obtint-il la fille de Śukra qui était particulièrement difficile à obtenir ?

2. Je veux entendre cela en détail, ô le meilleur des deux-fois-nés,

et dis-moi dans l’ordre l’un après l’autre les fondateurs de la lignée de Pūru. »

3. Vaiśampāyana lui dit :

« Yayāti était un sage de sang royal, qui avait le même éclat que le roi des dieux.

Comment Śukra et Vṛṣaparvan le choisirent jadis,

4. je vais te l’expliquer, puisque tu le demandes, ô Janamejaya,

et aussi l’union de Devayānī et de Yayāti le fils de Nahuṣa.

5. Entre les Dieux et les Asuras naquit

une rivalité pour la souveraineté sur les trois mondes, touchant aussi bien les créatures mobiles que les immobiles.

6. Alors, dans leur désir de vaincre, les dieux choisirent un anachorète descendant d'Aṅgiras [23]

comme leur chapelain pour offrir des sacrifices, et les autres Kāvya Uśanas.

Ces deux brahmanes étaient perpétuellement dans une violente rivalité.

7. Les Dieux tuèrent là les Dānavas qui s’étaient réunis pour la bataille ;

Kāvya les ressuscita grâce à la puissance de ses formules magiques.

Alors ils se relevèrent et combattirent à nouveau les Dieux.

8. Les Asuras tuèrent les Dieux qui étaient en première ligne,

mais Bṛhaspati ne les ressuscita pas, malgré sa grande sagesse.

9. Car il n’avait pas la science que possédait le puissant Kāvya,

celle de la résurrection : alors les Dieux sombrèrent dans un profond désespoir.

10. Et alors les Dieux, tremblant de peur devant Kāvya Uśanas,

allèrent trouver Kaca, le fils aîné de Bṛhaspati, et lui dirent :

11. « Aime-nous, nous qui t’aimons, aide-nous le plus que tu peux :

cette science qui réside dans le brahmane à l’éclat sans borne,

Śukra, apporte-la vite, et nous partagerons avec toi.

12. Tu peux voir ce deux-fois-né chez Vṛṣaparvan.

Là il secourt les Dānavas, mais ils ne secourt pas ceux qui ne sont pas Dānavas.

13. Étant jeune, tu es capable de te concilier ce chantre, ô Seigneur,

ainsi que Devayānī, la fille bien-aimée de cet homme au grand cœur.

14. Toi, tu peux te le concilier, il n’y en a aucun autre…

Quand par ta bonne conduite, ta politesse, ta douceur, ton comportement et la maîtrise de toi-même

tu auras satisfait Devayānī, tu obtiendras cette science à coup sûr. »

15. Après avoir dit « D’accord », Kaca, le fils de Bṛhaspati se mit en route

vers Vṛṣaparvan, après avoir été honoré par les Dieux.

16. Missionné par les Dieux, Kaca se hâta d’y aller, ô roi,

et, voyant Śukra dans la cité du seigneur des Asuras, il lui dit cette parole :

17. « Je suis le petit-fils du sage Aṅgiras, le fils de Bṛhaspati en personne.

Je suis connu sous le nom de Kaca : que Monseigneur m’accepte comme disciple.

18. Je suivrai les meilleures études brahmaniques si je t’ai comme gourou.

Accorde-moi cela, ô brahmane, pour un millier d’années. »

19. Śukra lui dit :

« Kaca, sois le bienvenu, j’accepte ce que tu me dis.

Tu es honorable et je te rendrai honneur, et que Bṛhaspati soit honoré. »

20. Vaiśampāyana dit :

« Kaca dit « D’accord » et il accepta le vœu

qu’avait prescrit le fils du chantre, Śukra Uśanas en personne.

21. Il accepta la durée du vœu qui avait été dite,

se conciliant son précepteur et Devayānī, ô Bhārata.

22. Tous les jours, le jeune homme, qui était dans sa prime jeunesse,

chantait, dansait et jouait de la musique, réjouissant Devayānī.

23. Il fréquentait régulièrement Devayānī, jeune fille dans la fleur de l’âge,

et il lui faisait plaisir avec des fleurs, des fruits et de petites attentions, ô Bhārata.

24. Et Devayānī, gambadant autour du brahmane qui pratiquait ses vœux d’abstinence,

le suivait en chantant et s’amusait en secret.

25. Pendant cinq cents ans Kara suivit son vœu ;

c’est alors que survinrent les Dānavas, qui avaient appris que Kaca était là.

26. L’ayant vu tandis qu’il gardait des bœufs seul dans la forêt, pleins de colère, en secret,

ils le tuèrent par haine de Bṛhaspati, et aussi pour sauvegarder les formules sacrées.

Et une fois tué, ils le donnèrent aux chacals après l’avoir mis en miettes

27. Puis les bœufs retournèrent à leur maison sans leur bouvier.

Et voyant les bœufs revenus de la forêt, abandonnés par Kaca,

Devayānī dit alors immédiatement cette parole, ô Bhārata :

28. « L’oblation à Agni n’a pas encore été offerte et le Soleil a disparu à l’horizon, ô Seigneur.

Les bœufs sont retournés sans leur bouvier, et, père, l’on ne voit Kaca nulle part.

29. Certainement Kaca aura été tué ou sera mort, père…

Et sans Kaca je ne saurais vivre, je te dis la vérité ! »

30. Śukra lui dit :

« Avec le mot « Viens », je le ressuscite s’il est mort. »

31. Vaiśampāyana dit : 

« Alors il fit usage de la formule de la résurrection et appela Kaca.

A cet appel Kaca réapparut sain et sauf grâce à la formule magique.

« J’ai été tué » dit-il quand la fille du brahmane l’interrogea.

32. A nouveau, à la demande de Devayānī, il se trouva que, pour aller cueillir des fleurs,

le brahmane alla dans la forêt et les Dānavas le virent.

33. Ainsi pour la deuxième fois ils le tuèrent et, après l’avoir brûlé et réduit en poudre,

les Asuras l’offrirent alors au brahmane dans son vin.

34. Alors Devayānī dit encore cette parole à son père :

« Kaca est allé cueillir des fleurs pour me faire une attention, père, et on ne le voit nulle part. »

35. Śukra lui dit :

« Kaca, le fils de Bṛhaspati, a pris le chemin des morts, ma fille.

Même si grâce à ma formule il était vivant, il est tué : que dois-je faire ?...

36. Ne pleure pas ainsi, ne te lamente pas, Devayānī.

Quelqu’un comme toi ne saurait se désespérer pour un mortel.

Et tous les Dieux et l’univers entier

s’inclinent quand un changement survient. »

37. Devayānī lui dit :

« Son grand-père est l’éminentissime Aṅgiras,

et son père aussi est l’ascète Bṛhaspati.

Il est fils et aussi encore petit-fils de sage :

comment ne pleurerais-je pas, ne me lamenterais-je pas ?

38. C’est un étudiant brahmanique et un ascète

avec une élévation constante dans ses actes, et de la compétence aussi.

Je suivrai le même chemin que Kaca, sans manger,

car j’aime le beau Kaca, père. »

39. Śukra lui dit :

« Sans nul doute les Asuras me considèrent comme leur ennemi,

puisqu’ils tuent mon disciple qui n’a pas fait de mal.

Ces sauvages veulent me rendre non-brahmane,

comme me l’avaient précisé les Dānavas.

Pourtant ce pourrait être maintenant la fin de ce mal.

Qui, même Indra, ne serait pas consumé par le meurtre d'un brahmane ? »

40. Vaiśampāyana dit :

« Poussé par Devayānī, le grand sage Kāvya appela à nouveau

avec véhémence Kaca, le fils de Bṛhaspati.

41. Effrayé pour son gourou et invoqué par la formule magique,

il éleva la voix tout doucement dans son ventre.

Il lui dit : « Quel chemin as-tu suivi

pour te retrouver dans mon ventre ? Dis-moi, ô brahmane. »

42. Kaca lui dit :

« Grâce à vous, Seigneur, ma mémoire ne m’abandonne pas :

et j’ai tout en mémoire, ce qui s’est passé et comment.

Mais mon tourment, lui, ne saurait disparaître ;

aussi la souffrance que j’endure là est épouvantable.

43. Les Asuras m’ont donné à vous dans votre vin, Seigneur,

après m’avoir tué, brûlé et réduit en poudre, ô Kāvya.

Aussi comment la magie des Asuras surpasserait-elle

la magie des brahmanes, alors que tu es là ? »

44. Śukra lui dit :

« Comment dois-je maintenant te rendre ce service, mon enfant ?

C’est par ma destruction que Kaca vivrait :

il n’y a pas d’autre manière que de me fendre le ventre

pour voir Kaca sortir de moi, Devayānī. »

45. Devayānī lui dit :

« Deux peines me brûlent, pareilles au feu,

que Kaca soit détruit, ou aussi que tu sois lacéré :

avec la destruction de Kaca, il n’y a plus pour moi de refuge,

avec ta lacération, il ne m’est pas possible de vivre. »

46. Śukra lui dit :

« Fils de Bṛhaspati, tu me sembles avoir réussi.

Si Devayānī t’aime tendrement,

reçois cette science qui donne la vie,

si maintenant tu n’es pas Indra sous l’apparence de Kaca.

47. Nul autre ne saurait sortir de mon ventre en étant encore vivant,

à l'exception d’un seul brahmane : en conséquence, reçois ma science.

48. En devenant mon fils crée-moi après avoir été créé,

en sortant de ce corps, mon enfant.

Puisses-tu choisir la circonspection conforme au Dharma

après avoir obtenu la science de la part de ton savant gourou. »

49. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir obtenu la science de la part de son gourou,

le brahmane fendit son ventre et le beau Kaca

sortit par le côté droit du brahmane,

comme la lune dans sa course brillante pendant le sacrifice de la pleine lune.

50. Et voyant cette somme de textes sacrés à terre,

Kaca fit se relever le mort,

ayant obtenu cette science parfaite, et après l’avoir salué,

Kaca dit alors à son gourou :

51. « Tu m’as donné une vérité suprême,

tu es le réceptacle des quatre familles de trésors [24].

Ceux qui ne respectent pas un gourou vénérable,

ceux-là errent dans les mondes instables du mal. »

52. Vaiśampāyana dit :

« Ayant subi, à cause de son ivrognerie, une tromperie

et aussi une perte de conscience vraiment terrible,

et voyant aussi encore le beau Kaca

qu’il avait avalé alors, égaré qu’il était par la boisson,

53. se dressant furieux, le très puissant

Uśanas songea alors au bien-être des brahmanes,

et Kāvya se dit cette parole à lui-même,

car son ivrognerie avait fait naître la crainte en lui :

54. « Tout brahmane à partir d'aujourd'hui

qui, faible d’esprit, boira, par égarement, de l’alcool,

qu’il soit considéré comme un tueur de brahmane qui s’est écarté du Dharma,

et soit blâmé dans ce monde et dans l’autre.

55. Et cette règle où je définis le Dharma des brahmanes

et que j’établis pour le monde entier,

que les brahmanes qui sont attentifs aux leçons de leurs maîtres,

les Dieux et les peuples l’écoutent tous ! »

56. Après avoir parlé ainsi, ce très puissant,

trésor inestimable parmi les trésors d’ascèse,

cria cette parole, provoquant

les Dānavas à l’esprit égaré par le sort : 

57. « Je vous le dis, Dānavas, vous êtes des sots :

Kaca a gagné et il demeurera auprès de moi.

Il a acquis la science immense de la résurrection :

absorbé dans le Brahman, il vous égale en puissance par sa science de brahmane. »

58. Après être resté auprès de son gourou pendant cinq cents ans,

Kaca fut autorisé à partir et il gagna la demeure des Trente Dieux.

 

 

 

 

 

I, 72. Devayānī lui demande de l’épouser. Kaca refuse : elle est devenue sa sœur, puisqu’il a habité le ventre de son père. Devayānī le maudit : il ne pourra utiliser lui-même le pouvoir qu’il a acquis. Kaca la maudit : elle n’épousera pas un brahmane. Kaca rejoint les dieux.

 

Livre I, chapitre 72.

 

1. Vaiśampāyana dit :

  « Quand il eut achevé son vœu et qu’il eut alors reçu son congé de son gourou,

il se mit en route vers le séjour des Trente Dieux, et Devayānī lui dit :

2. « Petit-fils du sage Aṅgiras, par ta conduite et par ta naissance

tu rayonnes, et aussi par ta science, et ton ascèse et le contrôle de tes passions.

3. De même que le très glorieux sage Aṅgiras est objet de respect pour mon père,

de même pour moi Bṛhaspati est objet de respect et plus encore de vénération.

4. Sachant cela, apprends ce que je vais te dire, ô ascète,

comment pendant que tu es occupé à ton vœu et tu pratiques l’abstinence, je me comporte, moi, avec toi.

5. Tu as achevé tes études védiques : aime-moi, moi qui t’aime ;

prends ma main en prononçant les mantras qui conviennent. »

6. Kaca lui dit :

« De même que ton bienheureux père est pour moi objet de vénération et de respect,

de même tu es pour moi davantage objet de vénération, femme au corps sans défauts.

7. Tu es, pour le descendant de Bhṛgu au grand cœur, plus chère que les souffles de la vie ;

mon amie, tu seras toujours pour moi, en vertu du Dharma, la fille vénérable de mon gourou.

8. De même que Śukra, ton père, sera éternellement mon gourou vénérable,

il en est de même aussi pour toi, Devayānī : ne me parle pas ainsi… »

9. Devayānī lui dit :

« Tu es le fils du fils d’un gourou, tu n’es pas celui de mon père.

C’est pourquoi tu es pour moi aussi, ô le meilleur des deux-fois-nés, et vénérable et respectable.

10. Et quand tu as été tué par les Asuras, ô Kaca, encore et encore,

souviens-toi de l’amour que dès lors j’ai eu pour toi.

11. Faite d’affection et de passion, tu connais mon extrême dévotion :

toi qui connais le Dharma, ne m’abandonne pas, alors que je t’aime et que je suis innocente. »

12. Kaca lui dit :

« Toi qui es splendide dans tes vœux, tu me donnes un ordre auquel je ne peux obéir…

De grâce, beauté aux gracieux sourcils ! Tu es pour moi un gourou encore plus important que mon gourou.

13. Là où tu as séjourné, ô femme aux larges yeux dont le visage est pareil à la Lune,

j’y ai séjourné, ma chère : c’est le ventre de Kāvya , ô femme rayonnante.

14. Selon le Dharma, tu es ma sœur : ne parle pas ainsi, femme au visage rayonnant.

J’y ai séjourné avec plaisir, ma chère, je n’en ai pas de rancœur.

15. Je prends congé de toi, je vais partir, souhaite-moi une bonne route.

J’étais en harmonie avec le Dharma, tu dois t’en souvenir, pendant que nous conversions.

En faisant toujours preuve de beaucoup d’attention, donne satisfaction à mon gourou. »

16. Devayānī lui dit :

« Si, au nom du Dharma, du Plaisir et du Profit [25], tu me repousses, 

alors, Kaca, cette science qui est la tienne ne parviendra pas au succès. »

17. Kaca lui dit :

« Tu es la fille de mon gourou, c’est pour cela que je te rejette, non parce que tu m’as fait du tort.

Mon gourou m’a donné mon congé : maudis-moi si tu en as envie.

18. Ce que je dis c’est le Dharma des sages, Devayānī, si bien que toi

tu me maudis aujourd’hui indignement, par désir de me maudire, non pas selon le Dharma.

19. C’est pourquoi, Demoiselle, ton désir ne se réalisera pas :

aucun fils de sage jamais ne prendra ta main.

20. « Ta science ne fructifiera pas », c’est ce que tu m’as dit, qu’il en soit ainsi…

mais la science de celui à qui je l’enseignerai fructifiera. »

21. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir ainsi parlé avec Devayānī, Kaca, le meilleur des deux-fois-nés,

le plus éminent des deux-fois-nés, se dirigea alors en hâte vers la demeure des Trente Dieux.

22. A son arrivée, les dieux, menés par Indra, le regardèrent,

rendirent hommage à Bṛhaspati et, pleins de joie, ils dirent ceci à Kaca :

23. «  Comme tu as accompli un exploit extraordinaire dans notre intérêt,

ta gloire ne se perdra pas, et nous partagerons avec toi. »

 

 

 

 

 

I, 73. Les dieux se réjouissent. Indra, fort de ce nouveau pouvoir, part affronter les Asuras. En route, par jeu, il disperse les vêtements de jeunes filles qui se baignent. Et Śarmiṣṭhā, la fille du roi des Asuras Vṛṣaparvan, prend par mégarde les vêtements de Devayānī. Dispute entre Devayānī et Śarmiṣṭhā. Śarmiṣṭhā fait tomber Devayānī dans un puits. Yayāti passe par là, et prend la main de Devayānī pour la tirer du puits. Devayānī rapporte à son père les paroles injurieuses de Śarmiṣṭhā à son égard. 

 

Livre I, chapitre 73.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Quand, après avoir été initié, Kaca arriva, les dieux célestes frémirent de joie,

et Kaca leur enseigna cette science, à leur grande satisfaction, ô taureau des Bhārata.

2. Ils se rassemblèrent tous et dirent alors au dieu aux cent sacrifices [26] :

« Le temps est venu maintenant pour ta vaillance ; fais périr nos ennemis, ô destructeur de remparts ! »

3. Ainsi parlèrent les Trente Dieux réunis ; alors le Généreux

leur dit : « D’accord ! » et il se lança à l’attaque. Dans la forêt il aperçut des femmes.

4. Et tandis que les jeunes filles s’ébattaient dans la forêt, pareille au jardin de Citraratha,

il se transforma en vent et mélangea tous leurs vêtements.

5. Puis les jeunes filles sortirent ensemble de l’eau

et elles prirent les vêtements qui leur tombaient sous la main, en vrac.

6. Là Śarmiṣṭhā prit alors le vêtement de Devayānī,

la fille de Vṛṣaparvan, ignorant qu’il avait été mélangé.

7. Alors naquit une querelle entre les deux

donc, Devayānī et Śarmiṣṭhā, ô roi des rois.

8. Devayānī lui dit :

« Pourquoi me prends-tu mon vêtement, après avoir été mon apprentie, fille de démon ?

C’est un manque d’éducation, ça ne te portera pas bonheur ! »

9. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Que mon père soit assis ou couché, ton père

perpétuellement le glorifie et le salue avec déférence, debout humblement, à la manière des inférieurs.

10. Car toi tu es la fille d’un homme qui sollicite, qui fait des louanges et qui reçoit pour cela ;

moi, je suis l’enfant de celui qui reçoit les louanges, qui donne et qui ne reçoit rien.

11. Tu es sans défense et je suis armée, tu es nue, tu trembles, mendiante !

Tu te trouveras un adversaire, car moi je n’ai pas d’estime pour toi ! »

12. Vaiśampāyana dit :

« Devayānī se dressa, vint vers elle et s’accrocha à son vêtement,

mais Śarmiṣṭhā la jeta dans un puits, puis elle retourna dans sa cité.

13. Śarmiṣṭhā, qui lui voulait du mal, se dit qu’elle l’avait tuée ;

sans y accorder d’attention, elle retourna chez elle, entraînée par un torrent de colère.

14. C’est alors que Yayāti, le fils de Nahuṣa, vint en ce lieu,

ses mules épuisées, ses chevaux épuisés, à la recherche d’antilopes, assoiffé.

15. Le fils de Nahuṣa regarda dans le puits qui était à sec ;

là il vit la jeune fille, qui resplendissait comme une flamme.

16. Le meilleur des princes vit la jeune fille divinement belle et l’interrogea,

la réconfortant gentiment et de façon tout à fait charmante :

17. « Qui es-tu avec tes ongles couleur de cuivre, ta peau brune et tes boucles d’oreille tout ornées de joyaux ?

Pourquoi cette longue et profonde rêverie, et ce halètement de souffrance ?

18. Comment es-tu tombée dans ce puits entouré d’herbes et de plantes ?

Et aussi de qui es-tu la fille ? Dis-moi tout, femme à la taille fine. »

19. Devayānī lui dit :

« Celui qui par sa science ressuscite les Asuras tués par les Dieux,

Śukra, c’est de lui que je suis la fille ; il n’est sans doute pas au courant pour moi.

20. Voici ma main droite, ô roi, avec ses ongles couleur de cuivre :

prends-la et tire-moi de là, car tu me sembles de noble origine.

21. Car je sais que tu es calme, vaillant, glorieux :

c’est pourquoi je te demande de m’arracher de ce puits où je suis tombée. »

22. Vaiśampāyana dit :

« Alors le fils de Nahuṣa, comprenant que c’était une femme brahmane,

la prit par la main droite et la tira alors hors de la citerne.

23. Après l’avoir vite tirée de ce puits, le roi

Yayāti dit au revoir à la femme aux belles hanches, et il retourna dans son château.

24. Devayānī dit :

« Ghūrṇikā, va vite tout raconter à mon père,

car désormais je ne rentrerai pas dans la ville de Vṛṣaparvan. »

25. Vaiśampāyana dit :

« Ghūrṇikā alla en hâte vers la demeure des Asuras,

et quand elle vit Kāvya elle lui dit, l’esprit tout troublé :

26. « Je te le dis, ô très sage : Devayānī a été frappée dans la forêt

par Śarmiṣṭhā, Excellence, la fille de Vṛṣaparvan ! »

27. Kāvya, entendant que sa fille avait été frappée là par Śarmiṣṭhā,

partit en hâte, dans la douleur, à la recherche de sa fille dans la forêt.

28. Et quand Kāvya vit sa fille Devayānī dans la forêt,

il l’entoura de ses bras et, affligé, il lui dit ces mots :

29. « C’est par leurs propres fautes que les hommes fixent tous leurs bonheurs et leurs malheurs :

je pense que tu as eu une mauvaise conduite qui a causé cette expiation. »

30. Devayānī lui dit :

« Qu’il y ait expiation ou pas, écoute attentivement

ce que m’a dit Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan :

elle dit là apparemment la vérité, tu es le chantre des Asuras.

31. Et Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan, me dit

ces mots grossiers et virulents avec des yeux tout rouges de colère.

32. « Car toi tu es la fille d’un homme qui fait des louanges, qui sollicite, qui reçoit pour cela ;

moi, je suis l’enfant de celui qui reçoit les louanges, qui donne et qui ne reçoit rien. »

33. C’est ainsi que m’a parlé Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan,

encore et encore, avec des yeux rouges de colère, pleine d’arrogance.

34. Si je suis la fille d’un homme qui fait des louanges et qui reçoit pour cela,

je ferai la paix avec Śarmiṣṭhā, et quand je lui aurai parlé elle sera mon amie. »

35. Śukra lui dit :

« Tu n’es pas la fille d’un homme qui fait des louanges, mon enfant, et qui reçoit pour cela :

Devayānī, tu es la fille d’un homme qui ne loue personne, mais qui est loué.

36. Et Vṛṣaparvan sait cela, et Indra, et le roi fils de Nahuṣa.

Brahmā l’Inconcevable, qui transcende les contraires : telle est ma force souveraine !

 

 

 

 

 

I, 74. Kāvya plaide le pardon. Devayānī refuse de continuer à habiter dans la maison de Śarmiṣṭhā. 

 

Livre I, chapitre 74.

 

1. Śukra dit :

« L’homme qui endure avec constance les injures des autres,

comprends, Devayānī, qu’il est vainqueur de tous.

2. Celui qui, quand sa colère monte, la réfrène comme un cheval, 

les sages disent de lui : « C’est un guide », non de celui qui s’accroche à ses rênes.

3. Celui qui, en supprimant sa colère, renonce à la colère qui monte,

comprends, Devayānī, qu’il est vainqueur de tous.

4. Celui qui, avec patience, se débarrasse de la colère qui monte

comme un serpent de sa vieille peau, on dit de lui qu’il est un homme.

5. Celui qui retient sa fureur, celui qui endure les injures,

celui que l’on échauffe sans qu’il s’échauffe est un réceptacle inébranlable de richesses.

6. Entre celui qui sacrifie infatigablement, mois après mois, pendant cent ans,

et celui qui ne se met en colère contre personne, le meilleur des deux est celui qui est sans colère.

7. La querelle que les garçons et les filles se font sans raison,

le sage ne l’imite pas : ils ne distinguent pas la force de la faiblesse. »

8. Devayānī lui dit :

« Je distingue, père, même si je suis jeune, la différence qu’il y a ici-bas entre les devoirs,

et je distingue aussi, dans l’absence de colère et l’injure, la force de la faiblesse.

9. On ne doit pas pardonner à celui qui veut devenir un disciple une conduite indigne d’un disciple ;

c’est pourquoi il ne me plait pas d’habiter avec des gens qui ont une conduite douteuse.

10. Car les hommes qui dénigrent à cause de la conduite et la naissance,

le sage ne saurait séjourner avec eux s’il aspire à la perfection : ils ont un mauvais esprit.

11. Mais ceux qui le reconnaissent pour sa conduite et sa naissance,

ce sont des hommes de bien avec qui il faut séjourner : c’est le meilleur des séjours, dit-on.

12. La voix de la fille de Vṛṣaparvan est injurieuse et vraiment effrayante.

Assurément il n’y a rien de plus pénible, je pense, dans les trois mondes

que le sage indigent qui s’assied à la table de son ennemi resplendissant de prospérité. »

 

 

 

 

 

I, 75. Kāvya annonce au roi Vṛṣaparvan qu’il va le quitter s’il n’apaise pas la colère de Devayānī. Vṛśaparvan lui offre toutes ses richesses. Mais cela ne suffit pas : Devayānī exige que Śarmiṣṭhā lui soit donnée comme esclave. Vṛśaparvan accepte et Śarmiṣṭhā, pour sauver les siens, devient l’esclave de Devayānī.

 

Livre I, chapitre 75.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Kāvya, le meilleur des descendants de Bhṛgu, plein de colère s’approcha donc

de Vṛṣaparvan qui était assis et lui parla ainsi, sans hésiter :

2. « La conduite contraire au Dharma, ô roi, ne porte pas ses fruits immédiatement comme un bœuf gaur :

ce sont tes fils ou tes petits-fils, si ce n’est toi-même, que cela regarde,

car les fruits du mal ne sont pas sûrs, ils sont comme un repas lourd dans le ventre.

3. Car tu as fait tuer Kaca le fils d’Aṅgiras, un brahmane

qui ne se conduisait pas mal, qui connaissait le Dharma, qui était un disciple attentif, qui se plaisait dans ma maison.

4. Pour l’avoir tué alors qu’il ne le méritait pas, et pour avoir fait violence à ma fille,

Vṛṣaparvan, écoute bien cela, je te quitte, toi et les tiens.

Je ne pourrai pas rester dans ton domaine, ô roi, avec toi.

5. Ah ! Me prends-tu, descendant de Diti, pour un babillard,

puisque toi-même tu ne réprimes pas ta propre faute et que tu la négliges ? »

6. Vṛṣaparvan lui dit :

« Je ne connais en toi ni mal, ni mensonge, ô descendant de Bhṛgu,

en toi est le Dharma, et la vérité : apaise-toi sur ce point, ô Seigneur.

7. Si tu nous abandonnes et si tu pars d’ici, ô descendant de Bhṛgu,

nous sombrerons tous dans l’Océan : il n’y a pas d’autre refuge… »

8. Śukra lui dit :

« Sombrez dans l’Océan, ou fuyez en tous sens, ô Asuras,

je ne peux pas supporter l’affront fait à ma fille, car elle m’est chère.

9. Apaisez Devayānī, car ma vie est en elle ;

je suis celui qui assure ta protection, comme Bṛhaspati pour Indra. »

10. Vṛṣaparvan lui dit :

« Ô descendant de Bhṛgu, toute richesse que l’on connaisse aux seigneurs des Asuras

sur Terre, qu’elle soit en éléphants, bœufs ou chevaux, tu en es le maître et de moi-même aussi. »

11. Śukra lui dit :

« Toute possession que l’on connaisse aux seigneurs fils de Diti, ô grand Asura,

j’en suis le maître à la condition que tu apaises Devayānī. »

12. Devayānī dit :

« Si toi, père, tu es le maître du roi et de ses propriétés, ô descendant de Bhṛgu,

je n’en sais rien moi… Que le roi me le dise lui-même. »

13. Vṛṣaparvan lui dit :

« Le souhait que tu désires, ô Devayānī au sourire éblouissant,

je te l’accorderai totalement, même s’il est difficile à réaliser. »

14. Devayānī dit : 

« Je désire Śarmiṣṭhā comme esclave, accompagnée d’un millier de filles :

qu’elle marche derrière moi, là où mon père m’établira. »

15. Vṛṣaparvan lui dit :

« Hé ! Gouvernante ! Lève-toi ! Presse vite Śarmiṣṭhā !

Le désir qu’exprime Devayānī doit être réalisé. »

16. Vaiśampāyana dit :

« La nourrice alla donc alors auprès de Śarmiṣṭhā  et lui dit cette parole :

« Lève-toi, chère Śarmiṣṭhā, donne le bonheur à tes parents.

17. Le brahmane abandonne ses disciples, pressé par Devayānī.

Le désir qu’elle exprime, tu dois le réaliser maintenant, ô irréprochable. »

18. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Le désir qu’elle exprime, que je le réalise maintenant !

Pourvu que Śukra ne s’en aille pas avec Devayānī à cause de moi... »

19. Vaiśampāyana dit :

« Alors, sur un palanquin, entourée d’un millier de filles,

elle quitta en hâte, sur l’ordre de son père, la magnifique cité.

20. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Avec ce millier de filles, je suis ton esclave pour te servir,

j’irai derrière toi, là où ton père t’établira. »

21. Devayānī lui dit :

« Je suis pour toi la fille d’un chanteur qui fait des louanges et qui reçoit pour cela :

comment, étant la fille de celui qui reçoit les louanges, seras-tu mon esclave ? »

22. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Quelle que soit la manière qui procurerait le bonheur à mes parents affligés,

je te suivrai là où ton père t’établira. »

23. Vaiśampāyana dit :

« Quand la fille de Vṛṣaparvan lui eut promis qu’elle serait esclave,

Devayānī, ô le meilleur des rois, dit cette parole à son père :

24. « Je retourne dans la cité, père, je suis contente, ô le meilleur des deux-fois-nés.

Ton savoir est infaillible, de même que la puissance de ta science. »

25. A ces mots de sa fille, le meilleur des deux-fois-nés à la grande gloire

retourna joyeux dans la cité, et tous les Dānavas lui rendirent hommage.

 

 

 

 

 

I, 76. Un jour, Devayānī, Śarmiṣṭhā et leurs compagnes se divertissent dans la forêt. Passe Yayāti, au cours d’une partie de chasse. Les présentations sont faites. Devayānī demande à Yayāti de l’épouser : il a déjà pris sa main !. Yayāti remontre la différence de caste : il ne veut pas encourir la malédiction du père de Devayānī. Celle-ci se fait forte d’obtenir le consentement de son père. Kāvya Uśanas donne sa fille à Yayāti. Il lui recommande de ne pas conduire Śarmiṣṭhā dans son lit. 

 

Livre I, chapitre 76.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Et après un long temps, ô le meilleur des princes, Devayānī

au teint clair retourna dans la forêt pour jouer.

2. Alors, avec le millier d’esclaves et en compagnie de Śarmiṣṭhā,

elle arriva au même endroit et le parcourut à son gré ;

accompagnée de toutes ses amies, elle était très heureuse.

3. Toutes occupées à jouer, elles buvaient de l’hydromel,

mâchaient toutes sortes de nourritures et mordaient dans les fruits.

4. Et à nouveau il arriva que le roi, fils de Nahuṣa, à la recherche d’antilopes,

arriva au même endroit, cherchant de l’eau, accablé de fatigue.

5. Il vit Devayānī et Śarmiṣṭhā, ainsi que les jeunes femmes

en train de boire et de s’amuser, parées de bijoux célestes.

6. Et, assise, il vit Devayānī au sourire éblouissant,

à la beauté sans égale, au milieu de ces jolies femmes,

honorée par Śarmiṣṭhā qui, entre autres choses, lui massait les pieds.

7. Yayāti leur dit :

« Deux jeunes filles entourées par deux milliers de jeunes filles :

quels sont vos familles et vos noms, je vous le demande ? »

8. Devayānī lui dit :

« Je vais te le dire, reçois ma parole, ô roi :

le gourou des Asuras porte le nom de Śukra, et sache que je suis sa fille.

9. Et cette compagne, c’est mon esclave qui va partout où je vais,

Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan, le seigneur des Dānavas. »

10. Yayāti lui dit :

« Comment donc cette jeune fille au teint clair est-elle ta compagne et ton esclave,

la fille du seigneur des Asuras ? Ma curiosité est en effet très grande, femme aux beaux sourcils. »

11. Devayānī lui dit :

« Toute chose, tigre parmi les hommes, suit le destin :

songe que c’est un arrêt du destin, ne cherche pas d’explications étranges.

12. Tu as l’air d’un roi, tu en as l’apparence et les habits, et tu as un discours de brahmane.

Quel est ton nom ? Et d’où viens-tu ? Et de qui es-tu le fils ? Dis-le moi. »

13. Yayāti lui dit :

« Durant mon apprentissage brahmanique, la totalité des Veda m’est venue à l’oreille ;

je suis roi, fils de roi, et bien connu sous le nom de Yayāti. »

14. Devayānī lui dit :

« Dans quel dessein, ô roi, es-tu venu dans cet endroit ?

Voulais-tu cueillir un lotus, ou bien voulais-tu prendre une antilope ? »

15. Yayāti lui dit :

« J’étais à la recherche d’une antilope, ma chère, et je suis venu pour trouver de l’eau.

Et tu me poses beaucoup de questions : aussi je te prie de me laisser partir. »

16. Devayānī lui dit :

« Avec les deux milliers de filles et en compagnie de mon esclave Śarmiṣṭhā,

je suis ta servante ; prospérité à toi ! Sois mon ami et mon mari ! »

17. Yayāti lui dit :

« Fille d’Uśanas, prospérité à toi ! Sache que je ne suis pas digne de toi, ô femme rayonnante,

car les rois ne peuvent t’épouser, Devayānī, avec le père que tu as [27]… »

18. Devayānī lui dit :

« La noblesse guerrière est unie à la caste des brahmanes, la noblesse guerrière est associée à la caste des brahmanes.

Tu es sage et fils de sage, s’il te plait, fils de Nahuṣa, épouse-moi ! »

19. Yayāti lui dit :

« Quoique les quatre castes soient issues d’un même corps, ô jolie femme,

elles ont une nature différente, une pureté différente, et celle des brahmanes est la meilleure. »

20. Devayānī lui dit :

« Aucun homme auparavant ne m’a fait l’honneur de demander ma main, fils de Nahuṣa.

Toi, tu me l’as prise en premier : c’est pourquoi je te choisis comme mari.

21. Comment un autre homme pourrait-il donc toucher la main d’une fille sage comme moi,

alors qu’elle a été prise par toi, le fils même d’un sage et sage lui-même. »

22. Yayāti lui dit :

« Plus qu’un serpent irrité aux crocs venimeux, plus que le mufle d’un feu qui part en tous sens,

un brahmane est difficile d’approche aux yeux d’un homme érudit. »

23. Devayānī lui dit :

« Plus qu’un serpent irrité aux crocs venimeux, plus que la gueule d’un feu qui part en tous sens

un brahmane est difficile d’approche : comment peux-tu dire cela, taureau parmi les hommes ? »

24. Yayāti lui dit :

« Un serpent venimeux tue un seul homme, un seul homme est tué par une épée.

Un brahmane tue une cité et aussi son royaume, s’il est furieux.

25. C’est pourquoi, Demoiselle, un brahmane est plus difficile d’approche, à mon avis :

si donc tu ne m’es pas donnée par ton père, ma chère, je ne t’épouse pas ! »

26. Devayānī lui dit :

« Mon père te donnera à moi, épouse-moi car je t’ai choisi, ô roi :

il n’y a pas de danger pour celui qui ne sollicite pas et accepte celle qui lui est donnée. »

27. Vaiśampāyana dit :

« Bien vite Devayānī envoya un message à son père,

et après l’avoir entendu, le descendant de Bhṛgu alla voir le roi.

28. Et quand Yayāti, le maître des terres, vit arriver Śukra,

il salua avec déférence le brahmane Kāvya en portant ses mains jointes à son front, en se tenant courbé devant lui.

29. Devayānī lui dit :

« Ce roi, fils de Nahuṣa, a pris ma main, père, quand j’étais en danger.

Honneur à toi : donne-moi à lui, je ne choisis aucun autre mari au monde. »

30. Śukra lui dit :

«  Tu as été choisi pour mari, ô héros, par ma fille bien-aimée :

prends-la, je te la donne, comme première reine, fils de Nahuṣa. »

31. Yayāti lui dit :

« Que la grande faute contre le Dharma ne me touche pas ici, descendant de Bhṛgu,

celle née du mélange des castes, ô brahmane : je t’en conjure ! »

32. Śukra lui dit :

« Je te délivre de cette faute contre le Dharma : choisis selon ton désir.

N’aie pas d’aversion pour ce mariage : je te mets à l’abri du mal.

33. Prends pour femme, conformément au Dharma, Devayānī à la taille fine :

avec elle tu connaîtras un bonheur inégalable.

34. Et aussi que cette fille, Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan,

soit toujours pour toi objet de respect, ô roi : ne l’invite pas dans ton lit. »

35. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots, Yayāti marcha rituellement autour de Śukra ;

puis, après avoir reçu congé, cet homme au grand cœur retourna joyeux dans son palais. »

 

 

 

 

 

I, 77. Yayāti regagne sa ville avec Devayānī. Il installe Śarmiṣṭhā à l’écart. Il donne un fils à Devayānī. Śarmiṣṭhā lui demande de lui permettre d'accomplir son devoir de femme et de lui donner également un fils. Yayāti cède, Śarmiṣṭhā a un fils.

 

Livre I, chapitre 77.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Yayāti retourna dans son palais, semblable au palais du grand Indra ;

il entra dans le gynécée, et il y installa Devayānī.

2. Et, avec l’approbation de Devayānī, il bâtit pour la fille de Vṛṣaparvan

une maison à proximité d’un bosquet d’ashoks et y installa

3. Śarmiṣṭhā, la fille du compagnon des Asuras, entourée d’un millier de filles ;

et il la traitait bien, lui distribuant vêtements, nourriture et boisson.

4. En compagnie de Devayānī, le roi, fils de Nahuṣa,

passa agréablement de nombreuses années, à la manière d’un dieu, dans un bonheur extrême.

5. Quand ce fut le temps de sa période de fécondité, la belle Devayānī

conçut un enfant pour la première fois, et elle donna naissance à un garçon.

6. Mille ans passèrent, et Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan,

vit qu’elle était devenue une jeune femme et elle songea à sa période de fécondité.

7. « Le temps de ma période de fécondité est venu et je n’ai pas choisi de mari.

Qu’ai-je obtenu ? Que dois-je faire ? Quelle action serait la bonne ?

8. Devayānī, elle, a enfanté, et moi c’est en vain que je suis devenue une jeune femme ;

elle s’est choisi un mari, et moi tout pareillement je le choisis aussi.

9. Le roi doit me donner un fruit, un fils : telle est la décision que j’ai prise.

Pourtant justement, cet homme a un cœur si loyal pour me visiter en secret… »

10. Or le hasard fit que le roi sortit à ce moment-là ;

il rencontra Śarmiṣṭhā à proximité d’un bosquet d’ashoks et s’arrêta.

11. Le voyant seul dans ce lieu écarté, Śarmiṣṭhā avec un doux sourire

alla vers lui, joignit les mains pour le saluer et dit cette parole au roi :

12. « Dans l’entourage de Soma, ou d’Indra, ou de Viṣṇu, ou de Yama, ou de Varuṇa,

ou de toi, fils de Nahuṣa, qui est capable de toucher une femme ?

13. Tu m’as toujours connue, ô roi, pour ma beauté, ma naissance et ma conduite.

Je te demande une faveur : donne-moi d’être fertile, ô roi. »

14. Yayāti lui dit :

« Je te connais, tu es la jeune fille des Asuras, pleine de vertu, irréprochable ;

quant à ta beauté, je n’y vois aucun défaut, même pas plus gros que la pointe d’une aiguille.

15. Kāvya Uśanas a dit, quand j’ai emmené Devayānī :

Tu ne dois pas inviter dans ton lit la fille de Vṛṣaparvan. »

16. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Une parole dite pour plaisanter ne fait pas de mal,

ni si elle est dite à des femmes, ô roi, ni pendant les fiançailles,

ou quand on est en danger de mort, ou qu’on a perdu tous ses biens :

ces cinq mensonges ne sont pas, dit-on, des péchés.

17.      Mais celui qui, interrogé pour témoigner, déclare le contraire de ce qui est,

on dit de lui qu’il donne une fausse information, ô roi,

et quand il ne s’agit que de l’intérêt d’un seul,

le mensonge fait du mal à celui qui parle faussement. »

18. Yayāti lui dit :

« Le roi est le modèle de ses sujets, il se perdrait en parlant trompeusement :

même s’il arrive que mes intérêts soient en danger, je ne supporte pas d’agir faussement. »

19. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Ce sont là, ô roi, deux mêmes notions : le mari et le mari de l’amie ;

c’est un même mariage, dit-on, et comme tu es le mari de mon amie, je t’ai choisi comme mari. »

20. Yayāti lui dit :

« Il faut donner à ceux qui demandent, tel est le vœu que j’ai fait,

et toi tu me demandes de faire l’amour : dis-moi ce que je dois faire pour toi… »

21. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Préserve-moi d’une faute contre le Dharma, ô roi, et procure-moi le Dharma :

en ayant un enfant de toi en ce monde, j’accomplirai complètement mon Dharma.

22. Il y a trois êtres qui ne possèdent rien, ô roi, les épouses, les esclaves ainsi que les fils :

ce qu’ils acquièrent est le bien de celui auquel ils appartiennent.

23. Je suis la servante de Devayānī, et la descendante de Bhṛgu est sous ton autorité.

Elle aussi bien que moi sommes, ô roi, sous ta dépendance: possède-moi ! »

24. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots le roi se rendit compte que c’était bien la vérité :

il rendit hommage à Śarmiṣṭhā et lui procura le Dharma.

25. Et il alla avec Śarmiṣṭhā et il la posséda à son bon plaisir ;

et, après s’être mutuellement rendu hommage, tous deux repartirent comme ils étaient venus.

26. De cette union, Śarmiṣṭhā aux beaux sourcils et au doux sourire

conçut un enfant pour le première fois de cet excellent roi.

27. Et quand le temps fut venu, ô roi, cette femme aux yeux bleus comme le lotus donna le jour

à un garçon qui avait l’aspect d’un rejeton des dieux, avec des yeux pareils à des lotus.

 

 

 

 

 

I, 78. Devayānī demande qui est le père de cet enfant. Śarmiṣṭhā répond que c’est un homme pieux. Devayānī a deux fils avec Yayāti, Yadu et Turvasu, Śarmiṣṭhā trois, Dhruyu, Anu et Pūru. Un jour, Yayāti et Devayānī se promènent : ils rencontrent les enfants de Śarmiṣṭhā. Devayānī demande qui est leur père, et ils montrent Yayāti. Devayānī, offensée, retourne chez son père, suivie par Yayāti. Kāvya maudit Yayāti et le condamne à une vieillesse immédiate. Yayāti plaide, mais la malédiction ne peut être reprise. Tout au plus pourra-t-il échanger sa vieillesse avec l’un de ses fils.

 

Livre I, chapitre 78.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Apprenant qu’un fils lui était né, Devayānī au sourire éblouissant

réfléchit, opprimée par le malheur, au sujet de Śarmiṣṭhā, ô Bhārata.

2. Et Devayānī s’approcha de Śarmiṣṭhā et lui dit ceci :

« A quel vice t’es-tu adonnée, femme aux beaux sourcils, avec un libidineux ? »

3. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Un sage au cœur loyal est venu me visiter, parfait connaisseur des Veda :

prêt à exaucer mes désirs, il m’a demandé de faire l’amour, conformément au Dharma.

4. Je ne me livre pas à un amour inconvenant, femme au sourire éclatant.

Avec ce sage j’ai eu un enfant : je te dis là la vérité. »

5. Devayānī lui dit :

« Ce serait vraiment un bien, Demoiselle, si l’on connaissait ce deux-fois-né :

je désire savoir la lignée, le nom et la naissance de ce deux-fois-né. »

6. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Par sa puissance et son éclat il resplendissait comme le Soleil :

à sa vue, je n’ai pas eu la force de l’interroger, femme au sourire éclatant. »

7. Devayānī lui dit :

« Si c’est bien cela, Śarmiṣṭhā, il n’y a pas de colère de ma part,

si tu as obtenu un enfant de ce deux-fois-né aussi éminent qu’excellent. »

8. Vaiśampāyana dit :

« Et après avoir discuté ainsi, elles se raillèrent l’une l’autre,

et la descendante de Bhṛgu retourna à sa maison, s’imaginant que c’était bien la vérité.

9. Le roi Yayāti engendra deux fils avec Devayānī,

Yadu et Turvasu : ils étaient comme Śakra et Viṣṇu, incomparables.

10. Et de ce même sage de sang royal, Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan,

enfanta trois garçons : Druhyu, Anu et Pūru.

11. Puis, un jour, Devayānī au sourire éclatant

alla dans une grande forêt, ô roi, en compagnie de Yayāti.

12. Et alors elle vit là des garçons beaux comme des dieux

en train de s’amuser, pleins d’assurance ; étonnée elle dit ceci :

13. « A qui sont ces garçonnets, ô roi, rayonnant comme des fils de dieux ?

Par leur éclat et leur beauté, je trouve qu’ils te ressemblent. »

14. Après avoir ainsi interrogé le roi, elle questionna les garçons :

« Vous, les enfants, quel nom votre père donne-t-il à sa lignée brahmanique ?

Dites-moi la vérité vraie, car je désire l’entendre. »

15. Ils lui montrèrent de l’index l’excellent roi,

et les garçonnets lui dirent aussi que leur mère était Śarmiṣṭhā.

16. Après avoir dit cela, ils coururent tous ensemble vers le roi,

mais le roi ne leur fit pas bon accueil, puisque Devayānī était alors à côté de lui.

Alors, en pleurs, les gamins allèrent voir Śarmiṣṭhā.

17. Voyant l’affection des garçonnets envers le Prince

et se rendant compte de la vérité, la Reine dit ceci à Śarmiṣṭhā :

18. « Étant ma servante, comment as-tu pu me faire cette offense ?

Toi qui es astreinte au Dharma des Asuras, n’as-tu aucune crainte ? »

19. Śarmiṣṭhā lui dit :

« Quand je t’ai dit que c’était un sage, je t’ai bien dit la vérité, femme au doux sourire ;

ayant agi comme il convient et selon le Dharma, je ne te crains pas.

20. Quand tu as choisi le roi, moi aussi je l’ai alors choisi,

car le mari d’une amie est, selon le Dharma, notre mari, ma belle.

21. Je dois te respecter et t’honorer, car étant fille de brahmane, tu es la plus forte et la meilleure ;

mais un sage de sang royal est plus respectable que toi : ne sais-tu pas cela ? »

22. Vaiśampāyana dit :

« Entendant une telle parole de sa part, Devayānī lui dit ceci :

« Ô roi, je ne vivrai plus désormais ici : tu m’as fait offense. »

23. Voyant cette femme à la peau sombre s’enfuir précipitamment, les larmes aux yeux,

en toute hâte auprès de Kāvya, il prit peur une fois qu’elle fut partie.

24. Le roi partit derrière elle, tout troublé, tâchant de l’apaiser,

mais elle ne revenait pas, les yeux tout rouges de colère.

25. Mais la femme aux beaux yeux ne répondait rien au roi ;

bientôt elle arriva auprès de Kāvya Uśanas.

26. Et quand elle aperçut son père, elle le salua et s’arrêta devant lui ;

immédiatement après Yayāti rendit hommage au descendant de Bhṛgu.

27. Devayānī dit :

« Le Dharma a été vaincu par le Mal, il a roulé sens dessus dessous.

J’ai été supplantée par Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan.

28. Trois fils lui sont nés du roi Yayāti

à cette maudite, et à moi deux fils, père, je te le dis.

29. Ce roi est très célèbre pour être un « connaisseur du Dharma », ô progéniture de Bhṛgu,

et il a transgressé les limites, ô Kāvya, je te le dis ! »

30. Śukra dit :

« Grand roi, alors que tu es un connaisseur du Dharma, tu t’es plu à faire le Mal :

par conséquent une vieillesse invincible t’attaquera à l’instant. »

31. Yayāti lui dit :

« La fille du seigneur des Dānavas m’a sollicité pour sa période de fertilité, ô Bienheureux,

je n’avais pas d’autre pensée : pour moi j’ai fait cela en conformité avec le Dharma.

32. Un homme, choisi par une femme qui le sollicite pour sa période de fertilité et ne donne pas,

il est appelé ici-bas un « avorteur », ô brahmane, par ceux qui enseignent le Veda.

33. Celui qui, sollicité en secret par une femme fréquentable qui a du désir,

ne s’unit pas à elle à cause des règles du Dharma, est appelé un « avorteur » par les savants.

34. Ainsi, c’est en considérant ces raisons, ô rejeton de Bhṛgu,

que, bouleversé par la crainte d’une faute contre le Dharma, je me suis approché de Śarmiṣṭhā. »

35. Śukra lui dit :

« Ne t’ai-je pas considéré ? Tu es mon serviteur, ô roi :

la tricherie dans le Dharma est le fait d’un hypocrite, fils de Nahuṣa ! »

36. Vaiśampāyana dit :

« Alors dans sa colère Uśanas maudit Yayāti, le fils de Nahuṣa.

Celui-ci perdit la jeunesse qu’il avait auparavant, et aussitôt la vieillesse l’atteignit.

37. Yayāti lui dit :

« Je ne me suis pas rassasié de ma jeunesse avec Devayānī, ô rejeton de Bhṛgu.

Fais-moi grâce, ô brahmane : que cette vieillesse ne s’insinue pas en moi ! »

38. Śukra lui dit :

« Je ne parle pas en vain : tu as atteint la vieillesse, ô roi.

Mais cette vieillesse, transfère-la sur un autre si tu veux… »

39. Yayāti lui dit :

« Qu’il possède mon royaume, ô brahmane, qu’il possède ma sainteté, qu’il possède aussi ma gloire,

le fils qui me donnerait sa jeunesse : accorde-moi cela, Seigneur ! »

40. Śukra lui dit :

« Tu transfèreras ta vieillesse à ton gré, fils de Nahuṣa,

en pensant à moi dans ton cœur : tu ne subiras aucun mal.

41. Le fils qui te donnera sa jeunesse sera roi,

il aura une longue vie, il sera glorieux aussi, et il aura en outre une nombreuse progéniture. »

                                                                                 

 

 

 

I, 79. Yayāti essaye en vain de persuader ses fils l’un après l’autre, d’échanger leur jeunesse contre sa vieillesse, pour une période de mille ans, afin qu’il puisse encore jouir des plaisirs de la vie. Ils refusent et Yayāti écarte leur descendance du royaume. Le cadet, Pūru, accepte. Sa descendance régnera sur le royaume. 

 

Livre I, chapitre 79.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Une fois que Yayāti fut atteint par la vieillesse et qu’il eut aussi atteint son palais,

il dit cette parole à Yadu, son fils aîné, qui était le meilleur :

2. « La vieillesse, les rides et les cheveux gris m’ont cerné, mon fils,

par la malédiction de Kāvya Uśanas, et je n’ai pas profité de ma jeunesse.

3. Toi, Yadu, reçois ma faute en même temps que ma vieillesse.

Avec ta jeunesse à toi, je me livrerais aux plaisirs.

4. Au bout de mille ans, je te rendrai ta jeunesse

et je récupérerai ma faute en même temps que ma vieillesse. »

5. Yadu lui dit :

« Avoir la tête et la barbe blanches, être misérable, amolli par la vieillesse,

avoir le corps envahi par les rides, être un spectacle pénible, être impotent et émacié,

6. être incapable de faire ce qu’on doit faire, être raillé par les jeunes

et par tes sujets… Je ne désire pas la vieillesse ! »

7. Yayāti lui dit :

« Puisque tu ne m’offres pas ta jeunesse, alors que tu es né de mes entrailles,

ta descendance, mon fils, sera donc privée de royaume.

8. Turvasu, reçois ma faute en même temps que ma vieillesse.

Avec ta jeunesse, je me livrerais aux plaisirs, mon fils.

9. Au bout de mille ans, je te rendrai ta jeunesse,

et je récupérerai ma propre faute en même temps que ma vieillesse. »

10. Turvasu lui dit :

« Je ne désire pas la vieillesse, père : elle détruit le désir et la jouissance,

elle marque la fin de la force et de la beauté, elle fait périr l’esprit et l’énergie. »

11. Yayāti lui dit :

« Puisque tu ne m’offres pas ta jeunesse, alors que tu es né de mes entrailles,

ta lignée, Turvasu, sera donc exterminée.

12. Des gens dont le comportement et le Dharma sont souillés, dont les mariages sont aberrants,

qui mangent de la viande et qui sont de la plus basse caste, c’est toi qui seras leur crétin de roi.

13. Des gens qui s’attachent à la femme de leur gourou, et qui vont dans la vulve des animaux,

qui se comportent comme des animaux, d’affreux barbares, c’est à eux que tu commanderas. »

14. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir ainsi maudit Turvasu, son propre fils, Yayāti

adressa cette parole à Druhyu, le fils de Śarmiṣṭhā :

15. « Druhyu, toi, reçois la vieillesse qui fait périr la couleur et la beauté

pendant un millier d’années et donne-moi ta propre jeunesse.

16. Au bout de mille ans je te restituerai ta jeunesse

et je reprendrai de nouveau ma propre faute en même temps que ma vieillesse. »

17. Druhyu lui dit :

« Un vieux décrépit ne jouit ni de son éléphant, ni de son char, ni de son cheval, ni de sa femme,

et sa voix est éraillée. Je ne désire pas la vieillesse ! »

18. Yayāti lui dit :

« Puisque tu ne m’offres pas ta jeunesse, alors que tu es né de mes entrailles,

en conséquence, Druhyu, rien de ce que tu désires chèrement n’aboutira.

19. En un lieu où tu ne pourras jamais accéder qu’en radeau ou en barque,

sans être roi tu obtiendras avec ta famille le titre de Jouisseur.

20. Anu, toi, reçois ma faute en même temps que ma vieillesse,

et pendant un seul millier d’années je jouirais de ta jeunesse. »

21. Anu lui dit :

« Puisqu’un vieux décrépit, comme un enfant, prend sa nourriture n’importe quand, sans se purifier,

et qu’il ne verse pas de libations sur le feu au bon moment, je ne désire pas la vieillesse. »

22. Yayāti lui dit :

« Puisque tu ne m’offres pas ta jeunesse, alors que tu es né de mes entrailles,

et que tu me parles des défauts de la vieillesse, tu les recevras donc.

23. Et tes descendants, quand ils atteindront l’adolescence, périront, Anu,

quant à toi tu répandras ta diarrhée sur le feu !

24. Pūru, toi qui es mon fils bien-aimé, toi tu seras le plus grand.

La vieillesse, les rides et les cheveux gris m’ont cerné, mon fils,

par la malédiction de Kāvya Uśanas, et je n’ai pas profité de ma jeunesse.

25. Pūru, reçois ma faute en même temps que ma vieillesse,

et pendant un certain temps je me livrerais aux plaisirs avec ta jeunesse.

26. Au bout de mille ans je te restituerai ta jeunesse,

et je récupérerai aussi ma propre faute en même temps que ma vieillesse. »

27. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots Pūru répondit immédiatement à son père :

« Grand roi, j’accomplirai ta parole, telle que tu me l’as dite :

28. Je prendrai sur moi ta faute, ô roi, en même temps que ta vieillesse :

prends-moi ma jeunesse et assouvis tes désirs comme tu le désires.

29. Et moi, qui porte la beauté et la jeunesse, je serai enveloppé de ta vieillesse,

et après avoir donné ma jeunesse à mon Seigneur, je ferai comme tu me dis. »

30. Yayāti lui dit :

« Pūru, je suis satisfait de toi, mon garçon, et étant satisfait je te donne ceci :

ta descendance prospérera dans tout ce qu’elle désirera et elle règnera. »

 

 

 

 

 

I, 80. Yayāti redevient jeune, règne et parcourt les domaines du plaisir. Au bout de mille ans, il rend sa jeunesse à son fils et lui donne le royaume. Les brahmanes protestent : ce n’est pas l’aîné !. Yayāti explique que ses aînés lui ont désobéi : seul Pūru s’est montré un fils fidèle. Ainsi, le royaume lui revient de droit. 

 

Livre I, chapitre 80.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Et avec la jeunesse de Pūru, Yayāti, le fils de Nahuṣa,

le meilleur des rois, se livra plein de joie à ses plaisirs les plus chers,

2. selon son désir, selon son énergie, selon le temps, selon son plaisir,

selon ce que pouvait ce roi des rois, sans incompatibilité avec le Dharma.

3. Il contenta les dieux par des sacrifices, ainsi que les ancêtres par des offrandes,

les malheureux par les aides qu’ils désiraient, et les meilleurs des deux-fois-nés par des faveurs,

4. et ses hôtes par les nourritures et les boissons, et les roturiers par des mesures de protection,

et les serviteurs par sa gentillesse, et les vauriens par la punition.

5. Et s’attachant tous ses sujets par le Dharma, comme il convient,

Yayāti régnait sur eux, comme une autre incarnation d’Indra.

6. Ce roi, vaillant comme un lion accéda, étant jeune, à toutes les voluptés,

sans s’opposer au Dharma, il connut un bonheur extrême.

7. Le prince connut des plaisirs splendides, puis rassasié et déprimé,

le souverain se souvint que le sursis se terminait au bout de mille ans.

8. Étant astrologue, il compta vaillamment les minutes et les secondes

et, estimant que le temps était alors venu, il parla à son fils Pūru :

9. « Selon mon désir, selon mon énergie, selon le temps, ô dompteur de tes ennemis,

je me suis voué aux plaisir, mon fils, grâce à la jeunesse que tu m’as donnée.

10. Pūru, je suis satisfait, béni sois-tu ! Reçois cette jeunesse qui est tienne,

et reçois aussi ce royaume, car tu es le fils qui a fait ce qui m’était cher. »

11. Yayāti, le fils de Nahuṣa, recouvra alors sa vieillesse,

et Pūru recouvra à nouveau sa propre jeunesse.

12. Comme le roi désirait introniser Pūru, son fils cadet,

les castes, avec les brahmanes à leur tête, lui tinrent ce discours :

13. « Comment se fait-il, Seigneur, que tu négliges le petit-fils de Śukra, le fils de Devayānī,

Yadu, qui est l’aîné, pour confier le royaume à Pūru ?

14. Yadu est ton fils aîné, et après lui est né Turvasu,

et de Śarmiṣṭhā tu as un fils, Druhyu, et ensuite Anu et enfin Pūru.

15. Comment se fait-il que le cadet, au dépens des aînés, ait droit au royaume ?

Nous appelons ton attention sur cela : observe le Dharma ! »

16. Yayāti lui dit :

« Vous, toutes les castes, avec les brahmanes à votre tête, écoutez ma parole :

la raison pour laquelle je ne saurais en aucune façon confier mon royaume à mon fils aîné

17. est que mon fils aîné Yadu n’a pas observé mon ordre :

celui qui est hostile à son père n’est plus son fils, c’est l’opinion des gens instruits.

18. Celui qui accomplit les paroles de son père et de sa mère et qui satisfait à leur bien-être, celui-là est un fils.

Est un fils celui qui agit comme un fils envers son père et sa mère.

19. J’ai été méprisé par Yadu, et de même encore par Turvasu,

et par Druhyu, et par Anu aussi : ils ont manifesté un violent mépris pour moi.

20. Pūru a fait ce que je disais et il m’a particulièrement honoré.

Le cadet est mon héritier car il a supporté ma vieillesse.

Pūru comme un vrai fils a accompli mes désirs.

21. Et Śukra Uśanas Kāvya m’a fait lui-même cette faveur :

« Le fils qui te suivra, celui-là sera roi et seigneur de la Terre. »

Aussi je vous en supplie, Seigneur, que Pūru reçoive la consécration royale. »

22. Les dignitaires lui dirent :

« Le fils vertueux, qui est toujours bienveillant pour son père et sa mère,

est digne d’une totale prospérité, même s’il est le cadet, Seigneur.

23. Pūru est digne de ce royaume, il est le fils qui a fait ce qui t’était cher.

Si tu as la bénédiction de Śukra, on ne peut rien dire de plus. »

24. Vaiśampāyana dit :

« Quand les gens de la ville et de la campagne, ravis, lui eurent dit cela, le fils de Nahuṣa alors

intronisa Pūru, le fils né de lui, pour qu’il règne sur son royaume.

25. Et après avoir donné le royaume à Pūru, il fut consacré pour aller séjourner dans la forêt,

et le roi sortit de la ville en compagnie d’ascète brahmanes.

26. De Yadu sont nés les Yādavās, les fils de Turvasu sont les Yavanās,

les fils de Druhyu sont les Bhojās, quant à ceux d’Anu ce sont les nations barbares.

27. La dynastie de Pūru est celle des Pauravās, dans laquelle tu es né, ô roi,

pour régner sur ce royaume pendant mille ans. »

 

 

 

 

 

I, 81. Yayāti se retire dans la forêt et se livre pendant mille ans à des austérités. 

 

Livre I, chapitre 81.                                  

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Ainsi le roi Yayāti, le fils de Nahuṣa, donna au fils qu’il désirait

l’onction royale et, joyeux, il devint un ermite de la forêt.

2. Après avoir séjourné dans la forêt, en compagnie des brahmanes qu’il s’était attachés,

se nourrissant de fruits et de racines, il dompta ses passions si bien qu’il quitta ce monde pour le paradis.

3. Il parvint dans le séjour des dieux et il y séjourna, plein de joie et de bonheur ;

mais après un temps pas très long, Śakra le fit retomber.

4. Lorsqu’il tomba du haut du paradis, il n’atteignit pas la surface du sol :

il resta alors suspendu dans l’atmosphère, d’après ce que j’ai entendu.

5. Mais ensuite il est aussi retourné au paradis, d’après la tradition,

et le vaillant était en compagnie du roi Vasumat, d’Aṣṭaka,

de Pratardana et de Śibi, qu’il avait rencontrés apparemment dans une assemblée. »

6. Janamejaya lui dit :

« Par quelle action ce grand souverain a-t-il regagné le ciel ?

Je désire entendre tout cela en entier, tel que cela s’est passé,

raconté par toi, ô brahmane, et en présence de cette troupe de brahmanes et de sages.

7. Car Yayāti était un roi de la Terre semblable au roi des dieux,

il a fait prospérer la dynastie des Kuru, il avait le même éclat que la lumière du Soleil.

8. Cet homme au grand cœur, à la gloire étendue, renommé pour sa véracité,

je désire entendre tout ce qu’il a pu faire, dans le ciel et ici-bas. »

9. Vaiśampāyana dit :

« Eh bien, je te raconterai la suite de l’histoire de Yayāti

qui, dans le ciel et ici-bas, est fondée sur le Bien et anéantit tout mal.

10. Yayāti, le fils de Nahuṣa, après avoir donné à Pūru, son fils cadet

l’onction royale, se mit alors joyeusement en route pour la forêt.

11. Il avait assigné à ses fils, Yadu en tête, les confins de la Terre

et, se nourrissant de fruits et de racines, le roi vécut longtemps dans la forêt.

12. Avec une grande résolution, dominant sa colère, il satisfaisait ses ancêtres et les divinités

et versait des libations dans les feux, comme il convient conformément aux prescriptions des ermites de la forêt.

13. Ce puissant rendit hommage à ses hôtes avec des offrandes de produits des bois,

pratiquant le glanage, se nourrissant de restes de repas.

14. Pendant un millier d’années entier ce roi vécut ainsi ;

se nourrissant d’eau pendant trente automnes, il disciplina sa parole et son esprit.

15. Et ensuite il ne se nourrit que de vent pendant une année, sans en être fatigué,

et au milieu de cinq feux le roi se livra à l’ardeur de l’ascèse pendant une année.

16. Il se tint debout sur un seul pied pendant six mois, ne mangeant que de l’air ;

puis il retourna au paradis, après avoir couvert la Terre et le paradis de sa sainteté. »

 

 

 

 

 

I, 82. A sa mort, il monte au ciel où il séjourne longtemps dans les différents paradis. A Indra qui l’interroge, il rapporte les conseils qu’il a donnés à son fils. 

 

Livre I, chapitre 82.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Une fois au paradis, le roi des rois séjourna dans la résidence des dieux,

honoré par les Trente Dieux, les Sādhyās, les Marutas et les Trésors.

2. Le saint, maître de lui-même, voyagea du monde des Dieux au monde de Brahmā,

et le gardien de la Terre y séjourna pendant longtemps, d’après ce que dit la tradition.

3. Un jour Yayāti, le meilleur des rois, alla voir Śakra ;

là, au cours de la conversation, le roi fut interrogé par Śakra.

4. Śakra lui dit :

« Quand Pūru, sous ton apparence, ô roi,

a pris ta vieillesse et a parcouru la Terre,

tu lui as alors transmis ton royaume :

que lui as-tu dit ? Dis-moi ici la vérité. »

5. Yayāti lui dit :

« La totalité de ce territoire entre le Gange et la Yamunā est à toi.

Toi tu es le roi de la Terre du milieu, tes frères sont les princes des régions inférieures.

6.         L’homme sans colère surpasse les colériques,

de même que l’homme patient surpasse l’impatient,

et les hommes l’emportent sur les non-humains,

de même aussi que les hommes cultivés l’emportent sur les incultes.

7. Si l’on est injurié, on ne saurait injurier : une colère que l’on contient

consume l’insulteur, et elle procure une bonne action.

8.         Il ne faut pas être blessant, ni avoir des mots cruels,

ni dépouiller l’indigent de son dernier bien,

que la bouche redoute la parole par laquelle on est un ennemi,

qu’on ne la profère pas : elle est blessante et infernale.

9.         Un homme blessant, à la voix brutale,

qui pique les hommes des aiguillons de sa parole,

il faut savoir qu’il est le plus infortuné parmi les êtres

et qu’il porte, attachée à sa bouche, la destruction.

10.      Il faut être honoré par les justes par devant,

il faut aussi être protégé par les justes par derrière,

il faut endurer les injures des méchants invétérés,

et que celui qui a une conduite noble suive la conduite des justes.

11.      Les paroles comme des flèches s’envolent de la bouche,

et celui qu’elles touchent gémit nuit et jour,

et celles qui s’envolent vers des points vulnérables d’un autre,

l’érudit ne saurait les lancer contre d’autres.

12. Car pour se concilier les gens on ne connaît rien dans les trois mondes qui soit comparable

à la fraternité, à la générosité envers les êtres et à la parole douce.

13. C’est pourquoi il faut toujours parler gentiment, et ne rien dire de désagréable ;

il convient d’honorer ceux qui méritent le respect, de leur faire des dons, et de ne jamais rien leur demander. »

 

 

 

 

 

I, 83. Mais Yayāti se vante de ses mérites. Indra le chasse du ciel. Yayāti demande de tomber parmi des hommes de bien. Aṣṭaka le voit tomber et lui demande qui il est.

 

Livre I, chapitre 83.

 

1. Indra lui dit :

« Après avoir accompli tous les rites, ô roi,

et avoir quitté tes foyers, tu es venu dans la forêt :

je te le demande, fils de Nahuṣa,

qui peut égaler tes ascèses, ô Yayāti ? »

2. Yayāti lui dit :

« En ce qui me concerne, ni parmi les dieux ou les hommes, ni parmi les Gandharvas ou les grands sages

je ne vois quelqu’un qui puisse m’égaler dans l’ascèse, ô Vāsava ! »

3. Indra lui dit :

« Puisque tu méprises tes semblables et ceux qui sont meilleurs que toi,

et ceux qui sont pires que toi dont tu ne connais pas le pouvoir,

eh bien, c’est en fini de ces mondes pour toi :

maintenant que ta sainteté est ruinée, tu tomberas, ô roi ! »

4. Yayāti lui dit :

« Si par mon mépris des Dieux, des sages, des Gandharvas et des hommes,

les mondes sont perdus pour moi, ô Śakra,

je voudrais, après avoir quitté le monde des Dieux,

tomber au milieu de justes, ô roi des Dieux. »

5. Indra lui dit :

« Tu tomberas auprès de justes, ô roi,

où, déchu, tu obtiendras une dignité encore plus haute ;

et sachant cela, Yayāti,

tu ne mépriseras plus à nouveau tes semblables et ceux qui sont meilleurs que toi. »

6. Vaiśampāyana dit :

« Puis, après avoir quitté les mondes sacrés

chers au roi des Immortels, Yayāti tomba ;

Aṣṭaka, le meilleur des sages de sang royal, l’aperçut,

et ce gardien des règles du Dharma et de la justice lui dit :

7.         « Qui es-tu, jeune homme, dont la beauté est comparable à celle de Vāsava ?

Avec ton éclat, tu resplendis comme le feu ;

tu tombes du haut des ténèbres porteuses de pluie

comme depuis l’éther le fait le Soleil, le meilleur des êtres célestes.

8.         Et en te voyant tomber en suivant le cours du Soleil,

avec un rayonnement immense, comme celui du Soleil ou de Vaiśvānara [28],

tous disent : « Qu’est-ce donc qui tombe ? » :

nous sommes pleins de doute et désorientés.

9.         Et te voyant debout sur la route des Dieux,

avec une splendeur semblable à celle de Śakra, du Soleil et de Viṣṇu,

nous sommes tous sortis aujourd'hui pour te voir,

afin de savoir la vérité sur ta chute.

10.      Et nous n’osons pas non plus te questionner les premiers,

et toi tu ne nous demandes pas qui nous sommes…

Alors nous t’interrogeons sur ton enviable beauté :

de qui es-tu le fils et pourquoi es-tu venu ?

11.      Que ta crainte se dissipe, et ton abattement et ton égarement

laisse-les vite, ô toi dont la beauté est comparable au roi des Dieux,

car tu te trouves auprès de justes :

même le puissant Śakra n’est pas capable de te maîtriser.

12.      Car les justes sont toujours le refuge des justes qui, dans leur chute,

ont perdu le bonheur, ô toi qui es semblable au roi des Immortels :

ceux qui sont réunis ici sont les maîtres des végétaux et des êtres vivants,

tu as ta place avec tes semblables, des justes.

13. Le Feu règne sur la chaleur, la Terre règne sur les semences,

le Soleil règne sur la clarté, et l’hôte imprévu règne sur les justes. »

 

 

 

 

 

I, 84. Yayāti explique les raisons de sa chute. Il montre qu’il faut savoir être indifférent à son sort. Il raconte son séjour dans les différents paradis et sa chute. 

 

Livre I, chapitre 84.

 

1. Yayāti lui dit :

« Je suis Yayāti, le fils de Nahuṣa,

le père de Pūru ; à cause de mon mépris de toutes les créatures,

j’ai été chassé du monde des Dieux, des Accomplis et des sages,

et après ma déchéance, ma sainteté est diminuée et je tombe.

2.         Je suis plus âgé que vous, Messieurs,

c’est pourquoi je ne vous salue pas en premier, Messieurs :

celui qui par son savoir, son ascèse ou sa naissance

est supérieur, doit être respecté par les deux-fois-nés. »

3. Aṣṭaka lui dit :

« Si tu as dit que celui qui est supérieur en âge

ne saurait ainsi en aucune manière saluer, ô roi,

eh bien, celui qui est savant et supérieur en âge,

celui-là doit être respecté par les deux-fois-nés. »

4. Yayāti lui dit :

« Le Mal est, dit-on, l’ennemi des mérites,

et celui-ci précipite vite dans l’Enfer ;

les justes ne suivent pas les injustes en cela,

de sorte que leur âme n’a que des paroles favorables.

5.         Ma richesse était vraiment grande, immense :

en me donnant de la peine, je ne m’en approcherai pas.

Celui qui reste concentré sur ce qu’il considère lui être utile,

celui-là acquiert la connaissance en vivant.

 6.        Dans le monde des vivants, de nombreuses existences de toutes sortes

dépendent des Dieux, leurs pouvoirs et leurs efforts sont anéantis.

Quoi qu’il lui arrive, le sage ne saurait être tenu en échec :

« Le destin est le plus fort » pense-t-il dans sa sagesse.

7.         Car qu’un homme trouve le bonheur ou bien le malheur,

cela dépend des Dieux, non de sa propre puissance ;

c’est pourquoi, estimant que le destin est puissant,

jamais il ne saurait être accablé ni frémir de joie.

8.         Dans le malheur il ne saurait être tourmenté, dans le bonheur il ne saurait frémir de joie ;

le sage devrait toujours vivre dans une humeur égale ;

estimant que le destin est le plus fort,

jamais il ne saurait être accablé ou frémir de joie.

9.         Dans le danger, je ne m’égare jamais, moi, ô Aṣṭaka,

jamais mon esprit n’est en souci.

De même que le Créateur m’a disposé en ce monde,

de même je pense : « Il en sera certainement ainsi. »

10.      Les bêtes nées de la sueur, les ovipares et les germinants,

les reptiles, les insectes, et encore les poissons dans les eaux,

de même que les pierres, et tous les brins d’herbe et les bouts de bois,

au moment de leur destruction fatale retournent à leur origine.

11.      Connaissant l’impermanence du bonheur et du malheur,

pourquoi moi, Aṣṭaka, irais-je me faire du souci ?

Ce que je dois faire ou ce que j’ai fait, ne me cause pas de souci :

aussi, sans pour autant le négliger, j’écarte le souci. »

12. Aṣṭaka lui dit :

« Les principaux mondes, ô prince souverain, dont

tu as joui, et à quelle époque, et de quelle manière,

dis-les moi tous exactement, ô roi,

car tu parles du Dharma comme un expert. »

13. Yayāti lui dit :

« J’étais roi, ici-bas, de toutes les terres,

j’ai alors conquis des mondes immenses.

J’y ai vécu pendant une période de mille ans,

et je suis alors allé dans l’autre monde.

14.      C’est donc dans la cité charmante du Très-invoqué [29],

aux mille portes, large de cent lieues,

que j’ai séjourné pendant une période de mille ans,

et je suis alors allé dans l’autre monde.

15.      J’ai alors gagné le monde divin, exempt de vieillesse,

inaccessible, de Prajāpati, le Seigneur du monde.

J’y ai vécu pendant une période de mille ans,

et je suis alors allé dans l’autre monde.

16.      Et passant d’une maison de dieu à une autre,

je conquérais les mondes et y séjournais à mon gré,

et les Trente Dieux réunis me rendaient hommage,

j’étais comparable en splendeur et en majesté à ces Seigneurs.

17.      Ainsi j’ai séjourné dans le paradis d’Indra, changeant de forme à volonté,

pendant une myriade de centaines d’années,

passant mon temps en compagnie des Apsaras,

contemplant les belles montagnes fleuries et parfumées.

18.      Tandis que j’étais là, m’adonnant aux plaisirs divins

durant une période extrêmement longue,

un messager des Dieux à l’aspect redoutable me dit

sur trois tons, en allongeant la voyelle : « Tooombe ! ».

19.      Si grand que fût mon savoir, ô lion parmi les rois,

je suis alors tombé du paradis d’Indra, ma sainteté diminuée,

et j’entendis dans l’atmosphère la voix des Dieux

qui gémissaient avec compassion, ô roi.

20.      « Oh ! Hélas ! Yayāti, sa sainteté diminuée,

tombe, ce saint, ce saint renommé ! »

Et moi, en tombant, je leur disais alors :

« Comment donc pourrais-je tomber au milieu de justes ? »

21.      Ils m’ont indiqué l’emplacement du sacrifice de vos seigneuries :

je l’ai aperçu et je m’en suis vite approché.

Me guidant jusqu’à l’emplacement du sacrifice au parfum des offrandes

et à la fumée à l’entour, j’y suis parvenu. »

 

 

 

 

 

I, 85. Aux questions d’Aṣṭaka, Yayāti explique ce qui se passe après la chute et comment l’homme se réincarne. Il met Aṣṭaka en garde contre l’orgueil. 

 

Livre I, chapitre 85.

 

1. Aṣṭaka lui dit :

« Puisque tu as séjourné dans le paradis d’Indra, changeant de forme à volonté,

pendant une myriade de centaines d’années,

pour quelle raison, ô héros de l’âge d’or,

abandonnant la vérité, es-tu venu sur la Terre nourricière ? »

2. Yayāti lui dit :

« De même qu’ici-bas celui qui, parent, ami, parentèle,

une fois sa fortune perdue, est abandonné par les hommes,

de même là-bas, l’homme dont la sainteté est diminuée

est abandonné aussitôt par le Seigneur et les Dieux assemblés. »

3. Aṣṭaka lui dit :

« Comment là-bas peut-il y avoir des gens dont la sainteté diminue ?

Là mon esprit est extrêmement troublé.

Qu’est-ce qui les distingue ? De qui adoptent-ils la condition ?

Toi que j’estime être un expert, dis-le moi donc. »

4. Yayāti lui dit :

« Ils tombent dans cet enfer terrestre

en se lamentant tous, ô dieu parmi les hommes,

pour servir de nourriture aux hérons, aux chacals et aux corbeaux ;

diminués, ils progressent diversement.

5.         C’est pourquoi l’homme doit rejeter

ici-bas l’action impure et il doit la blâmer.

Je t’ai raconté tout cela, ô prince :

dis-moi ce que je dois te dire de plus maintenant. »

6. Aṣṭaka lui dit :

« Quand ils sont déchirés par des oiseaux

 comme les vautours au cou blanc et par les mouches,

comment existent-ils ? Comment continuent-ils à exister ?

Je n’ai pas entendu parler d’un autre enfer terrestre. »

7. Yayāti lui dit :

« Après que leur corps béant exhibe leurs actes,

manifestement ils circulent sur la Terre ;

ils tombent dans cet enfer terrestre,

sans prendre garde aux multiples quantités d’années.

8.         Ils tombent dans le ciel pendant soixante mille,

voire quatre-vingt mille années entières,

et, tandis qu’ils sont précipités, ils sont aiguillonnés vers leur précipice

par les épouvantables Rākṣasas terrestres aux crocs acérés. »

9. Aṣṭaka lui dit :

« Quand, à cause de leurs fautes, ils tombent et sont aiguillonnés

par les épouvantables Rākṣasas terrestres aux crocs acérés,

comment existent-ils ? Comment continuent-ils à exister ?

Comment les êtres deviennent-ils des embryons ? »

10. Yayāti lui dit :

« Le sperme émis par un homme se mélange

à une fleur ou à un fruit et atteint le sang ;

les menstrues de la femme entrent en contact avec lui,

et cela produit un embryon.

11.      Et ils pénètrent dans les arbres des forêts et les herbes,

les eaux, le vent, la Terre et l’atmosphère,

et aussi chaque quadrupède et chaque bipède :

c’est ainsi qu’ils deviennent des embryons. »

12. Aṣṭaka lui dit :

« L’embryon produit-il ici-bas un autre corps,

ou bien encore va-t-il selon son désir

entrer en contact avec cette matrice humaine ?

Dis-le moi, je te parle avec incertitude.

13.      Comment acquiert-il la conscience par la vision et l’ouïe,

et en particulier l’accroissement de sa masse corporelle ?

Dis-moi tout cela en vérité, je te le demande :

nous pensons tous, mon ami, que tu es un expert. »

14. Yayāti lui dit :

« Le vent fait s’élever la matrice de l’embryon ;

à la bonne période, le sperme se mélange au suc de la fleur ;

là le vent a le pouvoir de créer l’élément subtil,

et l’embryon se développe graduellement ici-bas.

15.      Une fois né, quand son corps est distinct,

l’homme est le sanctuaire dédié aux six modes de connaissance :

à l’aide de ses oreilles il communique ici-bas le son,

et à l’aide ses yeux il voit chaque forme,

16.      avec son nez il connaît l’odeur, et avec sa langue la saveur,

avec sa peau le toucher, avec son esprit la réalité.

Ainsi, Aṣṭaka, sache qu’ici-bas s’accroît

le Grand Ātman dans le corps de ce qui est doué de vie. »

17. Aṣṭaka lui dit :

« L’homme mort qui est incinéré,

ou qui est enterré, ou bien qui est réduit en poudre,

il est devenu néant, il est à l’état de putréfaction :

comment connaît-il son soi d’avant ? »

18. Yayāti lui dit :

« Celui-ci, après avoir perdu la vie, après avoir expiré comme s’il s’était endormi,

met devant lui la bonne action et la mauvaise action,

et, suivant son dernier souffle, il recouvre une autre matrice,

après avoir perdu son corps, ô lion parmi les rois.

19.      Ceux qui ont fait de bonnes actions vont dans une bonne matrice,

ceux qui ont fait de mauvaises actions vont dans une mauvaise matrice.

Les mauvais deviennent des vers et des mouches :

je n’ai pas envie d’en parler, très puissant roi.

20.      Tétrapodes, dipodes et hexapodes,

ainsi ceux qui n’existent pas deviennent des êtres en germes.

Je t’ai tout dit en entier :

que demandes-tu de plus, ô lion parmi les rois ? »

21. Aṣṭaka lui dit :

« Que faut-il donc faire, mon ami, pour obtenir les mondes

les meilleurs, quand on est mortel, par l’ascèse ou la connaissance ?

Dis-moi tout ce que je te demande avec exactitude.

Par quelle action accèderait-on à ces mondes heureux ? »

22. Yayāti lui dit :

« L’ascèse, la charité, la sérénité, la maîtrise de soi,

la modestie, la droiture, la compassion envers toute créature

sont détruites par l’orgueil : « Les ténèbres l’emportent

toujours sur l’homme » disent les justes.

23.      Celui qui, ayant étudié et se croyant savant,

nuit par sa connaissance à la gloire des autres,

les mondes lui sont fermés

et son pouvoir spirituel ne lui rapporte aucun fruit.

24.      Quatre pratiques exemptes de danger

produisent le danger si elles sont pratiquées improprement :

l’oblation orgueilleuse du feu ou le vœu de silence orgueilleux,

l’étude orgueilleuse ou le sacrifice orgueilleux.

25.      Celui qui a de l’orgueil ne saurait recevoir de la joie,

et il ne saurait ressentir du repentir à cause de son mépris.

Les justes rendent hommage aux justes ici-bas en ce monde,

les hommes sans sagesse ne conçoivent pas de pensée sage.

26.      « Qu’il donne », « Qu’il sacrifie », « Qu’il étudie ma conduite »,

« Il n’y a pas de danger » disent-ils : ces choses, il faut éternellement les éviter.

27.      Grâce à l’érudit qui apprend que l’antique pratique

est pieuse autant que l’âme,

on pourrait, après être parvenu à cette forme insurpassable et éclatante,

obtenir la sérénité suprême, dans l'au-delà et ici-bas. »

 

 

 

 

 

I, 86. Yayāti expose les qualités requises aux quatre stades de la vie. Les différentes sortes d’ermites. 

 

Livre I, chapitre 86.

 

1. Aṣṭaka lui dit :

« Comment doit se comporter le maître de maison pour aller chez les Dieux ?

Comment l’ascète errant ? Comment celui qui œuvre pour son maître spirituel,

et l’ermite retiré dans la forêt qui est engagé dans la voie du juste ?

Actuellement il y a beaucoup d’indications sur ce sujet… »

2. Yayāti lui dit :

« Récitant quand on l’y invite, n’ayant pas besoin d’être poussé pour s’occuper de son gourou,

levé le premier, et couché en dernier,

doux, maître de ses passions, résolu, attentif,

l’étudiant brahmanique atteint son but en s’adonnant à la récitation privée des textes sacrés.

3.         Après avoir acquis une fortune conforme au Dharma, que le maître  de maison offre un sacrifice,

qu’il donne toujours à son hôte et le nourrisse,

n’acceptant pas ce qui n’a pas été donné par les autres :

tel est l’antique enseignement concernant le maître de maison.

4.         Vivant selon ses propres moyens, débarrassé du vice,

donnant aux autres, ne faisant pas de mal aux autres,

un anachorète de cette sorte atteint le parfait accomplissement,

en séjournant dans la forêt et en restreignant sa nourriture et son activité.

5.         Vivant sans métier et continuellement sans maison,

dominant ses sens, complètement libéré,

errant sans abri, léger, voyageant par petites étapes,

l’ascète errant, solitaire, parcourt les contrées.

6.         La nuit par laquelle les mondes sont conquis

et les désirs sont vaincus, et les plaisirs aussi,…

que durant cette nuit le sage s’applique

à être un habitant de la forêt, maître de lui-même.

7.         Après avoir séparé dans la forêt les éléments de son corps,

celui qui vivait retiré dans la forêt crée un bienfait

pour dix de ses parents avant lui, et pour dix après lui,

ainsi que pour lui-même, soit vingt-et-un bienfaits. »

8. Aṣṭaka lui dit :

« Combien donc y a-t-il de sortes d’anachorètes ou aussi combien de sortes d’ascèses

existe-t-il ? Dis-le moi, nous désirons l’entendre. »

9. Yayāti lui dit :

« Celui qui, lorsqu’il séjourne en forêt, tourne le dos à son village,

ou qui, lorsqu’il séjourne dans son village, tourne le dos à la forêt, celui-là peut être un anachorète, ô prince de sang. »

10. Aṣṭaka lui dit :

« Comment donc, lorsqu’il séjourne en forêt, tourne-t-il le dos à son village,

ou, lorsqu’il séjourne dans son village, comment tourne-t-il le dos à la forêt ? »

11. Yayāti lui dit :

« Celui qui est un anachorète de forêt n’utilise aucun produit du village,

ainsi quand il séjourne dans la forêt il tourne le dos à son village.

12. L’anachorète est sans feu, sans maison, il ne fréquente pas l’école védique de son village.

Il ne saurait désirer pour tout vêtement qu’un cache-sexe.

13. Et pour toute nourriture il ne saurait désirer que ce qui concerne sa subsistance ;

ainsi quand il séjourne dans son village il tourne le dos à la forêt.

14. L’anachorète qui, abandonnant ses désirs, renonçant à l’action, dominant ses sens,

se maintiendrait à cette ascèse, atteindrait l’accomplissement en ce monde.

15. Celui qui se lave les dents, qui se coupe les ongles, qui se livre continuellement à des ablutions, qui est soigné,

qui, bien que noir, reste pur dans ses actes, qui ne voudrait pas l’honorer ?

16. Ayant enduré les tourmentes de l’ascèse, ayant détruit sa chair, ses os et son sang,

quand l’anachorète a transcendé les contraires en persévérant dans son ascèse,

alors, après avoir conquis ce monde, il conquiert l’autre monde.

17. Quand, avec sa bouche, l’anachorète broute sa nourriture comme une vache,

alors ce qui était son ancien monde est bon pour l’immortalité. »

 

 

 

 

 

I, 87. Les mérites du renonçant. Aṣṭaka offre à Yayāti les mondes célestes qui lui reviennent. Yayāti refuse : un roi n’accepte pas de cadeaux. Pratardana fait de même et Yayāti refuse. 

Livre I, chapitre 87.

 

1. Aṣṭaka lui dit :

« Lequel de ces deux partage en premier la nature des Dieux ?

Ils courent tous deux, ô roi, comme le Soleil et la Lune. »

2. Yayāti lui dit :

« Sans logis parmi les maîtres de maison, contraint parmi ceux qui ne songent qu’à leurs désirs,

même s’il vit dans un village, l’ascète errant sera le premier.

3. Mais celui qui, ayant obtenu une longue vie, n’a pas obtenu de transformation, qu’il parte ;

et si en faisant cela il est tourmenté par l’ascèse, qu’il se dirige vers une autre ascèse.

4.         Car ce qui fait du mal aux hommes est inadéquat, dit-on ;

celui qui se voue au Dharma sans penser au profit,

même sans propriétés, et même aussi sans pouvoir, ô roi,

cette extase c’est alors la sincérité, c’est alors la noblesse. »

5. Aṣṭaka lui dit :

« Par qui as-tu été envoyé aujourd’hui comme messager, ô roi ?

Tu es jeune, portant couronne, plaisant à regarder, vigoureux…

D’où viens-tu ? Auquel des deux espaces appartiens-tu ?

Ou bien encore est-ce que ta demeure est terrestre ? »

6. Yayāti lui dit :

« C’est cet enfer terrestre, car ma sainteté est diminuée ;

je dois arriver sur Terre depuis le ciel, mis en pièces,

et quand j’aurai fini de vous parler, je tomberai plus loin :

les gardiens du monde me pressent, ô brahmanes.

7.         J’ai fait vœu de tomber auprès de justes,

et tous ceux qui sont assemblés ici sont vertueux,

et j’ai obtenu ce vœu de Śakra,

quand j’allais tomber sur la surface de la Terre, ô roi. »

8. Aṣṭaka lui dit :

« Ne te précipite pas dans ce précipice, je te demande

si des mondes, ô roi, sont pour moi ici,

s’ils sont situés dans l’atmosphère ou bien s’ils sont dans le ciel.

Tu es un expert du Dharma, je pense. »

9. Yayāti lui dit :

« Autant sur Terre il y a de vaches et de chevaux,

avec les bêtes des forêts et des montagnes,

autant il existe de mondes pour toi au ciel ;

sache-le, ô lion parmi les rois. »

10. Aṣṭaka lui dit :

« Ne te précipite pas dans ce précipice, je te les donne :

les mondes qui sont à moi dans le ciel, ô roi des rois,

qu’ils soient situés dans l’atmosphère ou bien qu’ils soient dans le ciel,

rejoins-les vite, ô vainqueur de tes ennemis. »

11. Yayāti lui dit :

« Les gens tels que nous, qui ne sont pas brahmanes, mais connaissent le Brahman,

ne reçoivent pas les cadeaux, ô le meilleur des rois :

de même qu’il faut toujours donner aux deux-fois-nés,

de même autrefois j’ai été un donateur, ô roi.

12.      Celui qui n’est pas brahmane ne saurait nullement vivre en misérable,

même une femme brahmane dont le mari serait un guerrier ;

si j’agissais comme je ne l’ai pas fait autrefois,

quel bien voudrais-je donc y trouver ? »

13. Pratardana lui dit :

« Je te demande, ô toi dont la beauté est désirable,

si moi, Pratardana, j’ai des mondes,

s’ils sont situés dans l’atmosphère ou bien s’ils sont dans le ciel.

Tu es un expert du Dharma, je pense. »

14. Yayāti lui dit :

« Tu as de nombreux mondes, ô roi,

ruisselants de miel, où se mêle le beurre fondu, exempts de peine :

sans fin ils te protègent,

même en restant dans chacun d’eux sept semaines. »

15. Pratardana lui dit :

« Ne te précipite pas dans ce précipice, je te les donne !

Que les mondes qui sont à moi t’appartiennent,

qu’ils soient situés dans l’atmosphère ou bien qu’ils soient dans le ciel :

rejoins-les vite, et oublie ton égarement. »

16. Yayāti lui dit :

« Aucun roi juste, ayant le même éclat que moi, ne saurait souhaiter

la prospérité par faveur, ô roi :

le sage qui tomberait dans l’infortune sur ordre des Dieux

ne saurait en aucun cas, ô roi, s’engager dans une action vile.

17.      Un roi raisonnable doit suivre la voie du Dharma

qui donne la gloire en ayant égard au Dharma :

ce n’est pas quelqu’un comme moi, qui songe au Dharma, qui a du discernement,

qui agirait aussi lamentablement que tu me le dis.

18.      Je ferais ce que je n’ai pas fait jadis et qui n’est pas fait par les autres ?

Quel bien voudrais-je donc alors  connaître? »

Quand le roi Yayāti lui eut ainsi parlé,

L’excellent roi Vasumanas lui dit :

 

1. 88. Vasumanas offre à Yayāti les mondes qui lui reviennent contre un brin d’herbe. Yayāti refuse. Śibi offre à Yayāti les mondes qui lui reviennent. Yayāti refuse. Cinq chars d’or apparaissent. Ils y montent tous les cinq et gagnent le ciel. Le char de Śibi les dépasse tous : c’est normal, c’est le plus généreux. Yayāti se fait reconnaître de ses petits-fils.

Livre I, chapitre 88.

 

1. Vasumanas lui dit :

« Moi, Vasumanas, fils de Rauśadaśvi, je te demande

s’il y a dans le ciel un monde qui soit à moi, ô roi,

s’il y en a un de connu dans l’atmosphère, roi au grand cœur.

Tu es un expert du Dharma, je pense. »

2. Yayāti lui dit :

« Autant il y a d’atmosphère, de Terre et d’espace,

et que le Soleil réchauffe de son éclat,

autant il existe de mondes dans le ciel :

sans fin ils te protègent. »

3. Vasumanas lui dit :

« Ne te précipite pas dans ce précipice, je te les donne,

que les mondes qui sont à moi t’appartiennent !

Achète-les avec un simple brin d’herbe, ô roi,

si vraiment accepter un cadeau est pour toi une souillure. »

4. Yayāti lui dit :

« Je ne me souviens pas d’une vente déloyale

que j’aurais faite indûment, l’esprit méfiant, avec un enfant.

Je ferais ce qui jadis n’a pas été fait par les autres non plus ?

Quel bien voudrais-je donc alors  connaître? »

5. Vasumanas lui dit :

« Accepte ces mondes, ô roi,

je te les donne si tu ne désires pas les acheter :

moi, je ne vais pas y aller, ô roi.

Que tous ces mondes soient à toi ! »

6. Śibi lui dit :

« Moi, Śibi, fils d’Uśīnara, je te demande

si pour moi aussi il y a des mondes ici-bas, mon ami,

s’ils sont situés dans l’atmosphère ou bien s’ils sont dans le ciel.

Tu es un expert du Dharma, je pense. »

7. Yayāti lui dit :

« Ni en parole ni dans ton cœur, ô sage,

tu n’as eu de mépris pour un solliciteur, ô roi :

c’est pourquoi des mondes en nombre infini te sont réservés dans le ciel,

rayonnants d’éclair, retentissants, immenses. »

8. Śibi lui dit :

« Accepte ces mondes, ô roi,

je te les donne si tu ne désires pas les acheter.

Je n’irai pas là-bas après te les avoir donnés :

tu en es venu et tu retournes vers ces mondes. »

9. Yayāti lui dit :

« De même que tu es aussi majestueux qu’Indra,

et que les mondes sont pour toi, ô dieu parmi les hommes, en nombre infini,

de même aujourd’hui les mondes ne me plaisent pas s’ils sont donnés par un autre :

c’est pourquoi, ô Śibi, ton offre ne me plait pas. »

10. Aṣṭaka lui dit :

« L'un après l'autre, ô roi, tu n’agrées aucun de nos mondes.

Nous t’avons tout offert, Seigneur, et nous, nous allons aller en enfer. »

11. Yayāti lui dit :

« Donnez à celui qui le mérite, car vous êtes justes et bons.

Mais moi je n’ose pas faire ce que je n’ai pas fait jadis. »

12. Aṣṭaka lui dit :

« A qui sont ces cinq chars d’or qui apparaissent

dans les hauteurs ? Ils sont resplendissants et flamboient comme des aigrettes de feu. »

13. Yayāti lui dit :

« Ils vous transporteront, ces cinq chars d’or,

dans les hauteurs. Ils sont resplendissants et flamboient comme des aigrettes de feu. »

14. Aṣṭaka lui dit :

« Monte sur ce char, ô roi, et avance dans le ciel,

et nous, nous te suivrons quand il sera temps. »

15. Yayāti lui dit :

« Nous devons tous partir maintenant, nous avons ensemble conquis le ciel ;

cette voie pure qui nous apparaît mène à la demeure des dieux. »

16. Vaiśampāyana dit :

« Ces excellents princes montèrent tous sur les chars et partirent ;

ils allèrent au ciel dans des gerbes de lumière, couvrant le Paradis et la Terre de leur Dharma. »

17. Aṣṭaka dit :

« Moi, je pense, je suis parti seul en premier,

et de toutes façons Indra au grand cœur est mon ami.

Pourquoi alors Śibi, le fils d’Uśīnara, que voici

est-il parti seul, en passant à toute vitesse ? »

18. Yayāti lui dit :

« Il a donné, pour aller chez les Dieux, tous les biens qu’il avait acquis

le fils d’Uśīnara : c’est pourquoi Śibi est le meilleur d’entre nous.

19.      L’aumône, l’ascèse, la véracité, et aussi le Dharma,

la pudeur, la prospérité, la patience, mon cher, de même que l’endurance,

ces choses, ô roi, appartiennent au roi incomparable,

à Śibi à l’esprit doux ;

et puisque il se comporte ainsi, sans être arrêté par la pudeur,

Śibi est passé devant avec son char. »

20. Vaiśampāyana dit :

« Aṣṭaka posa encore une nouvelle question,

plein de curiosité, à son grand-père maternel, pareil à Indra :

« Je t’interroge, ô roi, dis-moi la vérité :

d’où viens-tu ? A qui es-tu ? De qui es-tu le fils ?

Ce que tu as fait, il n’y a personne d’autre que toi qui l’ait fait

en ce monde, qu’il soit noble guerrier ou brahmane. »

21. Yayāti lui dit :

« Je suis Yayāti, le fils de Nahuṣa,

le père de Pūru, et j’étais ici-bas l’empereur.

Je dis mon secret aux miens,

je me révèle à vous, seigneurs, comme votre grand-père maternel.

22.      J’ai conquis toute cette Terre,

et, après les avoir attachés sur le plateau d’une montagne, j’ai offert aux brahmanes

des chevaux sacrificiels, aux sabots uniques, très beaux ;

alors les Dieux eurent part à la joie.

23.      J’ai offert la Terre aux brahmanes,

toute cette Terre pleine de chevaux,

avec ses vaches, son or et ses plus belles richesses ;

il y avait là des vaches, par centaines de millions.

24.      C’est par la vérité que le ciel et la Terre nourricière sont miens,

et que le feu flamboie parmi les hommes,

et ma parole n’est pas prononcée vainement,

car les justes vénèrent la vérité,

et tous les dieux, et les anachorètes, et les mondes

doivent être vénérés en fonction de la vérité : c’est ma conviction.

25. Celui qui ferait savoir comment nous tous avons conquis le paradis

pourrait, sans susciter l’envie, partager notre séjour avec l’élite des deux-fois-nés. »

26. Vaiśampāyana dit :

« C’est ainsi que ce roi au si grand cœur,

ce vainqueur de ses ennemis, fut sauvé par ses petits-fils ;

il quitta la Terre, couvert de la gloire de ses exploits,

il gagna le paradis, après avoir rempli le monde de ses exploits. »

 

 

 

1. 89. Généalogie des Pāṇḍava : de Pūru à Saṃvaraṇa. Durant le règne de Saṃvaraṇa de nombreux désastres se produisent. Attaqué par ses ennemis, Saṃvaraṇa fuit et se réfugie dans la forêt. Il prend Vasiṣṭha comme chapelain et reconquiert son royaume. Généalogie de Saṃvaraṇa à Śāṃtanu. 

Livre I, chapitre 89.

 

1. Janamejaya dit :

« Bienheureux, je désire connaître les princes fondateurs de la lignée de Pūru,

quels héros ils étaient et de quelle sorte, en quel nombre, et quels furent leurs exploits.

2. Car il n’y figure pas de roi qui ait manqué de vertu, ou de courage,

ou qui ait jamais été privé de descendance dans les temps anciens.

3. Ces rois aux aventures célèbres et pleins de discernement,

je désire en entendre la geste en détails, ô ascète. »

4. Vaiśampāyana dit :

« Eh bien, je te dirai ce que tu me demandes,

les héros continuateurs de la lignée de Pūru dont l’éclat est semblable à celui de Śakra.

5. Pravīra, Īśvara et Raudrāśva, trois grands auriges, furent les fils

que Pūru engendra avec Pauṣṭī : Pravīra fut le fondateur de la lignée.

6. Manasyu fut le fils qu’il eut avec Śyenī, un seigneur hardi,

le protecteur aux yeux bleus comme le lotus de la Terre aux quatre frontières.

7. Subhru, Saṃhanana et Vāgmin, tous trois issus de Sauvīrī,

furent les fils de Manasyu : ils étaient tous hardis, de grands auriges.

8. Raudrāśva eut dix fils, maîtres archers, avec une Apsaras ;

ils devinrent des sacrificateurs hardis, prolifiques et très célèbres,

tous experts en toutes sortes d’armes, tous ne songeant qu’au Dharma :

9. Ṛcepu, Kakṣepu, et le vaillant Kṛkaṇepu,

Sthaṇḍilepu, et Vanepu, et Sthalepu un grand aurige,

10. le puissant Tejepu et le sage Satyepu pareil à Indra par son courage,

Dharmepu et Saṃnatepu le dixième, pareil aux Dieux par son courage.

Les fils d’Anādhṛṣṭi, mon fils, célébrèrent l’onction royale et le sacrifice du cheval.

11. Le sage Matināra, ô roi, fut le fils de Ṛcepu ;

Matināra, ô roi, eut quatre fils d’un héroïsme sans bornes,

Taṃsu, Mahat, Atiratha et Druhyu à la splendeur sans égale.

12. Parmi eux, le très puissant Taṃsu continua la dynastie des Paurava

il lui apporta une gloire resplendissante et il conquit la Terre nourricière.

13. Le vaillant Taṃsu engendra un fils, Ilina.

Il était le meilleurs des conquérants et lui aussi conquit la Terre entière.

14. Puis, Rathaṃtari cinq fils, semblables aux cinq éléments,

furent engendrés par Ilina, en commençant, ô roi, par Duḥṣanta :

15. Duḥṣanta, Śūra et Bhīma, Prapūrva et aussi Vasu.

L’aîné était le roi Duḥṣanta, ô Janamejaya.

16. De Duḥṣanta naquit, de Śakuntalā, le sage Bharata, ô roi :

c’est grâce à lui que se répandit la grande gloire de la lignée des Bhārata.

17. Bharata avec ses trois épouses engendra neuf fils,

mais le roi ne les reconnut pas : « Ils ne me ressemblent pas ! ».

18. Alors Bharata offrit de grands sacrifices,

et il prit un fils à Bharadvāja, nommé Bhumanyu, ô Bhārata.

19. Alors le descendant de Pūru considéra qu’il avait un fils,

et il conféra à Bhumanyu le titre de prince héritier, ô le meilleur des Bhārata.

20. Alors, ce seigneur de la Terre eut un jeune fils, Vitatha ;

alors ce dénommé Vitatha devint le fils de Bhumanyu.

21. Suhotra, Suhotṛ, Suhavis ainsi que Suyajus

furent par Puṣkariṇī les fils de Bhumanyu Ṛcīka.

22. L’aîné des princes, Suhotra, obtint la royauté,

et il offrit de nombreux sacrifices de soma, des cérémonies de consécration royale, des sacrifices du cheval, etc.

23. Suhotra jouit de toute la Terre qui se revêt de l’Océan,

pleine d’éléphants, de vaches et de chevaux, remplie d’une abondance de pierres précieuses.

24. La grande Terre était comme engloutie, écrasée par son pesant fardeau,

toute remplie d’éléphants, de chevaux et de chars, complètement envahie par les hommes.

25. Quand Suhotra était roi, il gouvernait ses sujets selon le Dharma,

et la Terre était marquée d’arbres sacrés et de poteaux sacrificiels par centaines de milliers,

les hommes et les moissons y prospéraient, et elle brillait en compagnie des Dieux.

26. Aikṣvākī, avec le roi Suhotra, enfanta

Ajamīḍha, Sumīḍha et Purumīḍha, ô Bhārata.

27. Ajamīḍha était le meilleur d’entre eux, avec lui la dynastie se prolongea ;

il engendra aussi six fils avec ses trois femmes, ô Bhārata.

28. Dhūminī enfanta Ṛkṣa, Nīlī Duḥṣanta et Parameṣṭhin, 

Keśinī Jahnu ainsi que Jana et Rūpiṇa.

29. Ainsi tous les Pañcāla viennent de Duḥṣanta et Parameṣṭhin,

et la lignée des Kuśika, ô roi, vient de Jahnu à l’éclat sans borne.

30. On dit que Ṛkṣa était un prince de sang meilleur que Jana et Rūpiṇa ;

et de Ṛkṣa naquit Saṃvaraṇa, ô roi, le fondateur de ta lignée.

31. Tandis que Saṃvaraṇa, le fils de Ṛkṣa, régnait sur la Terre nourricière,

il y eut un très grand anéantissement de ses sujets, à ce que nous avons entendu.

32. Car le royaume fut ainsi détruit par toutes sortes de calamités

et frappé par les famines, la sécheresse et les maladies ;

et les forces de leurs ennemis tuèrent aussi les Bhārata.

33. Ils bouleversaient aussi la Terre nourricière avec leur armée d’éléphants, de chariots, de cavaliers et d’infanterie,

et le roi du Pañcāla l’attaqua, conquérant rapidement la Terre,

et avec dix armées complètes il le vainquit au combat.

34. Alors, avec son épouse, avec ses conseillers, avec ses fils, avec ses amis et ses gens,

le roi Saṃvaraṇa s’enfuit donc paniqué.

35. Il alla alors habiter les bocages de la grande rivière Indus,

à la frontière du domaine de la rivière, près de la montagne.

Là les Bhārata vécurent longtemps, en proie à la détresse.

36. Il séjournèrent là un millier d’années ;

puis un sage, le bienheureux Vasiṣṭha, rendit visite aux Bhārata.

37. Quand il arriva, ils allèrent à sa rencontre avec empressement et le saluèrent ;

et tous les Bhārata lui apportèrent alors l’eau d'hommage

et l’offrirent toute au splendide sage, pour l’accueillir avec respect.

38. Il séjourna là huit années, et le roi le choisit alors de lui-même :

« Sois notre chapelain, Seigneur : nous luttons pour notre royaume. »

Vasiṣṭha dit : « OM » et leur en fit la promesse.

39. Alors il consacra la descendance de Pūru pour qu’elle règne sur toute la noblesse guerrière,

qu’elle soit une corne dans toute la Terre ; c’est la tradition qui nous est parvenue.

40. Il s’empara de la grande citadelle qu’habitaient autrefois les Bhārata,

et il fit aussi en sorte que tous les princes apportent à nouveau des tributs.

41. Puis, après avoir recouvré sa Terre, Ājamīḍha à la grande force

offrit des sacrifices avec beaucoup de grands rituels, accompagnés de nombreuses aumônes.

42. Puis de Saṃvaraṇa Tapatī, la fille du Soleil, conçut Kuru

et tous ses sujets le choisirent comme roi car c’était « un connaisseur du Dharma. »

43. C’est par son nom que, sur Terre, devint très célèbre Kurujāṅgala,

« la plaine de Kuru », que le grand ascète rendit sainte par son ascèse.

44. Aśvavat, Abhiṣvat, ainsi que Citraratha et Muni,

et le célèbre Janamejaya, nous avons entendu parler de ses fils ;

ces cinq fils, c’est la sage Vāhinī qui les enfanta.

45. Abhiṣvat eut Parikṣit, et le vaillant Śabalāśva,

Abhirāja et Virāja, et Śalmala à la grande force,

46. Uccaiḥśravas, Bhadrakāra et en huitième, selon la tradition, Jitāri ;

et dans leur lignage ils étaient célèbres par les vertus que montraient leurs actions.

47. Ils étaient sept, Janamejaya et les autres, et les autres étaient également d’une grande force.

Les fils de Parikṣit étaient tous experts dans le Dharma et le profit :

48. Kakṣasena, Ugrasena, le vaillant Citrasena,

Indrasena, Suṣeṇa et Bhīmasena, tels étaient leurs noms.

49. Les fils de Janamejaya sont célèbres sur terre, avec leur grande force :

Dhṛtarāṣṭra l’aîné, Pāṇḍu ainsi que Bāhlīka,

50. et Niṣadha au grand éclat, ainsi que le puissant Jāmbūnada,

Kuṇḍodara, Padāti et Vasāti qui était le huitième selon la tradition.

Tous étaient experts dans le Dharma et le profit, tous trouvaient leur joie dans le bien-être des gens.

51. Puis Dhṛtarāṣṭra fut roi, et ses fils furent Kuṇḍika,

Hastī, Vitarka, Krātha et Kuṇḍala en cinquième,

Haviḥśravas, ainsi que Indrābha et l’invincible Sumanyu.

52. Pratīpa engendra trois fils, ô taureau des Bhārata :

Devāpi, Śāṃtanu et Bāhlīka le grand aurige.

53. Parmi eux Devāpi devint un ermite errant, car il désirait le Dharma,

et Śāṃtanu reçut la Terre avec Bāhlīka le grand aurige.

54. Dans la lignée de Bharata sont nés de courageux et grands auriges,

semblables aux dieux et aux sages, ô roi, en grand nombre, les meilleurs des rois.

55. Il y en eut aussi d’autres, pareils à ceux-là, de grands auriges semblables aux dieux,

issus de la lignée de Manu qui firent prospérer la famille d’Ilā.

 

 

 

 

1. 90. Généalogie de Dakṣa à Śāṃtanu. Résumé des événements récents. Naissance de Bhīṣma et de Vyāsa, de Citrāṅgada et de Vicitravīrya. Mort sans enfants de Citrāṅgada et de Vicitravīrya. On fait appel à Vyāsa qui engendre Pâṇḍu, Dhṛtarāṣṭra et Vidura. Dhṛtarāṣṭra épouse Gândhârî et en a cent fils. Pâṇḍu a deux femmes, Kuntî et Mâdrî. Pâṇḍu, en chassant, tue un couple de gazelles qui s’accouplaient. Maudit par elles, il mourra s’il s’unit à une femme. Kuntî, à la demande de Pâṇḍu, lui procure trois fils : Yudhiṣṭhira avec Dharma, Bhîma avec Vâyu et Arjuna avec Indra. Mâdrî lui procure deux fils, Nakula et Sahadeva, avec les Aśvin. Pâṇḍu veut coucher avec Mâdrî et tombe mort. Mâdrî monte sur son bûcher funéraire. Descendance des Pâṇḍava jusqu’aux petits-fils de Janamejaya.  (=  96 ślokas)

 

Livre I, chapitre 90.

 

1. Janamejaya dit :

« J’ai entendu de toi, ô brahmane, la grande origine de mes aînés

ainsi que les nobles rois qui sont célèbres dans cette lignée.

2. Mais pourquoi, mon cher, ce récit est-il si bref ? Il ne me

satisfait pas encore ; aussi, Seigneur, dis-moi avec beaucoup plus de détails

3. cette histoire divine, à partir de Manu Prajāpati ;

leur sainte origine, à qui ne procurerait-elle pas de plaisir ?

4. Elle est sublime et accrue par la glorification des vertus du Dharma et du Bien,

fortifiant la prospérité et la stabilité de sa gloire dans ces trois mondes.

5. Ces hommes pleins de vertus, de majesté, d’héroïsme, de force, de courage et d’énergie, moi

je ne suis pas rassasié d’entendre leur geste, au goût pareil à l’ambroisie. »

6. Vaiśampāyana lui dit :

« Écoute, ô roi, ce que j’ai exactement entendu jadis de Dvaipāyana,

tout ce qu’il m’a dit de l’éminente généalogie de ta lignée.

7. De Dakṣa, Aditi.

D’Aditi, Vivasvat.

De Vivasvat, Manu.

De Manu, Ilā.

D’Ilā, Purūravas.

De Purūravas, Āyu.

D’Āyu, Nahuṣa.

De Nahuṣa, Yayāti.

8. Yayāti eut deux épouses.

La fille d’Uśanas fut Devayānī, la fille de Vṛṣaparvan s’appelait Śarmiṣṭhā :

il y a une liste généalogique à ce sujet :

9. « Devayānī enfanta Yadu ainsi que Turvasu,

et Śarmiṣṭhā, la fille de Vṛṣaparvan, Druhyu, Anu et Pūru ».

10. Parmi eux, les Yādavās viennent de Yadu,

les Pauravās de Pūru.

11. L’épouse de Pūru avait pour nom Kausalyā ;

d’elle lui naquit un fils du nom de Janamejaya

qui offrit trois sacrifices du cheval ;

et après avoir célébré un sacrifice expiatoire, il entra dans la forêt.

12. Or, Janamejaya épousa une descendante de Madhu, nommée Anantā ;

d’elle lui naquit Prācinvat,

qui vainquit la région de l’Orient le temps d’un lever du Soleil,

d’où son nom de Prācinvat.

13. Or, Prācinvat épousa Aśmakī ;

d’elle lui naquit Saṃyāti.

14. Or, Saṃyāti épousa la fille de Dṛṣadvat, du nom de Varāṅgī ;

d’elle lui naquit Ahaṃpāti.

15. Or, Ahaṃpāti épousa la fille de Kṛtavīrya, du nom de Bhānumatī ;

d’elle lui naquit Sārvabhauma.

16. Or, Sārvabhauma vainquit les Kekaya et prit une de leurs femmes, du nom de Sunandā ;

d’elle lui naquit Jayatsena.

17. Or, Jayatsena épousa une femme du Vidharba, du nom de Suṣuvā ;

d’elle lui naquit Arācīna.

18. Et Arācīna épousa une autre femme du Vidharba, du nom de Maryādā;

d’elle lui naquit Mahābhauma.

19. Or, Mahābhauma épousa une fille de Prasenajit, du nom de Suyajñā ;

d’elle lui naquit Ayutanāyin

qui offrit d’innombrables sacrifices humains,

d’où son nom d’Ayutanāyin.

20. Or, Ayutanāyin épousa la fille de Pṛthuśravas, du nom de Bhāsā ;

d’elle lui naquit Akrodhana.

21. Or, Akrodhana épousa une femme de Kaliṅga, du nom de Karaṇḍu ;

d’elle lui naquit Devātithi.

22. Or, Devātithi épousa une femme du Videha, du nom de Maryādā ;

d’elle lui naquit Ṛca.

23. Or, Ṛca épousa une femme d’Aṅga, du nom de Sudevā ;

d’elle il engendra un fils, Ṛkṣa.

24. Or, Ṛkṣa épousa la fille de Takṣaka, du nom de Jvālā ;

d’elle il engendra un fils du nom de Matināra.

25. Or, Matināra célébra une session sacrificielle de douze ans sur les bords de la Sarasvatī.

26. Et à la fin de la session sacrificielle, Sarasvatī vint vers lui et le choisit pour époux ;

d’elle il engendra un fils du nom de Taṃsu.

27. Il y a une liste généalogique à ce sujet:

28. « Taṃsu est le fils que enfanta Sarasvatī avec Matināra ;

Taṃsu engendra avec Kālindī son propre fils, Ilina. »

29. Ilina avec Rathaṃtari engendra cinq fils, dont le premier est Duḥṣanta.

30. Or, Duḥṣanta épousa la fille de Viśvāmitra, Śakuntalā ;

d’elle il engendra Bharata.

Il y a deux ślokas à ce sujet :

31. « La mère est l’outre du père, quant au fils il est à celui-là même qui l’a engendré.

Prends ton fils en charge, ô Duḥṣanta, ne méprise pas Śakuntalā.

32. Un fils qui conçoit, ô dieu parmi les hommes t’enlève de la demeure de Yama,

et tu es l’auteur des jours de cet enfant : Śakuntalā a dit la vérité. » [30]

33. D’où son nom de Bharata.

34. Or, Bharata épousa une femme des Kāśis, la fille de Sarvasena, du nom de Sunandā ;

d’elle il engendra Bhumanyu.

35. Or, Bhumanyu épousa une femme de Daśārna, du nom de Jayā ;

d’elle il engendra Suhotra.

36. Or, Suhotra épousa une fille d'Ikṣvāku, du nom de Suvarṇā ;

d’elle il engendra Hastin

qui érigea cette ville d’Hāstinapura,

d’où son nom d’Hāstinapura.

37. Or, Hastin épousa une femme de Trigarta, du nom de Yaśodharā ;

d’elle il engendra Vikuṇṭhana.

38. Or, Vikuṇṭhana épousa une femme de Daśārna, du nom de Sudevā ;

d’elle il engendra Ajamīḍha.

39. Ajamīḍha eut vingt-quatre centaines de fils avec Kaikeyī, Nāgā, Gāndhārī, Vimalā et Ṛkṣā.

Ils furent chacun séparément fondateurs de lignées et rois.

Parmi ceux-ci Saṃvaraṇa est le fondateur de la lignée.

40. Or, Saṃvaraṇa épousa la fille de Vivasvat, du nom de Tapatī ;

d’elle il engendra Kuru.

41. Or, Kuru épousa une femme de Daśārna, du nom de Śubhāṅgī ;

d’elle il engendra Viḍūratha.

42. Et Viḍūratha épousa une femme du Magadha, du nom de Sampriyā ;

d’elle il engendra un fils du nom d’Arugvat.

43. Or, Arugvat épousa une femme du Magadha, du nom d’Amṛtā ;

d’elle il engendra Pārikṣit.

44. Or, Pārikṣit épousa une femme de Bahuda, du nom de Suyaśā ;

d’elle il engendra Bhīmasena.

45. Or, Bhīmasena épousa une femme de Kekaya, du nom de Sukumārī ;

d’elle il engendra Paryaśravas,

à qui on donne le nom de Pratīpa.

46. Or, Pratīpa épousa une femme des Śibayas, du nom de Sunandā ;

d’elle il engendra des fils : Devāpi, Śaṃtanu et Bāhlīka.

47. Or, Devāpi alors qu’il était jeune partit dans la forêt,

et Śāṃtanu devint roi.

Il y a une liste généalogique à ce sujet.

48. Toute personne âgée qu’il touche de ses mains parvient au bonheur

et redevient jeune : c’est pourquoi on le connaît sous le nom de Śāṃtanu.

49. D’où son nom de Śāṃtanu.

50. Or, Śāṃtanu épousa Gaṅgā de Bhagīratha ;

d’elle il engendra Devavrata,

que l’on appelle Bhīṣma.

51. Or, Bhīṣma, désirant faire une faveur à son père, lui apporta Satyavatī, la mère

que l’on appelle Gandhakālī.

52. D’elle Parāśara eut comme enfant Dvaipāyana alors qu’elle était encore jeune fille.

D’elle encore Śāṃtanu eut aussi deux fils,

Citrāṅgada et Vicitravīrya.

53. De ceux-ci, Citrāṅgada fut tué par un Gandharva alors qu’il était encore jeune.

Et Vicitravīrya devient roi.

54. Or, Vicitravīrya épousa les deux filles du roi de Kāśi, filles de Kausalyā, Ambikā et Ambālikā.

55. Mais Vicitravīrya trouva la mort sans avoir de descendance.

56. Aussi Satyavatī pensa :

« La lignée de Duḥṣanta est anéantie ! »

57. Elle songea au sage Dvaipāyana [31].

58. Il apparut devant elle et lui dit : « Que dois-je faire ? ».

59. Elle lui dit :

« Ton frère Vicitravīrya est parti au ciel sans avoir de descendance.

Saint homme, fais lui naître une descendance ! ».

60. « Volontiers » lui dit-il, et il fit naître trois fils: Dhṛtarāṣṭra, Pāṇḍu et Vidura.

61. Parmi eux, le roi Dhṛtarāṣṭra eut cent fils avec Gāndhārī, grâce à la faveur de Dvaipāyana.

62. Parmi les fils de Dhṛtarāṣṭra quatre se distinguèrent : Duryodhana, Duḥśāsana, Vikarṇa et Citrasena.

63. Pāṇḍu eut deux épouses, Kuntī et Mādrī : toutes deux étaient des perles parmi les femmes.

64. Un jour Pāṇḍu était parti à la chasse, et il vit un sage en train de copuler avec une antilope.

Alors qu’il était plongé en elle et qu’il ne s’était pas encore satisfait, son désir n’ayant pas encore répandu son suc, Pāṇḍu le frappa d’une flèche.

65. Blessé par la flèche, il dit à Pāṇḍu :

« Puisque toi, qui te conduis selon le Dharma et connais le suc du désir, tu m’as frappé sans que j’aie pu obtenir le suc du désir, toi aussi quand tu te trouveras dans cette situation, sans avoir pu obtenir le suc du désir, tu rejoindras aussitôt les cinq éléments. »

66. Blême, Pāṇḍu évita la malédiction et ne s’approcha pas de ses épouses.

67. Et il dit cette parole :

« C’est par ma propre étourderie que je subis cela.

Et j’entends dire que celui qui est sans descendance n’a pas de mondes. »

68. « Toi, enfante des fils pour moi » dit-il à Kuntī.

69. Alors celle-ci enfanta des fils : Yudhiṣṭhira avec Dharma, Bhīmasena avec le Maître des vents, Arjuna avec Śakra.

70. Frémissant de joie, Pāṇḍu lui dit :

« Ta co-épouse est sans descendance :

qu’une bonne descendance soit engendrée en elle. »

71. « D’accord » lui dit Kuntī.

72. Et avec Mādrī les Aśvin engendrèrent Nakula et Sahadeva.

73. Or, Pāṇḍu, voyant Mādrī avec ses parures, tomba amoureux.

74. A peine l’eut-il touchée qu’il trouva la mort.

75. Alors, quand il fut sur le bûcher funéraire, Mādrī y grimpa.

76. Elle dit à Kuntī :

« La noble dame doit s’occuper des deux jumeaux sans les négliger. »

77. Puis les cinq Pāṇḍava, en compagnie de Kuntī, furent amenés à Hāstinapura par des ascètes et présentés à Bhīṣma et Vidura.

78. Là, dans la maison de laque, ils étaient censés brûler, mais ce ne fut pas possible grâce au conseil de Vidura.

79. Et ensuite, après avoir entre temps tué Hiḍimba, ils allèrent à Ekacakrā.

80. Dans la ville d’Ekacakrā ils tuèrent un Rākṣasa du nom de Baka, et ils allèrent vers la ville des Pañcāla.

81. Ainsi, ils prirent Draupadī pour épouse et ils retournèrent sains et saufs dans leurs terres.

82. Et ils engendrèrent des fils :

Yudhiṣṭhira Prativindhya,

Ventre-de-loup Sutasoma,

Arjuna Śrutakīrti,

Nakula Śatānīka,

Sahadeva Śrutakarman.

83. Or Yudhiṣṭhira obtint la fille de Govāsana, descendant de Śibi, du nom de Devikā, qui le choisit pour époux.

Avec elle il engendra un fils du nom de Yaudheya.

84. Bhīmasena épousa aussi une femme de Kāśi, du nom de Baladharā, comme prix de sa vaillance.

Avec elle il engendra un fils du nom de Sarvaga.

85. Or, Arjuna alla à Dvāravatī et prit pour femme la sœur de Vāsudeva, nommée Subhadrā.

Avec elle il engendra un fils du nom d’Abhimanyu.

86. Nakula prit pour épouse une femme de Cedi, du nom de Kareṇuvatī.

Avec elle il engendra un fils du nom de Niramitra.

87. Sahadeva épousa une femme de Madra, nommée Vijayā qui le choisit pour époux.

Avec elle il engendra un fils du nom de Suhotra.

88. Or Bhīmasena auparavant avait engendré avec la Rākṣasa Hiḍimbā un fils nommé Ghaṭotkaca.

89. Voilà donc les onze fils des Pāṇḍava.

90. Abhimanyu épousa la fille de Virāṭa, nommée Uttarā.

D’elle lui naquit un foetus mort-né.

91. Pṛthā  le prit dans son giron sur l’ordre de Vāsudeva, le meilleur des humains.

« Je ressusciterai ce fœtus de six mois ! ».

92. Et après l’avoir ressuscité, il dit :

« Étant né d’une famille diminuée, que son nom soit Pārikṣit. »

93. Or, Parikṣit épousa une certaine Mādravatī.

D’elle il eut Janamejaya.

94. Or Janamejaya eut deux fils avec Vapuṣṭamā : Śatānīka et Śaṅku.

95. Or Śatānīka épousa une femme de Videha.

D’elle lui naquit un fils, Aśvamedhadatta.

96. J’ai donc ainsi énuméré la lignée de Pūru et des Pāṇḍava.

Après avoir écouté cette lignée de Pūru, on est libéré de tous les maux.

 

 

 

1. 91. Histoire de Mahâbhiṣa et naissance de Bhīṣma. Mahâbhiṣa, un roi de la lignée d’Ikṣvâku, est monté au ciel. Gaṅgā vient saluer Brahmā, quand le vent soulève sa jupe. Tout le monde détourne le regard, sauf Mahâbhiṣa. Brahmā le condamne à retourner sur terre : il choisit Pratîpa pour père. Gaṅgā rencontre les Vasu, abattus : ils ont été maudits par Vasiṣṭha, condamnés à renaître dans une matrice humaine. Ils demandent à Gaṅgā d’être leur mère et de les enfanter avec Śāṃtanu, le futur fils de Pratîpa. Elle devra les jeter dans l’eau au fur et à mesure qu’ils naîtront, afin qu’ils ne restent pas trop longtemps sur terre. Gaṅgā demande qu’un fils au moins puisse être épargné pour Śāṃtanu. Ils acceptent à condition que ce fils reste sans enfant.  (=  22 ślokas)

 

Livre I, chapitre 91.

 

1. Vaiśampāyana dit :

« Il y avait un roi, un seigneur de la Terre, issu de la lignée d’Ikṣvāku,

connu sous le nom de Mahābhiṣa, aux paroles de vérité, tirant sa puissance de la vérité.

2. Celui-ci, grâce à un millier de sacrifices du cheval et une centaine de sacrifice du soma,

satisfit le roi des dieux, et ce seigneur gagna ainsi le ciel.

3. Et un jour, les dieux honoraient Brahmā.

Là il y avait des sages de sang royal, et ce roi Mahābhiṣa.

4. Alors Gange, la meilleure des rivières, s’approcha de l’Aïeul.

Son vêtement à l’éclat de lune fut agité par le vent.

5. Alors la troupe des dieux baissa immédiatement  la tête ;

mais Mahābhiṣa, le sage de sang royal, n’hésita pas à regarder la rivière.

6. Mahābhiṣa fut méprisé par le bienheureux Brahmā

qui lui dit : « Tu renaîtras parmi les mortels et tu retrouveras les mondes. »

7. Le roi considéra tous les rois ascètes,

et il choisit pour père le très-splendide Pratīpa.

8. La rivière, vit le roi Mahābhiṣa expulsé de sang-froid,

et la meilleure des rivières s’en retourna tandis qu’il récitait dans son esprit.

9. Semblant s’éclipser comme la Lune, leur énergie anéantie par le désespoir,

elle vit sur son chemin les divins Trésors célestes.

10. Les voyant aussi mal en point, la meilleure des rivières leur demanda :

« Pourquoi êtes-vous si mal en point ? N’y a-t-il pas du bonheur pour les dieux célestes ? »

11. Les divins Trésors lui dirent : « Nous avons été maudits, ô grande rivière,

pour une petite faute, furieusement, par Vasiṣṭha au grand cœur.

12. Dans notre égarement, nous nous sommes tous trop approchés, du meilleur des sages qui était caché,

de Vasiṣṭha qui était assis pour sa prière du soir.

13. Dans sa colère il nous a maudit : « Que vous naissiez dans une matrice ! ».

Il n’est pas possible de faire autrement de ce qui a été dit par un enseignant du Veda.

14. Aussi, transforme-toi en humaine sur Terre et enfante les Trésors comme tes fils :

nous ne saurions entrer dans le ventre impur d’une humaine...  ».

15. A ces mots, Gange leur dit « Qu’il en soit ainsi ! », et elle leur dit ensuite :

« Parmi les mortels, qui sera le meilleur des hommes qui deviendra votre géniteur ? »

16. Les Trésors lui dirent :

« Le fils de Pratīpa, un roi vertueux du nom de Śāṃtanu,

sera celui qui, dans le monde des humains, sera notre géniteur. »

17. Gange leur dit :

« C’est aussi ma résolution, ô Dieux pourfendeurs de l’orgueil, comme vous avez dit.

Je lui ferai une faveur et ce que vous désirez. »

18. Les Trésors lui dirent :

« Les garçons qui lui seront nés, veuille les jeter dans les eaux,

afin que notre expiation ne dure pas trop longtemps, ô toi qui sillonnes les trois mondes. »

19. Gange leur dit :

« Je ferai cela ; qu’on lui donne un fils

afin que son union avec moi pour avoir un fils ne soit pas vaine. »

20. Les Trésors lui dirent :

« Nous offrirons un par un la moitié du quart du sperme.

Avec ce sperme que te naisse un fils qui corresponde à son désir.

21. Mais parmi les mortels il n’aura pas à son tour une descendance.

C’est pourquoi son fils sera sans fils, malgré sa virilité. »

22. Vaiśampāyana dit :

« Ainsi les Trésors firent cette convention avec Gange,

et ils partirent immédiatement, l’esprit joyeux, selon leur volonté.

 

 

 

1. 92. Pratîpa fait ses dévotions au bord de la Gaṅgā. Gaṅgā prend forme humaine, s’assied sur sa cuisse droite, se présente comme une créature céleste et lui demande de l’aimer. Pratîpa refuse : la cuisse droite est la place d’une belle-fille, pas celle d’une maîtresse. Elle épousera donc son fils à naître. Gaṅgā accepte, mais ce fils ne devra pas connaître son origine, ni poser de questions sur ce qu’elle fera. Naissance de Śāṃtanu, réincarnation de Mahâbhiṣa. Pratîpa lui annonce qu’une créature céleste viendra l’aimer. Śāṃtanu devient roi. Un jour, en chassant sur les bords de la Gaṅgā, il voit une créature splendide et en tombe amoureux. Celle-ci accepte d’être à lui, à condition qu’il ne pose aucune question sur qui elle est ni sur ce qu’elle pourrait faire et qu’il ne proteste pas. Ainsi Gaṅgā devient la femme de Śāṃtanu, et c’est la passion entre eux. Elle a sept fils, et jette chacun d’eux à sa naissance dans la Gaṅgā en disant “Je te fais une faveur”. Śāṃtanu, lié par sa promesse, n’ose rien demander. A la naissance du huitième, Śāṃtanu proteste : “Ne le tue pas !”. Gaṅgā lui dit qu’il pourra garder ce fils, mais qu’elle devra le quitter : il a rompu le pacte. Elle lui explique pourquoi elle faisait cela.  (=  55 ślokas)

 

Livre I, chapitre 92.

1. Vaiśampāyana dit :

« Le roi Pratīpa donc prenait plaisir au bien-être de toutes les créatures.

Il était allé sur la rive de Gange et il y resta assis pendant de nombreuses années à prier à voix basse.

2. Gange s’approcha de lui sous une belle forme, semblable à Śrī,

émergeant de cette eau, sous une apparence très désirable.

3. Tandis que le sage de sang royal étudiait, la Sereine à la beauté céleste

et au visage rayonnant vint sur sa cuisse droite qui était pareille à un arbre śāl.

4. Le roi Pratīpa dit à la Sereine :

« Que dois-je faire, belle demoiselle ? Quelle faveur désires-tu ? »

5. La femme lui dit :

« C’est toi que je désire, ô roi, le meilleur des Kuru : possède-moi !

Celui qui renonce aux femmes pleines de désir doit être blâmé par les justes. »

6. Pratīpa lui dit :

« Femme au teint clair, je ne saurais aller par désir avec la femme d’un autre

ou appartenant à une autre caste, belle demoiselle : sache que c’est là mon vœu conforme au Dharma. »

7. La femme lui dit :

« Je ne suis pas inférieure, ni inaccessible, on n’a à aucun moment à parler de moi !

Possède-moi, je suis ta possession, ô roi, je suis une jeune fille, une noble femme. »

8. Pratīpa lui dit :

« La faveur que tu me demandes est pour moi une transgression.

Autrement, si je l’acceptais, ma profanation du Dharma me ferait périr.

9. Tu prends ma cuisse droite pour te coller à moi, ô belle femme :

sache, demoiselle, que c’est là le siège de mes enfants ou de mes brus.

10. La place d’une maîtresse est à gauche, et tu l’as écartée.

C’est pourquoi je ne réaliserai pas ton désir, ô belle femme.

11. Sois ma bru, ô charmante, je te choisis pour mon fils :

viens, femme aux belles cuisses, et prends le côté de la bru. »

12. La femme lui dit :

« Qu’il en soit ainsi, puisque tu connais le Dharma : que je sois unie à ton fils.

C’est bien par amour pour toi que j’aimerai la célèbre lignée des Bharata.

13. Et des rois qui sont sur Terre, vous êtes le refuge suprême.

Je ne pourrais dire vos mérites, même au bout de centaines d’années :

vous êtes l’élite de votre lignée et votre excellence est insurpassable.

14. Qu’il soit ignorant de ma naissance et de ce que je pourrais faire, ô puissant,

et que ton fils ne cherche pas à comprendre tout cela, à aucun moment !

15. En vivant avec ton fils, je ferai croître son plaisir,

et par ses fils, ses actes pieux et ses faveurs, ton fils gagnera le ciel. »

16. Vaiśampāyana dit :

« Après lui avoir dit « D’accord », ô roi, elle disparut sur le champ :

elle attendait la naissance du fils, et le roi s’en tint à cela.

17. Or, pendant ce temps, Pratīpa, ce taureau parmi les nobles guerriers,

se livra à des ascèses en compagnie de sa femme pour avoir un fils, ô fils de Kuru.

18. Un fils leur naquit malgré leur grand âge, Mahābhiṣa.

Sa progéniture était d’un homme paisible : c’est pourquoi il fut surnommé Śāṃtanu.

19. Et songeant aux mondes impérissables qu’il avait conquis par ses exploits,

Śāṃtanu devint ainsi un homme aux actions pieuses, ô le meilleur des Kuru.

20. Pratīpa instruisit son fils Śāṃtanu quand il fut devenu un jeune homme :

« Jadis une femme m’aborda, Śāṃtanu, pour ton salut.

21. Si cette femme au teint clair s’approchait de toi en secret, mon fils,

une femme divine, pleine d’une beauté suscitant le désir, par désir d’avoir un fils,

tu ne dois pas lui demander : « Qui es-tu ou qui sont tes parents, femme ? »

22. Et sur toute action qu’elle pourrait faire, tu ne dois pas l’interroger, fils irréprochable ;

conformément à mes instructions, chéris-la comme elle te chérira. » Ainsi lui parla-t-il.

23. Après avoir fourni ces indications à son fils Śāṃtanu, Pratīpa

lui donna alors l’onction royale dans son propre royaume, et le roi alla dans la forêt.

24. Le sage roi Śāṃtanu était sur terre un célèbre archer,

et il devint chasseur, parcourant sans cesse la forêt.

25. Cet excellent roi, après avoir massacré des gazelles aussi bien que des buffles,

suivait seul la rivière Gange, qu’hantent les Accomplis et les chanteurs célestes.

26. Un jour ce grand roi vit une femme sublime,

au corps flamboyant, pareille à Śrī incarnée en lotus [32],

27. absolument sans défaut, avec de belles dents, parée de bijoux divins,

portant un vêtement fin, seule, ayant l’éclat d’un cœur de lotus.

28. En la voyant il frissonna, abasourdi par la splendeur de sa beauté.

C’était comme si ce prince la buvait des yeux sans se rassasier.

29. Et quand elle vit marcher le roi glorieux,

frémissante, elle ne se rassasiait pas de la tendresse amoureuse qui lui venait.

30. Alors le roi lui parla, la rassurant de sa voix douce :

« Es-tu une déesse, ou une Dānava, ou même une Gandharva, ou une Apsara ?

31. Ou une yakṣa ou encore une serpente, ou une humaine, femme à la taille fine ?

Qui que tu sois, ô toi qui sembles un rejeton des dieux, sois ma femme, ma belle ! »

32. Entendant cette parole douce et gracieuse, que le roi accompagnait d’un sourire,

elle pensa à l’accord qu’elle avait avec les Trésors et s’approcha de lui innocemment.

33. Et elle parla au roi, enchantant son esprit par sa voix :

« Je serai, ô roi, ta première reine soumise.

34. Mais ce que je pourrais faire, ô roi, que cela te soit agréable ou désagréable,

tu ne devras ni m’en empêcher ni m’interroger dessus : ce serait un affront.

35. Si tu procèdes ainsi, j’habiterai avec toi, ô roi.

Mais si tu m’empêchais et me parlais en m’offensant, je te quitterais assurément. »

36. Le roi lui dit alors : « D’accord ! », ô le meilleur des Bhārata.

Et elle connut une joie incomparable d’avoir le meilleur des princes.

37. Et Śāṃtanu s’approcha d’elle et jouit d’elle comme il le désirait, restant maître de soi,

songeant qu’il ne fallait pas l’interroger, et ne lui disant rien.

38. Et par sa manière de se comporter, par l’excellence de sa beauté et de sa noblesse,

et par des attentions secrètes elle contenta le roi.

39. Car Gange, la déesse à la beauté divine, la rivière au triple cours,

avait pris la forme humaine d’une femme au teint clair, Seigneur.

40. Elle devint une épouse attentive aux ordres de celui dont le désir était lié à son bonheur,

de Śāṃtanu, lion parmi les rois, qui avait le même éclat que le roi des dieux.

41. En le charmant par sa tendresse et les plaisirs charnels, par d’envoutantes danses suggestives,

elle rendait le roi heureux, tout comme le roi la rendait heureuse.

42. Le roi, tout absorbé par le plaisir, était ravi par les qualités de cette femme extraordinaire ;

il ne savait plus les années, les saisons, les mois qui étaient passés en nombre.

43. Faisant l’amour avec elle au gré de son désir, le seigneur des hommes

engendra avec elle huit fils d’une beauté divine.

44. Et chaque fils, elle le jetait à l’eau, ô Bhārata,

en lui disant : « Je te fais une faveur », et elle le noyait dans le flot de Gange.

45. Et cela ne plaisait pas au roi Śāṃtanu,

mais le prince ne lui disait rien, craignant qu’elle ne le quitte.

46. Puis, quand le huitième fils fut né, elle sembla éclater de rire ;

le roi, accablé par le malheur, car il désirait un fils pour lui-même, lui dit :

47. « Ne le tue pas ! Qui es-tu ? De qui es-tu la fille ? Pourquoi assassines-tu nos fils ?

L’infanticide est un très grand mal : ne l’encours pas en t’obstinant dans ce qui est blâmable ! »

48. La femme lui dit :

« Ô toi qui désires un fils, je ne tue pas ton fils, ô le meilleur des pères.

Mais c’en est fait de mon séjour auprès de toi, conformément à l’accord que nous avons fait.

49. Je suis Gange, la fille de Jahnu [33], honorée par la troupe des grands sages.

C’est pour accomplir une affaire dans l’intérêt des dieux que j’ai habité avec toi.

50. Ce sont là les huit Trésors, des dieux bienheureux et très puissants,

réduits à l’état de mortels par la faute de Vasiṣṭha qui les a maudits.

51. On ne leur connaît sur Terre aucun autre géniteur que toi,

de même qu’il n’y a ici-bas aucune nourrice humaine qui me soit semblable.

52. C’est pourquoi je me suis réduite à l’état de mortelle pour être leur mère.

Et en engendrant huit Trésors, tu as vaincu les mondes impérissables.

53. Tel était donc l’accord que j’ai fait entendre aux divins Trésors :

je libérerais chaque enfant de sa condition humaine à mesure qu’ils naîtraient.

54. Ils ont ainsi été délivrés de la malédiction d’Āpava [34] au grand cœur.

Salut à toi ! Je vais partir. Protège ton fils qui sera très attaché à ses vœux.

55. La durée de mon séjour était liée à la présence des Trésors.

Comprends que ce fils est issu de moi, il est le Don-de-Gange. »

 

 

1. 93. La malédiction des Vasu. Vasiṣṭha avait obtenu Surabhî, la vache qui exauce les désirs, comme vache sacrificielle. La femme du Vasu Dyaus, un jour, aperçoit Surabhî, et la réclame pour son amie Jitavatî, la fille du roi Uśînara. Dyaus vole la vache. Vasiṣṭha maudit les Vasu et les condamne à renaître sous forme humaine. Les Vasu plaident avec Vasiṣṭha, qui tempère sa malédiction : les Vasu auront une malédiction de courte durée, sauf Dyaus, qui vivra longtemps parmi les hommes et ne connaîtra pas de femme. Gaṅgā avait accepté d’être la mère des Vasu réincarnés, et d’abréger leur existence mortelle en les jetant dans l’eau à leur naissance. Gaṅgā disparaît en emmenant son fils.  (=  46 ślokas)

 

Livre I, chapitre 93.

1. Śāṃtanu lui dit :

« Qui est donc ce nommé Āpava, et quelle est donc la faute des Trésors

qui, par sa malédiction, se sont tous retrouvés dans un corps humain ?

2. Et qu’a donc fait ce garçon Don-de-Gange

qui, à cause de ce qu’il a fait, séjournera lui aussi parmi les hommes ?

3. Les Trésors sont les seigneurs de tous les mondes : alors comment

sont-ils arrivés parmi les hommes ? Dis-le moi, ô fille de Jahnu. »

4. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots, Gange, la déesse, fille de Jahnu, dit

à ce roi, son époux Śāṃtanu, taureau parmi les hommes :

5. « Jadis Varuṇa eut un fils, ô le meilleur des Bhārata,

du nom de Vasiṣṭha, un anachorète connu aussi sous le nom d’Āpava.

6. Il avait un saint ermitage, peuplé d’une multitude d’antilopes et d’oiseaux,

sur le flanc du Meru, le roi des montagnes, couvert de fleurs en toutes saisons.

7. Le fils de Varuṇa, le meilleur des saints, pratiquait là ses ascèses,

ô le meilleur des Bharata, dans une forêt humide, riche en racines et en fruits délicieux.

8. Il y avait une fille de Dakṣa, Surabhī, qui était très orgueilleuse ;

et de Kaśyapa cette déesse enfanta une vache, ô taureau des Bhārata,

9. pour aider l’univers : elle exauçait les désirs de tous, elle était très belle.

Et le fils de Varuṇa au cœur loyal obtint cette vache pour fournir le lait de l’offrande.

10. Et séjournant dans ces solitudes ascétiques, hantées par les anachorètes,

charmantes et pleines de Dharma, cette vache déambulait alors sans crainte.

11. Et un jour, ô taureau des Bhārata, vinrent dans cette forêt

fréquentée par les dieux et les sages divins tous les Trésors, menés par Pṛthu.

12. Avec leurs épouses ils parcouraient cette forêt en tous sens

et faisaient l’amour dans les collines et les bosquets charmants.

13. Or là, ô toi qui par ta démarche est semblable au chef des Trésors, l’épouse d’un des Trésors

à la taille fine, tandis qu’elle marchait dans cette forêt, vit la vache,

celle qui appartenait à Vasiṣṭha l’anachorète, la sublime qui exauce tous les désirs.

14. Elle, pleine de stupeur devant la perfection de sa nature et de ses richesses,

montra la vache à Dyaus, ô toi qui a les yeux d’un taureau vigoureux.

15. Elle était bien engraissée, bonne laitière, avec une belle tête et une belle queue, splendide,

douée de toutes les vertus, d’une nature inégalable.

16. Telles étaient les vertus de celle que la joie des Trésors montra

au Trésor jadis, ô roi des rois, toi qui es la joie des descendants de Pūru.

17. Alors, quand Dyaus vit la vache, ô roi pareil à Indra et au seigneur des éléphants,

il parla à la déesse, en mentionnant sa beauté exceptionnelle :

18. « Cette vache magnifique, ô déesse aux yeux noirs, appartient à un descendant de Varuṇa :

c’est à ce sage, ô femme aux belles hanches, qu’appartient cette forêt magnifique.

19. Le mortel qui boirait son lait délicieux, ô femme à la taille fine,

vivrait dix mille ans, en conservant sa jeunesse. »

20. Entendant cela, ô le meilleur des rois, la déesse à la taille fine,

au corps sans défauts, dit à son époux à l’éclat flamboyant :

21. « J’ai dans le monde des hommes une amie, fille de roi,

portant le nom de Jinavatī, qui a la beauté de la jeunesse.

22. Elle est la fille du sage Uśīnara, un sage de sang royal fidèle à sa parole,

elle est célèbre dans le monde des hommes pour sa beauté parfaite.

23. Je désire pour elle cette vache et son veau, Noble Sire,

apporte-la moi vite, ô toi le meilleur des immortels qui exalte le bien,

24. le temps que mon amie boive de son lait, ô respectueux,

et qu’elle soit la seule des humains à être dépourvue de vieillesse et de maladie.

25. Je t’en prie, Noble Sire, fais cela pour moi, ô irréprochable,

cela nous est cher et il n’y a vraiment rien d’autre qui nous soit plus cher. »

26. Après avoir entendu ces mots de la déesse, dans son désir de lui faire plaisir,

Dyaus emporta alors la vache en compagnie de ses frères, menés par Pṛthu.

27. Alors, ô roi, subjugué par la déesse aux yeux de pétales de lotus,

il fut incapable de considérer l’ardente ascèse de ce sage,

et il emporta alors la vache, sans qu’on remarquât sa disparition.

28. Puis le fils de Varuṇa, après avoir cueilli des fruits, arriva à son ermitage

et il ne vit pas la vache avec son veau dans cette magnifique forêt.

29. Ensuite l’ascète la chercha dans cette forêt,

et malgré ses recherches le très sage anachorète ne trouva pas la vache.

30. Comme il avait des yeux divins, il se rendit compte qu’elle avait été volée par les Trésors.

Il tomba aussitôt sous l’empire de la colère et il maudit alors les Trésors :

31. « Puisque les Trésors m’ont volé ma vache laitière à la belle queue,

eh bien ils naîtront tous assurément parmi les hommes ! »

32. C’est ainsi que le bienheureux, le meilleur des anachorètes, maudit les Trésors.

Āpava était en proie à la colère, ô taureau des Bharata.

33. Et après les avoir maudits, le bienheureux tourna son esprit vers l’ascèse.

C’est ainsi que l’ascète, ô roi, fut l’imprécateur des huit Trésors :

le sage brahmane à la grande puissance était très en colère contre les dieux.

34. Ensuite, les dieux au grand cœur gagnèrent à nouveau l’ermitage,

comprenant qu’ils avaient été maudits, et ils s’approchèrent du sage.

35. Les Trésors tâchaient d’apaiser le sage, ô taureau parmi les rois.

Mais ils n’obtinrent pas ainsi l’apaisement du meilleur des sages,

d’Āpava qui connaissait parfaitement tous les aspects du Dharma, ô tigre parmi les hommes.

36. Et le sage au cœur loyal leur dit : « Vous êtes maudits, vous, Dhara [35] et les autres.

Au bout d’une année vous obtiendrez la délivrance de votre malédiction.

37. Mais celui à cause de qui vous avez été maudits par moi, Dyaus,

séjournera alors dans le monde des humains pendant longtemps, à cause de ce qu’il a fait.

38. Ce que je vous ai dit sous le coup de la colère, je ne veux pas en faire un mensonge.

Cet arrogant n’aura pas non plus de descendance parmi les hommes.

39. Et il aura un cœur loyal, sera expert en toutes sortes de préceptes,

il s’attachera à ce qui est agréable à son père, il s’abstiendra des plaisirs sexuels avec les femmes. »

Ayant ainsi parlé à tous les Trésors, le bienheureux sage s’en alla.

40. Alors les Trésors s’approchèrent ensemble de moi

et ils me demandèrent une faveur, ô roi, et c’est ce que je leur ai fait :

« Chacun de nous qui naîtra, jette-le volontairement dans tes eaux, ô Gange ! »

41. C’est précisément ce que j’ai fait pour ces maudits, ô le meilleur des rois,

pour les délivrer du monde des hommes, exactement comme je l’ai fait.

42. A cause de la malédiction du sage, ô le meilleur des princes, lui seul,

Dyaus, ô roi issu de Bharata, demeurera longtemps dans le monde des hommes. »

43. Après ce récit, la déesse disparut sur le champ

et, emmenant le garçon, elle partit comme elle le désirait.

44. Et c’est sous le nom de Devavrata et de Gāṅgeya que fut connu

ce fils de Śāṃtanu au double nom, qui surpassait Śāṃtanu par ses mérites.

45. Quant à Śāṃtanu, accablé par la peine, il retourna dans son château.

Et moi je célèbrerai les mérites sans bornes de Śāṃtanu,

46. et la grandeur du glorieux prince issu de Bharata

dont l’épopée resplendissante est appelée le Mahābhārata.

 

 

1. 94. Eloge de Śāṃtanu. Un jour, Śāṃtanu s’étonne de voir que les eaux de la Gaṅgā sont particulièrement basses. Il voit un jeune homme qui arrête les eaux avec les flèches de son arc. Le roi ne reconnaît pas son fils, qui disparaît. Gaṅgā se montre à lui avec Bhīṣma, et le lui fait reconnaître comme son fils. Śāṃtanu ramène Bhīṣma dans sa ville et le nomme prince héritier. Le renoncement de Bhīṣma. Śāṃtanu, un jour, voit une jeune fille au parfum extraordinaire : il en tombe amoureux, et la demande à son père, le roi des pêcheurs. Celui-ci pose une condition : que le fils qui naîtra d’elle soit roi et que personne d’autre n’hérite du royaume. Śāṃtanu refuse mais perd goût à l’existence. Interrogé par Bhīṣma sur les raisons de sa tristesse, il répond qu’il s’inquiète de n’avoir qu’un seul fils. Un ministre rapporte à Bhīṣma les conditions posées par le roi des pêcheurs. Bhīṣma va le trouver, et accepte que le fils à naître de Satyavatī soit roi à sa place. Le roi des pêcheurs argue que les fils de Bhīṣma pourraient ne pas tenir sa promesse, et Bhīṣma fait vœu de chasteté. Il ramène Satyavatī à Hāstinapura.  (=  94 ślokas)

 

Livre I, chapitre 94.

1. Vaiśampāyana dit :

« Ainsi ce Śāṃtanu était avisé, honoré par les dieux, les rois et les sages,

d’un cœur loyal, célèbre dans tous les mondes pour sa parole véridique.

2. Contrôle de soi, charité, indulgence, sagesse, modestie, éclat extraordinaire

étaient en permanence chez le noble Śāṃtanu, ô taureau parmi les hommes.

3. Paré ainsi de toutes les vertus, expert dans le Dharma et le profit, ce prince

était le protecteur de la lignée des Bharata et de l’homme de bien.

4. Un cou plissé comme une conque, des épaules larges, pareil à un éléphant en rut,

le Dharma était fermement établi chez lui, supérieur au désir et au profit.

5. Tels étaient les mérites du noble Śāṃtanu, ô taureau des Bharata,

et aucun noble guerrier ne lui était semblable dans le Dharma.

6. Se maintenant dans son Dharma, éminent connaisseur de tout le Dharma,

les rois lui donnèrent l’onction royale pour qu’il soit le roi des rois.

7. Grâce au protecteur des Bharata, les rois se trouvèrent

sans souffrances, ni craintes, ni chagrins, et ils sortaient de leur sommeil dans la douceur.

8. Le monde était alors protégé par des rois qui avaient Śāṃtanu à leur tête.

Grâce à la limitation de toutes les castes, la domination des brahmanes s’accomplissait.

9. La noblesse guerrière servait le brahmane, les roturiers étaient fidèles à la noblesse guerrière,

et les serviteurs, dévoués aux brahmanes et à la noblesse guerrière, servaient les roturiers.

10. C’est dans la charmante Hāstinapura, la ville des Kuru,

qu’il demeura, dispensant son enseignement à la Terre nourricière qu’entoure l’Océan.

11. Il était pareil au roi des dieux, connaisseur du Dharma, vrai dans ses paroles, probe.

Dans sa pratique de la charité, du Dharma et de l’ascèse, il accédait à une extraordinaire prospérité.

12. Il était sans attachement et sans aversion, tel la Lune plaisant à voir,

pareil au Soleil par son éclat, aussi rapide que le vent par sa vitesse,

semblable à la mort par sa fureur, par sa patience pareil à la Terre.

13. On ne tuait pas inutilement les bestiaux ou les porcs, tout comme les antilopes ou les oiseaux,

quand Śāṃtanu était le gardien de la Terre, ô roi.

14. Dans un royaume fondé sur le Dharma et les brahmanes, Śāṃtanu à l’esprit modeste

gouvernait les créatures de la même manière, sans désir et sans attachement.

15. On inaugura alors les rites pour les sacrifices aux dieux, aux vieux sages et aux ancêtres,

et aucun être vivant n’était mis à mort en contradiction avec le Dharma.

16. Pour toutes les créatures, désagréables ou inoffensives,

issues d’une matrice animale, ce roi était un père.

17. Quand le meilleur des seigneurs des Kuru régnait sur les autres rois dans la vertu,

la parole était liée au Vrai, l’esprit relié à la charité et au Dharma.

18. Durant huit seizièmes d’année et quatre fois huit autres

il prit du plaisir avec les femmes, puis il se retira dans la forêt.

19. Avec une telle beauté, une telle pratique, un tel comportement, un tel enseignement,

Gāṅgeya, son fils, fut un Trésor connu sous le nom de Devavrata.

20. Il était expert en toutes sortes d’armes, et parmi les autres princes

il était d’une grande force, d’une grande intelligence, d’un grand courage, d’une grand habileté au char.

21. Un jour qu’ayant percé une antilope d’une flèche, il longeait la rivière Gange, 

le roi Śāṃtanu vit que Bhāgīrathī [36] avait peu d’eau.

22. En la voyant, Śāṃtanu, taureau parmi les hommes, médita :

« Pourquoi donc la meilleure des rivières ne coule pas aujourd’hui comme jadis ? »

23. En cherchant donc la cause, ce prince magnanime vit

un garçon d’une grande beauté, grand, plaisant à regarder,

24. qui, bandant un arc divin comme le dieu destructeur de remparts,

détournait tout le cours de Gange, en l’arrêtant de ses flèches aiguës.

25. Quand il vit la rivière Gange détournée à côté de là par les flèches,

le roi fut stupéfait de voir cet exploit surhumain.

26. Le fils qu’il avait vu jadis juste après sa naissance, Śāṃtanu alors

n’en eut pas le souvenir, malgré sa sagesse, pour le reconnaître comme son fils.

27. Mais lorsqu’il vit son père, il le trompa par sa magie

et après l’avoir ainsi égaré, il disparut aussitôt sur place.

28. Alors, voyant là ce prodige, le roi Śāṃtanu

se douta que ce fût son fils et il dit à Gange : « Fais-le voir ! ».

29. Gange, sublime de beauté, lui fit voir,

en le prenant par la main droite, ce garçon avec sa parure.

30. Parée de ses bijoux, portant un vêtement immaculé,

Śāṃtanu ne reconnut pas sa femme, qu’il avait pourtant vue auparavant.

31. Gange lui dit :

« C’est le huitième fils, ô roi, que jadis tu as engendré avec moi.

Il est à toi, ô tigre parmi les hommes, emmène-le chez toi.

32. Il a étudié les Veda et leurs annexes avec Vasiṣṭha lui-même, il est vaillant,

exercé au maniement des armes, excellent archer, pareil au roi des dieux dans la bataille.

33. Il est estimé toujours des Dieux et des Asuras, ô Bhārata,

et la science que connaît Uśanas, il la connaît en tous points.

34. De même la science que  connaît entièrement le fils d’Aṅgiras,

auquel Dieux et Asuras rendent hommage, repose aussi en lui,

elle est dans ton fils à la grande puissance et au grand cœur, avec ses divisions et ses subdivisions.

35. L’art de l'archer que connaît le sage que ses ennemis ne peuvent approcher, Rāma,

le majestueux fils de Jamadagni [37],  repose aussi en lui.

36. Ce maître archer, ô roi, qui connaît bien l’art de régner, le Dharma et le profit,

ce propre fils que je te donne, ce héros, conduis-le, ô héros, dans ta demeure. »

37. Vaiśampāyana dit :

« Quand elle lui eut donné congé, Śāṃtanu emmena son fils

qui rayonnait comme Āditya, et il alla à son château.

38. Quand le descendant de Pūru fut arrivé dans son château, semblable au château du Destructeur de remparts,

il pensa en lui-même qu’il avait comblé tous ses désirs,

et ainsi il désigna son fils comme prince héritier parmi les descendants de Pūru.

39. Et le très glorieux fils de Śāṃtanu, par sa conduite, se concilia

les Pauravās, son père et le reste du royaume, ô taureau des Bharata.

40. Ainsi, charmé d’être avec son fils, le souverain

à la vaillance sans borne passa quatre ans.

41. Un jour qu’il était allé dans la forêt, non loin de la rivière Yamunā,

le souverain sentit un parfum incomparable et sublime.

42. Cherchant d’où il venait, il allait en tous sens ;

il vit alors une jeune fille de pêcheurs, belle comme une déesse.

43. Quand il l’eut vue, il demanda à la jeune fille aux yeux noirs :

« De qui es-tu la fille ? Et qui es-tu ? Que veux-tu faire, demoiselle ? »

44. Elle lui dit : « Je suis fille de pêcheur, selon le Dharma, et je conduis ce bateau

sur ordre de mon père au grand cœur, le roi des pêcheurs. Salut à toi. »

45. Elle était pleine de beauté, de grâce, elle embaumait, elle avait la beauté d’une déesse.

Et dès qu’il la vit, le roi Śāṃtanu désira la fille du pêcheur.

46. Il alla alors trouver son père et la sollicita ;

il la demanda donc à son père pour lui-même.

47. Le roi des pêcheurs dit au souverain :

« Dès sa naissance, ma fille au teint clair était destinée à être donnée à un époux.

Mais j’ai un désir dans le cœur : écoute-le, seigneur des hommes.

48. Si tu me la demandes comme épouse légitime, ô irréprochable…

tu es sincère, alors conclus sincèrement un accord avec moi.

49. Avec cet accord je pourrais t’accorder cette jeune fille, ô roi,

car je ne trouverai jamais aucun époux qui te soit semblable. »

50. Śāṃtanu lui dit :

« Quand j’aurai entendu ton vœu, pêcheur, je pourrai me décider ou pas.

Si je peux te l’accorder, je te l’accorderai ; mais si ce n’est pas le cas, pas question. »

51. Le pêcheur lui dit :

« Le fils qui naîtrait d’elle serait roi et maître de la Terre

après toi, après avoir reçu l’onction, et il n’y aurait aucun autre roi. »

52. Vaiśampāyana dit :

« Śāṃtanu ne désira pas accorder ce vœu au pêcheur,

bien qu’il brûlât d’une ardente passion, ô Bhārata.

53. Alors, songeant ainsi à la fille du pêcheur, le roi

retourna à Hāstinapura, l’esprit troublé par la peine.

54. Ainsi, un jour que Śāṃtanu était dans la peine, absorbé dans ses pensées ;

son fils Devavrata s’approcha de son père et lui dit ces mots :

55. « En tous points, Seigneur, tu es prospère ; tous les princes te sont soumis.

Pourquoi continuellement te lamentes-tu ici, abattu,

comme perdu dans tes pensées, et pourquoi, ô roi, ne dis-tu rien ? »

56. Ainsi questionné par son fils, Śāṃtanu lui répondit :

« Assurément je suis plongé dans mes pensées tout comme tu l’as dit.

57. Tu es le seul enfant de notre grande lignée, Bhārata,

et impermanentes sont les choses humaines ; c’est pourquoi je suis en peine, mon fils.

58. S’il t’arrivait malheur, Gāṅgeya, nous n’aurions plus aucune lignée.

Assurément tu es mon unique fils, tu vaux mieux qu’une centaine de fils.

59. Et ce n’est pas non plus sans raison que j’ose là prendre davantage d’épouses.

Je le désire à cause du déclin de notre lignée (puisses-tu être prospère…).

« C’est être sans enfants que de n’avoir qu’un seul fils » disent ceux qui parlent selon le Dharma.

60. L’oblation à Agni, les trois Veda, les sacrifices accompagnés d’honoraires,

tout cela ne vaut pas la seizième partie d’un enfant.

61. Il en est sans doute ainsi aussi bien pour les hommes que pour toutes les créatures :

avoir un enfant, ô mon très sage fils, (et je n’ai aucun doute là-dessus)

voilà, parmi les plus éminents récits d’antan, le triple Veda éternel.

62. Et tu es un héros toujours sans merci, aux armes indestructibles, ô Bhārata ;

aussi tu ne saurais connaître la mort, ô irréprochable, autrement que par une arme.

63. Je suis tombé dans cette angoisse : si tu venais à mourir, qu’en serait-il ?

Voilà, je t’ai entièrement dit, mon petit, la raison de ma peine… »

64. Ainsi, quand il sut entièrement dans le détail la raison de cela,

le sage Devavrata s’en alla tout songeur.

65. Alors il alla vite voir un vieux conseiller, ami de son père ;

il s’approcha alors de lui et lui demanda pour quelle raison son père avait de la peine.

66. Comme le chef des Kuru lui posait la question, il lui expliqua

avec exactitude le vœu concernant la jeune fille, ô taureau des Bharata.

67. Alors Devavrata, en compagnie des anciens parmi les nobles guerriers,

alla voir le roi des pêcheurs et demanda lui-même pour son père la jeune fille en mariage.

68. Le pêcheur le reçut et, après l’avoir salué avec respect, comme il convient,

il lui dit ceci, quand il se fut assis dans l’assemblée des rois, ô Bhārata :

69. « Tu es le protecteur parfait de Śāṃtanu, ô taureau parmi les hommes,

le meilleur fils pour ceux qui ont un fils : quelle parole te dirai-je donc ?

70. Car qui ne souffrirait pas de négliger une alliance

louable et convoitée, un tel mariage, l’incarnation en somme du dieu aux cent sacrifices ?

71. C’est là l’enfant d’un homme noble [38] qui est semblable à vous par ses vertus,

et par son sperme s’est manifestée la célèbre Satyavatī.        

72. A maintes reprises, mon garçon, il m’a parlé de ton père :

il est digne d’épouser Satyavatī parmi tous les rois, ô Bhārata.

73. Car même Asita, le sage divin, a été jadis refusé par moi,

car cet excellent sage était très désireux de Satyavatī.

74. Mais en tant que père de la jeune fille je vais te dire quelque chose, ô taureau des Bharata :

je vois ici un seul inconvénient, un gros : la rivalité.

75. Car celui dont tu serais le rival, qu’il soit Gandharva ou Asura,

ne vivrait jamais dans la tranquillité si tu étais irrité contre lui, ô tourmenteur de tes ennemis.

76. Car c’est là un bien grand inconvénient, et il n’y en a pas d’autres, ô prince :

sache-le, et puisses-tu être prospère, en donnant comme en recevant, ô tourmenteur de tes ennemis. »

77. A ces mots, Gāṅgeya lui répondit à propos,

tandis que les gardiens de la Terre l’écoutaient, dans l’intérêt de son père, ô Bhārata :

78. « Considère ma pensée comme véridique, ô le meilleur des véridiques ;

car aucun homme déjà né ou à naître n’osera dire une telle parole.

79. Je ferai comme tu dis :

le fils qui naîtra d’elle sera notre roi. »

80. A ces mots, le pêcheur lui répondit ainsi :

« Tu te proposes de réaliser l’irréalisable pour le royaume, ô taureau des Bharatās.

81. Tu es bien le protecteur parfait de Śaṃtanu à la splendeur sans borne,

et le maître au cœur loyal pour la jeune fille, et le roi de la générosité.

82. Mais écoute aussi cette parole que je dois te dire, mon cher,

je vais parler à la manière de ceux qui aiment leur fille, ô toi qui subjugues tes ennemis.

83. Ô toi qui ne songes qu’à la vérité et au Dharma, ce que tu as promis

au sujet de Satyavatī, au milieu des rois, te correspond bien.

84. Il n’en sera pas autrement, ô puissant, il n’y a aucun doute là-dessus,

mais pour l’enfant que tu pourrais avoir, nous avons un grand doute. »

85. Entendant ce qu’il pensait, celui qui ne songe qu’à la vérité et au Dharma

fit alors cette promesse, ô roi, dans son désir de favoriser son père :

86. Devavrata lui dit :

« Roi des pêcheurs, ô le meilleur des princes, écoute la parole

que je vais prononcer, devant les gardiens de la Terre qui m’écoutent, pour le compte de mon père.

87. J’ai déjà auparavant renoncé au royaume, ô roi,

et je prends aussi cette décision pour ma descendance.

88. Désormais, pêcheur, ma vie sera celle d’un chaste brahmane :

je serai sans fils, mais les mondes impérissables dans le ciel seront à moi. »

89. Vaiśampāyana dit :

« En entendant sa parole, plein d’une allégresse qui lui donnait des ailes,

le pêcheur au cœur loyal lui répondit : « Je la donnerai ».

90. Et dans l’atmosphère les Apsaras et les dieux, avec toute la troupe des vieux sages

se répandirent en une pluie de fleurs et dirent : « C’est Bhīṣma ! ».

91. Alors, dans l’intérêt de son père, il dit à la Glorieuse :

« Monte sur mon char, mère, allons à la maison. »

92. Après avoir dit cela, Bhīṣma fit monter sur le char la femme rayonnante,

il arriva à Hāstinapura et il l’offrit à Śāṃtanu.

93. Les princes louèrent l’action infaisable qu’il faisait,

et ensemble aussi bien que séparément ils dirent : « C’est Bhīṣma ! ».

94. Voyant l’action infaisable faite par Bhīṣma, Śāṃtanu,

son père, satisfait, lui donna spontanément de mourir quand il le désirerait. »

 

 

1. 95. Śāṃtanu a deux fils avec Satyavatī, Citrāṅgada et Vicitravīrya. A la mort de Śāṃtanu, Bhīṣma installe Citrāṅgada roi. Celui-ci se bat pendant trois ans avec son homonyme, le gandharva Citrāṅgada, qui le tue. Vicitravīrya est installé sur le trône encore enfant, sous la régence de Bhīṣma.  (=  14 ślokas)

 

Livre I, chapitre 95.

1. Vaiśampāyana dit :

« Une fois la cérémonie du mariage accomplie, le roi, le prince Śāṃtanu

installa la jeune fille pleine de beauté dans sa maison.

2. Alors naquit de Satyavatī le sage fils de Śāṃtanu,

le héros du nom de Citrāṅgada, qui surpassait les hommes par son héroïsme.

3. Puis le vaillant roi engendra à nouveau de Satyavatī

un autre roi, Vicitravīrya, un maître archer.

4. Ce dernier n’était pas encore un jeune homme, ô taureau des Bhārata,

quand le sage roi Śāṃtanu succomba à la loi du temps.

5. Quand Śāṃtanu fut monté au ciel, Bhīṣma plaça Citrāṅgada,

qui subjugue ses ennemis, sur le trône, en s’en tenant à la volonté de Satyavatī.

6. Et Citrāṅgada frappa tous les mortels par sa valeur,

car il estimait qu’aucun humain ne lui était semblable.

7. Et quand il eut frappé les dieux, aussi bien que les hommes et les Asuras,

le puissant roi des Gandharvas, qui avait le même nom, l’attaqua alors

et il eut avec lui un très grand combat à Kurukṣetra.

8. Alors, entre ces deux puissants chefs des Gandharvas et des Kuru

la bataille dura trois ans sur les rives de la rivière Hiraṇvatī.

9. Dans cet écrasement tumultueux, où les armes pleuvaient en foule,

le Gandharva, qui avait beaucoup de magie, tua le meilleur des Kuru.

10. Le Gandharva alla ensuite au ciel, après avoir mis fin à la vie

de Citrāṅgada, le meilleur des Kuru, dont l’arc tiraient toutes sortes de flèches.

11. Quand ce splendide tigre parmi les princes eut été tué,

Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, ô roi, fit procéder à ce qui convient pour les morts.

12. Et alors ce fut le jeune Vicitravīrya, qui n’était pas encore un jeune homme,

à qui le puissant prince immédiatement après donna l’onction royale sur le royaume des Kuru.

13. Alors, Vicitravīrya, s’en tenant aux paroles de Bhīṣma,

régna avec ses conseils en mahārāja, le titre de ses ancêtres.

14. Ce prince, expert dans la connaissance du Dharma, rendit hommage

à Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, et conformément au Dharma il le protégea.

 

 

1. 96. Les filles du roi de Kâśi, Ambâ, Ambikâ et Ambâlikâ ont réuni les rois pour se choisir un époux. Bhīṣma s’y rend et déclare qu’il va les enlever toutes les trois : que les rois s’y opposent !. Il les charge dans son char et s’en va. Les rois le poursuivent et engagent la bataille, mais ils sont défaits. Śâlva défie Bhīṣma. Combat entre Bhīṣma et Śâlva. Bhīṣma tue les chevaux et le cocher de Śâlva, et lui laisse la vie sauve. Bhīṣma donne les trois princesses de Kâśi à son frère pour qu’il les épouse. Ambâ lui révèle qu’elle aime Śâlva et est aimée de lui : c’est lui qu’elle devait choisir. Bhīṣma la laisse partir. Ambikâ et Ambâlikâ épousent Vicitravīrya. Peu de temps après, celui-ci meurt d’épuisement.  (=  59 ślokas)

 

Livre I, chapitre 96.

1. Vaiśampāyana dit :

« Une fois Citrāṅgada tué, et son frère étant encore un enfant, ô irréprochable, Bhīṣma

gouverna le royaume en s’en tenant à la volonté de Satyavatī.

2. Voyant que le frère, le meilleur des sages, était devenu un jeune homme,

Bhīṣma conçut le projet de marier Vicitravīrya.

3. Or, Bhīṣma apprit que les trois filles du roi de Kāśi, pareilles à des Apsaras,

s’étaient réunies, ô roi, pour se choisir un mari.

4. Aussi, le meilleur des auriges, revêtu de sa cuirasse, et avec un seul char,

alla, avec l’approbation de sa mère, vers la cité de Vārāṇasī.

5. Là, Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, vit des rois assemblés,

venus de partout, ainsi que les jeunes filles elles-mêmes.

6. Et en citant des noms de rois par milliers

le seigneur Bhīṣma les sollicita alors lui-même, ô roi.

7. Et Bhīṣma, le meilleur des guerriers, ô roi, en faisant monter les jeunes filles sur son char,

dit aux seigneurs de la Terre, avec une voix de nuage orageux :

8. « Quand on les y invite, les sages vertueux rapportent que la tradition est de donner les jeunes filles

après les avoir parées autant que faire se peut et leur avoir offert en outre des richesses.

9. D’autres donnent leurs filles aussi pour une paire de vaches,

d’autres pour une somme convenue, d’autres donnent leur accord de force.

10. D’autres s’approchent des filles qui ne se méfient pas, et d’autres se marient selon leur choix.

Sachez que c’est là aussi le huitième type de mariage selon la tradition que rapportent les chantres inspirés,

11. et les hommes de la noblesse guerrière louent le mariage au choix de l’épouse et ils s’y conforment.

Mais ceux qui parlent selon le Dharma disent que l’épouse qui est enlevée de force est supérieure.

12. Je vais les enlever d’ici de force, ô rois.

Combattez de toutes vos forces, pour la victoire ou la défaite.

Je suis devant vous, ô rois, résolu au combat. »

13. Après avoir ainsi parlé aux rois et au roi de Kāśi, le vaillant

descendant de Kuru fit monter toutes les jeunes filles sur son char,

salua les rois et se hâta de partir, en enlevant les jeunes filles.

14. Alors les princes se levèrent tous furieux,

palpant leurs bras et serrant les dents.

15. Tandis qu’ils se hâtaient de vite ôter leurs bijoux

et de revêtir leurs armures, un très grand trouble s’éleva.

16. Tels des météores, ô Janamejaya, ce fut le jaillissement

des parures splendides et des cuirasses en tous sens.

17. Avec leurs armures et leurs parures qui rayonnaient de toutes parts,

avec les yeux rouges d’une colère furieuse, et les sourcils de travers,

18. les héros, munis de toutes leurs armes, montèrent sur leurs chars

brillants que les cochers tenaient prêts et dont le timon était soulevé par de bons chevaux

et, brandissant leurs armes, ils poursuivirent le fils de Kuru qui s’en allait seul.

19. Ainsi éclata entre eux et lui, ô Bhārata, une bataille

tumultueuse, un seul contre beaucoup, à faire dresser les cheveux sur la tête !

20. Ils décochèrent sur lui dix mille flèches en même temps,

mais Bhīṣma les neutralisa aussitôt toutes en les brisant.

21. Alors les princes l’entourèrent tous de toutes parts

et firent pleuvoir sur lui une pluie de traits, comme les nuages déversent leurs eaux sur une montagne.

22. Il retint cette pluie de traits en tirant des flèches en tous sens,

blessant tous les rois, chacun avec trois flèches.

23. La dextérité de cet aurige dépassait les autres hommes,

et ses ennemis admiraient aussi comment il se défendait dans la bataille.

24. Et après avoir les avoir écrasés dans la bataille, étant expert en toutes sortes d’armes,

le Bharata s’en allait en compagnie des jeunes filles chez les Bhārata.

25. Alors, le roi Śālva, qui était un grand aurige au grand cœur,

frappa Bhīṣma le fils de Śāṃtanu par derrière dans la bataille,

26. comme un rival frappe de ses défenses la croupe d’un éléphant

et que, roi du troupeau, plus vigoureux que les autres, il s’approche d’une femelle.

27. « Débauché ! Reste là ! Reste là ! » disait à Bhīṣma ce roi,

le roi Śālva aux bras puissants, excité par la colère.

28. Bhīṣma, ce tigre parmi les hommes, ce tourmenteur de l’armée ennemie,

troublé par ces mots, devint semblable, sous le coup de la colère, à un feu qui jaillit sans fumée.

29. S’en tenant au Dharma de la noblesse guerrière, sans crainte et sans précipitation

le grand aurige tourna son char vers Śālva.

30. Le voyant se retourner, tous les autres rois

devinrent les spectateurs de l’affrontement de Bhīṣma et de Śālva.

31. Ils étaient pareils à deux puissants taureaux mugissants pour une vache en chaleur

tournant l’un autour de l’autre, pleins de force et de vaillance.

32. Alors le roi Śālva, le meilleur des hommes, recouvrit rapidement

Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, de centaines de milliers de flèches.

33. Les rois, en voyant d’abord Bhīṣma accablé par Śālva,

furent étonnés et dirent : « Bien ! Bien ! ».

34. Voyant sa dextérité dans le combat, la foule des princes,

les rois, joyeux, rendirent hommage à Śālva en criant.

35. Alors, entendant les cris des nobles guerriers, le conquérant des cités ennemies,

Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, furieux, lui dit : « Reste là ! Reste là ! ».

36. Et furieux, il dit à son cocher : « Va vers ce roi,

que je le tue maintenant, comme le Roi des oiseaux [39] tue un serpent ! ».

37. Alors le fils de Kuru encocha comme il convient l’arme de Varuṇa,

et le roi tua avec elle les quatre chevaux du roi Śālva.

38. Le fils de Kuru, repoussait les flèches du roi Śālva avec ses propres flèches,

Bhīṣma, tigre parmi les hommes, abattit son cocher

et avec une seule flèche il abattit ses excellents chevaux.

39. Pour la jeune fille, Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, fut alors le meilleur des hommes ;

après l’avoir vaincu, il laissa partir en vie le meilleur des rois,

et Śālva retourna donc dans sa cité, ô taureau parmi les Bhārata.

40. Et les rois qui étaient là pour voir le mariage

retournèrent chacun dans leur royaume, ô conquérant des cités ennemies.

41. Après avoir ainsi conquis les jeunes filles, Bhīṣma, le meilleur parmi les guerriers,

retourna à Hāstinapura où se trouvait le roi des Kaurava.

42. Peu de temps après, ô roi, il traversait

des forêts, des rivières et des montagnes avec toutes sortes d’arbres.

43. Indemne après avoir anéanti ses ennemis, avec sa vaillance incommensurable dans le combat,

le fils de Celle-qui-va-dans-l’Océan [40] ramena les filles du roi de Kāśi.

44. Le prince au cœur loyal, s’occupa d’elles comme des brus ou des sœurs cadettes,

ou encore comme des filles, en allant chez les Kuru.

45. En tant que son frère à son frère plus jeune, Bhīṣma offrit à Vicitravīrya

toutes ces jeunes filles pleines de vertus qu’il était allé chercher courageusement.

46. En connaisseur du Dharma, après avoir accompli ces exploits surhumains conformément au Dharma des justes,

il s’occupa du mariage de son frère Vicitravīrya,

comme ce sage prince en avait décidé en compagnie de Satyavatī.

47. Tandis que Bhīṣma préparait le mariage, une des filles du roi de Kāśi,

l’aînée, qui était vertueuse, lui dit alors cette parole :

48. « Jadis j’avais choisi comme mari le seigneur de Saubha,

et j’avais jadis été choisie par lui, et c’était ce que désirait mon père.

49. C’est ainsi que j’allais choisir Śālva à mon gré pour mon mariage :

connaissant cela, toi qui connais le Dharma, agis donc selon le Dharma… »

50. Quand la jeune fille lui eut ainsi parlé dans l’assemblée des brahmanes, Bhīṣma,

le héros, se plongea dans la réflexion concernant cette affaire.

51. Ce connaisseur du Dharma délibéra avec les brahmanes qui connaissaient parfaitement les Veda,

et il laissa alors partir Ambā, la fille aînée du roi de Kāśi.

52. Bhīṣma donna Ambikā et Ambālikā comme épouses à son frère cadet

Vicitravīrya selon le rite reconnu par la règle.

53. Prenant leur main à toutes deux, tout fier de sa beauté et de sa jeunesse,

Vicitravīrya vit son cœur loyal envahi par le désir.

54. Et il en était de même pour les deux princesses à la peau brune, aux cheveux céruléens et bouclés,

aux ongles rouges comme des baies d’euphorbes, aux hanches et aux seins épanouis.

55. « C’est un mari modèle que nous avons obtenu ! » disaient-elles convaincues,

et elles rendaient hommage au beau Vicitravīrya.

56. Il était par sa beauté pareil aux Aśvin, il avait le courage et l’énergie d’un dieu,

il était le bourreau des cœurs de toutes les femmes.

57. Ce seigneur de la Terre s’ébattit en leur compagnie pendant sept ans,

puis le jeune Vicitravīrya contracta la tuberculose.

58. Malgré les efforts de ses amis accompagnés de médecins compétents,

le fils de Kuru, comme le soleil à son coucher, descendit au séjour de Yama [41].

59. Bhīṣma accomplit comme il convient tous les rites funéraires

pour le roi Vicitravīrya, en s’en tenant à la volonté de Satyavatī,

en compagnie des prêtres et de tous les taureaux parmi les Kuru.

 

 

 

1. 97. Satyavatī demande à Bhīṣma d’assurer la descendance de son frère et de donner des enfants à ses épouses. Mais Bhīṣma ne peut renoncer à son vœu de chasteté.  (=  26 ślokas)

 

Livre I, chapitre 97.

1. Vaiśampāyana dit :

« Satyavatī, affligée, malheureuse dans son désir d’un fils,

accomplit les rites pour son fils en compagnie de ses brus, ô Bharata.

2. Considérant le Dharma et ses lignées paternelle et maternelle, l’orgueilleuse

Bienheureuse dit cette parole au fils de Gaṅgā [42] :

3. « C’est à toi qu’incombe l’offrande aux Mânes, la renommée et le raffermissement de la lignée

de Śāṃtanu, le glorieux descendant de Kuru constamment attaché au Dharma.

4. Comme, quand on a eu un bon comportement, l’accès au ciel est assuré,

et comme la longévité est assurée par la Vérité, de même grâce à toi le Dharma est assuré.

5. Tu connais les Dharmas, et tu es un connaisseur du Dharma en abrégé et en détails,

tu connais les multiples traditions, tu connais les Veda dans leur intégralité.

6. Je considère ta fermeté dans le Dharma et la tradition concernant la famille,

ainsi que la conduite de Śukra et du fils d'Aṅgirā dans les temps difficiles [43].

7. Aussi, j’ai énormément confiance en toi : parmi ceux qui connaissent le Dharma tu as un privilège.

Je te charge d’une tâche : daigne l’accomplir quand tu m’auras entendue.

8. Mon fils était pour toi un frère vaillant et il t’était très cher :

il est parti encore jeune au ciel, sans avoir de fils, ô taureau parmi les hommes.

9. Les deux épouses de ton frère, les jolies filles du roi de Kāśi,

sont pleines de beauté et de jeunesse, et elles désirent avoir un fils, ô Bhārata.

10. C’est avec elles que tu dois procréer des enfants pour la continuation de notre lignée :

selon mes instructions, Seigneur, veuille accomplir là le Dharma.

11. Fais-toi aussi consacrer roi, dirige les Bhārata,

et prends une épouse conformément au Dharma : n’engloutis pas tes ancêtres ! »

12. Après que la mère avec ses amis lui eut ainsi parlé, ô tourmenteur de tes ennemis,

le héros au cœur loyal lui répondit finalement par cette parole conforme au Dharma :

13. « Sans aucune doute,  tu as mentionné le Dharma suprême, ô Mère,

et, concernant ma descendance, tu connais le serment que j’ai prononcé jadis,

14. et tu connais comment cela s’est passé à propos du prix de ton mariage…

Et moi, Satyavatī, je confirme à nouveau la véracité de mon serment.

15. Je renoncerais à l'ensemble des trois mondes, voire à la souveraineté parmi les dieux,

ou encore à ce qui serait supérieur à ces deux choses, plutôt que de renoncer de quelque manière à la véracité de mon serment !

16. Et la Terre pourrait perdre son parfum, et les eaux leur goût naturel,

la lumière pourrait aussi perdre sa beauté, le vent pourrait perdre la vertu de son toucher,

17. le Soleil pourrait abandonner son éclat, et la torche fumeuse aussi sa chaleur,

l’espace pourrait perdre sa sonorité, la Lune pourrait perdre la fraîcheur de ses rayons,

18. le Tueur du Dragon [44] pourrait abandonner sa vaillance et le Roi du Dharma [45] pourrait abandonner le Dharma,

plutôt que moi je me décide de renoncer de quelque manière à mon vœu ! »

19. A ces mots de son fils, qui rayonnait de son immense puissance,

sa mère Satyavatī dit immédiatement à Bhīṣma :

20. « Je sais ton extrême constance dans la véracité de ton vœu, ô toi dont l’héroïsme est dans la véracité de ton vœu.

A ton gré tu pourrais créer trois autres mondes avec ton seul rayonnement.

21. Je sais aussi que c’est dans mon intérêt que tu as prononcé ce vœu :

prends en considération le Dharma qui concerne la détresse, prends sur toi le fardeau de tes ancêtres !

22. Fais en sorte, ô tourmenteur de tes ennemis, que tes amis ne disparaissent pas,

et que le fil de notre lignée et le Dharma ne périssent pas ! »

23. Comme, en manque de fils, elle éclatait misérablement en lamentations,

évoquant le manquement au Dharma, Bhīṣma lui dit à nouveau ceci :

24. « Reine, prends en considération le Dharma, de peur que ce ne soit la perte pour nous tous :

on n’approuve pas dans le Dharma de la noblesse guerrière que l’on dévie de son serment !

25. Je vais te dire, ô reine, le Dharma éternel propre aux nobles guerriers

par lequel la lignée de Śāṃtanu pourrait encore être impérissable sur Terre.

26. Après l’avoir entendu, tu pourrais y recourir en compagnie des chapelains savants,

instruits du Dharma qui concerne la détresse, et en ayant égard à la règle qui régit le monde. »

 

 

 

1. 98. Bhīṣma explique que les épouses des kṣatriya se sont tournées vers les brahmanes pour avoir des enfants, après que Râma les a tous exterminés. Il raconte l’Histoire de Dîrghatamas. Le ṛṣi Utathya a une ravissante épouse, Mamatâ, dont son frère Bṛhaspati est amoureux. Alors qu’elle est enceinte, Bṛhaspati la séduit, mais l’enfant dans son sein lui dit : “Ta semence a été versée en vain, la place est prise !”. Bṛhaspati le maudit et le condamne à de longues ténèbres, d’où son nom : Dîrghatamas. Dîrghatamas a des enfants, qui, quand il devient vieux, l’abandonnent sur un tronc au milieu de la Gaṅgā. Il est recueilli par le roi Balin, sans descendance, qui lui demande de lui procurer des enfants avec son épouse Sudeṣnâ. Mais celle-ci, le trouvant vieux et aveugle, lui envoie sa servante, dont il a onze enfants. Balin réclame ces enfants, mais Dîrghatamas lui explique que ce ne sont pas les fils de Sudeṣnâ, mais ceux d’une servante. Balin envoie encore Sudeṣnâ trouver Dîrghatamas, et, cette fois-ci, elle aura un fils, le prince Aṅga. Ainsi les brahmanes peuvent donner des fils aux kṣatriya.  (=  33 ślokas)

 

Livre I, chapitre 98.

1. Bhīṣma lui dit :

« Rāma, le fils de Jamadagni, ne supportait pas l’assassinat de son père,

et dans sa colère, votre Excellence, il tua le roi des Haihayas,

en tranchant les mille bras d’Arjuna [46].

2. Et en retour il prit son arc et lança ses grandes flèches :

encore et encore il réduisit en cendres la noblesse guerrière, et sur son char il conquit la Terre.

3. Avec toutes sortes d’armes, le descendant de Bhṛgu au grand cœur

vingt-une fois priva jadis la Terre de noblesse guerrière.

4. Alors, de toutes les femmes de la noblesse guerrière naquirent en tous lieux

des enfants qui leur étaient nés de brahmanes stricts dans leur cœur.

5. « Il est à celui qui prend la main », ainsi en est-il décidé dans les Veda ;

accomplissant le Dharma dans leur esprit, celles-ci s’approchèrent des brahmanes,

et dans le monde on voit que s’accomplit la renaissance de la noblesse guerrière.

6. Et il y eut jadis un sage érudit, connu sous le nom d’Utathya :

il avait une femme du nom de Mamatā, qu’il estimait au plus haut point.

7. Utathya avait un frère cadet, chapelain des demeures du troisième ciel,

Bṛhaspati, d’une grande virilité : il entreprit Mamatā.

8. Mamatā dit à son beau-frère qui était un beau parleur :

« Je suis enceinte de ton frère aîné : arrête-toi !

9. Et cet enfant d’Utathya, Seigneur Bṛhaspati, dans mon ventre

même étudie soigneusement les six parties du Veda.

10. Je te prie ne pas répandre maintenant la fécondité de ton sperme :

aussi, vu la situation actuelle, je te prie de renoncer ! »

11. Ainsi lui parlait-elle exactement ; Bṛhaspati, d’une grande virilité,

fut alors incapable de réprimer lui-même son propre désir.

12. Plein de désir, il s’unit donc à elle qui ne le désirait pas ;

et quand il laissa s’échapper son sperme, l’enfant de l’intérieur de la matrice s’adressa à lui :

13. « Holà ! Je te parle, mon oncle ! Il n’est pas possible d’être deux ici !

Ton sperme est fécond, Seigneur, mais moi j’étais là avant ! »

14. A ces mots donc, Bṛhaspati, le sage bienheureux, maudit avec colère

le fils d’Utathya qui l’avait menacé depuis la matrice :

15. « Puisque toi, dans un moment que toutes les créatures souhaitent et chérissent,

tu as dit une telle parole, tu entreras donc en de longues ténèbres ! »

16. Le sage naquit, nommé Dīrghatamas justement à cause de la malédiction

de Bṛhaspati à la grande gloire, comme Bṛhaspati est ainsi nommé à cause de sa puissance [47].

17. Cet homme très glorieux engendra des fils, Gautama et les autres,

pour accroître alors la famille et la lignée du sage Utathya.

18. Gautama et les autres fils étaient dominés par la convoitise et la folie :

ils le jetèrent dans la rivière Gange sur un tronc d’arbre avec des fèves et l’abandonnèrent.

19. « On n’a pas à prendre en charge cet homme aveugle et vieux ! »

pensaient-ils, et les cruels rentrèrent alors chez eux.

20. Alors, ô roi, le sage navigua ainsi le long du fleuve,

et l’aveugle traversa de nombreuses contrées sur ce radeau.

21. Or, un roi, du nom de Balin, expert dans tous les aspects du Dharma,

l’aperçut en perdition dans le fleuve, non loin de là, venant vers lui.

22. Balin, dont l’âme pleine de Dharma excellait dans la Vérité, l’attrapa

et, après l’avoir reconnu, le choisit alors pour avoir des fils, ô taureau parmi les hommes.

23. « Seigneur qui confère le respect, daigne pour ma lignée engendrer

avec mes femmes des fils experts dans le Dharma et le Profit. »

24. A ces mots, ce sage resplendisant lui donna son accord,

et le roi lui envoya alors sa propre épouse Sudeṣṇā.

25. Songeant qu’il était vieux et aveugle, la reine n’y alla pas,

et elle envoya alors au vieillard sa sœur de lait.

26. Avec cette femme qui était d’origine servile, ce sage, maître de ses sens

et au cœur loyal, engendra onze fils, Kākṣīvat et les autres.

27. Quand il vit tous les fils, Kākṣīvat et les autres, en train d’étudier,

le vaillant roi dit au sage : « Ils sont à moi ceux-là ! »

28. « Non ! lui dit le grand sage. Ceux-là sont à moi ! déclara-t-il.

Ceux-là, Kākṣīvat et les autres, me sont nés d’une matrice servile.

29. En me voyant vieux et aveugle, ta première reine Sudeṣṇā

m’a méprisé et, dans son égarement, elle m’a donné une servante qui est sa sœur de lait. »

30. Balin apaisa donc à nouveau le meilleur des sages,

et il lui envoya à nouveau son épouse Sudeṣṇā.

31. Dīrghatamas, après lui avoir palpé le corps, dit alors à la reine :

« Tu auras un fils resplendissant et à la parole vraie ! »

32. Ainsi un sage de sang royal, du nom d’Aṅga, naquit de Sudeṣṇā,

et d’autres nobles guerriers habiles à l’arc naquirent sur Terre des brahmanes,

33. connaissant parfaitement le Dharma, vaillants, d’une grande force.

Après avoir entendu cela, ô mère, fais selon ton désir… »

 

 

1. 99. Naissance de Dhṛtarāṣṭra et de Pāṇḍu. Satyavatī révèle à Bhīṣma comment elle a eu un fils, Vyāsa, avec l’ascète Parāśara. Celui-ci peut assurer la descendance de Vicitravīrya, c’est aussi un demi-frère de Vicitravīrya. Bhīṣma approuve. Vyāsa, sentant que sa mère a besoin de lui, arrive. Satyavatī lui explique ce qu’elle attend de lui. Vyāsa accepte de donner des fils à son demi-frère et demande qu’Ambikā et Ambālikā se soumettent à une préparation d’un an. Mais Satyavatī est pressée et demande à Vyāsa de le faire sur le champ. Satyavatī persuade les reines d’accepter.  (=  49 ślokas)

 

Livre I, chapitre 99.

1. Bhīṣma lui dit :

« Pour accroître à nouveau la lignée de la dynastie des Bhārata,

je vais te dire un moyen certain, ô mère, écoute-moi.

2. Invite avec ta richesse un brahmane vertueux

qui produira des enfants dans les champs de Vicitravīrya. »

3. Vaiśampāyana dit :

« Alors Satyavatī, avec une voix flatteuse,

dit cette parole à Bhīṣma, comme en riant pudiquement :

4. « Ce que tu dis là est la vérité, ô puissant Bhārata,

c’est avec confiance que je vais te parler pour la continuation de ta lignée.

Il ne t’est pas possible de refuser, vu l’infortune dans laquelle tu es tombé.

5. Dans notre famille c’est toi le Dharma, c’est toi la vérité, c’est toi l’ultime refuge.

Aussi écoute ma parole et agis immédiatement après.

6. Mon père, absorbé par le Dharma, avait un bac, ô prince au cœur loyal,

et un jour j’y suis montée, alors que j’étais dans ma prime jeunesse.

7. Or le meilleur parmi les experts du Dharma, le grand sage Parāśara

vint sur le bac, car le sage voulait traverser la rivière Yamunā.

8. Tandis que je lui faisais traverser la Yamunā, le meilleur des anachorètes vint à moi

et me parla, plein de désir, de manière réconfortante et avec beaucoup de douceur.

9. Et moi, effrayée par sa malédiction et par mon père, ô Bhārata,

et avec les récompenses qu’il me disait, je n’ai pas osé le repousser…

10. Il subjugua la jeune fille que j’étais et par son éclat me réduisit à sa volonté,

couvrant l’endroit de ténèbres, tandis que j’étais sur le bac, ô Bhārata.

11. J’avais auparavant une forte odeur de poisson, répugnante ;

l’anachorète m’en débarrassa et m’offrit un délicieux parfum.

12. Puis l’anachorète me dit que, lorsque j’aurais accouché de mon enfant

sur une île de cette rivière, je serais encore une jeune fille.

13. Ainsi naquit le fils de Parāśa, un grand yogi, un grand sage,

le fils que j’ai eu jadis quand j’étais jeune fille, connu sous le nom de l’Îlien,

14. le sage bienheureux qui, par son ascèse, sépara les quatre Veda,

et à qui on donne dans le monde le nom de Vyāsa [48], et aussi celui de Noiraud à cause de sa noirceur.

15. Il dit la vérité, il est plein de quiétude, c’est un ascète qui consume les fautes ;

de toute évidence, si moi et toi, ô prince d’une splendeur sans borne, le lui demandons,

il engendrera dans les champs de ton frère une excellente descendance.

16. Car il m’a dit alors : « Pense à moi quand il faudra accomplir des choses ».

Je penserai à lui, ô puissant Bhīṣma, si tu le désires.

17. Car avec ton approbation, ô Bhīṣma, assurément ce grand ascète

engendrera des fils dans les champs de Vicitravīrya. »

18. A la mention de ce grand sage, Bhīṣma porta ses mains jointes à son front et dit :

« Il est celui qui voit clairement ces trois choses : le Dharma, le Profit et le Désir ;

19. le Profit est lié au Profit, le Dharma est lié au Dharma,

le Désir est lié au Désir, et ils sont contraires l’un l’autre ;

celui qui par la méditation y a réfléchi avec précision, celui-là prend ses décisions en homme prudent.

20. Ce que tu as dit, Dame, est conforme au Dharma et avantageux pour notre famille,

c’est ce qu’il y a de mieux, cela me convient tout à fait ! ».

21. Quand Bhīṣma lui eut fait cette promesse, ô fils de Kuru,

la Noiraude pensa à l’anachorète, le Noir Îlien.

22. Le sage était en train de commenter les Veda quand il perçut la pensée de sa mère,

et il apparut immédiatement à ses yeux, ô fils de Kuru.

23. Alors, après avoir rendu hommage à son fils selon la règle,

elle l’entoura de ses bras et lui donna l’onction de ses larmes,

et la fille du pêcheur laissa s’échapper ses pleurs en voyant son fils  après si longtemps.

24. Le grand sage l’aspergea d’eau et la salua ;

Vyāsa, son fils aîné, dit cette parole à sa mère :

25. « Je suis venu pour accomplir ce que tu as à l’esprit, Dame.

Commande-moi, toi qui connais l’essence du Dharma, et je ferai ce qui te plaira. »

26. Alors le chapelain rendit hommage à ce sage éminent,

et il accueillit celle-ci comme il convient, en la précédant de ses mantras.

27. Quand il eut pris place, sa mère Satyavatī l’interrogea sur sa bonne santé inaltérable,

elle le regarda et lui dit aussitôt ceci :

28. « Les fils qui naissent sont la propriété commune, ô sage, de la mère et du père :

de même que le père est leur propriétaire, de même la mère, sans aucun doute.

29. De même que tu es le fils aîné que m’a destiné le Dispensateur [49],

de même, ô sage brahmane, Vicitravīrya est mon fils cadet.

30. Tout comme Bhīṣma l’est du côté de son père, de même toi du côté de ta mère

tu es le frère de Vicitravīrya comme tu le sais, mon fils.

31. Ce fils de Śāṃtanu protège la Vérité, il tire sa puissance de la Vérité,

et il n’a pas dans l’idée d’avoir des enfants ni non plus de commander le royaume.

32. Toi, en considération de ton frère et pour la continuation de la lignée,

et selon la parole de Bhīṣma et mes instructions, ô irréprochable,

33. Et par compassion pour les créatures et pour la protection de tous,

écoute avec bienveillance ce que je pourrais dire et daigne le réaliser.

34. Les deux épouses de ton frère cadet sont semblables à des filles de dieux,

elles ont la beauté de la jeunesse, et elles désirent un fils conformément au Dharma.

35. Engendre avec elles une descendance, car tu es à même de le faire, mon fils :

c’est ce qui est convenable pour notre dynastie et pour la continuation de notre progéniture. »

36. Vyāsa lui dit :

« Tu connais le Dharma, Satyavatī, dans son ensemble et dans son détail ;

et puisque ta pensée, ô toi qui connais le Dharma, est fixée sur le Dharma,

37. eh bien, conformément à tes instructions, en considération du Dharma dont elles sont issues,

j’accomplirai ce que tu désires, car cela est reconnu comme un usage antique.

38. J’offrirai à mon frère des fils semblables à Mitra et Varuṇa.

Que les deux épouses accomplissent le vœu que je vais définir :

39. pendant une année donc, comme il convient, elles resteront pures,

car aucune femme ne saurait s’approcher de moi sans avoir accompli ce vœu. »

40. Satyavatī lui dit :

« Fais en sorte que la reine ait un bébé immédiatement :

dans les royaumes sans rois il n’y a ni pluie, ni dieux.

41. Comment est-il possible de conserver un royaume sans roi, seigneur ?

Dépose donc un bébé en elle, Bhīṣma l’élèvera… »

42. Vyāsa lui dit :

« Si un fils doit m’être présenté rapidement, avant le temps,

leur vœu le plus cher est qu’elles supportent ma difformité.

43. Si elle supporte mon odeur, mon apparence, ma tenue, ainsi que mon corps,

que dès aujourd’hui la fille de Kāśi reçoive un bébé excellent. »

44. Vaiśampāyana dit :

« Aspirant à cette union, l’anachorète disparut.

Alors la reine alla voir sa bru, la rencontrant en secret,

et lui dit cette parole conforme au Dharma, profitable et bienveillante :

45. « Fille de Kāśi, ce que je vais te dire est de règle dans le Dharma, écoute-moi attentivement.

L’extinction des Bharata vient de toute évidence de l’anéantissement de ma destinée.

46. Ayant vu mon affliction et les tourments de sa lignée paternelle,

Bhīṣma m’a soumis un projet sur ce sujet, pour l’accroissement du Dharma.

47. Et ce projet dépend de toi, ma fille, je le sais bien !

Arrache la lignée des Bharatas à la ruine !

48. Enfante un fils, femme aux belles hanches, qui soit semblable par son éclat au roi des dieux.

Car il prendra sur lui la lourde charge du royaume de notre dynastie. »

49. Par le Dharma elle amadoua en quelque sorte cette princesse fidèle au Dharma.

Et elle régala les savants brahmanes, les sages divins et ses hôtes.

 

 

1. 100. Vyāsa s’approche d’Ambikā, mais celle-ci ne peut supporter sa vue et ferme les yeux. Vyāsa annonce à Satyavatī que le fils qui naîtra, Dhṛtarāṣṭra, sera aveugle. Celle-ci se désespère : un aveugle ne peut être roi!. Elle prie Vyāsa de donner un fils à Ambālikā. Celle-ci pâlit à sa vue. Vyāsa annonce que le fils qui naîtra, Pāṇḍu, sera albinos. Satyavatī demande à Ambikā de recevoir Vyāsa à nouveau, mais celle-ci envoie une servante à sa place. Et ainsi, naît Vidura, réincarnation de Dharma maudit par Māṇḍavya.  (=  30 ślokas)

 

Livre I, chapitre 100.

1. Vaiśampāyana dit :

Alors, une fois le moment venu, quand la jeune femme eut fait ses ablutions rituelles, Satyavatī

la plaça sur un lit et lui parla ainsi avec douceur :

2. « Fille de Kāśi, tu as un beau-frère, il va venir à toi aujourd'hui :

prends soin de l’attendre, il viendra à minuit. »

3. Quand elle eut entendu les paroles de sa belle-mère, couchée sur son beau lit,

celle-ci pensa alors que ce serait Bhīṣma ou d’autres parmi les taureaux de Kuru…

4. Puis, le sage à la voix véridique, à qui avait d’abord été assignée Ambikā,

entra donc dans le lit, alors que les torches brûlaient encore.

5. Quand elle vit les mèches rousses du Noiraud, ses deux yeux flamboyants,

les pans de sa barbe rougeâtres, la reine ferma les yeux.

6. Il s’unit à elle cette nuit-là, pour faire une faveur à sa mère,

mais dans son effroi la fille de Kāśi n’était pas capable de le regarder.

7. Comme il sortait, sa mère s’approcha de son fils et lui dit :

« Y aura-t-il en elle un fils vertueux, un fils de roi ? »

8. Entendant les paroles de sa mère, Vyāsa, le sage suprême

dont la pensée transcende les sens, pressé par son exhortation lui dit :

9. « Il aura l’énergie d’une myriade d’éléphants, ce sera un savant, le meilleur des sages de sang royal,

il aura une grande fortune, une grande puissance, une grande intelligence,

10. il aura aussi cent fils d’une grande force.

Toutefois, à cause de la défectuosité de sa mère, il sera aveugle. »

11. En entendant ses mots, la mère dit alors à son fils :

« Il ne convient pas qu’un aveugle soit le roi des Kuru, ô ascète !

12. Daigne donner un second roi à la lignée des Kuru

qui soit le protecteur de la lignée de tes parents, qui fasse croître la lignée de tes pères. »

13. « D’accord » promit le grand ascète et il partit.

Et quand le temps fut venu, la fille de Kāśi accoucha d’un fils aveugle…

14. Et à nouveau la reine expliqua donc la chose à sa bru,

et l’irréprochable Satyavatī invita le sage comme auparavant.

15. Le grand sage vint donc vers elle de la même manière,

et il s’approcha d’Ambālikā ; et elle aussi en voyant le sage

fut prise d’abattement et devint blême, ô Bhārata.

16. Voyant, ô prince, qu’elle était effrayée, blême et abattue,

Vyāsa, le fils de Satyavatī, lui dit cette parole :

17. « Puisque, lorsque tu as vu ma difformité, tu as été prise de pâleur,

à cause de cela le fils que tu auras aura la peau pâle.

18. Et son nom sera justement Pāṇḍu, femme au visage rayonnant. »

Sur ces mots le bienheureux, le meilleur des sages s’en alla.

19. Voyant donc qu’il partait, Satyavatī s’adressa à son fils.

Et celui-ci en retour parla à sa mère de la pâleur de l’enfant.

20. Et la mère réclama à nouveau un autre fils.

« D’accord » répondit le grand sage à sa mère.

21. Quand le temps fut venu la reine enfanta un garçon,

Pāṇḍu, présentant des signes favorables, comme resplendissant de prospérité.

De lui naquirent des fils, de grands archers, les cinq Pāṇḍava.

22. Quand ce fut sa période de fécondité, elle disposa donc l’épouse aînée pour qu’il la traite en femme.

Mais, songeant à l’aspect et à l’odeur du grand sage,

la fille semblable à un enfant de dieu n’accomplit pas, par peur, les instructions de la reine…

23. Alors, après avoir paré de ses propres bijoux une servante pareille à une Apsara,

la fille du roi de Kāśi l’envoya donc au Noiraud.

24. Quand le sage arriva, la servante alla à sa rencontre et le salua ;

elle coucha avec lui avec son consentement, et elle prit soin de lui avec respect.

25. Et dans la jouissance de son désir, le sage atteignit l’orgasme,

et le grand sage passa la nuit en sa compagnie, car elle lui donnait du plaisir.

26. Quand il se leva il lui dit : « Tu ne seras plus une servante ;

dans ton ventre, ma jolie, est venu un bébé illustre,

il aura un cœur loyal et sera le plus intelligent de tous au monde. »

27. Le fils du Noir Îlien naquit sous le nom de Vidura,

le frère à l’intelligence sans borne de Dhṛtarāṣṭra et de Pāṇḍu.

28. C’était le dieu Dharma, né sous l’apparence de Vidura, par la malédiction de Māṇḍavya

au grand cœur qui connaissait l’essence des choses et était exempt de désir et de colère.

29. S’étant acquitté de son devoir sacré, il alla voir sa mère,

l’informa pour le bébé, puis il disparut.

30. Ainsi, dans le champ de Vicitravīrya, grâce à l’Îlien

naquirent, tels des rejetons des dieux, ceux qui devaient faire croître la lignée des Kuru.

 

 

 

1. 101. Histoire de Māṇḍavya. Māṇḍavya est un ascète adonné à des austérités farouches. Un jour, des voleurs, poursuivis par les soldats du roi, se cachent dans son ermitage. Les soldats interrogent Māṇḍavya qui ne répond rien. Aussi, quand les soldats trouvent les voleurs et leur butin, ils pensent que Māṇḍavya est leur complice. Le roi le condamne à être empalé. Māṇḍavya reste en vie. Le roi apprend que Māṇḍavya est un ascète renommé et le fait désempaler, mais il est impossible de retirer le pal. On le coupe donc de façon qu’il ne dépasse pas, et Māṇḍavya part ainsi. Il va trouver Dharma et lui demande pour quelle faute il a été puni : pour avoir enfoncé une paille dans une mouche quand il était enfant !. Māṇḍavya trouve le châtiment disproportionné à la faute, et maudit Dharma : celui-ci devra se réincarner sous forme humaine.  (=  28 ślokas)

 

Livre I, chapitre 101.

1. Janamejaya dit :

« Quelle action Dharma a-t-il faite pour encourir une malédiction ?

Et qui l’a maudit, ô sage brahmane, pour qu’il naisse dans la matrice d’une servante ? »

2. Vaiśampāyana lui répondit :

« Il y avait un brahmane connu sous le nom de Māṇḍavya,

plein de fermeté, connaissant tout le Dharma, pratiquant la Vérité et l’ascèse.

3. A l’entrée de son ermitage, à la racine d’un arbre, ce grand ascète,

ce grand yogi se tenait debout, les bras levés, observant un vœu de silence.

4. Alors qu’il s’était tenu là un long temps dans cette ascèse,

des brigands arrivèrent à son ermitage, transportant leur butin,

poursuivis par un grand nombre de gardes, ô taureau des Bhārata.

5. Ils cachèrent leur butin dans sa maison, ô le meilleur des Kuru,

et après l’avoir caché, effrayés ils se tapirent quand la troupe arriva.

6. Alors,  quand ils se furent vite cachés, la troupe des gardes

arriva à la poursuite des voleurs et ils aperçurent alors le sage.

7. Ils demandèrent, ô roi, à l’ascète qui était donc ainsi :

« Dans laquelle des deux directions sont partis les brigands, ô le meilleur des deux-fois-nés ?

Nous, ô brahmane, nous irons dans cette direction au plus vite. »

8. Mais aux gardes qui lui parlaient ainsi l’ascète

ne dit pas un mot, bienveillant ou malveillant.

9. Alors les hommes du roi fouillèrent donc l’ermitage

et ils virent les voleurs blottis là avec leur trésor.

10. Les gardes conçurent alors de la méfiance à l’égard de l’anachorète :

alors ils le ligotèrent et l’emmenèrent au roi avec les brigands.

11. Le roi le châtia en même temps que les voleurs : « Qu’on les tue ! ».

Le grand ascète, qu’on n’avait pas reconnu, fut empalé sur une broche par les bourreaux.

12. Les gardes donc, après avoir mis l’anachorète sur une broche,

retournèrent alors auprès du roi en emportant le butin.

13. L’ermite au cœur loyal resta longtemps ainsi empalé.

Ce sage brahmane, quoique privé de nourriture, ne connut pas la mort :

il conserva ses souffles vitaux et il fit venir les sages.

14. A voir cet homme au grand cœur endurant un tel tourment sur la pointe d’un pal,

les anachorètes entrèrent dans un tourment extrême, ô tourmenteur de tes ennemis.

15. La nuit venue, transformés en oiseaux, ils revinrent de toutes parts.

Après s’être manifestés comme ils le pouvaient, ils interrogèrent le meilleur des deux-fois-nés :

« Nous désirons apprendre, ô brahmane, quel crime tu as commis. »

16. Alors ce tigre parmi les anachorètes dit aux ascètes :

« Victime d’un tort, vers qui irai-je ? Car nul autre que moi n’a fauté. »

17. Et le roi entendit le sage, sortit avec ses conseillers

et chercha alors à apaiser le meilleur des sages planté sur sa broche :

18. « Quelle offense ai-je commise dans mon égarement et mon ignorance !

J’essaie maintenant de t’apaiser ; daigne ne pas t’irriter contre moi ! »

19. Quand le roi lui eut ainsi parlé, l’anachorète fit la paix ;

après l’avoir apaisé, le roi le fit donc descendre de son pal.

20. Après l’avoir fait descendre de la pointe du pal, il chercha à faire sortir le pal,

et incapable de faire sortir le pal, il le coupa à sa base.

21. L’anachorète circula donc ainsi, avec son pal à l’intérieur :

avec cette ascèse il gagna des mondes inaccessibles aux autres.

Et c’est ainsi qu’il fut connu des gens sous le nom de « Māṇḍavya-au-pal ».

22. Ce savant brahmane, connaisseur de la vérité suprême, alla dans la demeure de Dharma ;

quand donc il vit Dharma assis, le puissant ermite le prit à partie :

23. « Quelle mauvaise action ai-je pu faire à mon insu

pour que j’en récolte un tel fruit ?

Dis-moi vite la vérité ! Considère la puissance de mon ascèse ! »

24. Dharma lui dit :

« Tu as mis des brindilles dans le derrière des insectes :

c’est là le fruit que tu as obtenu pour cette action, ô ascète. ».

25. Māṇḍavya-au-pal lui dit :

« Pour cette petite faute tu m’as donné une grande punition :

c’est pourquoi, Dharma, tu t’incarneras en homme dans la matrice d’une servante ! 

26. J’établis aujourd’hui dans quelle limite on reçoit en conséquence les fruits du Dharma :

jusqu’à quatorze ans il n’y aura pas de péché,

pour ceux qui agiront plus tard, ce sera une transgression. »

27. Vaiśampāyana dit :

« C’est donc pour cette faute, par la malédiction de l’ermite au grand cœur,

que Dharma naquit, sous l’apparence de Vidura, de la matrice d’une servante.

28. Il était expert dans le Dharma et le profit, il était exempt d’avidité et de colère,

il avait la vision large, il était plein de quiétude, et le bien-être des Kuru faisait sa joie.

 

 

 

1. 102. Le royaume des Kuru prospère sous la conduite de Bhīṣma. Pāṇḍu devient roi.  (=  23 ślokas)

 

Livre I, chapitre 102.

1. Vaiśampāyana dit :

Quand ces trois garçons furent nés, le pays des Kuru,

les Kuru et la plaine de Kurukṣetra prospérèrent tous les trois.

2. La terre voyait les récoltes se dresser, et les récoltes étaient fructueuses,

Parjanya [50] déversait ses pluies au bon moment, les arbres étaient pleins de fleurs et de fruits,

3. les animaux de trait étaient joyeux, et pleins d’allégresse le gibier et les oiseaux,

et parfumées les guirlandes, et succulents les fruits.

4. Les cités regorgeaient de marchands et d’artisans,

et les héros avaient de l’éducation, de la vertu et ils étaient heureux.

5. Il n’y avait pas de voleurs, pas d’hommes qui se plaisent aux crimes,

dans toutes les régions des royaumes c’était l’Âge d’Or.

6. Pratiquant les dons, les rites et le Dharma, ne songeant qu’aux offrandes et aux vœux,

unis par une affection réciproque, les hommes d’alors prospéraient.

7. Les gens, exempts d’orgueil et de colère et dépourvus d’avidité,

se créaient mutuellement de la prospérité, le Dharma était à son apogée.

8. La cité tout entière brillait comme un océan,

avec ses porches, ses portiques, ses pinacles pareils à des monceaux de nuages,

des centaines de demeures s’y pressaient, semblable à la citadelle du grand Indra.

9. Dans les rivières, dans les lieux boisés, sur les sommets, dans les cavernes, les bassins, les étangs,

et dans les bosquets charmants, les gens s’ébattaient dans la joie.

10. En ce temps les Kuru du Sud étaient avec les Kuru du Nord,

ils allaient rivalisant avec les Accomplis, les Vieux Sages et les chanteurs célestes,

il n’y avait aucun malheureux, il n’y avait pas de femmes veuves.

11. Dans cette contrée charmante les Kuru construisirent en grand nombre

des fontaines, des jardins, des salles communes et des citernes, ainsi que des logements pour les brahmanes.

Pendant que Bhīṣma les protégeait de toutes parts en suivant les règles, ô roi,

12. ce pays était agréable et montrait des centaines de sanctuaires et de poteaux sacrificiels,

s’accroissant en prenant les royaumes ennemis.

Sous la direction de Bhīṣma, la roue du Dharma roulait dans le royaume.

13. Tandis que ces garçons au grand cœur accomplissaient leurs exploits,

tous les citadins et les villageois faisaient perpétuellement la fête.

14. Dans les demeures des chefs des Kuru et des bourgeois, ô prince,

on entendait de touts parts ces mots : « Qu’on nous donne ! », « Qu’on nous serve à manger ! ».

15. Dhṛtarāṣṭra, Pāṇḍu et le subtil Vidura

depuis leur enfance étaient protégés par Bhīṣma comme ses fils.

16. Purifiés par des ablutions rituelles, attachés à leurs vœux et à leurs études,

entraînés à la lutte, ils devinrent de jeunes hommes.

17. Dans la science du tir à l’arc, de l’équitation, du combat à la massue, de l’épée et du bouclier de cuir,

dans l’art de conduire un éléphant et dans la science politique, ils devinrent des maîtres.

18. Dans les épopées et les récits d’antan, dans des études de toutes sortes, ô puissant roi,

ils connurent l’essence des Veda et de leurs annexes, recherchant toujours la perfection.

19. Pāṇḍu, marchant à grands pas avec son arc, surpassait tous les hommes,

le roi Dhṛtarāṣṭra était plus puissant que les autres,

20. Dans les trois mondes il n’y avait pas un homme qui fût comparable à Vidura,

constamment attaché au Dharma, ô roi, et étant allé aussi loin dans le Dharma.

21. A voir que la lignée de Śāṃtanu qui disparaissait avait été restaurée,

un proverbe circula alors chez les gens dans tous les royaumes :

22. « Parmi celles qui enfantent des héros il y a les deux filles de Kāśi, parmi les contrées il y a le pays des Kuru,

parmi ceux qui connaissent tout le Dharma il y a Bhīṣma, parmi les citadelles il y a Hāstinapura. »

23. Mais Dhṛtarāṣṭra, à cause de sa cécité, n’obtint pas le pouvoir royal,

ni Vidura parce qu’il était de sang mêlé : ce fut Pāṇḍu qui fut le roi.

 

 

 

1. 103. La prise de bandeau de Gāndhārī. Bhīṣma obtient la main de Gāndhārī, la fille de Subala, pour Dhṛtarāṣṭra. Celle-ci, apprenant que Dhṛtarāṣṭra est aveugle, met un bandeau sur ses yeux, qu’elle jure de ne jamais enlever.  (=  17 ślokas)

Livre I, chapitre 103.

1. Bhīṣma dit :

« Notre illustre lignée ne manque vraiment pas de mérites,

elle règne souverainement sur tous les autres rois de la Terre.

2. Protégée par les rois d’antan au grand cœur qui connaissaient le Dharma,

la lignée qui est la nôtre n’a jamais connu la ruine ici-bas ;

3. grâce à moi, à Satyavatī et au Noiraud au grand cœur

elle est fondée encore plus fermement sur vous qui en êtes le fil continu.

4. Afin que cette lignée s’accroisse, mon fils, comme l’océan,

des mesures doivent être prises par moi, et par toi aussi en particulier !

5. On entend parler d’une jeune fille de la race de Yadu qui convient à notre lignée,

et aussi d’une fille de Subala, ainsi que d’une du seigneur de Madra.

6. Elles sont toutes de noble origine, belles, subordonnées à leurs protecteurs,

et ces taureaux parmi la noblesse guerrière sont aussi pour nous des parents convenables.

7. Je pense donc qu’il faut les solliciter, ô le meilleur des sages,

pour la continuation de notre lignée : qu’en penses-tu toi, Vidura ? »

8. Vidura lui dit :

« Tu es notre père, tu es notre mère, tu es notre gourou suprême.

Fais donc toi-même, après délibération, ce qui est satisfaisant pour notre lignée… »

9. Vaiśampāyana dit :

« Bhīṣma apprit alors des brahmanes que Gāndhārī, la fille de Subala,

s’était concilié le dieu qui exauce les désirs, le Destructeur, celui qui creva les yeux de Bhaga [51] :

la belle Gāndhārī, disait-on, avait obtenu la faveur d’avoir cent fils.

10. Comme ce qu’il avait entendu dire était vrai, Bhīṣma, l’aïeul des Kuru,

envoya donc un message au roi de Gandhāra, ô Bhārata.

11. « Il est aveugle » se disait en hésitant Subala ;

mais considérant dans son esprit sa lignée, sa renommée et ses mœurs,

il donna à Dhṛtarāṣṭra la vertueuse Gāndhārī.

12. Gāndhārī apprit aussi que Dhṛtarāṣṭra était aveugle,

et que son père et sa mère voulaient la lui donner, ô Bhārata.

13. Alors la jolie princesse prit un bandeau le plia plusieurs fois,

et elle banda ses yeux, ô roi, ne songeant qu’à être loyale envers son époux :

« Que je ne profite pas plus que mon mari ! » se dit-elle, déterminée.

14. Ainsi le fils du roi de Gāndhāra, Śakuni, vint

chez les Kaurava pour amener sa sœur d’une extrême beauté.

15. Après avoir donné sa sœur avec le train dont elle était digne, le héros

retourna dans sa cité, après avoir été honoré par Bhīṣma.

16. Gāndhārī aux belles hanches, avec son caractère, ses manières et son comportement

fit naître la satisfaction chez tous les Kuru, ô Bhārata.

17. Par ses mœurs elle se les concilia tous, ne songeant qu’à être loyale envers son époux,

et dans ses paroles la reine vertueuse ne mentionnait jamais d’autres hommes.

 

 

1. 104. Naissance de Karṇa. Kuntī, la fille de Śūra, est confiée au roi Kuntibhoja. Elle accueille avec perfection l’irascible ascète Durvāsas, qui lui accorde un vœu : elle pourra, à sa guise, avoir un fils du dieu qu’elle invoquera. Kuntī, par curiosité, invoque le soleil, qui lui donne un fils, Karṇa, et restaure sa virginité. Kuntī abandonne Karṇa, qui est recueilli par le sūta Adhiratha. Karṇa était né avec cuirasse et boucles d’oreilles. Un jour, Indra, déguisé en brahmane, les lui réclame : Karṇa n’hésite pas et se les arrache du corps pour les lui donner. Indra lui donne une épée qui tuera celui contre lequel il la lancera, quel qu’il soit.  (=  21 ślokas)

Livre I, chapitre 104.

1. Vaiśampāyana dit :

« Le premier parmi les Yadu avait pour nom Śūra et était le père de Vāsudeva ;

sa fille, du nom de Pṛthā, était d’une beauté inégalée sur Terre.

2. Kuntibhoja, le fils de sa tante paternelle était sans enfant : ce chef vaillant

lui avait d’abord promis son premier enfant, ce chef vaillant étant alors lui-même sans enfant.

3. Se disant qu’elle était son premier enfant, et vu qu’il attendait qu’on lui fasse la faveur du premier enfant,

il la donna à Kuntibhoja, en ami pour son ami au grand cœur.

4. Celle-ci, dans la maison de son père, était chargée d’honorer les dieux et les hôtes :

elle fit honneur au redoutable et terrible brahmane très attaché à ses vœux,

5. aux sentences obscures sur le Dharma, que l’on connaît sous le nom de Durvāsas.

Elle contenta le redoutable et inflexible brahmane avec toutes sortes de soins.

6. En prévision de l’application du Dharma en cas de détresse, il lui donna un mantra

doté d’un pouvoir incantatoire, et l’anachorète lui dit :

7. « Quel que soit le dieu que tu invoqueras avec ce mantra,

chaque fois tu auras par faveur un fils de lui. »

8. Quand le brahmane lui eut ainsi parlé, par curiosité alors

la vertueuse et glorieuse jeune fille appela le dieu Soleil.

9. Elle vit arriver le Lumineux, le créateur du monde,

et la jeune fille au corps sans défaut fut étonnée de voir ce grand prodige.

10. Le Brûlant qui fait la lumière plaça donc en elle un embryon,

et elle donna naissance à un héros, le meilleur parmi tous ceux qui portent des armes,

orné d’une cuirasse, splendide, rejeton fortuné d’un dieu.

11. Il portait en naissant une cuirasse, et des boucles d’oreille faisaient resplendir son visage :

ce fils qui naquit est connu dans tous les mondes sous le nom de Karṇa.

12. Le dieu à l’éclat suprême lui rendit sa virginité,

et après ce don, le meilleur des donateurs retourna ensuite au ciel.

13. Alors, voulant dissimuler sa faute, par peur de ce que pourrait penser son parent,

Kuntī jeta à l’eau le garçon qui avait ces attributs.

14. Alors, cet enfant abandonné, le très glorieux mari de Rādhā,

qui était fils de cocher, en fit son fils, d’accord avec sa femme.

15. Et tous deux donnèrent un nom au garçon :

« Il est né avec des joyaux : qu’il soit Vasuṣeṇa [52]. ».

16. Il grandit et devint vigoureux, prêt à se battre avec toutes sortes d’armes ;

et il honorait vaillamment le Soleil jusqu’à l’heure où le dos est brûlé [53].

17. Pendant tout le temps où ce héros, en accord avec la Vérité, était assis à prier silencieusement,

il n’y avait rien que ce grand cœur ne pût donner aux brahmanes.

18. Indra, le créateur des êtres, prit l’apparence d’un brahmane pour mendier,

et le dieu au grand éclat lui demanda ses deux boucles d’oreille et sa cuirasse.

19. Sans réfléchir, il découpa sur son corps la cuirasse, ruisselante de sang,

et tranchant ses boucles d’oreille, Karṇa les lui tendit en portant ses mains à son front.

20. Stupéfait, Śakra lui donna une lance et lui dit ces mots :

« Parmi les dieux, les Asuras et les hommes, parmi les Gandharvas, les dragons et les Rākṣasas,

celui vers qui tu la lanceras avec colère, ô homme de bien, n’existera plus ! ».

21. Auparavant, il était connu sous le nom de Vasuṣeṇa :

ainsi, à la suite de cet exploit, Karṇa devint l’Écorché.

 

 

1. 105. Pāṇḍu épouse Kuntī. Il épouse aussi Mādrī, fille du roi des Madra. Pāṇḍu défait les rois voisins, les autres se soumettent, il agrandit le royaume et accumule le butin et les tributs. Il est reçu triomphalement à Hāstinapura.  (= 27 ślokas)

 

Livre I, chapitre 105.

1. Vaiśampāyana dit :

« Pleine de beauté, d’intelligence et de qualités, se plaisant dans le Dharma, très attachée à ses vœux,

la fille de Kuntibhoja, quand son père organisa son mariage à son choix,

2. se choisit, au milieu de milliers de princes, Pāṇḍu

avec ses dents de lion, ses épaules d’éléphants, ses yeux de taureau, sa grand force.

3. Avec la fille de Kuntibhoja, le fils de Kuru

s’unit dans une félicité sans limite, comme le Généreux avec la fille de Pulomā [54].

4. Puis il alla avec Devavrata [55] dans la cité des Madras

où vivait Mādrī, célèbre dans les trois mondes, la fille du roi des Madras,

5. renommée auprès de tous les rois pour sa beauté inégalée sur Terre,

achetée alors pour Pāṇḍu pour une grosse somme.

Bhīṣma prépara son mariage avec Pāṇḍu au grand cœur.

6. Avec ses dents de lion, ses épaules d’éléphants, ses yeux de taureau, sa sagesse,

quand les hommes sur Terre virent Pāṇḍu, ce tigre parmi les hommes, ils furent stupéfaits.

7. Après le mariage, Pāṇḍu, plein de force et d’énergie,

souhaita conquérir la Terre nourricière et marcha contre d’innombrables ennemis.

8. D’abord il marcha contre les malfaisants Daśārṇas, et il furent vaincus au combat

par Pāṇḍu, le lion parmi les hommes, qui porte la gloire des Kaurava.

9. Ainsi Pāṇḍu prit une armée avec des étendards de toutes sortes,

avec une abondance d’éléphants, de chevaux et de chars, et pleine de troupes de fantassins.

10. Malfaisant avec tous les héros, ennemi de tous les souverains,

Dārva, le protecteur du royaume de Magadha, fut tué à Rājagṛha.

11. Il s’empara donc de son trésor, de ses transports et de ses troupes.

Pāṇḍu marcha contre Mithilā et vainquit les habitants de Videha au combat.

12. C’est ainsi que chez les gens de Kāśi, de Suhma et de Puṇḍra, ô taureau des Bhārata,

il fit la gloire des Kuru grâce à ses propres forces et à son héroïsme.

13. Quand, avec le grand flot brûlant de ses flèches, avec les javelots de feu de ce destructeur d’ennemis,

le feu de Pāṇḍu les approcha, les rois furent carbonisés.

14. Les rois avec leurs armées virent leurs forces détruites par son armée,

et, une fois à la merci de Pāṇḍu, ils furent astreints à des tributs et des corvées.

15. Et tous les rois de toute la Terre lui furent soumis,

et ils le considérèrent comme le seul héros, tel parmi les dieux le Destructeur de remparts.

16. Et tous les princes de la Terre s’inclinèrent devant lui, en portant leurs mains jointes à leur front,

et ils s’approchèrent pour lui offrir leurs richesses, des joyaux de toutes sortes,

17. des pierreries, des perles et du corail, de l’or et de l’argent,

les perles parmi les vaches, les chevaux et les chars, des éléphants,

18. des ânes, des chameaux et des buffles, et toutes sortes d’ovins ;

et le roi, le seigneur d’Hāstinapura, accepta tout cela.

19. Pāṇḍu emporta cela et, satisfait de son convoi, il rentra chez lui,

réjouissant ses sujets et la cité qui tire son nom des éléphants.

20. « Śāṃtanu, ce lion parmi les rois, et le sage Bharata,

leur renom, né de leur gloire, avait disparu : grâce à Pāṇḍu il a été arraché à l’oubli.

21. Ceux qui jadis avaient dérobé les terres des Kuru et les possessions des Kuru,

Pāṇḍu, le lion d’Hāstinapura, en a fait ses contribuables ! »

22. Ainsi parlaient les rois et les conseillers royaux réunis,

le cœur confiant et pleins de joie, et avec eux les gens de la ville et de la campagne.

23. Tous allèrent à sa rencontre quand il fut là, avec Bhīṣma à leur tête ;

ils n’avaient pas cheminé très longtemps que les habitants d’Hāstinapura,

virent, pleins de joie, l’endroit plein d’hommes de toutes sortes,

24. avec aussi des joyaux de toutes sortes amassés sur divers chariots,

les perles parmi les éléphants, les chevaux et les chars, des bœufs, des chameaux ainsi que des moutons.

Les Kaurava qui s’étaient approchés avec Bhīṣma n’en voyaient pas la fin !...

25. Il se prosterna aux pieds de son père et souhaita à la fille de Kausalyā que son bonheur s’accroisse ;

et il honora aussi comme il convient les gens de la ville et de la campagne.

26. Quand, il fut de retour après avoir réussi à écraser les chars de ses ennemis,

Bhīṣma alla à la rencontre de son fils en versant des larmes de joie.

27. Et dans le vacarme de multitudes de trompettes et de timbales,

il réjouit tous les habitants de la cité et il pénétra dans la cité qui tire son nom des éléphants.

 

 

 

1. 106. Le butin est partagé entre Bhīṣma, Vidura, Satyavatī et sa mère. Puis il part chasser dans la forêt. Vidura épouse la fille de Devaka.  (= 14  ślokas)

 

Livre I, chapitre 106.

1. Vaiśampāyana dit :

Avec le consentement de Dhṛtarāṣṭra il offrit le butin qu’il avait gagné de ses propres mains

à Bhīṣma, à Satyavatī et à sa mère.

2. Et Pāṇḍu envoya aussi son butin à Vidura,

et ce prince au cœur loyal fit aussi profiter ses amis de son butin.

3. Puis ce furent Satyavatī et la glorieuse fille de Kausalyā que Bhīṣma

contenta, ô Bhārata, avec de splendides joyaux gagnés par Pāṇḍu.

4. Sa mère, la fille de Kausalyā, réjouit ce taureau parmi les hommes

à l’éclat incomparable en le serrant dans ses bras, comme le ferait la fille de Pulomā pour Jayanta [56].

5. Avec ce que ce héros avait gagné par sa vaillance, l’équivalent de centaines de milliers d’aumônes,

de centaines de sacrifices du cheval, Dhṛtarāṣṭra offrit de grands sacrifices.

6. Et accompagné de Kuntī et de Mādrī, ô taureau des Bharata,

Pāṇḍu, lassé de ses victoires, alla vivre dans la forêt.

7. Il renonça à séjourner dans son palais et aux ornements de ses lits,

et il était toujours dans la forêt, s’adonnant continuellement à la chasse.

8. Il parcourait le versant méridional plein de charme de l’Himalaya,

et il vivait sur les plateaux des montagnes et dans les grandes forêts de śāl.

9. Pāṇḍu, en compagnie de Kuntī et de Mādrī, habitait la forêt et resplendissait

comme l’illustre éléphant d’Indra [57] au milieu de deux éléphantes.

10. Les habitants de la forêt pensaient : « C’est un dieu ! » en voyant passer

le Bhārata avec ses deux femmes, portant son arc, ses flèches et son épée,

ce héros à l’armure extraordinaire, ce prince connaissant parfaitement les armes.

11. Quant à ses désirs et ses plaisirs, régulièrement et infatigablement des hommes,

dépêchés par Dhṛtarāṣṭra, les lui offraient dans les forêts.

12. Puis le fils de la rivière apprit que le roi Devaka avait

une fille bâtarde, avec la beauté de la jeunesse.

13. Aussi ce taureau parmi les hommes la demanda en mariage, l’emmena

et il organisa son mariage avec le subtil Vidura.

14. Et avec elle Vidura, le fils de Kuru, engendra

des fils d’une parfaite éducation, qui lui étaient semblables par leurs vertus.

 

 

1. 107. Naissance des fils de Dhṛtarāṣṭra. Vyāsa avait accordé à Gāndhārī d’avoir cent fils. Elle porte ses enfants pendant deux ans, puis met à grand peine au monde une boule de chair informe. Elle se prépare à la jeter, mais Vyāsa intervient : qu’elle l’arrose d’eau froide. La boule de chair se sépare alors en cent parties que l’on place dans des pots de terre remplis de beurre clarifié, et que l’on brisera en temps utile. Dhṛtarāṣṭra précise que c’est le fils de Pāṇḍu qui sera roi. A la naissance du premier fils, Duryodhana, des présages affreux se font entendre. Vidura conseille de l’abandonner, pour le salut de la dynastie, mais Dhṛtarāṣṭra refuse. En un mois, naissent les cent fils de Dhṛtarāṣṭra, et une fille, Duḥśalā. Naissance de Yuyutsu, fils de Dhṛtarāṣṭra et d’une servante.  (= 37  ślokas)

 

Livre I, chapitre 107.

1. Vaiśampāyana dit :

« Puis, ô Janamejaya, cent fils naquirent de Gāndhārī

pour Dhṛtarāṣṭra, et un autre, en plus des cent, d’une femme de la classe des travailleurs.

2. De Kuntī et Mādrī, Pāṇḍu eut cinq fils, de grands auriges :

ils étaient nés des dieux pour la continuation de la dynastie. »

3. Janamejaya lui dit :

« Comment cent fils naquirent-ils de Gāndhārī, ô le meilleur des deux-fois-nés,

et en combien de temps, et quelle fut ensuite la durée de leur vie ?

4. Et comment se fait-il que Dhṛtarāṣṭra a eu un fils d’une femme de la classe des travailleurs ?

Et comment se fait-il que Dhṛtarāṣṭra a désavantagé son épouse Gāndhārī

qui était digne, fidèle au Dharma et se conduisait correctement ?

5. Et comment se fait-il que Pāṇḍu, qui avait été maudit par ce juste au grand cœur,

ait eu pour fils, grâce aux dieux, de grands auriges ?

6. Si tu le sais, raconte-moi en détails comment cela s’est produit,

ô ascète : je ne me rassasie pas de l’histoire de mes parents ! »

7. Vaiśampāyana dit :

« L’Îlien était arrivé, complètement exténué de faim et de fatigue,

et Gāndhārī l’avait réconforté : Vyāsa lui accorda un vœu.

8. Elle choisit pour elle une centaine de fils semblable à son époux.

Ainsi, quand il fut temps, elle reçut un embryon de Dhṛtarāṣṭra.

9. Mais pendant deux ans Gāndhārī porta le fœtus

qu’elle avait reçu sans accoucher, et elle fut pénétrée de douleur.

10. Apprenant que le fils de Kuntī était né, semblable à l’éclat d’un soleil levant,

et voyant la durée de sa grossesse, elle devint songeuse.

11. Aussi, à l’insu de Dhṛtarāṣṭra, au prix d’un grand effort,

Gāndhārī, pleine de douleur, mit à bas ce qu’elle avait dans son ventre.

12. Il sortit un morceau de chair, pareil à un caillou rouge et compact,

et après l’avoir porté deux ans dans son ventre, elle voulut le jeter.

13. Mais l’Îlien apprit cela et en hâte il la rejoignit ;

le meilleur de ceux qui prient à voix basse vit ce morceau fait de chair.

14. Il dit donc à la fille de Subala : « Que veux-tu faire là ? »

Et elle dit la vérité sur son projet au sage suprême.

15. « Quand j’ai entendu que le premier fils de Kuntī était né, aussi splendide que le Soleil,

dans mon extrême douleur je l’ai fait tomber de mon ventre.

16. Ne m’as-tu pas jadis accordé une centaine de fils ?

Et il m’est né ce morceau de chair au lieu de cent fils ! »

17. Vyāsa lui dit :

« Il en sera ainsi, fille de Subala, il ne saurait aucunement en être autrement !

Je n’ai jamais parlé en vain pour des choses sans importance, à plus forte raison pour les autres.

18. Qu’on dispose vite une centaine de pots pleins de beurre fondu

et qu’on asperge cette boule avec de l’eau froide. »

19. Vaiśampāyana dit :

« Une fois arrosée, la boule se divisa alors en cent morceaux,

chacun étant un embryon de la grosseur de l’articulation du pouce.

20. Cent un embryons se développèrent alors normalement, Seigneur des peuples,

avec le temps, petit à petit, ô roi, à partir de ce morceau de chair.

21. Il déposa donc alors les embryons dans les pots,

et il les protégea en les mettant dans des endroits bien cachés.

22. Et le bienheureux indiqua à la fille de Subala au bout de combien de temps

ces pots devraient être cassés.

23. Le bienheureux et sage Vyāsa, après lui avoir parlé et donné ses instructions,

retourna à son ascèse dans les rocs de l’Himalaya.

24. Et dans cette succession, naquit le prince Duryodhana,

mais le roi Yudhiṣṭhira était l’aîné par la naissance selon la règle.

25. Dès que ce fils fut né, Dhṛtarāṣṭra déclara ceci,

après avoir réuni de nombreux brahmanes, ainsi que Bhīṣma et Vidura :

26. « Yudhiṣṭhira est fils de roi, il est l’aîné, il fait croître notre lignée :

par sa propre vertu le pouvoir royal lui revient, nous n’avons aucun reproche à lui faire.

27. Mais est-ce que celui-ci lui succèdera comme roi ?

Sur ce point dites-moi en vérité ce qu’il en sera, pour être fixés. »

28. Une fois ces paroles achevées, de toutes les directions, ô Bhārata,

des bêtes carnassières se mirent à pousser des rugissements épouvantables, annonciateurs de bons et mauvais présages.

29. Percevant ces épouvantables présages de toutes parts,

les brahmanes, ô roi, ainsi que le subtil Vidura dirent :

30. « Ce fils qui est le tien sera manifestement sera le destructeur de ta dynastie :

l’abandonner serait un apaisement, son élimination complète apporterait la prospérité.

31. Garde encore quatre-vingt-dix-neuf de tes fils, ô roi,

et avec ce seul fils assure la prospérité du monde comme celle de ta dynastie.

32. Abandonne un seul pour ta famille, pour ton village abandonne ta famille,

abandonne ton village pour ton pays, et la Terre pour ton âme. »

33. Ainsi parlèrent Vidura et tous les meilleurs des deux-fois-nés,

mais le roi ne fit pas ainsi, à cause de son attachement pour son fils.

34. Puis tous les cent fils de Dhṛtarāṣṭra, ô roi,

naquirent ensemble en l'espace d'un mois, ainsi qu’une fille en surplus.

35. Quant à celle qui avait grandi dans la matrice de Gāndhārī qui se tourmentait,

une fille de travailleur, elle fut apparemment au service du puissant Dhṛtarāṣṭra.

36. Cette même année, ô roi, du très glorieux Dhṛtarāṣṭra

naquit ainsi de celle-ci le sage Yuyutsu, un sang-mêlé, ô prince.

37. Ainsi naquirent cent fils du sage Dhṛtarāṣṭra,

de grands auriges, des héros, ainsi qu’une fille, Duḥśalā.

 

 

 

1. 108. Nom des cent fils de Dhṛtarāṣṭra.  (=  18 ślokas)

 

Livre I, chapitre 108.

1. Janamejaya dit :

« De l’aîné aux cadets, nomme les fils de Dhṛtarāṣṭra,

ô puissant, dans l’ordre, par leurs noms. »

2. Vaiśampāyana dit :

« Duryodhana et Yuyutsu, ô roi, ainsi que Duḥśāsana,

Duḥsaha, Duḥśala, Jalasaṃdha, Sama, Saha,

3. Vinda et Anuvinda, Durdharṣa, Subāhu, Duṣpradharṣaṇa,

Durmarṣaṇa, Durmukha, et Duṣkarṇa et aussi Karṇa,

4. Viviṃśati, Vikarṇa, Jalasaṃdha, Sulocana,

Citra et Upacitra, Citrākṣa, Cārucitra, Śarāsana,

5. Durmada, Duṣpragāha, Vivitsu, Vikaṭa, Sama,

Ūrṇanābha, Sunābha, ainsi que  Nanda et Upanandaka,

6. Senāpati, Suṣeṇa, Kuṇḍodara et  Mahodara,

Citrabāṇa, Citravarman, Suvarman, Durvimocana,

7. Ayobāhu, Mahābāhu, Citrāṅga, Citrakuṇḍala,

Bhīmavega, Bhīmabala, Balākin, Balavardhana,

8. Ugrāyudha, Bhīmakarman, Kanakāyu, Dṛḍhāyudha,

Dṛḍhavarman, Dṛḍhakṣatra, Somakīrti, Anūdara,

9. Dṛḍhasaṃdha, Jarāsaṃdha, Satyasaṃdha, Sadaḥsuvāk,

Ugraśravas, Aśvasena, Senānī, Duṣparājaya,

10. Aparājita, Paṇḍitaka, Viśālākṣa, Durāvara,

Dṛḍhahasta, Suhasta, Vātavega et Suvarcas,

11. Ādityaketu, Bahvāśin, Nāgadanta et Ugrayāyin,

Kavacin, Niṣaṅgin, et Pāśin, Daṇḍadhāra, Dhanurgraha,

12. Ugra, Bhīmaratha, Vīra, Vīrabāhu, Alolupa,

et les trois Abhaya, Raudrakarman ainsi que  Dṛḍharatha,

13. Anādhṛṣya, Kuṇḍabhedin, Virāvin, Dīrghalocana,

Dīrghabāhu, Mahābāhu, Vyūḍhoru, Kanakadhvaja,

14. Kuṇḍāśin, et aussi Virajas, et Duḥśalā, en surplus des cent,

cette cent-unième, ô roi, la seule fille que l’on mentionne.

15. Voilà donc leurs noms successifs, dans l’ordre de leur naissance, ô roi ;

tous étaient de grands auriges, des braves, tous étaient experts dans l'art de la guerre,

16. tous aussi connaissaient les Veda et étaient des experts dans l’art de régner,

tous possédaient la science de la diplomatie et brillaient par leurs connaissances et leur naissance.

17. Et Dhṛtarāṣṭra, quand il fut temps, après les avoir examinées comme il convient,

leur donna alors à tous de belles épouses, ô roi.

18. Et quand il fut temps, ô Bhārata, le roi, avec l’approbation de la fille de Subala,

donna alors pour femme Duḥśalā à Jayadratha, le roi du Sindhu.

 

 

 

1. 109. Malédiction de Pāṇḍu et naissance des Pāṇḍava. Pāṇḍu tue à la chasse un daim en train de s’accoupler. Le daim est un ermite déguisé, il blâme Pāṇḍu de n’avoir pas attendu la fin de l’accouplement et le maudit : il trouvera la mort s’il s’accouple avec une femme. Et la femme avec qui il s’accouplera le suivra sur le bûcher funéraire.  (= 31 ślokas)

 

Livre I, chapitre 109.

1. Janamejaya dit :

« Tu as exposé l’origine extraordinaire des sages issus de Dhṛtarāṣṭra,

de ce seigneur surhumain parmi les hommes, ô toi qui connais le Sacré au plus haut point.

2. Et leurs noms ont aussi été exposés, chacun à son tour,

tu me les as fait entendre, ô brahmane : mais dis-moi ceux des Pāṇḍava.

3. Car tous ces hommes au grand cœur, aussi héroïques que le roi des dieux,

étaient des portions de dieux : tu les as mentionnés dans leur incarnation partielle.

4. Aussi je désire entendre l’origine de ces héros

aux exploits surhumains : dis-la moi entièrement, ô Vaiśampāyana. »

5. Vaiśampāyana lui dit :

« Le roi Pāṇḍu, dans une grande forêt peuplée d’antilopes et d’animaux féroces,

vit dans un bois le mâle d’un troupeau d’antilopes en train de s’accoupler.

6. Ainsi le roi Pāṇḍu transperça le mâle et sa femelle de cinq flèches

au bel empennage d’or, aiguës et rapides.

7. C’était, ô roi, un ascète d’un grand rayonnement, le fils d’un sage :

cet homme rayonnant s’était uni à son épouse sous la forme d’une antilope.

8. Toujours accouplé à sa femelle, il fit entendre une voix humaine,

et tomba aussitôt à terre en gémissant, malgré la puissance de sa caste.

9. L’antilope lui dit :

« Même ceux qui sont envahis par le désir ou la colère, et même ceux qui sont complètement privés d’intelligence,

les hommes qui se plaisent aux péchés, s’abstiennent d’agir cruellement.

10. La sagesse n’engloutit pas le destin, c’est le destin qui engloutit la sagesse :

la sagesse n’atteint pas les objectifs qui contournent le destin.

11. Alors que tu es né, ô Bhārata, d’une caste supérieure, d’hommes dont le cœur est constamment attaché au Dharma,

comment ta pensée a-t-elle pu se fourvoyer au point d’être soumis au désir et à l’avidité ? »

12. Pāṇḍu lui dit :

« Tuer les antilopes de la même manière qu’on tue ses ennemis est une tradition

chez les rois, antilope : ne viens pas, toi, me blâmer par erreur !

13. Il est reconnu que tuer les antilopes sans artifice et sans tromperie,

c’est là le Dharma des rois : sachant cela, qu’as-tu à me blâmer ?

14. Le sage Agastya, alors qu’il siégeait à une session sacrificielle, partit à la chasse,

consacrant à tous les dieux les antilopes sauvages dans la grande forêt,

15. conformément aux règles observées dans le Dharma : comment nous blâmes-tu ?

Par les incantations d’Agastya, votre moelle est offerte en sacrifice ! »

16. L’antilope lui dit :

« On ne leur lance jamais des flèches trompeuses inconsidérément :

on dit que c’est particulièrement le moment de les tuer quand ils sont faibles. »

17. Pāṇḍu lui dit :

« Qu’il soit sur ses gardes ou pas, on tue l’animal quand il est à découvert, et violemment,

par des ruses, avec des flèches aiguës : pourquoi, antilope, me blâmes-tu ? ».

18. L’antilope lui dit :

« Je ne te blâme pas pour des raisons personnelles , ô roi, de tuer des antilopes ;

mais tu aurais pu avoir la bonté d’attendre pendant mon coït…

19. Dans un temps propice à toutes les créatures, cher à toutes les créatures,

quel homme sensé tuerait une antilope, tandis qu’elle s’accouple dans la forêt ?

Tu as détruit le fruit de l’homme quand il a un but dans son existence.

20. Ce que tu fais là, fils de Kuru, ne convient pas à quelqu’un issu de la lignée

des Paurava et de ces sages dont les actes refusent la souffrance.

21. C’est un acte d’une très grande cruauté, que le monde entier réprouve,

qui prive du ciel et de la gloire, ô Bhārata, et totalement contraire au Dharma.

22. Tu t’y connais dans les jouissances des femmes, tu as la science des textes sacrés, du Dharma, du Profit et de la Vérité :

il est indigne de toi, qui ressembles à un dieu, de commettre un acte tel qu’il te prive du ciel.

23. C’est par toi que les hommes qui commettent des actes cruels et se conduisent en criminels

sont réprimés, ô le meilleur des rois : ils ont renoncé aux trois buts de l'homme.

24. A quoi te sert de me tuer, ô le meilleur des hommes, alors que je suis innocent ?

Moi, un anachorète qui me nourris de racines et de fruits, qui ai pris l’apparence d’une antilope, ô roi,

qui vis dans les forêts, qui ne pense continuellement qu'à la quiétude ?

25. Puisque tu m’a fait du mal, toi aussi pour cette raison, sois-en sûr,

toi qui as agi cruellement contre nous deux, quand tu seras égaré par le désir sans pouvoir le contrôler,

ton amour deviendra ainsi le destructeur de ta vie.

26. Car mon nom est Kiṃdama, un anachorète à l’ascèse inégalée :

me détournant des humains par pudeur, je m’accouplais avec une antilope.

27. Étant devenu une antilope, je parcourais la forêt profonde en compagnie des antilopes ;

mais ce ne sera pas pour toi le meurtre d’un brahmane, puisque tu ignorais

que tu me tuais alors que j’avais pris l’apparence d’une antilope, égaré par le désir.

28. Mais comme fruit de cela, insensé, il t’arrivera la même chose :

quand avec ta bien-aimée tu voudras t’unir, affolé par le désir,

toi aussi, dans le même état, tu iras dans le monde des morts.

29. Et à l’heure de ta mort, quand tu auras gagné le séjour du roi des morts

qui, pour toutes les créatures, est d’un abord difficile,

la femme avec laquelle tu te seras uni, par fidélité, te suivra, ô le meilleur des sages.

30. De la même façon que, lorsque j’étais dans le bonheur, j’ai connu le malheur à cause de toi,

de même, quand tu connaîtras le bonheur, le malheur viendra te rendre visite. »

31. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir ainsi parlé, accablé de souffrances, l’antilope perdit la vie,

et Pāṇḍu fut à l’instant accablé par le chagrin. »

 

 

1. 110. Pāṇḍu renonce au trône, se retire dans la forêt, et précise son programme d’austérités. Kuntī et Mādrī le suivent. Pāṇḍu erre de place en place en remontant vers le nord.  (= 45 ślokas)

 

Livre I, chapitre 110.

1. Vaiśampāyana dit :

« Le roi le laissa comme si c’était l’un de ses parents et s’éloigna

avec ses épouses, accablé par le chagrin et la peine, et il se lamentait, affligé.

2. Pāṇḍu dit :

« Même s’ils sont nés dans une famille de justes, à cause de leur comportement, hélas ! c’est le malheur

que reçoivent les hommes immatures qui se sont égarés dans les filets du désir.

3. Né d’un homme au cœur toujours tourné vers le Dharma, mon père, arriva à la fin de sa vie

pareil à un jeune garçon, parce que son cœur était tourné vers le désir, d’après ce que nous avons entendu.

4. C’est dans le champ de ce roi au cœur tourné vers le désir que le sage taciturne,

le bienheureux Noir Îlien en personne, m’engendra.

5. Et aujourd’hui, mon esprit vil est né avec son vice :

il était abandonné des dieux, et je m’adonne à la chasse comme un scélérat.

6. Je suis résolu à m’en délivrer, car un grand vice est une entrave :

je suivrai avec constance la bonne conduite de mon père,

je concentrerai mon esprit sur une ascèse extrême, pas de doute.

7. Ainsi seul, ne restant qu’un seul jour chaque fois sous un seul arbre,

je serai un anachorète, un mendiant à la tête rasée, et je parcourrai cette terre,

8. tout recouvert de poussière, trouvant refuge dans des demeures désertes,

ou faisant mon gîte dans les racines d’un arbre, renonçant à tout ce qui m’est cher ou ne l’est pas,

9. sans m’affliger ni me réjouir, indifférent au blâme ou à l’éloge,

sans espoir, sans hommages, sans dilemme, sans possessions,

10. sans non plus railler quelqu’un, sans jamais froncer les sourcils,

offrant toujours un visage serein, me réjouissant du bonheur de toutes les créatures,

11. sans jamais blesser les quatre sortes d’êtres mobiles ou immobiles,

toujours d’humeur égale, comme pour mes propres enfants, avec les êtres vivants,

12. demandant l’aumône une fois par jour à deux familles et à cinq,

et, si l’aumône est impossible, en pratiquant même le jeûne,

13. un peu chaque fois, en fonction de la nourriture, selon ce que j’aurai reçu auparavant une fois,

et je n’abuserai jamais, que j’aie reçu ou pas, en additionnant les sept.

14. A supposer qu’on me coupe un bras d’un coup de hache, et qu’on me verse sur l’autre du santal,

je ne songerais ni à ce qui n’est pas bien, ni à ce qui est bien concernant ces deux choses.

15. Je ne ferai rien par désir de vivre ou par désir de mourir :

la mort et la vie, je ne m’en réjouirai pas ni ne les détesterai.

16. Tous les rites de prospérité que les humains peuvent accomplir,

je les négligerai tous, en un clin d’œil.

17. Dans toutes ces situations, j’abandonnerai toutes les activités des sens,

mon âme sera dans le Dharma du renoncement total, mon âme sera entièrement lavée de mes souillures.

18. Délivré de tous les péchés, ayant évité tous leurs pièges,

ne dépendant d’aucun pouvoir, je serai dans le Dharma de Mātariśvan [58].

19. Agissant toujours selon cette sorte de conduite,

je soutiendrai mon corps, en suivant la voie de l’absence de peur,

20. et non la voie des chiens dont la conduite est accoutumée à la lâcheté et la vilénie,

s’écartant toujours de leur propre Dharma ; puissé-je me plaire à être débarrassé de l’héroïsme !

21. Celui qui, honoré ou pas, se dirige d’un œil vil

vers une autre manière de vivre, l’âme pleine de désir, celui-là suit la voie des chiens ! »

22. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir ainsi parlé, le prince, très affligé par son malheur, poussa un énorme soupir,

regarda Kuntī et Mādrī et leur dit :

23. « Que la fille de Kāśi, le chambellan Vidura, et le roi avec ses parents,

la noble Satyavatī, et Bhīṣma, les chapelains du roi,

24. et les brahmanes au grand cœur qui boivent le soma et sont très attachés à leurs vœux,

et les anciens de la ville qui vivent ici sous ma protection,

que tous prient pour nous et qu’on leur dise que Pāṇḍu part pour la forêt. »

25. En entendant la parole de leur époux qui avait fermement à l’esprit de séjourner dans la forêt,

Kuntī et Mādrī dirent une telle parole :

26. « Il y a encore d’autres ermitages où tu peux, ô taureau des Bhārata,

t’adonner en compagnie de tes deux épouses légitimes à une grande ascèse :

et tu réussiras bien à gagner le ciel aussi, il n’y a pas de doute.

27. Renonçant à l’ensemble de nos sens, ne songeant qu’au monde de notre époux,

ayant laissé les plaisirs du désir, nous nous adonnerons toutes deux à une sévère ascèse.

28. Si tu nous abandonnes toutes deux, ô très sage seigneur des peuples,

aujourd’hui même nous renoncerons toutes deux à la vie, ça ne fait aucun doute… ».

29. Pāṇḍu dit :

« Si c’est là pour vous deux une décision conforme au Dharma,

je suivrai personnellement la conduite de mon père avec constance,

30. renonçant à vivre dans la douceur d’un village, m’adonnant à une grande ascèse,

vêtu d’écorce, me nourrissant de fruits et de racines, je vivrai dans la grande forêt,

31. versant des libations sur le feu matin et soir, matin et soir faisant mes ablutions,

émacié, mangeant très peu, avec un vêtement en peau d’antilope et d’écorce, et portant le chignon,

32. endurant le vent froid et la chaleur, la faim, la soif, l’épuisement,

par une ascèse difficile desséchant ce corps,

33. me livrant à une méditation absolue, vivant de nourritures cuites ou crues,

contentant mes ancêtres et les dieux avec des produits des bois, des paroles et des eaux.

34. Et la vue d’un homme qui est parti pour la forêt n’a jamais apporté de désagréments

à ceux qui vivent dans une famille noble, à plus forte raison à ceux qui vivent dans un village.

35. Aspirant à la règle terrible et plus terrible encore des textes sacrés

sur la vie dans la forêt, je continuerai jusqu’à l’achèvement de ce corps. »

36. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir ainsi parlé à ses épouses, le roi issu de la lignée de Kuru

offrit son diadème, son pectoral, ses bracelets, ses boucles d’oreilles,

ses vêtements très précieux et les bijoux de ses femmes,

37. il offrit tout aux brahmanes, et Pāṇḍu leur dit à nouveau :

« Allez à la ville des éléphants et dites leur que Pāṇḍu part pour la forêt.

38. Renonçant au profit, au désir, de même qu’au confort et à la volupté suprême,

à tout, le taureau des Kuru s’est mis en route avec ses épouses. »

39. Alors, quand les suivants et les serviteurs

du lion des Bhārata entendirent ces diverses paroles touchantes,

ils poussèrent un terrible cri de souffrance et se lamentèrent : « Ha ! Ha ! ».

40. Pleurant à chaudes larmes, ils quittèrent le roi

et ils allèrent vite à la ville des éléphants rapporter toutes ses paroles.

41. Et lorsqu’il eut entendu d’eux tout ce qui s’était passé dans la grande forêt,

Dhṛtarāṣṭra, le meilleur des hommes, pleura sur Pāṇḍu.

42. Mais Pāṇḍu, le prince de la lignée des Kuru, ne se nourrissant que de fruits et de racines,

alla alors avec ses épouses vers la montagne où se réunissent les éléphants.

43. Il atteignit Caitraratha, franchit la Vāriṣeṇa,

traversa l'Himālaya et parvint au Gandhamādana [59].

44. Protégé par les Grands Êtres, les Accomplis et les Grands Sages,

le roi habita alors dans des lieux normaux ou pénibles.

45. Il atteignit la cascade d’Indradyumna, et franchit le Pic du Cygne :

le grand roi ascète arriva à la Montagne-aux-cent-cimes.

 

 

1. 111. Des ermites le dissuadent de remonter plus au nord, les femmes ne pourraient suivre. Pāṇḍu veut continuer, il a conscience de son indignité car il n’a pas d’enfants, ses ancêtres resteront sans descendance et il ne pourra gagner le ciel. Les ermites lui assurent qu’il aura des fils. Pāṇḍu s’en ouvre à Kuntī. Il passe en revue les douze sortes de fils, six légitimes, six illégitimes. Il raconte l’Histoire de Śāradaṇḍāyanī. Cette femme noble, pour procurer un fils à son époux, se tenait à un carrefour et choisissait un brahmane de passage. Elle a ainsi eu trois fils. Que Kuntī en fasse autant.  (=  36 ślokas)

 

Livre I, chapitre 111.

1. Vaiśampāyana dit :

« Là, s’astreignant à une parfaite ascèse, ce puissant roi

devint un spectacle cher aux troupes d’Accomplis et de Chanteurs Célestes.

2. Attentif, sans orgueil, retenu, maître des de ses sens,

il excella au point d’aller au ciel par sa propre valeur, ô Bhārata.

3. Pour les uns il était un frère, pour d’autre il était un ami,

tandis que d’autres sages veillaient autour de lui comme pour un fils.

4. Et après un long temps il parvint à une ascèse exempte de souillures,

et Pāṇḍu devint pareil à un sage brahmane, ô taureau des Bhārata.

5. Voulant traverser vers l’autre rive du ciel, il prit au Nord, par la Montagne-aux-cent-cimes,

en compagnie de ses femmes ; les ascètes lui dirent alors :

« En allant loin loin au-dessus, vers le Nord, vers le roi des montagnes,

6. nous, nous avons vu les grandes contrées inaccessibles de cette montagne,

qui sont les lieux de plaisance des dieux, des Gandharvas et des Apsaras,

7. les jardins de Kubera, plans ou escarpés,

les rives pentues des grands rivières et les abîmes inaccessibles des montagnes.

8. Il y a des contrées aux hivers éternels, sans arbres, sans antilopes, sans oiseaux,

il y a de grands versants inaccessibles, d’autres d’accès dangereux,

9. qu’un oiseau ne traverserait pas, à plus forte raison de simples antilopes ;

seul le vent peut y aller, et les Accomplis et les Grands Sages…

10. Comment ces deux princesses iraient-elles sur le roi des montagnes

sans succomber ? Elles ne méritent pas ce malheur : n’y va pas, taureau des Bharata ! »

11. Pāṇḍu dit :

« Pour un homme sans descendance, Excellences, il n’y a pas, dit-on, d’entrée

dans le ciel : j’en suis tourmenté, moi qui n’ai pas de descendance, je vous le dis.

12. Les hommes naissent sur terre accompagnés de quatre dettes

qu’ils doivent aux ancêtres, aux dieux, aux sages et aux hommes, par centaines de milliers.

13. L’homme qui n’y a pas songé au moment où il le fallait,

il n’y a pas de mondes pour lui : c’est ce qui a été fixé par ceux qui connaissent le Dharma.

14. Par des sacrifices il satisfait les dieux, par la récitation des textes sacrés et par l’ascèse il satisfait les sages,

avec des fils qui sont autant d’offrandes il satisfait les ancêtres, et par la bonté il satisfait les hommes.

15. Je m’en suis acquitté à l’égard des sages, des dieux et des hommes, conformément au Dharma,

mais je ne me suis pas acquitté de la dette auprès de mes ancêtres : cela me tourmente, ô ascètes.

16. Quand mon corps sera détruit, la destruction de mes ancêtres est certaine, j’en ai la certitude :

c’est pourquoi ici-bas les meilleurs des hommes naissent pour la procréation.

17. Tout comme dans le champ de mon père j’ai été semé, moi, par ce sage au grand cœur,

tout pareillement comment donc dans mon champ pourrait naître une descendance ? ».

18. Les ascètes lui dirent :

« Il y a pour toi, ô roi au cœur loyal, un bel enfant, semblable à un dieu,

irréprochable : nous l’avons vu de notre œil divin.

19. Le dessein des dieux, ô tigre parmi les hommes, fais-le advenir ici-bas par ton action :

un homme intelligent, en se concentrant, trouve sans peine son fruit.

20. Ce fruit est en vue, mon garçon, fais un effort :

en ayant un enfant plein de qualités, tu trouveras la joie. »

21. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir entendu la parole des ermites, Pāṇḍu devint songeur,

sachant que sa propre action était empêchée par la malédiction de l’antilope.

22. Il parla en privé à Kuntī, sa glorieuse épouse légitime :

« En période de malheur, on approuve une méthode pour la procréation d’enfants.

23. ‘Avoir un enfant est assurément dans les mondes un fondement conforme au Dharma’ :

c’est ainsi, Kuntī, que les sages comprennent le Dharma de toute éternité.

24. Une offrande qu’on donne, une ascèse qu’on accomplit, une discipline à laquelle on s’astreint,

tout cela, dit-on, ne purifie pas un homme qui ici-bas n’a pas d’enfant.

25. C’est bien ce que je suis, je le sais bien, femme au sourire éblouissant ; je vois à l’avance

qu’étant un homme sans enfants je n’accèderai pas aux mondes splendides, telle est ma pensée…

26. A cause de la malédiction de l’antilope, la procréation est bien finie pour moi, alors que je n’ai pas atteint la maturité.

J’ai agi cruellement, Demoiselle, si bien que je suis empêché.

27. Du point de vue du Dharma, il y a six fils qui peuvent hériter par parenté,

et il y a six fils qui ne peuvent pas hériter par parenté, apprends-les de moi, ô Pṛthā :

28. le fils qu’on a engendré soi-même, le fils adopté, le fils acheté,

le fils d’une veuve remariée, le fils d’une jeune fille, le fils qui est né d’une femme indépendante ;

29. et le fils qui est donné, le fils qui est échangé, le fils qui n’est pas le vrai, le fils qui arriverait de lui-même,

le fils né de son épouse d’un sperme inconnu, le fils qui a été porté par une matrice inférieure.

30. On ne saurait avoir un fils qu’en songeant à la condition de ses ancêtres ;

les hommes inférieurs désirent un fils d’un homme supérieur en période de malheur.

31. Les saints savent que la progéniture est ce qu’il y a de mieux pour faire fructifier le Dharma,

même si ce n’est pas avec son propre sperme, Pṛthā : Manu, le fils de l'Auto-engendré, l’a dit.

32. C’est pourquoi, étant privé de ma propre procréation, je t’inciterai maintenant :

trouve-toi une descendance, ô glorieuse, avec un homme pareil à moi ou meilleur que moi.

33. Écoute, Kuntī, cette histoire concernant Śāradaṇḍāyani,

cette épouse de héros à qui les gourous avaient désigné le géniteur de ses enfants.

34. Avec une fleur, après s’être préparée et avoir fait ses ablutions, Kuntī, à un carrefour

elle avait choisi un deux-fois-né accompli, avait versé rituellement une libation dans le Feu pour avoir un fils,

35. et après avoir achevé ce rite, elle avait habité avec lui.

Là elle avait enfanté trois grands auriges, Durjaya et les autres.

36. Ainsi toi aussi, belle femme, va vite selon mes instructions

avec un brahmane d’une extrême ascèse pour enfanter une descendance ! »

 

 

1. 112. Kuntī proteste. Elle lui raconte l’Histoire de Vyuṣitāśva. C’est un roi remarquable, il a vaincu tous les rois de la terre et offert un sacrifice du cheval. Fou d’amour pour sa femme Bhadrā Kākṣivatī, il meurt d’épuisement. Bhadrā, sans enfants, se désespère et invoque son mari défunt. La voix de son mari lui enjoint de se préparer à le recevoir : il lui donnera un fils !. Elle lui obéit et ainsi elle met au monde sept fils. Pāṇḍu peut en faire autant, par la force de son ascèse.  (= 34 ślokas)

Livre I, chapitre 112.

1. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots, grand roi, Kuntī dit alors à Pāṇḍu,

cet héroïque taureau des Kuru, qui était maître de la Terre et son maître :

2. « Veuille, toi qui connais le Dharma, ne pas me parler de la sorte, en aucune façon,

moi qui suis ton épouse selon le Dharma, qui suis vouée à toi, toi aux yeux bleus comme le lotus.

3. Toi-même, ô puissant Bhārata, tu me feras des enfants

pleins d’héroïsme, ô héros, conformément au Dharma.

4. Puissé-je aller au ciel en ta compagnie, ô tigre parmi les hommes,

et toi viens à moi pour ta descendance, ô fils de Kuru.

5. Car, même en pensée, je n’irais pas, moi, avec un autre homme que toi :

quel autre homme y a-t-il sur Terre qui te surpasse ?

6. Entends d’abord de moi cette histoire antique sur le Dharma,

très connue, que je vais te raconter, homme aux larges yeux.

7. Il y avait un prince nommé Vyuṣitāśva

jadis, totalement voué au Dharma, qui faisait croître la lignée de Pūru.

8. Et un jour que ce roi au cœur loyal et au grand cœur faisait un sacrifice,

les Dieux s‘approchèrent, avec Indra en compagnie des grands sages.

9. Indra s’enivrait de soma, les deux-fois-nés de leurs aumônes

au sacrifice de Vyuṣitāśva, le sage de sang royal au grand cœur.

10. Ainsi, ô roi, Vyuṣitāśva resplendissait au-dessus des mortels

comme le Soleil-Brûlant sur toutes les créatures à la fin de la saison froide.

11. Cet excellent roi vainquit et captura les princes

de l’Est, du Nord, du Milieu et du Sud, et il les fit marcher devant lui.

12. Lors de la grande célébration du sacrifice du cheval, le majestueux Vyuṣitāśva

devint roi des rois avec la force de dix éléphants.

13. Sur ce sujet, les hommes qui connaissent les récits d’antan chantent un hymne :

« Vyuṣitāśva, après l’avoir vaincue, régnait sur la Terre nourricière bornée par l’Océan

comme un père sur ses fils légitimes de toutes origines. »

14. En faisant de grandes cérémonies sacrificielles il offrit des richesses aux brahmanes,

il prit une infinité de joyaux et il offrit de grands sacrifices,

et il produisit beaucoup de soma et il accomplit des sacrifices de soma.

15. Et il avait une épouse, une campagnarde, respectée au plus haut point,

du nom de Bhadrā, ô roi des hommes, d’une beauté inégalée sur Terre.

16. Or, ils se désirèrent l’un l’autre, dit la tradition :

celui-ci, ivre de désir, contracta la tuberculose.

17. En peu de temps, il disparut à l’horizon, comme le Soleil.

Quand ce seigneur des hommes fut mort, le chagrin de sa femme fut extrême.

18. Étant sans fils, ô tigre parmi les hommes, elle se lamentait, avons-nous entendu dire.

Bhadrā était accablée de chagrin, ô roi, écoute :

19. « Toute femme, ô grand connaisseur du Dharma, qui se trouve sans fils,

qui vit sans mari, elle ne vit pas cette malheureuse…

20. Sans son mari, le bonheur d’une femme est mort, ô taureau parmi les nobles guerriers :

je veux suivre ta route, je t’en prie, emmène-moi !

21. Privée de toi, je ne supporte pas de vivre un instant !

Fais-moi cette grâce, ô roi, emmène-moi vite d’ici !

22. Je serai derrière toi à te suivre, dans les bonheurs et les malheurs,

moi, quand tu iras sans te retourner, ô tigre parmi les hommes.

23. Telle une ombre je ne te quitterai pas, ô roi, toujours obéissante,

je serai heureuse, ô tigre parmi les hommes, de toujours t’être agréable et salutaire.

24. A partir d'aujourd'hui, ô roi, les mauvaises pensées qui dessèchent le cœur

me domineront, si tu n’es pas là, homme aux yeux de lotus.

25. L’infortunée que je suis a certainement séparé des proches

ou bien désuni des gens unis sexuellement lors de vies antérieures, ô roi.

26. Ce malheur, accumulé dans des vies antérieures par mes mauvaises actions,

m’a rattrapée, ô roi : il naît de ma séparation avec toi.

27. Moi, à partir d'aujourd'hui, ô roi, gisant sur une couche de pâturin,

je serai pleine de chagrin, ne songeant qu’à ton image.

28. Montre-toi à moi, ô tigre parmi les hommes, avec bienveillance, à moi qui suis dans le chagrin,

affligée, sans protection, misérable, gémissante, ô seigneur des hommes. »

29. Tandis qu’elle se lamentait encore et encore de toutes sortes de façons,

en étreignant son cadavre, voici qu’une voix invisible lui parla :

30. « Lève-toi, Bhadrā, et marche : je t’accorde ici-bas ce vœu,

j’engendrerai des enfants avec toi, femme au doux sourire.

31. Et sur ton propre lit, femme aux belles hanches, dans le quatorzième

ou huitième jour de la lune, après tes ablutions rituelles, tu pourras coucher avec moi. »

32. A ces mots, la reine, dévouée à son mari, fit comme lui avait dit

cette voix : Bhadrā était désireuse d’un fils.

33. La reine conçut des fils avec ce cadavre, ô roi,

les trois Śālvās et les quatre Madrās, ô le meilleur des Bhārata.

34. Ainsi, toi aussi, avec moi, par ton esprit, ô taureau des Bhārata,

tu es capable d’engendrer des fils grâce à la puissance de ta concentration et de ton ascèse. »

 

 

 

1. 113. Histoire de Śvetaketu. Autrefois, lui répond Pāṇḍu, les femmes allaient à leur guise, et prenaient leur plaisir comme elles voulaient. Śvetaketu est un ermite, fils d’Uddālaka. Un jour, devant lui, un brahmane prend la main de sa mère et lui dit : “Allons”. Śvetaketu est indigné, mais son père le calme : c’est la loi, les femmes sont libres, comme le sont les vaches. Śvetaketu n’est pas d’accord, et promulgue la nouvelle loi, que l’on suit aujourd’hui : une femme infidèle à son époux encourt la même peine que pour un avortement, de même un homme qui séduit une femme mariée ou une femme qui refuse d’avoir un enfant quand son mari le lui demande. Le roi Kalmāṣapāda a eu un fils de Vasiṣṭha, et lui-même est né de Vyāsa. Il supplie Kuntī de lui obéir et d’avoir pour lui un fils avec un brahmane. Kuntī lui révèle le vœu que lui a accordé Durvāsas : elle peut invoquer un dieu à sa guise et avoir un enfant de lui. Pāṇḍu lui demande d’invoquer Dharma.  (= 43 ślokas)

Livre I, chapitre 113.

1. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots, le roi répondit à la reine,

en connaisseur du Dharma, cette parole sublime pleine de Dharma :

2. « Jadis, c’est bien cela, Kuntī, que fit Vyuṣitāśva,

comme tu l’as dit, belle femme, car il était semblable à un dieu.

3. Mais maintenant je vais te dire le Dharma sur ce sujet, écoute-moi bien,

l’antique Dharma reconnu par les sages au grand cœur qui connaissent le Dharma.

4. Jadis, dit-on, les femmes n’étaient pas dissimulées, femme au beau visage,

elles s’adonnaient selon leur gré à leur désir, elles étaient indépendantes, femme aux beaux yeux.

5. Celles-ci se dévoyaient à l’égard de leurs maris, ma chère, dès leur adolescence,

mais elles n’étaient pas dépourvues de Dharma, femme aux belles hanches, car c’était là jadis le Dharma.

6. Et de même les créatures issues d’une matrice animale suivent aujourd’hui encore

cet antique Dharma, sans avoir de désir ou de haine :

et ce Dharma, reconnu dans les récits d’antan, est honoré par les grands sages.

7. Et chez les Kuru septentrionaux, femme aux cuisses galbées, il est aujourd’hui encore en usage,

car c’est le Dharma qui favorise les femmes pour l’éternité.

8. Mais, femme au sourire éblouissant, en ce bas monde, bien vite, une limite morale

a été fixée : par qui et comment, écoute-le en détails.

9. Il y avait un grand sage du nom d’Uddālaka, nous dit la tradition,

et il avait un fils, un sage, connu sous le nom de Śvetaketu.

10. C’est lui qui établit cette limite morale pour les hommes, nous dit la tradition,

par colère, ô toi dont les yeux sont feuilles de lotus ; écoute bien dans quel but.

11. Jadis, donc, sous les yeux de Śvetaketu et de son père, un brahmane

prit sa mère par les mains, et il lui dit : « Allons-y ! ».

12. Le fils du sage, furieux, fut donc alors pris de colère

de voir ainsi sa mère emmenée, comme si c’était de force.

13. Mais le voyant irrité, son père dit à Śvetaketu :

« Ne te mets pas en colère, mon fils : c’est là le Dharma éternel.

14. Car sur Terre les femmes de toutes classes ne sont pas dissimulées :

de la même façon que se comportent les vaches, mon fils, les créatures font de même chacune dans sa classe. »

15. Mais Śvetaketu, le fils du sage, ne supportait pas ce Dharma :

il instaura aussi cette limite morale pour l’homme et la femme sur Terre,

16. pour les humains, noble dame, mais pas pour les autres créatures :

depuis lors cette limite morale a été établie, nous dit la tradition.

17. « Si des femmes se dévoient à l’égard de leur mari, à partir d’aujourd’hui c’est un crime,

ce sera un péché qui devient le meurtre d’un embryon et apporte le malheur.

18. Ainsi ceux qui dévoieront une femme mariée, jeune et chaste,

dévouée à son époux, que ce sera là sur Terre un péché.

19. Et de même, pour celle qui est chargée par son mari d’avoir un enfant

et ne le lui fait pas, il en sera de même ! »

20. C’est ainsi, Demoiselle, que jadis a été établie de force cette limite morale

du Dharma par le fils d’Uddālaka, Śvetaketu.

21. Et le fils du roi Sudā, femme aux cuisses galbées, avait chargé de faire naître des enfants

Madayantī, et elle était allée vers le sage Vasiṣṭha, nous dit la tradition.

22. Et de lui cette femme rayonnante conçut un fils du nom d’Aśmaka,

cette épouse voulait faire une faveur à son mari Kalmāṣapāda.

23. Et tu sais que notre naissance, demoiselle aux yeux de lotus,

est due à Kṛṣṇa Dvaipāyana pour l’accroissement de la lignée des Kuru.

24. En conséquence, considère toutes ces raisons

et veuille accomplir là ma parole conforme au Dharma, ô irréprochable.

25. Fille de roi ferme dans tes vœux, à chaque période favorable un mari par sa femme

ne doit pas être repoussé : c’est là le Dharma que connaissent les connaisseurs du Dharma.

26. Aux autres moments qui restent, la femme a certes le droit à son indépendance :

c’est là le Dharma antique que les hommes justes mentionnent.

27. Fille de roi, ce qu’un mari dit à sa femme, que cela soit conforme ou pas au Dharma,

cela doit être fait ainsi : c’est ce que connaissent les connaisseurs du Dharma,

28. en particulier quand, en manque de fils, il ne peut pas lui-même procréer,

comme moi qui désire ardemment voir un fils, ô toi dont le corps est sans défauts…

29. Ainsi la paume de mes mains aux doigts rouges, semblables aux pétales de lotus, ma beauté,

je la soulève sur ma tête en guise de salut, pour te demander cette grâce.

30. Selon mes instructions, femme aux beaux cheveux, veuille enfanter des fils pleins de vertus 

avec un deux-fois-né d’une extrême ascèse :

grâce à toi, femme aux larges hanches, je pourrais entrer dans la paternité. »

31. A ces mots, Kuntī aux belles hanches, qui avait à cœur d’être agréable et salutaire à son mari,

répondit à Pāṇḍu, ce conquérant des cités ennemis :

32. Dans le palais de mon père, quand j’étais jeune, j’étais chargée d’honorer les hôtes,

et je servais alors un brahmane redoutable, très attaché à ses vœux,

33. dont les sentences sur le Dharma étaient obscures, qu’on connaissait sous le nom de Durvāsas ;

je contentais cet homme à l’esprit tranchant avec tous mes efforts.

34. Ce bienheureux me révéla une formule de vœu accompagnée d’incantations,

il me donna un ensemble de mantras, et il me dit aussi ceci :

35. « Quel que soit le dieu que tu inviteras avec ce mantra,

qu’il soit sans désir ou avec du désir, il viendra en ton pouvoir. »

36. C’est ainsi qu’il m’a parlé alors, dans le palais de mon père, ô Bhārata,

la parole dite par ce brahmane est véridique et le temps en est venu.

37. Avec ton autorisation, je pourrais faire venir un dieu, ô prince,

par ce mantra, ô puissant sage de sang royal, afin que nous ayons tous deux une descendance.

38. Quel dieu appellerai-je ? Dis-le moi, toi qui excelles parmi ceux qui savent la vérité.

J’attends ton autorisation, sache que je suis déterminée à faire cela. »

39. Pāṇḍu lui dit :

« Dès aujourd’hui, ô femme aux belles hanches, fais de ton mieux comme il convient :

fais venir Dharma, ma beauté, il est le bienheureux parmi les Dieux.

40. Dharma ne s’unirait en aucune façon à nous en dehors du Dharma,

et ce monde, ô femme aux belles hanches, pensera : « C’est là le Dharma ».

41. Il sera sans nul doute parmi les Kuru « celui du Dharma »,

et ayant été donné par Dharma, son esprit ne se plaira pas à ce qui n’est pas conforme au Dharma.

42. Aussi, femme au sourire éblouissant, en donnant à Dharma la première place et en te dévouant à lui,

concilie-toi Dharma à l’aide de tes incantations et de tes hommages. »

43. Vaiśampāyana dit :

« Quand son mari lui eut dit ces mots, la jolie femme lui dit « D’accord ! »,

elle le salua, et avec son autorisation, elle le contourna rituellement par la gauche [60].

 

 

 

1. 114. Elle invoque Dharma, et en a un fils, Yudhiṣṭhira. Une voix lui annonce que son fils sera un roi irréprochable. Puis, à la demande de Pāṇḍu qui veut un fils fort, elle invoque Vāyu et en a Bhīma. La voix proclame : “Il sera fort parmi les forts”. Et de fait, peu de temps après sa naissance, Bhīma, en tombant, fracasse une montagne. Duryodhana naît le même jour que Bhīma. Pāṇḍu pense à Indra, pour obtenir un fils supérieur, demande à Kuntī de se purifier durant une année, et se livre lui-même a des austérités terribles. Indra lui promet de lui donner un fils qui détruira tous ses ennemis. Kuntī invoque alors Indra et en a Arjuna. La voix annonce les exploits futurs d’Arjuna. Les dieux, les ṛṣi, les gandharva, les apsaras (Liste de 35 Apsaras), les serpents se réjouissent et lui rendent hommage. Pāṇḍu veut d’autres fils, mais Kuntī estime que trois suffisent.  (=  66 ślokas)

 

Livre I, chapitre 114.

1. Vaiśampāyana dit :

« Quand le bébé de Gāndhārī eut un an révolu, ô Janamejaya,

Kuntī fit venir l’impérissable Dharma pour avoir un bébé.

2. La reine se hâta d’apporter une offrande à Dharma,

et elle murmura comme il convient la prière qui lui avait été donnée jadis pas Durvāsas.

3. Elle s’unit avec Dharma qui avait pris un corps matériel pour véhicule,

et la femme aux belles hanches conçut un fils qui surpassait tous les êtres qui respirent,

4. le jour d’Indra [61], à la huitième heure, quand Abhijit [62] rencontre la Lune,

le jour où le Soleil vient au milieu du ciel et s’arrête, un jour favorable et honoré.

5. Quand le temps fut venu, Kuntī enfanta un fils plein de gloire,

et à peine ce fils fut-il né qu’une voix désincarnée se fit entendre :

6. « Celui-ci sera le meilleur de ceux qui soutiennent le Dharma, il n’y a pas de doute,

il sera connu sous le nom de Yudhiṣṭhira, le fils aîné de Pāṇḍu.

7. Il sera un roi célèbre, renommé dans les trois mondes,

il aura la gloire, l’éclat et la bonne conduite. »

8. Ayant obtenu ce fils plein de Dharma, Pāṇḍu lui dit à nouveau :

« On affirme que la noblesse guerrière tient sa supériorité de la force : choisis un fils qui soit supérieur par la force ! »

9. Aussi, quand son mari lui eut ainsi parlé, elle fit venir Vāyu :

de lui naquit le puissant Bhīma aux exploits terrifiants.

10. Et sur ce fils plein de force, inébranlable, la voix parla :

« Cet enfant est le meilleur de tous les forts ! » dit-elle, ô Bhārata.

11. Et il y eut cette grande merveille, dès que Ventre-de-loup fut né,

c’est que, en tombant du giron de sa mère, avec ses bras il réduisit un rocher en poussière.

12. Kuntī, dit-on, effrayée par un tigre, s’était enfuie précipitamment,

sans songer à Ventre-de-loup, endormi dans son giron.

13. Ainsi le garçon, dur comme le diamant, tomba de la montagne,

et quand il tomba, avec ses bras il pulvérisa le rocher en cent morceaux ;

et Pāṇḍu, voyant le rocher pulvérisé, fut frappé de stupeur.

14. Le jour où naquit Bhīma, ô le meilleur des Bhārata,

seigneur de la Terre, naquit aussi Duryodhana.

15. Quand Ventre-de-loup fut né, Pāṇḍu se fit encore cette réflexion :

« Comment pourrais-je avoir un fils excellent, qui soit le meilleur du monde ?

16. Ce monde est fondé sur la volonté divine et les actions des hommes :

on y reçoit la volonté divine par une injonction qui dépend du temps.

17. Assurément le roi Indra est le plus important parmi les Dieux, nous dit la tradition :

il est d’une force et d’une puissance incommensurables, il est énergique, sa splendeur est sans bornes.

18. En me le conciliant par mon ascèse, j’aurai un fils d’une grande force,

le fils qu’il me donnera sera le plus grand :

c’est pourquoi par ma conduite, ma pensée et ma parole, je pratiquerai une grande ascèse. »

19. Ainsi Pāṇḍu au grand éclat prit conseil auprès des grands sages,

et le fils de Kuru indiqua à Kuntī un vœu propitiatoire d’une durée d’un an.

20. Et de son côté, ce puissant roi se tint lui-même sur un seul pied,

et il entra dans une ascèse terrible par une extraordinaire concentration de son esprit.

21. Voulant se concilier le dieu qui est le seigneur des trente dieux,

ce roi au cœur loyal tournait avec le Soleil, ô Bhārata.

22. Or, après un long temps, Vāsava lui répondit :

« Je te donnerai un fils célèbre dans les trois mondes,

23. profitable aux Dieux, aux brahmanes et à ses amis,

je te donnerai un fils supérieur, destructeur de tous ses ennemis. »

24. Quand Vāsava au grand cœur eut ainsi parlé au roi,

le fils de Kuru au cœur loyal parla à Kuntī, en se souvenant de la parole du roi des Dieux :

25. « La sagacité, la grandeur d’esprit, un éclat semblable à celui du Soleil,

l’invincibilité, l’énergie, un aspect tout à fait prodigieux…

26. enfante un fils qui ait cela, femme aux belles hanches, qui soit une splendeur parmi les nobles guerriers éclatants !

J’ai reçu une faveur du chef des Dieux : fais-le venir, femme au sourire éblouissant ! »

28. A peine le garçon fut-il né que la voix désincarnée parla,

avec un grand son grave elle fit alors résonner le ciel :

29. « Pareil à Kārtavīrya, d’un héroïsme égal à celui de Śibi,

celui-ci sera aussi invincible que Śakra, et il propagera ta gloire, Kuntī.

30. Comme la joie d’Aditi fut augmentée par Viṣṇu,

de même, à l’instar de Viṣṇu, Arjuna fera croître ta joie.

31. Après avoir subjugué les Madra, et les Kuru avec les Kekaya,

les Cedi, les Kāśi et les Karūṣa, il établira fermement la prospérité des Kuru.

32. Par la vigueur de ses bras, dans la forêt de Khāṇḍava le feu sacrificiel

atteindra une totale satiété grâce à la graisse de toutes les créatures.

33. Et ce puissant chef, après avoir vaincu les rois,

avec ses frères, en héros, offrira les trois sacrifices.

34. Semblable au fils de Jamadagni, ô Kuntī, comparable à Viṣṇu par ses exploits,

celui-ci sera le meilleur des héros, il sera invincible.

35. Il recevra ainsi la totalité des armes divines,

et ce taureau parmi les hommes récupérera la prospérité perdue. »

36. Telle fut la parole prodigieuse qu’à la naissance du fils de Kuntī

le Vent prononça dans le ciel, et Kuntī l’entendit.

37. Cette voix qui s’élevait dans les hauteurs fut entendue des ascètes

qui vivent dans la Montagne-aux-cent-cimes, et leur allégresse fut extrême.

38. De même, les divins sages et les dieux célestes accompagnés d’Indra

firent entendre dans le ciel leur clameur dans le tumulte des tambours.

39. Un grand tumulte s’éleva dans un tourbillon de pluies de fleurs,

tandis que, pour honorer le fils de Pṛthā, se réunissaient les troupes des Dieux,

40. les fils de Kadrū, les fils de Vinatā, ainsi que les Gandharvas et les Apsaras,

tous les seigneurs des créatures, et aussi les sept Grands Sages :

41.                  Bharadvāja, Kaśyapa, Gautama,

Viśvāmitra, Jamadagni, Vasiṣṭha,

et celui qui est excité une fois le Soleil disparu,

le bienheureux Atri, était venu là aussi.

42. Marīci, Aṅgiras, et aussi Pulastya, Pulaha, Kratu,

Dakṣa, Prajāpati, et aussi les Gandharvas ainsi que les Apsaras.

43. Portant des vêtements et des guirlandes célestes, parées de toutes sortes d’ornements,

les Apsaras chantaient les louanges du Rechigneur et dansaient autour de lui ;

l’illustre Tumburu commença à chanter, accompagné des Gandharvas :

44. Bhīmasena et Ugrasena, Ūrṇāyu et aussi Anagha,

Gopati, Dhṛtarāṣṭra, et Sūryavarcas en septième,

45. Yugapa, Tṛṇapa, Kārṣṇi, Nandi, ainsi que Citraratha,

Śāliśiras en treizième, et Parjanya en quatorzième,

46. Et Kālī qui est le quinzième,  et aussi Nārada en seizième,

ou Sat, ou Bṛhat, Bṛhaka et le très glorieux Karāla,

47. Brahmacārin, Bahuguṇa, et aussi le célèbre Suparṇa,

Viśvāvasu et Bhumanyu, ainsi que Sucandra, le dixième,

48. et ceux qui possèdent les doux chants, les fameux Hahā et Huhū.

Tels étaient les Dieux et les Gandharvas qui chantèrent alors ce taureau parmi les hommes.

49. Et les Apsaras aussi étaient dans l’allégresse, parées de toutes sortes d’ornements,

et elles dansaient et chantaient, ô Dame aux grands yeux :

50. Anūnā, Anavadyā, Priyamukhyā, Guṇāvarā,

et aussi Adrikā, Sācī, Miśrakeśī, Alambusā,

51. Marīci et aussi Śicukā, Vidyutparṇā, Tilottamā,

Agnikā, Lakṣaṇā, Kṣemā, Devī, Rambhā, Manoramā,

52. Asitā, Subāhu, Supriyā, ainsi que Suvapus,

Puṇḍarīkā, Sugandhā, Surathā, Pramāthinī,

53. Kāmyā, et aussi Śāradvatī dansaient là en troupes ;

Menakā, Sahajanyā, Parṇikā, Puñjikasthalā,

54. Kratusthalā, Ghṛtācī, Viśvācī et Pūrvacitti aussi

très célèbre sous le nom d’Umlocā, et Pramlocā (la dixième),

Urvaśī (la onzième), chantaient, ô Dame aux grands yeux.

55. Dhātā et Aryamā, Mitra, Varuṇa, Aṃśa ainsi que Bhaga,

Indra, Vivasvat, Pūṣā, Tvaṣṭā ainsi que Savitā,

56. et aussi Parjanya et Viṣṇu, les Ādityas à l’éclat de feu,

honoraient la grandeur du fils de Pāṇḍu, debout dans l’espace.

57. Mṛgavyādha, Śarva, le très glorieux Nirṛti,

Ajaikapād, Ahirbudhnya, et Pinākin tourmenteur de ses ennemis,

58. Dahana, et Īśvara, et aussi Kapālī, ô Seigneur des peuples,

Sthāṇu, et le bienheureux Bhava : les Rudrās se tenaient là.

59. Les deux Aśvin, les huit Trésors, et les Maruts à la grande force,

ainsi que l’ensemble des Dieux, et les Sādhyās se tenaient là ensemble tout autour.

60. Et Karkoṭaka, Śeṣa, et le serpent Vāsuki,

Kacchapa, Apakuṇḍa et le grand serpent Takṣaka,

61. étaient arrivés, pleins d’éclat, très irascibles, très puissants ;

ceux-là et d’autres grands serpents se tenaient là,

62. Tārkṣya, Ariṣṭanemi, Garuḍa, Asitadhvaja,

Aruṇa, et aussi Aruṇi : les fils de Vinatā se tenaient là.

63. En voyant ce grand prodige, stupéfaits, les meilleurs des anachorètes

tournèrent alors bien davantage leur attention vers les Pāṇḍava.

64. Mais le très glorieux Pāṇḍu, désireux d’avoir à nouveau un fils,

sollicita sa séduisante épouse ; mais Kuntī lui répondit alors ceci :

65. « Il n’est pas fait mention d’un quatrième enfantement au-delà, même dans l’adversité, vraiment !

Au-delà on serait un femme volage, avec le cinquième on devient une putain !

66. Toi qui connais ce Dharma accessible à la raison, comment donc me

parles-tu ainsi, en le transgressant, pour avoir un enfant, comme par libertinage ? »

 

 

 

1. 115. Mādrī demande à Pāṇḍu de persuader Kuntī de la faire profiter de son vœu de façon qu’elle puisse aussi avoir des enfants. Pāṇḍu le demande à Kuntī, qui assiste Mādrī. Celle-ci fait appel aux Aśvin et en a deux jumeaux, Nakula et Sahadeva. Pāṇḍu demande de nouveau à Kuntī de laisser Mādrī avoir un fils. Kuntī refuse : elle avait dit : “pour cette fois” et Mādrī en a profité pour avoir des jumeaux ! (=  28 ślokas)

 

Livre I, chapitre 115.

1. Vaiśampāyana dit :

« Quand les fils de Kuntī furent nés, ainsi que ceux nés de Dhṛtarāṣṭra,

la fille du roi de Madra, en secret, dit cette parole à Pāṇḍu :

2. « Je n’ai pas de tourment à cause de toi, même si ce n’est pas parfait, ô tourmenteur de tes ennemis,

n’étant pas, constamment, par mon infériorité, dans la situation de mériter mieux, ô irréprochable.

3. De même, ô roi, qu’il soit né cent fils à Gāndhārī,

je n’en ai pas eu de peine quand je l’ai entendu, fils de Kuru.

4. Mais c’est là une grande peine pour moi qu’à égalité avec elle j’ai été sans fils,

mais que désormais mon mari ait la chance d’avoir une descendance avec Kuntī.

5. Mais si la fille du roi Kunti  pouvait faire que j’aie des enfants qui soient ta descendance,

ce serait une marque de faveur pour moi, et ce serait aussi ton intérêt…

6. Car je suis paralysée par ma condition de femme commune à l’idée de parler à la fille de Kunti ;

mais si toi tu es bien disposé avec moi, presse-la toi-même. »

7. Pāṇḍu lui dit :

« Moi aussi, Mādrī, je retourne toujours cette affaire dans mon cœur,

mais j’étais incapable de t’en parler : ce que je désirais te dire pouvait t’être indésirable.

8. Mais maintenant que je connais ta pensée, je vais m’y appliquer immédiatement :

il est certain, je pense, que si je lui parle, elle acceptera ce que je lui dirai… »

9. Vaiśampāyana dit :

« Ainsi, quand ils furent seuls, Pāṇḍu dit à nouveau ceci à Kuntī :

« Assure la continuité de ma lignée et rends-la chère au monde.

10. Pour que ne soient pas anéanties les offrandes à mes ancêtres, et aussi à moi-même,

et pour me faire plaisir, réalise pour moi, ma belle, un dernier bonheur :

11. dans l’intérêt de ta gloire tu dois accomplir une action très difficile à accomplir,

qu’Indra a choisie dans ses sacrifices, bien qu’il ait obtenu le pouvoir, parce qu’il désirait la gloire.

12. Ainsi les brahmanes qui connaissent les mantras, après avoir accomplis des ascèses très difficiles à accomplir,

admettent des gourous dans l’intérêt de leur gloire, ô femme rayonnante.

13. Ainsi tous les sages de sang royal et les ascètes brahmanes

accomplissent, dans l’intérêt de leur gloire, toutes sortes d’actions très difficiles à accomplir.

14. Et toi, aide Mādrī à franchir cette passe, comme sur un bateau, ô femme irréprochable :

en mettant en commun votre descendance, obtiens une renommée exceptionnelle ! »

15. A ces mots, elle dit à Mādrī : « Pense tout de suite à une divinité,

ainsi tu auras un enfant qui lui correspondra, il n’y a pas de doutes ! »

16. Ainsi Mādrī, après avoir bien hésité, dirigea son esprit vers les Aśvin :

ils arrivèrent tous deux et lui engendrèrent des jumeaux,

17. Nakula et Sahadeva, à la beauté sans égale sur Terre.

Et à nouveau, sur les deux jumeaux la voix désincarnée parla :

18. « Ces deux-là sont pourvus d’une beauté, d’une intelligence et d’une vertu qui surpassent celles des autres hommes :

ils brillent tous deux avec un intense rayonnement, avec la splendeur de la beauté et de la puissance. »

19. Ceux qui vivent dans la Montagne-aux-cent-cimes leur donnèrent leurs noms,

avec de la ferveur, des rituels et des bénédictions, ô Seigneur des peuples.

20. Ils dirent que l’aîné était « Yudhiṣṭhira », le puîné « Bhīmasena »,

et le troisième « Arjuna », et ils les désignèrent comme « les fils de Kuntī ».

21. Et les brahmanes, l’esprit en joie, nommèrent les fils de Mādrī :

l’aîné « Nakula » et l’autre « Sahadeva ».

Ces meilleurs des Kuru étaient nés à une année de distance.

22. Et Pāṇḍu à nouveau vint solliciter Kuntī pour Mādrī,

et, quand il fut venu lui parler comme toujours en secret, ô roi, la vertueuse Pṛthā lui dit : 

23. « Je lui avais dit « Une seule fois », et elle en a eu deux ! J’ai été trompée !

Je crains de sa part des humiliations : c’est la tactique des femmes !

24. Je n’avais pas remarqué, sotte que je suis, qu’avec une double invocation le fruit serait double !

C’est pourquoi je n’ai plus à être harcelée : que cela soit ta faveur pour moi ! »

25. C’est ainsi que Pāṇḍu eut cinq fils, donnés par les Dieux, d’une grande force,

incarnations glorieuses qui devaient faire croître la lignée des Kuru,

26. portant sur eux la marque de la prospérité, semblables à la Lune, plaisants à voir :

orgueilleux comme un lion, maîtres archers, marchant avec l’allure d’un lion,

avec un cou de lion, ces rois des hommes grandirent avec la puissance des Dieux.

27. Et tandis qu’ils grandissaient là, dans la sainte montagne de l'Himālaya,

ils firent naître la stupeur chez les grands sages qu’ils rencontraient.

28. Ces cinq, ainsi que les cent autres, qui devaient faire croître la lignée des Kuru,

grandirent tous en peu de temps, comme dans l’eau les lotus.

 

 

1. 116. Au printemps, Pāṇḍu, seul dans la forêt avec Mādrī, ne peut résister à sa beauté et la prend, malgré ses objurgations. Il meurt. Kuntī fait à Mādrī des reproches mêlés d’envie. Mādrī confie ses enfants à Kuntī : elle monte sur le bûcher funéraire de Pāṇḍu.  (= 31 ślokas)

 

Livre I, chapitre 116.

1. Vaiśampāyana dit :

« Quand Pāṇḍu vit ainsi dans la grande forêt ses cinq fils agréables à regarder,

protégés par ses bras, il se réjouit sur sa montagne.

2. Un jour, dans la forêt tout en fleurs, au printemps,

quand les créatures sont en folie, le roi, en compagnie de ses épouses, parcourait la forêt.

3. Avec ses arbres palas, ses tilakas, ses manguiers, ses champakas, ses arbres corail,

et ses autres grands arbres regorgeant de fleurs et de fruits,

4. avec ses multiples lacs et ses lotus qui la décoraient,

quand Pāṇḍu vit cette forêt, la passion naquit dans son cœur.

5. L’esprit joyeux, il s’ébattait là comme un immortel,

et Mādrī le suivit, seule, portant un vêtement splendide.

6. Et quand il la contempla dans la fleur de la jeunesse, avec sa robe légère,

son désir s’accrut, tel un feu qui se lève dans un fourré.

7. Dans cet endroit désert, voyant sa femme aux yeux bleus comme le lotus dans la même disposition que lui,

il fut incapable de réprimer son désir, terrassé par son désir.

8. Ainsi le roi la prit de force en secret,

tandis que la reine en tremblant résistait comme elle pouvait.

9. Mais lui, l’âme envahie par le désir, ne se rappela plus la malédiction,

et il alla sur Mādrī conformément au Dharma du mariage, comme poussé par une force.

10. Pour sa perte, le fils de Kuru, tombé sous l’empire de la passion,

abandonnant la peur de la malédiction, alla sur sa bien-aimée de force.

11. Le désir envahissant son esprit, sa pensée, égarée par le Temps incarné,

anéantit l’ensemble de ses sens, disparaissant avec sa sagesse.

12. En s’unissant à son épouse, le fils de Kuru,

Pāṇḍu, au cœur totalement voué au Dharma, fut soumis au Dharma du Temps.

13. Mādrī, étreignant le roi sans conscience,

poussa encore et encore de violents cris de douleur.

14. Ainsi Kuntī avec ses fils et les fils de Mādrī, les fils de Pāṇḍu,

allèrent tous ensemble à l’endroit où le roi était ainsi allé.

15. Ainsi, ô roi, Mādrī, affligée, dit ces mots à Kuntī :

« Viens toute seule ici, que les garçons attendent là-bas ! »

16. Après avoir entendu sa voix, elle retint les garçons sur place,

et criant : « Je suis perdue ! », elle alla précipitamment vers elle.

17. En voyant Pāṇḍu et Mādrī gisant au sol,

Kuntī, le corps envahi par la douleur, se lamenta très misérablement :

18. « Je protégeais continuellement ce héros, et il se protégeait toujours lui-même :

comment, toi qui la connaissais, as-tu enfreint la malédiction de l’ermite des bois ?

19. N'est-il pourtant pas vrai, Mādrī, que tu devais protéger ce prince de sang ?

Toi là, comment as-tu pu séduire le roi dans ce lieu solitaire ?

20. Comment, alors qu’il était toujours abattu, as-tu pu l’approcher en secret ?

Alors qu’il était préoccupé par la malédiction, l’allégresse est née en lui ?

21. Tu es chanceuse, femme de Bāhlīka, et plus fortunée que moi,

si tu as vu le visage du roi dans l’allégresse… »

22. Mādrī lui dit :

« C’est moi qui ai été séduite et qui ai essayé de l’empêcher encore et encore !

Mais lui-même n’a pas été empêché par cela : il voulait accomplir son véritable destin… »

23. Kuntī lui dit :

« J’ai la prééminence, étant l’épouse selon le Dharma, et le fruit du Dharma qui a la prééminence est le mien.

Ce qui doit arriver arrive nécessairement : ne te détourne pas de moi, Mādrī !

24. Moi, je suivrai ici mon mari qui est parti pour l’empire des morts.

Toi, relève-toi et laisse-le partir : protège ces garçons ! »

25. Mādrī lui dit :

« Moi je suivrai mon mari qui ne s’est pas encore envolé,

car je n’ai pas assouvi mes désirs : que celle qui a la prééminence m’accorde cela !

26. Et, alors qu’il se joignait à moi, le meilleur des Bhārata s’est vu privé de son désir.

Comment donc pourrais-je lui enlever son désir dans la demeure de Yama ?

27. Je ne ferai pas non plus d’absence de distinction avec tes fils

dans la conduite de ma vie, noble dame, car ainsi l’infortune m’atteindrait.

29. En même temps que la dépouille du roi, ce corps qui est le mien

et qu’il couvrait si bien doit être brûlé : accorde-moi cette grâce, noble dame !

30. Veille sur mes garçons et sois bienveillante pour moi :

je ne vois pas quelle autre instruction que je pourrais te donner… »

31. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots, l’épouse selon le Dharma, la glorieuse fille du roi de Madra, se hâta

de rejoindre ce taureau parmi les hommes sur le bûcher funéraire qui avait été dressé. »

 

 

 

1. 117. Les ermites accompagnent Kuntī et les enfants à Hāstinapura, avec les corps de Pāṇḍu et de Mādrī. Toute la ville sort pour les accueillir. Un des ermite présente les Pāṇḍava à Bhīṣma, à Vidura et à Dhṛtarāṣṭra, explique leur naissance et raconte la mort de Pāṇḍu. Il demande que les rites funéraires soient accomplis pour Pāṇḍu et Mādrī. Puis les ermites disparaissent soudainement, à l’étonnement général.  (=  33 ślokas)

 

Livre I, chapitre 117.

1. Vaiśampāyana dit :

« Après avoir fait les rites de purification pour Pāṇḍu, le grands sages semblables aux Dieux

tinrent conseil et ces ascètes se réunirent.

2. « Ce grand ascète au grand cœur a laissé sa souveraineté et son royaume,

et il est venu avec raison chercher refuge auprès de nous, les ascètes, pour pratiquer l’ascèse. »

4. Après avoir discuté entre eux, prenant plaisir au bien-être de toutes les créatures,

ils placèrent les fils de Pāṇḍu devant eux, et c’est vers la ville de Nāgasāhvaya

5. que les saints magnanimes songèrent à se mettre en route

pour confier les fils de Pāṇḍu à Bhīṣma et Dhṛtarāṣṭra.

6. A l’instant tous les ascètes se mirent en route

et ils emmenèrent la femme, les fils et le corps de Pāṇḍu.

7. Elle, qui depuis longtemps avait été constamment heureuse, dans sa tendresse pour ses fils,

une fois arrivée, trouva que ce long voyage avait été court.

8. En peu de temps elle atteignit le pays des Kuru,

et la glorieuse parvint à la porte de la cité de Vardhamāna.

9. Apprenant l’arrivée de milliers de chanteurs célestes et des ermites,

les hommes de la Cité des éléphants furent pris de stupeur.

10. Au moment où le Soleil se levait, tous ceux qui honoraient le Dharma

parmi les citoyens sortirent avec leurs femmes pour voir les ascètes.

11. Des multitudes de femmes, des multitudes de nobles guerriers montés sur des multitudes de véhicules

et des femmes de brahmanes sortirent avec les brahmanes.

12. De même il y avait un grand mélange de multitudes de travailleurs et de serviteurs ;

personne n’avait de jalousie, c’étaient des gens dont l’esprit était dans le Dharma.

13. De même Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, et Somadatta, le fils de Bāhlīka,

et le sage de sang royal qui a l’œil de la sagesse, et le chambellan Vidura en personne,

14. et la reine Satyavatī, et la glorieuse Kausalyā [63],

et Gāndhārī entourée des femmes du roi sortirent.

15. Les héritiers de Dhṛtarāṣṭra, précédés de Duryodhana,

parés de divers ornements sortirent en une centaine.

16. Et saluant de la tête toutes les troupes des grands sages,

tous les fils de Kuru vinrent s’asseoir auprès d’eux, accompagnés de leurs chapelains.

17. De même, saluant en baissant la tête jusqu’au sol,

les gens de la cité et les villageois aussi vinrent tous s’asseoir auprès d’eux.

18. Constatant alors que la foule tout entière était pour ainsi dire silencieuse,

Bhīṣma offrit la souveraineté et le royaume aux grands sages.

19. Alors, le grand sage le plus âgé, portant le chignon et la peau d’antilope,

connaissant la pensée des grands sages, dit ceci :

20. « Celui qui était l’héritier des Kuru, le roi du nom de Pāṇḍu,

ayant renoncé au désir et au plaisir, était allé dès lors vers la Montagne-aux-cent-cimes.

21. Il se tenait à son vœu de pieuse chasteté, et grâce à une intervention divine,

celle de Dharma en personne, il lui est né un fils, Yudhiṣṭhira.

22. De même, le meilleur parmi les forts fut donné à ce roi au grand cœur

par Mātariśvā, un fils d’une grande force, du nom de Bhīma.

23. C’est grâce au Très-invoqué [64] que naquit à Kuntī celui-ci, un héros dans le domaine de la vérité

dont la renommée dépassera celle de tous les maîtres archers.

24. Quant à ces deux maîtres archers, les meilleurs des Kuru, que Mādrī enfanta

avec les Aśvin, ces tigres parmi les hommes, les voici qui se tiennent là aussi.

25. En ayant l’esprit constamment occupé par le Dharma tandis qu’il vivait dans la forêt, le glorieux

Pāṇḍu a sauvé à nouveau la lignée de ses ancêtres.

26. A voir ses fils naître, grandir et lire les extraits des Veda,

encore et toujours la joie de Pāṇḍu augmentait.

27. Adoptant la conduite des justes et ayant obtenu d’avoir des fils,

Pāṇḍu est parti dans le monde des Mânes il y a dix-sept jours.

28. Quand elle le vit monté sur le bûcher funéraire, offert à la bouche de Vaiśvānara,

Mādrī est entré dans le feu et a mis fin elle-même à sa vie.

29. Dévouée, elle est partie avec lui vers le monde de son époux :

que pour elle et pour lui après cela soit accompli ce qui doit être accompli.

30. Voici leurs deux corps et voici leurs excellents fils :

qu’on prenne soin du tourmenteur de ses ennemis, en compagnie de la mère, par les rites funéraires.

31. Et une fois accompli le rite funéraire, que le très glorieux Pāṇḍu reçoive

l’oblation aux Mânes, lui qui connaissait tout le Dharma, lui qui était le rejeton de la dynastie des Kuru. »

32. Après avoir ainsi parlé à tous les Kuru, tous les chanteurs célestes accompagnés par les Esprits Cachés [65]

disparurent à l’instant sous les yeux des Kuru.

33. Quand ils virent la troupe des sages et des Accomplis disparaître à nouveau

comme la ville céleste des Gandharvas, ils furent pris d’une grande stupeur.

 

 

 

1. 118. Dhṛtarāṣṭra ordonne des funérailles solennelles pour Pāṇḍu. Description des cérémonies.  (=  30 ślokas)

 

Livre I, chapitre 118.

1. Dhṛtarāṣṭra dit :

« Fais exécuter, Vidura, tous les rites funéraires pour Pāṇḍu,

royalement, considérant qu’il s’agit du lion parmi les rois, et de Mādrī.

2. Les bestiaux, les étoffes, les joyaux et les richesses de toutes sortes

offre-les pour Pāṇḍu et pour Mādrī à ceux qui les désirent et autant qu’ils veulent.

3. Et rends les honneurs à Mādrī comme le ferait Kuntī,

et, afin que le Vent ni le Soleil ne la voient pas, en l’enveloppant bien.

4. Il ne faut pas s’affliger pour l’irréprochable Pāṇḍu, il faut louer ce prince

qui a engendré cinq fils héroïques, pareils à des fils de Dieux ! »

5. Vaiśampāyana dit :

« Vidura lui dit « D’accord » et avec Bhīṣma, ô Bhārata,

il fit les préparatifs pour Pāṇḍu dans un lieu parfaitement clos.

6. Ainsi les chapelains royaux firent vite apporter de la ville pour Pāṇḍu 

des feux flamboyants attisés par le beurre fondu des oblations.

7. Et avec toutes sortes de parfums et de belles guirlandes de saison

ils parèrent sa litière, après l’avoir tout enveloppée d’étoffes.

8. Et quand elle fut ainsi décorée de guirlandes et d’étoffes de grands prix,

ses conseillers, ses proches et ses amis s’approchèrent.

9. Ce lion parmi les hommes, ils le transportèrent sur un magnifique char tiré par des hommes,

extrêmement orné, avec Mādrī, après l’avoir bien enveloppé.

10. Ils parachevèrent ainsi l’ornementation avec un parasol rosé,

un chasse-mouche en queues de yack, dans le vacarme de toutes sortes d’instruments de musique.

11. Et des centaines d’hommes saisissaient à poignée des joyaux

et les offraient à ceux qui les désiraient en offrandes funéraires pour Pāṇḍu.

12. Et l’on apportait de grands parasols blancs et rosés

pour le fils de Kuru, ainsi que des étoffes chatoyantes.

13. Les sacrificateurs portant des vêtements immaculés versaient des oblations sur les feux sacrificiels

qui avançaient en tête du cortège dans un flamboiement magnifique.

14. Par milliers des brahmanes, de nobles guerriers, des travailleurs et des serviteurs,

en pleurs, dévastés par la douleur, suivaient le roi.

15. « Nous abandonnant et nous plongeant dans un malheur éternel,

où ira notre roi, nous laissant sans protection, lui qui était notre protecteur auparavant ? »

16. Tous les Pāṇḍava, avec Bhīṣma et Vidura gémissaient ;

dans un charmant endroit de la forêt, sur la surface plane et propice de la rive de la Gaṅgā,

17. ils déposèrent ensuite la litière de celui qui disait le vrai,

Pāṇḍu, ce lion parmi les hommes aux actions irréprochables, avec son épouse.

18. Alors son corps fut honoré avec toutes sortes de parfums,

oint de pur safran, parfumé avec les meilleures eaux lustrales,

et aspergé d’eau rapidement à l’aide de cruches d’or fin.

19. Et ils l’enduisirent d’un excellent santal brillant,

ainsi qu’avec un mélange de calambac et de suc d’euphorbe.

20. Puis ils l’enveloppèrent d’étoffes immaculées de la région ;

et vêtu de ces étoffes, ce taureau parmi les hommes semblait vivant,

ce tigre parmi les hommes resplendissait, digne d’une couche qu’il méritait grandement.

21. Avec le consentement des sacrificateurs experts des rites funéraires,

le roi, ainsi bien préparé, fut convenablement aspergé de beurre fondu, en même temps que Mādrī,

22. et avec un mélange d’euphorbe, de prunus, de santal très parfumé

et d’autres parfums variés en abondance, il fut incinéré.

23. Voyant ainsi leurs deux corps, prise d’égarement,

Kausalyā cria « Ha ! Ha ! Mon fils ! » et tomba tout d’un coup à terre.

24. En la voyant tombée affligée, les gens de la ville et de la campagne

se lamentèrent tous bruyamment, pleins de compassion et de ferveur pour leur roi.

25. Toutes les créatures, comme épuisées par la douleur, criaient en hurlant

en même temps que les hommes, même celles issues de matrices animales.

26. Ainsi Bhīṣma, le fils de Śāṃtanu, et le subtil Vidura

et aussi les fils de Kuru tous ensemble se mirent à pousser des cris, dans l’excès de leur affliction.

27. Puis Bhīṣma, Vidura et les rois avec leurs parents,

lui firent l’offrande de l’eau, ainsi que toutes les femmes des Kuru.

28. Quand les Pāṇḍava, tourmentés par le chagrin, eurent fait les offrandes d’eau,

tous les dignitaires les emmenèrent, ô roi, et les entourèrent, affligés.

29. De même que les Pāṇḍava s’étaient couchés à terre avec leurs parents,

de même, ô roi, les brahmanes et les autres gens de la ville s’y étendirent.

30. La ville fut avec les Pāṇḍava, pendant douze nuits,

sans joie, malade, triste, y compris les enfants.

 

 

 

1. 119. Cérémonie du śrāddha. Vyāsa annonce des temps troublés. Satyavatī se retire dans la forêt avec Ambikā et Ambālikā. Elles se livrent toutes trois à des austérités sévères, et meurent, quand leur temps est venu. Les Pāṇḍava sont élevés avec leurs cousins. Bhīma fait des tas de misères à ses cousins en jouant avec eux : il est si fort !. Duryodhana décide de noyer Bhīma. Il profite de son sommeil au bord de la Gaṅgā, l’enchaîne et le jette à l’eau. Bhīma rompt ses chaînes et sort de l’eau. Une autre fois, Duryodhana fait mordre Bhīma endormi par des cobras. Mais les crocs des serpents n’arrivent pas à percer la peau de Bhīma. Bhīma se réveille, et tue les serpents. Duryodhana verse un poison violent dans la nourriture de Bhīma, mais Bhīma est tellement coriace que le poison est sans effet. Duryodhana, Karṇa et Śakuni font ainsi plusieurs tentatives, sans succès. Sur les conseils de Vidura, les Pāṇḍava ne disent rien. Dhṛtarāṣṭra engage Kṛpa comme précepteur.  (= 43 ślokas)

 

Livre I, chapitre 119.

1. Vaiśampāyana dit :

« Ainsi le chambellan, le roi, Bhīṣma avec ses parents

donnèrent alors à Pāṇḍu l’offrande aux mânes, une oblation faite d’ambroisie.

2. Et ils nourrirent les Kuru et les chefs des brahmanes par milliers,

et donnèrent aux chefs des deux-fois-nés des flots de joyaux, et aussi les meilleurs des villages.

3. Après que les Pāṇḍava, les taureaux des Bhārata, se furent ainsi purifiés,

les gens de la ville les emmenèrent et retournèrent avec eux vers la ville qui tire son nom des éléphants.

4. Tous les gens de la ville et de la campagne continuaient à regretter

le taureau des Bharata, comme si c’était leur propre parent qui était mort.

5. A la fin de l’offrande aux mânes, voyant alors le peuple malheureux,

Vyāsa dit à la mère, égarée par la douleur de son chagrin :

6. « Les temps du bonheur se sont éloignés, les temps durs sont arrivés,

jour après jour les journées deviennent plus mauvaises, la Terre a perdu sa jeunesse.

7. Ce sera un temps où pendant de nombreuses années règnera l’illusion, agité par des vices de toutes sortes,

où les actes et les comportements violeront le Dharma, épouvantable.

8. Toi pars, voue-toi à la renonciation, habite un ermitage où tu te concentreras,

pour ne pas voir toi-même l’épouvantable anéantissement de ta dynastie. »

9. « Qu’il en soit ainsi » dit-elle en lui donnant congé, et entrant chez sa belle-fille elle lui dit :

« Ambikā, à cause de la mauvaise conduite de ton fils apparemment les Bhārata

avec leur successeurs seront anéantis, et leurs petits-fils aussi, nous dit la tradition.

10. J’emmènerai cette pauvre Kausalyā qui est tourmentée par son chagrin pour son fils

dans la forêt (prospérité sur toi !) : nous allons là si c’est ton avis. »

11. Ambikā lui dit « D’accord » et, après avoir salué Bhīṣma, la vertueuse

Satyavatī partit dans la forêt avec ses deux belles-filles, ô Bhārata.

12. Les reines se livrèrent à des ascèses effroyables, ô taureau des Bhārata,

et après avoir quitté leur corps, ô grand roi, elles firent alors le voyage auquel elles aspiraient.

13. Les Pāṇḍava reçurent alors les sacrements indiqués par les Veda

et ils grandirent, profitant des plaisirs, dans les demeures de leur père.

14. Et quand ils s’amusaient en compagnie des fils de Dhṛtarāṣṭra,

les Pāṇḍava étaient supérieurs dans tous les jeux d’enfants.

15. Pour courir, pour toucher la cible, pour se nourrir, pour jouer avec le sable,

Bhīmasena écrasait tous les fils de Dhṛtarāṣṭra.

16. Par plaisir, quand ils jouaient, ils les saisissait par les mèches sur les tempes

et les tenant par la tête le Pāṇḍava les faisait se battre.

17. A lui tout seul Ventre-de-loup écrasait sans difficulté particulière

les cent un garçons très puissants.

18. Et les saisissant par les pieds, le puissant les terrassait par sa puissance,

et pendant qu’ils criaient il les traînait à terre en égratignant leurs genoux et leur tête.

19. En jouant dans l’eau, il prenait dix garçons dans ses bras,

et il s’asseyait dans l’eau en restant immergé, et il ne les relâchait que mourants.

20. Et quand ils montaient dans un arbre pour cueillir des fruits,

alors Bhīma secouait l’arbre en donnant un coup au tronc.

21. Secoués dans leur arbre frappé par ce coup impétueux,

les garçons, tombant avec les fruits, dégringolaient rapidement.

22. Ni à la lutte, ni à la course, ni dans les exercices physiques, jamais

les garçons ne faisaient mieux quand ils rivalisaient avec Ventre-de-loup.

23. C’est ainsi que Ventre-de-loup, à force de rivaliser avec les fils de Dhṛtarāṣṭra,

leur devint tout à fait antipathique, par puérilité, et non par malveillance de cœur.

24. Ainsi, quand le majestueux fils de Dhṛtarāṣṭra prit conscience

de la force bien connue de Bhīmasena, il fit voir sa mauvaiseté.

25. Il s’écarta du Dharma, tourna ses regards vers les mauvaises actions,

et dans son égarement et sa convoitise, une pensée mauvaise naquit en lui :

26. « Ce fils de Kuntī, le meilleur parmi les forts, Ventre-de-loup,

le puîné parmi les fils de Pāṇḍu, doit être vaincu par tromperie.

27. C’est pourquoi le cadet et le frère aîné, Yudhiṣṭhira,

je les maîtriserai en les liant dans des entraves, et je règnerai sur la Terre nourricière ! »

28. Alors, après avoir pris cette décision, le méchant Duryodhana

était continuellement à guetter une occasion contre Bhīma au grand cœur.

29. Ainsi, pour les sports aquatiques, il fit, ô Bhārata,

de grandes cabines faites d’étoffes de laine multicolores,

30. allant vers un endroit sur un promontoire, un plateau.

Quand ils eurent achevé leurs exercices physiques, tous, dans leurs vêtements immaculés et leurs belles parures,

mangèrent tranquillement une nourriture qui comblait tous leurs désirs.

31. A la fin de la journée, épuisés de leurs ébats, les fils de Kuru,

ces héros, aimaient rester dans leurs cabines pour les exercices physiques.

32. Or, le puissant Bhīma, quoique supérieur dans les exercices, fut alors fatigué

de porter puissamment sur son dos les garçons qui revenaient de leurs jeux aquatiques :

il grimpa sur le promontoire et s’y coucha, recherchant un endroit pour se reposer.

33. Ayant trouvé un endroit au frais, fatigué, égaré par l’ivresse,

incapable de bouger, ô roi, le Pāṇḍava s’endormit, pareil à un mort.

34. Ainsi, après avoir attaché Bhīma avec des liens de liane, Duryodhana doucement

le fit tomber de ce plateau dans l’eau profonde et torrentueuse.

35. Une fois réveillé, le fils de Kuntī rompit toutes ses entraves,

et Bhīma, de beaucoup le meilleur des guerriers, se dressa hors de l’eau.

36. Et à nouveau encore, alors qu’il était endormi, prenant des serpents aux crocs acérés, très venimeux

et hargneux, il le fit mordre à tous les points vulnérables de son corps.

37. Et les crocs de ces crochus, bien que plantés dans les points vulnérables,

ne percèrent pas même la peau, à cause de la coriacité du héros à la large poitrine.

38. Et quand Bhīma s’éveilla, il écrasa tous les serpents

et il frappa son cocher bien-aimé d’un revers de main.

39. Dans la nourriture de Bhīmasena il fit mettre à nouveau du poison,

du Mystère Noir qu’il avait préparé, tout frais, virulent, terrifiant.

40. Le fils de Vyāsa parla alors par amitié pour les fils de Pṛthā :

« Ventre-de-loup a mangé de cela et l’a digéré sans broncher…

41. Car ce poison très virulent n’a engendré aucune altération :

étant très costaud, Bhīma l’a donc digéré. »

42. C’est ainsi que Duryodhana, Karṇa, et aussi Śakuni le fils de Subala

voulurent tuer les Pāṇḍava par divers moyens.

43. Les Pāṇḍava, ces dompteurs de leurs ennemis, reconnurent tout cela,

mais, s’en tenant à l’avis de Vidura, ils l’ignorèrent.

 

 

 

1. 120. Histoire de Kṛpa. Le fils du brahmane Gautama, Śaradvant, est né flèches en mains. De fait il s’intéresse plus aux armes qu’au veda. Indra, inquiet des pouvoirs de Śaradvant, envoie l’apsaras Jālapadī le séduire. Śaradvant est émerveillé, laisse tomber arc et flèches, mais il résiste à la tentation et se sauve. Sa semence s’échappe, sans qu’il s’en aperçoive, et tombe sur un roseau où elle se divise en deux : ainsi naîtront les jumeaux Kṛpa et Kṛpī. Śāṃtanu, en chassant, trouve les jumeaux et les adopte. Śaradvant les retrouve, fait connaître leur origine au roi, et enseigne à Kṛpa le métier des armes. Ainsi Kṛpa, à son tour, enseigne le métier des armes aux Pāṇḍava, aux Kaurava et aux Vṛṣṇi et à d’autres.  (=  21 ślokas)

Livre I, chapitre 120.

1. Janamejaya dit :

« Dis-moi aussi, s’il te plait, ô grand brahmane, l’origine de Kṛpa :

comment est-il né d’une tige de roseau, et comment a-t-il obtenu ses armes ? »

2. Vaiśampāyana dit :

« Le grand sage Gautama avait un fils portant le nom de Śaradvāt,

ainsi nommé, tu le sais sans doute, ô puissant Mahārāja, parce qu’il était né avec des flèches.

3. Son esprit n’était pas autant porté à l’étude du Veda

que son esprit l’était dans la science du tir à l’arc, ô tourmenteur de tes ennemis.

4. De même que ceux qui enseignent les Veda y accèdent par l’ascèse,

de même c’est en se vouant à l’ascèse qu’il obtint toutes ses armes.

5. Par sa supériorité dans la science du tir à l’arc et par son intense ascèse,

ce fils de Gautama tourmentait énormément le roi des dieux.

6. Ainsi le Seigneur des dieux envoya une jeune déesse du nom de Jālapadī :

« Fais obstacle à son ascèse ! » lui dit-il, ô Kaurava.

7. La jeune fille alla vers le charmant ermitage de Śaradvāt,

et elle émoustilla le fils de Gautama qui portait son arc et ses flèches.

8. Gautama, quand il vit dans la forêt l’Apsaras qui ne portait qu’un seul vêtement,

avec une apparence sans égal au monde, en eut les yeux exorbités !

9. Son arc et ses flèches tombèrent de ses mains sur le sol,

et à la voir un tremblement se fit dans son corps.

10. Mais sa connaissance et son ascèse avaient tant de poids

que ce grand sage, avec un sang-froid extraordinaire, ne broncha pas.

11. Mais, ô roi, à cause du trouble qui tout à coup était né en lui soudainement,

il répandit son sperme sans apercevoir.

12. L’anachorète abandonna son ermitage en même temps que l’Apsaras

et s’en alla, tandis que son sperme était tombé sur une touffe de roseaux.

13. Et en tombant sur la touffe de roseaux il se divisa en deux parties, ô roi,

et il en naquit une paire de jumeaux de Śaradvāt le fils de Gautama.

14. Il se trouva que le roi Śāṃtanu était allé à la chasse,

et que l’un de ses soldats aperçut la paire de jumeaux dans le bois.

15. Et en voyant l’arc avec ses flèches ainsi que la peau d’antilope noire,

jugeant que c’était là la progéniture d’un brahmane qui était allé jusqu’au bout de la science de l’archerie,

il montra alors au roi la paire de jumeaux avec les flèches.

16. Le roi, pris de pitié, emmena cette paire de jumeaux

et quand il revint à son palais, il dit : « Ce sont mes deux enfants ! ».

17. C’est ainsi qu’il les éleva et leur donna aussi les sacrements ;

quant à Gautama, après son départ, il devint un expert de la science de l’archerie.

18. « C’est par pitié que j’ai élevé ces deux enfants » dit-il ;

c’est ainsi que le souverain leur donna leurs noms.

19. Bien qu’ils fussent cachés, Gautama les trouva grâce à son ascèse :

il alla tout lui dire, le nom de leur lignée et le reste.

20. La quadruple science de l’archerie et les armes de toutes sortes,

tout ce savoir ésotérique il le lui enseigna alors dans son intégralité ;

et en peu de temps il devient un excellent maître spirituel.

21. C’est ainsi qu’accédèrent à la science de l’archerie tous les grands auriges,

ainsi que les fils de Dhṛtarāṣṭra, et les Pāṇḍava à la grande force,

et les descendants de Vṛṣṇi, et les autres princes venus de toutes sortes d’endroits.

 

 

 

1. 121. Histoire de Droṇa. Le brahmane Bharadvāja aperçoit l’apsaras Ghṛtācī en train de se baigner. Sa semence s’échappe et il la recueille dans un baquet. Ainsi naîtra Droṇa. Droṇa étudie chez Agniveśya qui lui transmet l’arme d'Agni. Pṛṣata, ami de Bharadvāja, a un fils, Drupada, qui devient ami de Droṇa. Droṇa épouse Kṛpī et a un fils, Aśvatthāmā. Droṇa va trouver Rāma et obtient de lui ses armes et tous les secrets et formules concernant les armes.  (= 23  ślokas)

Livre I, chapitre 121.

1. Vaiśampāyana dit :

« Ainsi, désirant une éducation distinguée pour ses petits-fils, Bhīṣma

s’enquit de maîtres spirituels s’y connaissant en flèches et javelots, et respectés pour leur courage.

2. Ni un homme borné, ni un homme ordinaire, ni un homme qui ne soit pas expert dans toutes sortes d’armes,

ni un homme qui ne soit pas de nature divine n’aurait pu instruire les Kuru à la grande force au maniement des armes.

3. Une fois le grand sage Bharadvāja était chez Havirdhāna :

le sage vit une Apsaras, Ghṛtācī en personne, qui se baignait.

4. Le vent secoua son vêtement et le lui arracha :

le sperme du sage se répandit, et il le mit dans une coupelle.

5. Dans la coupe de ce sage naquit Droṇa ,

et il étudia les Veda et les disciplines annexes du Veda dans leur intégralité.

6. Le majestueux Bharadvāja, le meilleur des connaisseurs du Dharma,

procura à l’éminent Agniveśya « le missile d’Agni ».

7. Ainsi, ô le meilleur des Bhārata, l’anachorète qui était né au son de l’hymne à Agni

procura alors au fils de Bharadvāja cette grande arme, « le missile d’Agni ».

8. Il y avait un ami de Bharadvāja, un prince du nom de Pṛṣata ;

il lui naquit alors un fils du nom de Drupada.

9. Régulièrement le fils de Pṛṣata, ce taureau parmi les nobles guerriers, allait à l’ermitage

avec Droṇa pour y jouer et étudier.

10. Quand le temps fut venu pour Pṛṣata, Drupada devint roi,

le puissant seigneur des Pañcāla du Nord.

11. Le bienheureux Bharadvāja monta alors lui aussi au ciel ;

ainsi par fidélité pour son père, désirant avoir un fils, le très glorieux

Droṇa demanda en mariage Kṛpī, la fille de Śaradvāt.

12. Se réjouissant constamment dans l’oblation à Agni, le Dharma et le contrôle de ses passions,

la descendante de Gautama conçut un fils, Aśvatthāmā.

13. A peine sorti de sa mère, il se mit à hurler tout comme le cheval Uccaiḥśravas ;

quand on entendit cela, un être invisible se tenant dans l’atmosphère dit :

14. « Parce qu’il hurle en tous sens comme le hennissement d’un cheval,

ce garçon aura donc pour nom Aśvatthāmā.. »

15. Le fils de Bharadvāja fut donc comblé par ce fils ;

et ce sage demeura là et devint un expert de la science de l’archerie.

16. Il entendit dire que le fils de Jamadagni [66] au grand cœur, ce tourmenteur de ses ennemis,

voulait alors donner toutes ses richesses aux brahmanes, ô roi.

17. Comme il partait pour la forêt, le fils de Bharadvāja dit alors à Rāma :

« Sache que je suis venu par désir de richesses, je suis Droṇa, taureau parmi les deux-fois-nés. »

18. Rāma lui dit :

« L’or que je possède et tous les autres biens qu’on peut me connaître,

j’ai tout donné aux brahmanes, ô ascète.

19. De même, la Terre, cette déesse bordée par l’Océan, avec ses villes,

je l’ai donnée tout entière à Kaśyapa, avec sa guirlande de cités.

20. Il ne me reste rien désormais que ce corps,

et des projectiles très précieux, et diverses armes.

Choisis ! Qu’est-ce que je te donne, Droṇa ? Dis-moi vite ! »

21. Droṇa lui dit :

« Daigne, me donner l’ensemble de tes projectiles, avec le moyen de les faire revenir, ô fils de Bhṛgu,

et avec absolument tous les secrets de leur usage ! »

22. Vaiśampāyana dit :

« Le fils de Bhṛgu lui « D’accord ! », et c’est ainsi qu’il lui donna les projectiles

avec leurs règles secrètes, et aussi absolument toute la science de l’archerie.

23. Le meilleur des deux-fois-nés prit donc tout et, ainsi armé,

il alla tout content chez son cher ami Drupada.

 

 

1. 122. Droṇa va trouver Drupada et l’appelle “mon ami”. Drupada le rabroue : un roi n’a pas n’importe qui pour ami, surtout pas un brahmane pauvre. Droṇa est furieux, mais ne dit rien. Il va à Hāstinapura et rencontre les princes qui jouaient au palet : le palet tombe dans un puits et ils n’arrivent pas à l’en retirer. Droṇa se moque d’eux : il perce le palet d’une flèche, puis la flèche d’une autre flèche et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il n’ait plus qu’à retirer le tout. Les princes, émerveillés, ne savent comment le remercier : il leur demande de parler de lui à Bhīṣma. Bhīṣma fait venir Droṇa et l’interroge. Droṇa raconte ses déboires avec Drupada. Bhīṣma l’engage comme maître d’armes. Droṇa demande à ses élèves de lui promettre de l’aider à réaliser son dessein secret, quand ils auront maîtrisé la science des armes ; seul Arjuna promet. Droṇa les enseigne, ainsi que Karṇa, en même temps que d’autres princes venus des royaumes voisins.  (= 47 ślokas)

Livre I, chapitre 122.

1. Vaiśampāyana dit :

« Le majestueux fils de Bharadvāja s’approcha de Drupada

et, ô roi, il dit au fils de Pṛṣata : « Sache que je suis ton ami. ».

2. Drupada lui dit :

« Ton jugement est immature, ô brahmane, et n’est pas très correct,

puisque dans ton excès tu me dis : « Je suis ton ami », ô deux-fois-né !

3. Car pour les rois proclamés aucune amitié n’advient avec des hommes tels que toi,

lourdaud, privés de fortune et sans richesses.

4. Les amitiés se gâtent aussi avec le temps quand on vieillit :

j’avais de l’amitié pour toi autrefois, nous étions liés en fonction de nos capacités.

5. Jamais, à aucun moment, on ne saurait voir au monde une amitié qui ne vieillisse pas :

soit le désir l’enlève, soit la colère la déchire.

6. Ne te voue pas ainsi à une vieille amitié, commences-en une nouvelle.

J’avais de l’amitié pour toi, ô le meilleur des deux-fois-nés, parce qu’elle était liée à mon intérêt.

7. Le pauvre n’est pas l’ami du riche, ni l’ignare du savant,

ni le couard n’est l’ami du héros : qui a envie d’un ami de longue date ?

8. Deux hommes qui ont la même fortune, deux hommes qui ont la même caste,

ceux-là ont de l’amitié et des échanges matrimoniaux, mais pas deux hommes dont l’un est bien nourri et l’autre mal nourri.

9. L’ignorant du Veda n’est pas l’ami d’un expert du Veda, ni celui qui n’a pas de char avec celui qui conduit un char,

il n’y a pas d’intimité entre un roi et un non-roi : qui a envie d’un ami de longue date ? »

10. Vaiśampāyana dit :

« A ces mots de Drupada, le majestueux fils de Bharadvāja

médita un moment, submergé par l’indignation.

11. Intelligemment, il délibéra dans son esprit contre le Pāñcāla ;

il alla vers la cité des chefs des Kuru, celle qui tire son nom des éléphants.

12. Or les jeunes princes étaient sortis ensemble de la cité qui tire son nom des éléphants,

et les héros jouaient là au palet, en circulant joyeusement.

13. Le palet tomba dans un puits tandis qu’ils jouaient,

et ils ne trouvaient pas le moyen de le récupérer.

14. Quand le vaillant Droṇa vit les jeunes princes préoccupés,

il éclata  de rire discrètement et s’adressa à eux avec amabilité :

15. « Ah vraiment, honte à la jeunesse guerrière ! Honte à votre habileté dans les armes,

vous qui, étant de la lignée des Bhārata, n’avez pas récupéré votre palet !

16. Voici une poignée de tiges de roseaux qu’avec un mantra j’ai enchantées grâce à mon habileté dans les armes :

contemplez sa puissance, on n’en connaît pas d’équivalent !

17. J’atteindrai le palet avec une tige de roseau, et cette tige de roseau avec une autre,

et je la joindrai avec une autre pour attraper le palet. »

18. Les garçons, les yeux écarquillés de stupeur,

le virent retirer le palet et ils dirent à celui qui avait atteint le palet :

19. « Nous te saluons, ô brahmane : on ne connaît pas cela ailleurs.

Qui es-tu ? Qui reconnaissons-nous en toi ? Que devons-nous faire ? »

20. Droṇa leur dit :

« Parlez à Bhīṣma de mon apparence et de mes qualités :

il est d’une grande sagesse, il saura ce qui convient. »

21. Vaiśampāyana dit :

« Ils dirent tous « D’accord ! » et ils dirent à Bhīṣma, leur grand-père paternel,

les paroles exactes du brahmane et ses exploits éminents.

22. Quand Bhīṣma entendit les garçons, il reconnut Droṇa

et il pensa : « C’est là un gourou convenable. »

23. Il le fit alors venir lui-même, l’accueillit bien,

et Bhīṣma, le meilleur des guerriers, le questionna avec précision.

Droṇa l’informa entièrement des raisons de sa venue.

24. « Je suis allé avec constance auprès du grand sage Agniveśya

autrefois, pour les armes, parce que je convoitais sa science de l’archerie.

25. Pieusement chaste, l’âme disciplinée, laissant pousser mes cheveux pendant de nombreuses années,

j’ai habité là-bas très longtemps parce que je désirais sa science de l’archerie.

26. Le fils du roi des Pañcālas, le puissant Yajñasena,

a fait ses études avec moi, se dévouant à grand-peine à ce gourou.

27. Là il fut pour moi un ami serviable et cher,

et moi dans mes relations avec lui j’ai été heureux très longtemps, hélas !

Depuis l’enfance, ô descendant de Kuru, nous avons étudié ensemble.

28. Là, s’approchant de moi, aimable en actes comme en paroles

il me dit, ô Bhīṣma, cette parole qui fit croître ma joie :

29. « Je suis, Droṇa, le fils préféré de mon père au grand cœur,

puisque le roi de Pañcāla me donnera l’onction royale.

30. Tu pourras jouir de mon royaume, mon ami, c’est vrai, je te le jure,

toutes mes richesses et mes biens seront à ta disposition, ainsi que mes plaisirs. »

31. Il me parla ainsi et, après m’être exercé au maniement des armes, je pris la route en quête de richesses ;

et quand j’entendis dire qu’il avait reçu l’onction royale, j’ai pensé : « C’est bon, j’y suis ! ».

32. Je suis retourné plein de joie vers mon cher ami qui était dans son royaume,

me souvenant aussi bien de notre amitié que de ses paroles.

33. Je suis donc arrivé chez Drupada, mon ami de longue date, ô seigneur,

tigre parmi les hommes, et je lui ai dit : « Sache que je suis ton ami. ».

34. Or Drupada, alors que j’allais vers lui et me rapprochais de lui comme d’un ami,

éclata de rire comme si j’étais insignifiant et me dit ceci :

35. « Ton jugement est immature, ô brahmane, et n’est pas très correct,

puisque dans ton excès tu me dis : « Je suis ton ami », ô deux-fois-né !

36. Car pour les rois proclamés aucune amitié n’advient avec des hommes tels que toi,

lourdaud, privés de fortune et sans richesses.

37. L’ignorant du Veda n’est pas l’ami d’un expert du Veda, ni celui qui n’a pas de char avec celui qui conduit un char,

ni un non-roi  avec un prince : qui a envie d’un ami de longue date ? »

38. A ces mots de Drupada, je fus submergé par l’indignation :

je suis allé vers les Kuru, ô Bhīṣma, à la recherche de disciples pleins de mérite. »

39. Bhīṣma, en compagnie des fils de Pāṇḍu, l’accepta comme gourou :

prenant tous ses petits-fils et toutes sortes de richesses,

40. il les confia à Droṇa, ô roi, selon la règle : « Ce sont tes disciples »,

et le maître archer accepta les Kauravās comme disciples.

41. Et après les avoir tous acceptés, Droṇa leur dit ces mots

en secret, une fois seul, le cœur confiant, quand ils se furent assis avec respect :

42. « Une certaine tâche à laquelle j’aspire hante mon cœur :

des gens exercés au maniement des armes doivent me l’accorder, parlez-moi clairement, ô irréprochables. »

43. En entendant cela, les Kauravās restèrent silencieux, ô Seigneur des peuples,

mais Arjuna, le tourmenteur de ses ennemis, lui promit tout.

44. Alors il embrassa Arjuna sur la tête encore et encore,

le serrant dans ses bras affectueusement et pleurant de joie.

45. Ainsi le vaillant Droṇa fit prendre aux fils de Pāṇḍu

des armes de toutes sortes, divines et humaines.

46. De même aussi d’autres fils de roi s’assemblèrent, ô taureau des Bhārata,

et ils allèrent vers Droṇa, le meilleur des deux-fois-nés, pour apprendre les armes :

les fils de Vṛṣṇi, les Andhakas, et des princes de diverses contrées.

47. Rādheya, le fils du cocher [67], alla alors vers le gourou Droṇa ;

or le fils du cocher rivalisait avec Pārtha [68] en montrant beaucoup d’impatience.

En s’appuyant sur Duryodhana, il méprisait les Pāṇḍava.

 

 

 

1. 123. Arjuna est en train de manger quand le vent éteint sa lampe : il continue à manger dans le noir, sans difficulté. Comprenant ainsi l’aide que donne la pratique, il s’entraîne à tirer à l’arc de nuit. Droṇa le félicite et lui promet d’en faire un archer insurpassable. Il entraîne les princes à toutes sortes de combat. Histoire d’Ekalavya. Ekalavya, prince des Niṣāda demande à être enseigné par Droṇa, mais celui-ci refuse (les Niṣāda sont ennemis des Kaurava). Ekalavya façonne une statue d’argile à l’image de Droṇa, qu’il traite comme un maître, s’entraîne avec foi et discipline et acquiert ainsi la maîtrise des armes. Un jour les princes vont chasser. Leur chien découvre Ekalavya et se met à aboyer. Ekalavya lui tire sept flèches d’un seul coup dans la gueule. Lorsque les Pāṇḍava voient ce coup de maître, ils vont trouver Ekalavya qui se présente comme un élève de Droṇa. Arjuna rappelle à Droṇa sa promesse d’en faire un archer insurpassable : et pourtant Ekalavya semble l’emporter sur lui !. Droṇa et Arjuna vont trouver Ekalavya : celui-ci se déclare élève de Droṇa. Droṇa alors réclame ses honoraires : qu’Ekalavya lui donne son pouce droit. Ce qu’il fait sans hésiter, mais il cesse d’être un archer incomparable. Duryodhana supporte difficilement l’excellence de Bhīma et d’Arjuna. Le concours de tir. Droṇa organise un concours : il place un oiseau dans un arbre, et les fait viser tout à tour. Il les interroge sur ce qu’ils voient en visant. Tous répondent qu’ils voient la cible, et l’arbre, et le reste. Droṇa les écarte. Seul Arjuna ne voit que la tête de l’oiseau. Tire, lui dit Droṇa, et l’oiseau tombe, la tête coupée. Un autre jour, Droṇa prend un bain et est attaqué par un crocodile. Délivrez-moi, dit-il à ses élèves. Arjuna tue le crocodile de ses flèches avant que les autres aient eu le temps de réagir. Droṇa donne à Arjuna l’arme “Tête de Brahmā” et la manière de s’en servir : il ne doit jamais l’utiliser contre un homme, elle brûlerait le monde.  (=  78 ślokas)

 

Livre I, chapitre 123.

1. Vaiśampāyana dit :

« Arjuna mit un zèle extrême à honorer son gourou,

et son extraordinaire étude des armes le rendit cher à Droṇa.

2. Droṇa appela alors le cuisinier et lui parla en secret :

« Quand il fait nuit, il ne faut jamais donner de nourriture à Arjuna. »

3. Un jour, alors qu’Arjuna mangeait, le vent souffla,

et il renversa la lampe qui l’éclairait.

4. Arjuna était en train de manger, et la main de ce prince éclatant

ne rata pas sa bouche avec la nourriture, parce qu’elle était habituée à saisir les aliments :

songeant que cela était dû à la répétition, le fils de Pāṇḍu s’entraîna de nuit.

5. Droṇa entendit le claquement de la corde de son arc, ô Bhārata :

il se réveilla, se leva et, le serrant dans ses bras, il lui dit ceci :

6. « Je m’efforcerai de faire en sorte qu’aucun autre archer

au monde ne soit pareil à toi : je te le dis en vérité. »

7. Ainsi Droṇa enseigna encore à Arjuna l’art du combat

avec des chars, des éléphants, des chevaux, et à pieds.

8. Droṇa instruisit le fils de Pāṇḍu dans les combats à la massue, ceux qui se font à l’épée,

à la lance, à la javeline, au javelot, et dans divers combats.

9. Voyant son talent et voulant acquérir sa science de l’archerie,

des rois et des fils de rois s’assemblèrent par centaines de milliers.

10. C’est ainsi que le fils de Hiraṇyadhanus, le roi des Niṣāda,

Ekalavya, ô grand roi, alla vers Droṇa.

11. Celui-ci, songeant qu’il était un Niṣāda, ne l’accepta pas

comme disciple en archerie, par considération pour les autres : il connaissait le Dharma.

12. Ce tourmenteur de ses ennemis toucha les pieds de Droṇa avec sa tête,

et arrivé dans la forêt il façonna un Droṇa en terre.

13. Il lui voua alors une extrême vénération comme à un maître,

se vouant à une discipline extraordinaire dans sa pratique de l’archerie.

14. Avec une foi extraordinaire et une extraordinaire discipline

il acquit une extraordinaire célérité pour prendre une flèche, viser et la décocher.

15. Un jour Droṇa donna congé aux Kuru et aux Pāṇḍava,

et tous ces destructeurs de leurs ennemis partirent à la chasse sur leurs chars.

16. Là le hasard fit qu’un homme qui avait pris son équipement,

ô roi, suivait seul les Pāṇḍava, accompagné de son chien.

17. Tandis qu’ils circulaient là et que chacun vaquait à son occupation,

le chien, tout fou, partit dans la forêt et tomba sur le Niṣāda.

18. En voyant le Niṣāda noiraud, au corps couvert de crasse, portant une peau d’antilope noire

dans la forêt, le chien s’arrêta prêt de lui en aboyant.

19. Alors, montrant son adresse, tandis que le chien aboyait, avec son arc

il lâcha dans sa gueule sept flèches, presque simultanément.

20. Et le chien, la gueule pleine de flèches, alla donc vers les Pāṇḍava ;

et quand les Pāṇḍava le virent, les héros entrèrent dans une extrême stupeur.

21. Alors, voyant son extraordinaire adresse à tirer en se fiant uniquement au son,

ils le regardèrent pleins de confusion et le louèrent tous ensemble.

22. Les Pāṇḍava recherchèrent ainsi dans la forêt l’homme des bois ;

ils le virent, ô roi, en train de tirer des flèches sans arrêt.

23. Alors, ne le reconnaissant pas sous son aspect difforme,

il lui demandèrent qui il était et de qui donc il était le fils.

24. Ekalavya leur dit :

« Sachez, ô héros, que je suis le fils de Hiraṇyadhanus, roi des Niṣādas,

que je suis le disciple de Droṇa et que j’ai étudié l’archerie à grand-peine. »

25. Vaiśampāyana dit :

« Les Pāṇḍava le reconnurent vraiment, et ils s’en allèrent

raconter à Droṇa comment tout ce prodige s’était passé.

26. Mais, ô roi, Arjuna, le fils de Kuntī, pensait à Ekalavya,

et quand il se trouva seul à seul avec Droṇa, il lui dit affectueusement :

27. « N’est-il pas vrai que, alors que j’étais seul et t’embrassais affectueusement,

tu m’as assuré : « Je n’aurai pas de disciple qui te surpasse » ?

28. Or comment se fait-il qu’ici-bas il y ait aussi un héros qui me surpasse,

un autre qui est réellement ton disciple, le fils du roi des Niṣādas ? »

29. Droṇa réfléchit un moment pour prendre sa décision,

et prenant avec lui l’Ambidextre, il alla vers le prince des Niṣādas.

30. Il vit Ekalavya le corps couvert de crasse, les cheveux emmêlés,

vêtu d’écorce, l’arc à la main, lançant des flèches sans arrêt.

31. Ekalavya, quand il vit Droṇa approcher,

alla vers lui, prit ses pieds dans ses mains et toucha le sol de sa tête.

32. Après avoir ainsi rendu hommage à Droṇa comme il convient, le Niṣāda

lui dit qu’il était son disciple et il se tint devant lui portant ses mains jointes à son front.

33. Alors, ô roi, Droṇa dit ces mots à Ekalavya :

« Si tu es mon disciple, donne-moi vite mon salaire ! ».

34. Ekalavya, ravi d’entendre cela, lui dit ceci :

« Que dois-je t’offrir, ô bienheureux ? Que mon gourou me commande !

35. Car il n’est rien que je ne puisse donner à mon gourou qui connaît le Brahmā au plus haut point. »

Il lui répondit : « Donne-moi le pouce de ta main droite ! ».

36. Ekalavya, en entendant la parole implacable de Droṇa,

tint sa promesse, étant toujours dévoué à la Vérité :

37. Ainsi avec un visage joyeux, ainsi avec l’esprit confiant,

il coupa son pouce sans discuter et le donna à Droṇa.

38. Or désormais le Niṣāda bandait son arc avec ses autres doigts,

et il n’était plus aussi rapide qu’auparavant, ô roi.

39. Arjuna fut donc ravi et la fièvre de la douleur le quitta.

Et Droṇa avait été véridique : aucun autre ne l’emportait sur Arjuna.

40. Alors deux disciples de Droṇa parmi les Kuru, s’entraînaient

particulièrement au combat à la massue, Duryodhana et Bhīma.

41. Aśvatthāmā était le plus fort dans tous les arts ésotériques ;

de même les deux jumeaux plus que les autres hommes étaient habiles à manier l’épée ;

Yudhiṣṭhira était le meilleur des auriges ; mais Dhanaṃjaya était le meilleur en tout.

42. Et le Pāṇḍava était célèbre jusqu’aux limites de l’Océan comme le roi des rois parmi les troupes des rois des guerriers,

par son intelligence, sa concentration, sa force et sa détermination, dans toutes les armes.

43. Dans les armes et dans son affection pour son gourou, le vaillant Arjuna

se distinguait par son excellence quand on était à armes égales :

unique parmi tous les jeunes princes, Arjuna était un guerrier exceptionnel.

44. Le scélérat fils de Dhṛtarāṣṭra, ô roi, ne supportait pas

la force supérieure de Bhīmasena et l’expertise de Dhanaṃjaya.

45. Les réunissant tous quand ils eurent achevé toutes leurs études,

Droṇa testa leur connaissance du combat, ô taureau parmi les hommes.

46. Ayant fait faire par un sculpteur un vautour factice, il l’accrocha au sommet d’un arbre :

on le voyait mal, et il le désigna comme cible aux jeunes princes.

47. Droṇa dit :

« Vous tous Messieurs, vite, hâtez-vous de prendre vos arcs,

d’y placer une flèche et de viser ce vautour.

48. Et au moment où je vous le dirai, abattez sa tête.

Je vous en donnerai l’ordre l’un après l’autre : faites ainsi, les garçons ! »

49. Vaiśampāyana dit :

« Puis le meilleur des Aṅgirasas s’adressa d’abord à Yudhiṣṭhira :

« Fixe ta flèche, ô invincible, et tire quand j’aurai fini de parler ! »

50. Puis Yudhiṣṭhira saisit d’abord son arc sonore :

immobile, il visa le vautour, pressé par la voix de son gourou.

51. Puis Droṇa après un moment dit cette parole

au fils de Kuru qui bandait son arc, ô taureau des Bhārata :

52. « Vois-tu ce vautour qui se tient au sommet de l’arbre, fils de héros ? »

« Je le vois » répondit Yudhiṣṭhira à son précepteur.

53. Après un moment Droṇa lui dit à nouveau :

« Et maintenant est-ce que tu vois cet arbre, ou moi, ou encore tes frères ? »

54. Le fils de Kuntī lui dit : « Je vois cet arbre,

ainsi que toi, Seigneur, et mes frères, et encore et encore le vautour. »

55. Droṇa, mécontent, lui dit : « Retire-toi ! »

ajoutant avec mépris : « Il t’est impossible d’atteindre cette cible ! ».

56. Puis, de la même façon, le très glorieux interrogea les fils de Dhṛtarāṣṭra,

en commençant par Duryodhana, afin de les éprouver,

57. et d’autres disciples, en commençant par Bhīma, et d’autres princes issus d’autres contrées,

et ils dirent tous : « Nous voyons tout cela », et ils furent méprisés.

58. Puis Droṇa en souriant dit à Dhanaṃjaya :

« C’est maintenant à toi de t’attaquer à cette cible. Ecoute.

59. Au moment où je te le dirai, tu devras lâcher ta flèche.

Tends ton arc, fils, et tiens-toi là l’espace d’un instant. »

60. A ces mots, l’Ambidextre tira sur son arc courbe,

et se tint là, visant la cible, suivant la voix de son gourou.

61. Après un moment, Droṇa lui dit de la même façon :

« Vois-tu le vautour qui se tient là, et aussi l’arbre, ainsi que moi aussi ? »

62. « Je vois ce vautour, répondit le fils de Pṛthā à Droṇa,

mais je ne vois pas l’arbre, ni toi Seigneur », ô Bhārata.

63. Alors, au bout d’un moment, satisfait, à nouveau Droṇa

l’inaccessible dit au taureau parmi les guerriers des Pāṇḍava :

64. « Si tu vois le vautour, alors décris-le en un mot. »

« Je vois la tête du vautour, mais pas son corps » dit-il.

65. A ces mots d’Arjuna, Droṇa sentit la joie monter dans son corps.

« Tire ! » dit-il au fils de Pṛthā, et il tira sans hésitation.

66. Le Pāṇḍava fit donc rapidement tomber la tête de l’oiseau qui était dans l’arbre

après l’avoir tranchée avec la pointe acérée de sa flèche.

67. Une fois cet exploit accompli, il embrassa Arjuna

et il imagina Drupada, vaincu au combat avec sa descendance.

68. Quelques temps après, le meilleur des fils d'Aṅgiras [69] accompagné de ses disciples

vint au bord de la rivière Gange pour s’y baigner, ô taureau des Bhārata.

69. Tandis que Droṇa se baignait dans l’eau, un puissant crocodile

qui était dans l’eau le saisit par le bas de sa jambe, poussé par le Temps.

70. Bien qu’il fût capable de se sauver, il sollicita ses disciples :

« Tuez le crocodile, sauvez-moi ! » dit-il, comme s’il les pressait.

71. A peine disait-il ces paroles que le Rechigneur avec ses flèches acérées,

cinq envoyées d’un coup, frappa le crocodile au fond de l’eau,

tandis que les autres, paniqués, allaient de-ci de-là.

72. Voyant le Pāṇḍava capable de cet exploit, Droṇa pensa

qu’il surpassait tous ses autres disciples, et il en fut ravi.

73. Mis en divers morceaux par les flèches du fils de Pṛthā,

le crocodile retourna aux cinq éléments et lâcha la jambe du sage au grand cœur.

74. Le fils de Bharadvāja dit alors au grand guerrier au grand cœur :

« Reçois, ô puissant, cette extraordinaire et irrésistible

arme, nommée « Tête de Brahmā », avec la méthode pour l’utiliser et la neutraliser.

75. Elle ne doit pas être lancée contre des hommes, en aucune manière :

en tombant, avec le moindre de ses rayons elle réduirait le monde en cendres !

76. On dit de cette arme, mon garçon, qu’elle n’a pas son pareil dans les trois mondes :

tiens-la prudemment, et écoute ce que je vais te dire.

77. Si quelque ennemi surhumain t’attaquait, ô héros,

pour le détruire tu pourrais alors lancer cette arme dans le combat. »

78. « Qu’il en soit ainsi ! » promit le Rechigneur en portant les mains à son front,

et il prit cette arme prodigieuse ; son gourou lui dit encore :

« Aucune autre créature humaine au monde ne t’égalera en tant qu’archer ! ».

 

 



[1] Par opposition aux trois autres mondes : le ciel [svarga], la terre [bhūmi], et l'enfer [pātāla].

[2] Parjanya, dieu de la pluie.

[3] Le mont Mandara « l'Énorme », qui servit à baratter la mer de lait primordiale [kṣīrodamathana].

[4] Les Vālakhilyas, nom d'une classe de sages de très petite taille, qui faisait pénitence pour obtenir la création d'êtres vivants; il y a 60.000 Vālakhilyās, qui entourent le char du Soleil.

[5] Êtres célestes fabuleux à corps d'homme et tête de cheval.

[6] Merveilleux jardin de Kubera sur le Mont Mandara; son jardinier en est Citraratha.

[7] Méthode particulière de réciter les Veda consistant à lire un premier vers, puis à répéter le 2e hémistiche du premier vers avant de lire le 2e vers, puis à lire à nouveau le 2e hémistiche du 2e vers avant de lire le 3e, etc.

[8] Récitation particulière du Veda [vikṛtipāṭha]: chaque mot est répété avant le mot suivant.

[9] Inhérence : relation indissociable entre le sujet et le prédicat, entre le tout et ses parties, entre la qualité et le qualifié, entre le mouvement et le mouvant, entre l'individu et le genre, entre la propriété et la substance.

[10] Manmatha « Passion », un nom du dieu Kāma.

[11] Patronyme de Viśvāmitra.

[12] De śakunta, oiseau.

[13] Manu-Svāyaṃbhuva « l'Homme Primordial », premier homme de l'ère, issu des deux moitiés Virāṭ et Śatarūpā de Brahmā; par Śatarūpā il eut pour enfants Iḍā, Priyavrata et les 10 géniteurs [prajāpati]; on lui attribue les Lois de Manu.

[14] Les trois buts de l'homme sur Terre sont le devoir [dharma], la richesse [artha] et le plaisir [kāma].

[15] Dans le cadre de la coutume de la satī, la veuve est tenue de se suicider sur le bûcher funéraire de son mari.

[16] Grand arbre de l'Asie du Sud. On le trouve au sud de l'Himalaya, en Birmanie, au Bangladesh, en Inde et au Népal ; il peut atteindre 35 m de hauteur.

[17] L’Himalaya.

[18] Du verbe bhṛ « prendre en charge ».

[19] = Indra, le « dieu aux cent sacrifices ».

[20] Dieu du sacrifice, issu du pouce de Brahmā ; chef des géniteurs [prajāpati], il personnifie le rituel et la magie efficace.

[21] Le Sāṃkhya se propose d’analyser rationnellement la réalité. De cette compréhension surgit la libération (mokṣa) du cycle des renaissances (saṃsāra), qui est souffrance (duḥkha). Le Sāṃkhya présente l'univers comme fondé sur deux principes en union constante et en équilibre parfait : le principe mâle (puruṣa ) et le principe femelle (prakṛti ). Le monde est ainsi permanent, de sorte que la divinité n'a pas à s'en occuper.

[22] On apprend plus loin qu’il y a une hésitation sur le sexe de ce « fils » dont le nom, féminin, s’accorde ici avec un adjectif féminin. Ila est un androgyne connu pour ses changements de sexe. En tant qu'homme, il est connu comme Ila ou Sudyumna, et, en tant que femme, est appelé Ilā.  Il existe de nombreuses versions de l'histoire. Dans les versions où Ila est née fille, elle est remplacée par un garçon par la grâce divine, peu après sa naissance. Après être entré par erreur dans un bosquet sacré Ila est maudit et doit soit changer de sexe tous les mois, soit devenir une femme. En tant que femme, Ilā épouse Budha, le fils du dieu-lune Candra, et lui donne un fils appelé Pururavas, le père de la dynastie lunaire. Après la naissance de Pururavas, Ilā se transforme à nouveau en homme et engendre trois fils.

[23] Bṛhaspati.

[24] Les quatre Veda.

[25] Les trois buts de l’existence humaine (puruṣārtha).

[26] Indra.

[27] Un noble guerrier (kṣatriyā) ne saurait épouser une fille de brahmane, qui est d’une classe supérieure à la sienne.

[28] Vaiśvānara, invocation d'Agni « Qui appartient à tous les hommes », sous son aspect du Soleil.

[29] Indra.

[30] = Mah. I,69, 29-30.

[31] = Vyāsa.

[32] Śrī « Fortune », épithète de Lakṣmī, déesse de la prospérité.

[33] Jahnu, fils d'Ajamīḍha et Keśinī, arrêta la Gaṅgā pendant douze ans en l'avalant quand elle coula sur son aire sacrificielle; à la prière de Bhagīratha, il la rendit par ses oreilles.

[34] Surnom de Vasiṣṭha, de sens obscur.

[35] Dhara « le Sol terrestre », personnifié comme l'un des huit trésors.

[36] Surnom de la rivière Gange.

[37] Rāma Paraśurāma.

[38] Uparicara.

[39] Garuḍa.

[40] Gaṅgā.

[41] Yama, dieu de la Mort ; il est représenté rouge, estropié, tenant le lacet, le bâton, la hache et le poignard; il garde le ciel des morts avec deux chiens au regard perçant ; plus tardivement, il est le roi des enfers, où il inflige des tourments aux esprits des défunts

[42] = Bhīṣma.

[43] Śukra possédait le secret de l'immortalité, qu'il fit partager à son élève Kaca, fils aîné de Bṛhaspati, le fils d'Aṅgirā (Mah. I,71, 15-58)

[44] Vṛtra, un Asura-dragon, symbole de la sécheresse, retenait les eaux prisonnières : il fut tué par Indra.

[45] Épithète de Yama, dieu de la Mort. 

[46] Reṇukā ayant péché en regardant les ébats du roi Arjuna Kārtavīrya prenant son bain, Jamadagni la condamna à errer comme lépreuse; elle lui revint après avoir été guérie par sa dévotion à Śiva, mais Jamadagni ordonna alors à ses fils de la décapiter; les aînés lui ayant désobéi, seul le cadet Rāma Paraśurāma s'en acquitta; il coupa les mille bras du roi Arjuna Kārtavīrya et le livra à la mort ; Jamadagni fut tué à son tour par les fils de celui-ci, et vengé par Paraśurāma qui tua tous les princes [kṣatriyās] pour rendre la Terre aux brahmanes.

[47] Dīrghatamas = « longues (dīrgha) ténèbres (tamas) » ; Bṛhaspati = « maître (pati) de la puissance (bṛhas) »

[48] Vyāsa = séparateur.

[49] Vidhātar « le Dispensateur », épithète de Brahmā, l'Ordonnateur du Monde, personnifiant la Destinée.

[50] Parjanya, dieu de l’orage.

[51] Hara « le destructeur », épithète de Śiva ; Bhaga «Fortune» (l’un des douze Adityas, adjoint de Mitra, garant de l'attribution des biens et des maux, dieu de l'hymen) eut les yeux crevés par Śiva ; aveugle, il personnifie le Destin.

[52] De vasu, richesse.

[53] = à midi.

[54] Śacī, fille de Pulomā, est épouse d'Indra, le Généreux.

[55] Bhīṣma.

[56] Jayanta «le Victorieux», fils de Śacī (fille de Pulomā) et d'Indra.

[57] L'éléphant Airāvata.

[58] Mātariśvan (= « qui enfle dans la mère »), chef des souffles [marut].

[59] Le mont Gandhamādana « aux Parfums enivrants », à l'est du Mont Meru, est couvert d'une forêt fragrante; il porte le palais de Kubera, dieu de la richesse, gardien du Nord.

[60] Il s’agit d’une circumambulation dans le sens des aiguilles d'une montre, autour d’une personne sainte qu’on veut honorer.

[61] Le jour d’Indra : le 8e jour du mois de Mārgaśīrṣa, mois de l'Antilope (novembre-décembre), où la Lune est pleine dans Orion.

[62] Véga.

[63] Ambālikā, la mère de Pāṇḍu.

[64] Indra.

[65] esprit caché : génie gardien des trésors de Kubera.

[66] Rāma Paraśurāma.

[67] Karṇa.

[68] Arjuna.

[69] Droṇa.